CA Paris, 3e ch. A, 15 décembre 1992, n° 92-015762
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Association des franchisés de la chaîne d'hôtels restaurants Confortel Louisiane et Relais Confortel, Cavelier de la Salle (Sté), Chanlippe (Sté), Force Neuf (Sté), Hôtel de l'Est Lyonnais (Sté), Hôtelletière de Monferrier (Sté), Hôtelière Quiravi (Sté), Hôtelière Sophia Antipolis (Sté), Lagnyotel (Sté), Lydia K. (Sté), Mississipi (Sté), Plan Sarrin (Sté), SHT (Sté), Villebon Hôtel (Sté), Nouvelle Orléans (Sté)
Défendeur :
Libert (ès qual.), Corextel (Sté), Souchon (ès qual.), Confortel (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mlle Aubert
Avocat général :
M. Mellottée
Conseillers :
Mme Nerondet, M. Albertini
Avoués :
SCP Duboscq, Pellerin, SCP Varin, Petit, Me Bourdais-Virenque
Avocats :
Mes Ben Soussen, Gourdain, Poudeux.
LA COUR statue sur l'appel à jour fixe interjeté par l'association des Franchisés de la chaîne d'hôtels-restaurants " Confortel Louisiane " et " Relais Confortel ", par les sociétés Cavelier de la Salle, Chalippe, Force Neuf, Hôtel de l'Est lyonnais, Hôtelière de Montferrier, Hôtelière Quiravi, Hôtelière Sophia Antipolis, Lagnyotel, Lydia K, Mississipi, Plan Sarrin, SHT, Villebon Hôtel, Nouvelle Orléans du jugement rendu le 29 juin 1992 qui a ordonné la cession totale des actifs de l'entreprise Corextel au pris de 4 300 000 F, au profit de la société Confortel et qui a ordonné d'une part, la cession des contrats d'eau, de gaz, d'électricité, de téléphone et d'assurances à l'exclusion de tout autre contrat de franchise en vertu de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985 consentis par la société Corextel aux sociétés selon l'annexe I ci-jointe visant, notamment, les contrats des sociétés appelantes.
ELEMENTS DU LITIGE :
La société Corextel a été en juillet 1984 créée sous la forme anonyme et a développé une chaîne d'hôtels-restaurants deux étoiles sous la marque " Confortel Louisiane ".
Au moment de l'ouverture, à son égard, de la procédure de redressement judiciaire par le Tribunal de commerce de Corbeil, le 8 juillet 1991, vingt et un hôtels-restaurants étaient exploités par des filiales, onze étaient en projet ou en construction par l'intermédiaire de seize filiales du groupe qui comprenait cinq sociétés de services. En outre, Corextel avait conclu des contrats de franchise avec quarante-cinq sociétés hôtelières gérant le même type d'hôtels.
Par ces contrats, elle avait concédé le droit d'exploiter la franchise comprenant des droits de propriété incorporelle notamment la marque Confortel Louisiane et d'une manière générale le savoir-faire tels qu'ils résultaient d'un cahier des charges, une assistance technique et commerciale aux sociétés franchisées qui s'étaient engagées à acquitter des redevances et à utiliser exclusivement la franchise sur le territoire qui leur était réservé dans le but d'implanter, d'ouvrir et d'exploiter un hôtel-restaurant.
Après le prononcé du redressement judiciaire, les sociétés franchisées aujourd'hui appelantes ont assigné le Tribunal de commerce de Corbeil, Me Libert nommé administrateur judiciaire de la société Corextel aux fins de voir prononcer la nullité, subsidiairement la résiliation des contrats de franchise qui leur avaient été consentis. Le tribunal n'a pas statué sur ces procédures.
