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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 16 décembre 1992, n° 15384-92

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tramarine (SARL)

Défendeur :

Fimotel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Briottet, Vigneron

Avoués :

Me Bodin Casalis, SCP Menard Scelle, Millet

Avocats :

Mes Douet, Peyron.

T. com. Paris, du 19 mai 1992

19 mai 1992

Suivant déclaration remise au Secrétariat Greffe le 10 juillet 1992, la société Tramarine a interjeté appel du jugement du 19 mai 1992 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté cette société de ses demandes en annulation et en résiliation du contrat de franchise conclu avec la société Fimotel, l'a condamnée avec exécution provisoire à payer à cette société la somme de 133 561 F, a aussi condamné la société Fimotel à payer à la société Tramarine les sommes de 170 000 F à titre de dommages intérêts et 185 494 F au titre de remboursement des redevances et a débouté les parties de leurs autres demandes en ordonnant compensation,

Ensemble, sur l'appel incident formé par la société Fimotel.

Par acte sous seing privé des 22 mai et 10 juin 1985, la société Fimotel a concédé à M. et Mme Pierre (aux droits desquels se trouve la société Tramarine) la franchise de sa marque pour l'exploitation sous son enseigne d'une unité hôtelière situé Parc du Colombier à Saint Denis.

Conclu pour une durée de 15 ans (avec clause résolutoire au bénéfice du franchiseur), le contrat stipulait parmi les obligations inhérentes à ce type de convention : au profit du franchisé, une zone d'exclusivité sur le territoire inclus dans un rayon de 5 KM à vol d'oiseau autour de l'hôtel Tramarine (sauf la Porte de la Chapelle et les boulevards périphériques) et, à l'avantage de Fimotel, le règlement d'une redevance annuelle égale à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'hôtel restaurant.

Après l'ouverture de l'unité hôtelière Tramarine le 26 mai 1986, Fimotel envisageait l'implantation d'un nouvel établissement de la marque à Saint Ouen (dans le secteur donné en exclusivité, mais non loin du boulevard périphérique). Après diverses tractations infructueuses avec les époux Pierre pour leur participation à cet investissement, Fimotel réalisait seul celui-ci et procédait à l'ouverture de la nouvelle unité, courant novembre 1988.

Dès 1990, la société Tramarine constatait une baisse de son chiffre d'affaires ; parallèlement la chaîne Fimotel se trouvait aux prises avec des difficultés financières et son animateur était amené, courant 1989, à céder la marque à un groupe financier lequel devait à nouveau vendre celle-ci en septembre 1992 à un groupe hôtelier étranger. A la suite du trouble entraîné parmi les franchisés par ces difficultés et ces diverses opérations, Fimotel consentait à ses adhérents une réduction de 50 % des redevances sur les années 1990 et 1991.

De son côté, Tramarine, estimant que le franchiseur n'exécutait pas intégralement ses obligations réduisait unilatéralement ses paiements de redevance à la somme correspondant à 1 % de son chiffre d'affaires ;

Par acte du 26 décembre 1991, la société Tramarine a fait assigner la société Fimotel devant le Tribunal de commerce de Paris en résiliation du contrat et en paiement de dommages intérêts. Reconventionnellement, la société franchiseur saisissait cette même juridiction d'une demande en paiement de redevances dues.

Appelante du jugement rendu, la société Tramarine conclut à la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur et à la condamnation de la société Fimotel au paiement à titre de dommages intérêts des sommes de :

- 1 000 000 F pour violation de l'exclusivité territoriale,

- 677 000 F pour inexécution de l'obligation contractuelle d'assistance,

- 700 000 F pour résiliation anticipée,

- 133 561 F au titre des condamnations intervenues ; à titre subsidiaire, en cas d'annulation de la clause d'exclusivité, elle conclut à la nullité du contrat, avec remboursement des sommes versées ; elle sollicite enfin l'octroi d'une somme de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Fimotel, intimée et appelante à titre incident, conclut à la réformation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Tramarine la somme de 170 000 F à titre de dommages intérêts et sollicite la condamnation de cette société au paiement de la somme de 276 617 F au titre des redevances impayées avec compensation entre cette somme et les réductions de franchises consenties ; elle demande en outre la condamnation de la société Tramarine au paiement des sommes de 100 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et 50 000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens.

Sur quoi, LA COUR,

I- Sur la clause d'exclusivité :

Considérant que, dans le corps de ses écritures, Fimotel soutient que cette clause serait contraire aux dispositions de l'article 85 du Traité de Rome et donc entachée de nullité, sans que toutefois celle-ci puisse vicier l'ensemble du contrat ;

Mais considérant qu'indispensable, d'une part, pour protéger l'investissement opéré par Tramarine en vue de délivrer à la clientèle un service de qualité améliorée et alors que, d'autre part, il n'est pas démontré que l'ensemble du réseau constitué par Fimotel représente par sa densité et son étendue une entrave significative au jeu normal de la concurrence en matière de prestations hôtelières, la clause d'exclusivité territoriale stipulée à l'article 1 du contrat ne peut être regardée comme violant les dispositions susvisées;

Que, valide, cette clause doit produire son plein et entier effet ;

Considérant sur sa portée, que, selon la société Tramarine, l'interdiction stipulée de toute implantation d'unité hôtelière de la marque dans un rayon de 5 KM à l'exclusion de la Porte de la Chapelle et du boulevard périphérique, devrait s'entendre comme ayant une valeur absolue, les dérogations prévues devant être interprétées de manière stricte ;

Que dès lors, l'implantation d'une unité à Saint Ouen dans une rue proche du boulevard (et non sur le boulevard lui-même) devrait être considérée comme contraire à la clause en litige ;

Considérant que Fimotel soutient que toute installation d'un hôtel sur le boulevard périphérique lui-même, étant pour diverses raisons matérielles, impossible, la clause devrait être interprétée comme autorisant l'implantation dans la zone proche du boulevard le but recherché étant de rendre l'hôtel visible de la grande voie de circulation et facilement accessible à proximité d'une bretelle de sortie ;

Considérant que si l'acception de Fimotel paraît vraisemblable, il importe de rechercher l'intention des parties lors de la conclusion de la convention ;

Considérant que l'examen de l'article 1-3 du contrat fait apparaître qu'après avoir clairement posé le principe de l'engagement du franchiseur à ne pas conclure un autre contrat dans le rayon précisé, les parties, conscientes de la nécessité de développer la chaîne ainsi que précisé dans les motifs du contrat, avec la souplesse nécessaire à toute activité commerciale de services destinée à une clientèle de passage et formellement sollicitée, ont " envisagé " la constitution éventuelle d'une autre unité hôtelière dans la zone concédée si la franchise Tramarine atteignait un coefficient d'occupation moyen supérieur à 60 % ;

Que, dans ce cas, il est expressément stipulé que le projet serait proposé en priorité au franchisé déjà en place pour la réalisation de la nouvelle unité ;

Qu'ainsi, il apparaît que les parties ont entendu délimiter ainsi que stipulé au contrat la zone d'exclusivité jugée nécessaire pour la rentabilisation de l'investissement prévu, tout en réservant la possibilité, une fois atteinte l'activité attendue, de conforter le réseau par l'implantation d'une nouvelle unité à la limite de la zone concédée (mais à l'intérieur de celle-ci), avec en contrepartie le droit pour le franchisé en place de compenser la diminution éventuelle de son chiffre d'affaires par une participation à l'investissement nouveau ;

Que cette volonté commune se trouve a posteriori démontrée par l'attitude des parties lors des tractations relatives à la mise en place de l'unité de Saint Ouen ;

Qu'ainsi, dans sa lettre du 26 novembre 1986, le Président Directeur Général de Fimotel, faisant allusion à une conversation fructueuse tenue le 24 octobre précédent à l'hôtel Tramarine, rappelle à la gérante de cette société, qu'ainsi qu'il a été convenu il lui accordait une préférence à l'investissement projeté notamment à Saint Ouen et lui exprimait sa confiance de voir l'unité de Saint Denis " très rapidement dépasser le taux d'occupation de 60 % et lever ainsi la clause d'exclusivité qui nous lie " ;

Que par la suite (et alors que le taux d'occupation de Tramarine avait nettement dépassé le seuil prévu), les dirigeants de cette société n'ont cessé de faire valoir leur intérêt pour la réalisation de St Ouen (notamment télex du 5 juin 1987) et, après le refus de Fimotel concrétisé par la lettre du 3 septembre 1987, de protester de leur exclusion de l'opération, malgré les termes clairs du contrat (LRAR du 26 octobre 1987) ; le courrier se terminant par l'expression de leur volonté nettement manifestée " de participer à la réalisation ...ce qui n'est que l'application des termes du contrat qui nous lie " ;

Considérant que pour justifier son refus d'exécuter l'obligation ainsi contractée, Fimotel fait état dans sa lettre du 3 septembre 1987 du fait que la promesse de vente concernant le terrain (sur lequel devait être édifié l'hôtel de St Ouen) interdisait toute possibilité de franchisage (sans cependant exclure une participation minoritaire d'une autre société que Fimotel au capital de la société chargée de l'exploitation) ;

Considérant qu'en agissant ainsi Fimotel à qui il appartenait de ne pas prendre d'engagement contraire à ceux déjà souscrits, a manifestement contrevenu aux obligations contractées envers Tramarine;

Que si cette violation desdites obligations par Fimotel ne présente pas - compte tenu de la levée de la clause d'exclusivité par l'arrivée de Tramarine au seuil minimal d'occupation - un caractère de gravité suffisant pour provoquer la résiliation de la convention, elle est de nature à entraîner au profit de la société franchisée l'allocation de dommages intérêts ;

Considérant qu'en réparation du préjudice subi par Tramarine par la diminution du chiffre d'affaire résultant de l'installation de l'unité de St Ouen sans compensation par une participation de cette société au nouvel investissement, il échet d'allouer à la société franchisée, au vu des éléments d'appréciation versées aux débats, la somme de : 1 000 000 F ;