C'est dans ce contexte que le tribunal a, dans le jugement entrepris, arrêté le plan de cession au profit de Confortel prévoyant la reprise des contrats de franchise conformément à l'offre de reprise émanant des sociétés Elitair, Climat de France et Confortel qui ont déclaré faire leur affaire personnelle des procédures en cours visant à voir prononcer la nullité des contrats de franchise.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES EN APPEL :
L'association des franchisés et treize sociétés appelantes prétendent que le contrat de franchise qui met à la charge du franchiseur la transmission de signes distinctifs, la communication d'un savoir-faire ainsi qu'une assistance technique et commerciale au profit du franchisé lui-même tenu au paiement d'une redevance n'entre pas dans le champ d'application de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985 puisque le cocontractant est en l'espèce, le franchisé qui ne fournit pas des services mais en reçoit contre paiement de redevances et qu'il serait paradoxal de l'assimiler à un prestataire de biens ou de services. Elles soutiennent que le contrat de franchise ne saurait être assimilé à un contrat de fournitures de biens ou de services, qu'il est conclu intuitu personae, en considération des produits commercialisés. A titre subsidiaire, elles font état de l'inexécution des contrats par Me Libert et par la société Confortel dont elles invoquent les agissements de concurrence déloyale dans la mesure où les repreneurs entendent développer le réseau Climat de France Louisiane au détriment de l'ancien réseau Confortel Louisiane. Elle concluent à l'infirmation du jugement afin de dire que les contrats de franchise ne peuvent être cédés en vertu de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985, de constater que les franchisés ont versé des droits d'entrée en contrepartie du droit d'utiliser les marques Confortel et Confortel Louisiane et que les franchisés pourront utiliser ces marques jusqu'à la date d'expiration du contrat de franchise. Elles sollicitent la condamnation de la société Confortel ou de tout succombant à leur verser la somme de 150 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Me Libert intimé en sa qualité d'administrateur de la société Corextel et Me Souchon intimé en sa qualité de représentant des créanciers prétendent que le contrat de franchise est un contrat de fournitures de services comme le démontrent les stipulations des articles 3, 4 et 5 des contrats passés entre Corextel et les sociétés appelantes et que ce contrat peut être cédé sans qu'il y ait lieu de s'appesantir sur le mode de rémunération du prestataire de services. Ils concluent à la confirmation du jugement.
La société Confortel intimée fait observer que trente et un franchisés sur quarante quatre ont accepté le transfert du contrat. Elle se rallie à l'argumentation développée par les mandataires de justice en soulignant la distinction qui doit être faite entre la franchise de services qui est utilisée dans l'hôtellerie et la franchise de production. Elle estime qu'il ne saurait lui être fait grief de vouloir rapprocher le réseau des franchisés Confortel en déconfiture du réseau Climat de France en pleine expansion. Ayant été mise dans l'impossibilité d'entreprendre le redressement de l'entreprise cédée par le recours introduit, elle invoque un préjudice qu'elle évalue à 100 000 F. Elle demande que lui soit allouée la somme de 50 000 F. en application de l'article 700 du NCPC. A titre subsidiaire, dans le cas où la cour ferait droit à la demande des appelants, elle conclut à la réduction de 886 364 F du prix de cession des actifs incluant les contrats de franchise au titre des immobilisations incorporelles.
La société Corextel intimée est représentée par Me Libert.
M. Deffays intimé en sa qualité de représentant du personnel de la société Corextel a été entendu en Chambre du Conseil. Il a indiqué que le repreneur joue son rôle mais que la procédure en cours ne permet pas de faire les investissements nécessaires.
Le Ministère public a analysé le contrat de franchise comme étant un système de distribution et émis l'avis selon lequel l'intuitus personae qui le caractérise ne fait pas obstacle à sa cession forcée, laquelle doit être entendue largement pour réaliser les objectifs de la loi du 25 janvier 1985.
Cela étant exposé :
LA COUR,
Considérant que l'Association des Franchisés n'est pas un cocontractant au sens de l'article 174 alinéa 4 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Que son appel est irrecevable ;
Considérant que la société Nouvelle Orléans a fait signifier le 3 septembre 1992 un acte de désistement d'appel pur et simple aux offres de droit ;
Qu'aucune demande incidente n'a été formée contre elle ;
Qu'il convient de lui donner acte de son désistement
Considérant qu'aux termes de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985, " le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens ou de services nécessaires au maintien de l'activité... " ; qu'il a le pouvoir d'en ordonner la cession ;
Que la cession judiciaire des contrats qui est une disposition exorbitante du droit commun est d'interprétation stricte ;
Considérant que les contrats énumérés limitativement à l'article 86 susvisé s'entendent des conventions par lesquelles sont mis à la disposition de l'entreprise en redressement judiciaire, des locaux, des matériels, des biens ou des services indispensables à l'activité de l'entreprise;
Que s'agissant des fournitures de biens ou services, ce sont les biens ou services à l'entreprise en redressement judiciaire qui doivent continuer à l'être au cessionnaire de celle-ci s'ils sont vitaux pour le maintien de l'activité ;
Que tel est le cas par exemple, des contrats d'eau, de gaz, d'électricité, de téléphone et d'assurances dont le tribunal a ordonné la cession à Confortel ;
Considérant que lorsque le franchiseur est en redressement judiciaire, l'article 86 ne peut recevoir application pour ordonner le transfert du contrat de franchise ;
Que s'il y a franchise de services, ceux-ci sont fournis par le franchiseur au franchisé qui en contrepartie paie des redevances ;
Qu'il est exclu que les partenaires commerciaux ou la clientèle d'une entreprise en redressement judiciaire puissent se voir imposer de recevoir les biens ou services de la part du cessionnaire de cette entreprise ;
Que la loi sur les procédures collectives ne saurait contraindre le client d'une entreprise en redressement judiciaire à poursuivre ses relations avec celle-ci ou son cessionnaire mais lui permet, grâce à l'article 86, de continuer à satisfaire la clientèle en exigeant des fournisseurs qu'ils continuent à la fournir ou à l'assister ;
Considérant en outre, que le contrat de franchise ne se réduit pas à une fourniture de biens ou de services ;
Considérant que la franchise est un système de commercialisation de produits, de services, de technologies fondé sur une collaboration entre entreprises indépendantes dont l'une, le franchiseur concède aux autres, les franchisés en échange d'une compensation financière le droit d'exploiter un ensemble de droits de propriété industrielle ou intellectuelle concernant des marques, noms commerciaux, dessins et modèles et un savoir-faire soutenu par l'apport d'une assistance commerciale et technique en vue de la vente de produits ou de services à des utilisateurs finals ;
Que l'adhésion au réseau de franchise Confortel Louisiane a permis aux franchisés d'utiliser le nom commercial, l'enseigne, les marques, les méthodes commerciales et de bénéficier de l'assistance du franchiseur dès le début du processus tendant à l'implantation puis à l'installation et à l'exploitation de l'hôtel-restaurant ;
Que le réseau de franchise représente la branche d'activité la plus importante de Corextel cédée à Confortel pour le prix de 3 MF ;
Qu'étant au nombre des actifs cédés, il ne peut être analysé comme étant un contrat nécessaire au maintien de l'activité cédée, cas dans lequel d'ailleurs, le contrat est transmis au cessionnaire qui en assume la charge à compter du jugement sans avoir à s'acquitter d'un prix ;
Considérant qu'en acquérant le réseau de franchise qui est l'élément essentiel du fonds de commerce de Corextel, Confortel reprend un ensemble de droits de propriété industrielle, intellectuel, des méthodes commerciales qu'elle doit intégrer dans sa propre entreprise et est conduite à des adaptations, des modifications et des restructurations ;
Qu'il est donc improbable qu'elle puisse exécuter le contrat de franchise aux conditions en vigueur le jour de la procédure comme l'exige l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Qu'elle le reconnaît puisqu'elle indique son intention de rapprocher le réseau Confortel Louisiane du réseau Climat de France ;
Considérant que les sociétés appelantes font grief à Confortel d'avoir pour objectif d'intégrer les hôtels ayant la marque Confortel Louisiane au réseau Climat de France avec une mise aux normes des hôtels de ce réseau ;
Que cependant, Confortel qui a repris le réseau a le droit d'apporter des changements dans son organisation et son fonctionnement ;
Qu'elle ne peut toutefois le faire sans l'accord des franchisés qui n'ont en aucun cas à se voir imposer des modifications de leur contrat ou la signature d'un nouveau contrat de franchise ;
Que d'ailleurs, l'impossibilité de toute contrainte n'a pas échappé à M. Douillard, président d'Elitair qui, le 30 juin 1992, écrivait à la dirigeante d'une société franchisée " Sachant que nul ne peut obliger à travailler ensemble des personnes qui n'en ont pas envie, notre problème est aujourd'hui de connaître vos attentes, afin de pouvoir vous présenter des propositions constructives... " ;
Considérant que la cession d'une branche d'activité représentée par un réseau de franchise entre dans les prévisions de l'article 81 de la loi du 25 janvier 1985 mais ne peut être imposée aux franchisés qui sont libres de ne pas poursuivre leur collaboration avec le nouveau franchiseur ;
Considérant qu'il convient de faire droit à la demande des treize sociétés appelantes et d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la cession du contrat de franchise les liant à Corextel ;
Considérant que le prix payé pour l'acquisition du réseau de franchise comprenant quarante-quatre franchisés étant de 3 MF, Confortel est fondée à demander que le prix de cession soit réduit à 886 364 F à la suite de la perte de treize contrats de franchise ;
Que le prix de cession doit être ramené de 4 300 000 F à 3 413 636 F ;
Considérant que la cour étant saisie du plan de cession des actifs de Corextel n'a pas à se prononcer sur les demandes subsidiaires des sociétés franchisées concernant leur droit de continuer à exploiter les marques Confortel et Confortel Louisiane dans le cadre de leur contrat de franchise ;
Qu'il faut toutefois observer d'une part, qu'aux termes de l'article 1844-7° du Code civil, la société prend fin par l'effet du jugement prononçant la cession totale des actifs en sorte que Corextel dont les actifs ont été cédés doit disparaître, d'autre part que les marques sont comprises dans les actifs repris par Confortel ;
Considérant que la demande de dommages-intérêts et d'application de l'article 700 dirigée par Confortel contre les appelantes dont les prétentions sont fondées sera rejetée ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande d'application de l'article 700 du NCPC formée par les appelantes.
Par ces motifs : Déclare irrecevable l'appel de l'association des franchisés de la chaîne d'hôtels-restaurants " Confortel Louisiane " et " Relais Confortel " ; Donne acte à la société Nouvelle Orléans de son désistement d'appel et constate l'extinction de l'instance à son égard ; Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la cession à la société Confortel , des contrats de franchise conclus avec la société Corextel par les sociétés Cavelier de la Salle, Chanlippe, Force Neuf, Hôtel de l'Est lyonnais, Hôtelière de Montferrier, Hôtelière Quivari, Hôtelière Sophia Antipolis, Lagnyotel, Lydia K, Mississippi, Plan Sarrin, SHT, Villebon Hôtel et en ce qu'il a fixé le prix de cession à 4 300 000 F ; Statuant à nouveau de ces deux chefs ; Dit n'y avoir lieu à la cession à Confortel des contrats de franchise passés par les treize sociétés ci-dessus nommées avec la société Corextel ; Fixe en conséquence le prix de cession des actifs de la société Corextel à 3 413 636 F ; Déboute la société Confortel de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande d'application de l'article 700 du NCPC ; Déboute les treize sociétés ci-dessus nommées de leurs demandes subsidiaires et de leur demande d'application de l'article 700 du NCPC ; Condamne l'association des franchisés et la société Nouvelle Orléans aux dépens de leur appel ; Condamne Me Libert es qualités aux dépens d'appel des treize sociétés ci-dessus nommées lesquels seront compris dans les frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire ; Admet les avoués de la cause dans la limite de leurs droits au bénéfice de l'article 699 du NCPC.