II- Sur les autres inexécutions contractuelles imputées à Fimotel :

Considérant que, énumérant les diverses obligations contractées par le franchiseur, Tramarine affirme dans ses écritures que la plupart d'entre elles auraient été violées par Fimotel ;

Qu'elle fait valoir notamment que le franchiseur aurait :

- arrêté le développement de la chaîne contrairement au but affirmé dans l'exposé liminaire des intentions des parties ;

- mis en péril le bon renom de la marque par ses déboires financiers ;

- exclu Tramarine de ces actions de démarchage auprès des agences, associations et administrations, contrairement aux dispositions de l'article 2-1 du contrat,

- privé Tramarine de l'assistance commerciale directe stipulée à l'article 2-2, ainsi que l'assistance relative à la stratégie publicitaire au plan local (article 2-2-2), et des informations utilisables quant aux tarifs, consignes de vente, système de réservation etc...

- négligé d'assurer la publicité de la chaîne prévue à l'article 2-3-1,

- omis de remettre au franchisé certains des manuels énumérés à l'article 3-1 contenant les éléments du savoir-faire objet même de la franchise et négligé la mise à jour des autres, (article 3-2) de même que les documents définissant les normes d'approvisionnement, de qualité de service et d'organisation (article 3-3) ainsi que les listes de fournisseurs référencés ;

- négligé de diffuser les états comparatifs des ratios de gestion prévus à l'article 3-4, de tenir les séminaires de formation visé à l'article 3-5,

- privé Tramarine du bénéfice du système de réservation central prévu à l'article 4-6 ;

Considérant que la plupart des griefs ainsi formulés ne sont pas assortis d'éléments de preuve pertinents ;

Qu'en revanche, les pièces versées aux débats par Fimotel établissent que les manuels contenant les éléments essentiels du savoir-faire existent effectivement et renferment un ensemble de connaissances, de comptes rendus d'expériences et de techniques réel ; qu'ils ont été normalement remis aux franchisés ; que leur mise à jour - peut-être lente et laborieuse - est en cours ; que de même les commissions pour la définition des normes se réunit périodiquement et que des listes de fournisseurs ont été diffusées dans le réseau ;

Que de même, des opérations d'assistance ont été menées auprès de l'ensemble des franchisés sans qu'il soit démontré par Tramarine qu'elles auraient été insuffisantes en ce qui la concerne individuellement ;

Que des états comparatifs de ratios de gestion sont bien produits ;

Considérant qu'il reste toutefois qu'en raison des difficultés financières éprouvées par le franchiseur, difficultés qui ont entraîné deux ventes successives de la chaîne avec une certaine instabilité du personnel de direction, une stagnation est apparue dans le développement du réseau ainsi qu'une relative défaillance des services centraux dans l'exercice des actions nécessaires tant vis à vis de la clientèle à démarcher qu'à l'égard de la communication à l'intérieur de la chaîne ;

Que cette situation, imputable essentiellement à la conjoncture économique et à l'agressivité de la concurrence, constitue un aléa commercial qui doit être supporté par l'ensemble des commerçants participant à la chaîne et dont la responsabilité ne peut être (à défaut de faute de gestion clairement démontrée à son encontre) mise à la charge du seul franchiseur ;

Qu'en réduisant de lui-même de 50 % le montant de la redevance afférente aux années 1990 et 1991, Fimotel a justement indemnisé ses franchisés (et parmi eux Tramarine) du préjudice résultant de ses seules défaillances ;

Considérant toutefois qu'il est établi que depuis le mois de janvier 1992, Fimotel s'est abstenue de faire bénéficier correctement Tramarine du système de réservation central stipulé par l'article 4-6 du contrat (dont le franchiseur demande par ailleurs l'entière exécution) ;

Qu'un préjudice certain a été ainsi causé à la société franchisée, Fimotel se devant de répartir les réservations équitablement entre les hôtels de Saint Ouen et de St Denis au prorata du nombre de chambres et d'une manière générale exécuter de bonne foi (ainsi d'ailleurs que Tramarine) les obligations contractées ;

Que ledit préjudice sera réparé, au vu des éléments d'appréciation fournis à la Cour, par l'allocation d'une somme de 150 000 F ;

Que les autres griefs énoncés par Tramarine, non démontrés, ne peuvent être retenus ;

III- Sur les autres demandes :

Considérant que la somme requise par Fimotel au titre de la partie des redevances impayées, s'élève (fin août 1992) à 267 617 F ; qu'il échet de mettre cette somme à la charge de Tramarine pour entrer en compensation avec les réductions de franchise consenties par Fimotel avec toutefois prise en compte des sommes payées par Tramarine au titre des redevances de 1991 ;

Que selon les écritures (non contredites) des parties, ces sommes s'élèveraient à :

- au titre des réductions consenties : 312 641 F,

- au titre des redevances payées en partie : 137 400 F, ce qui ferait apparaître au profit de Fimotel un solde de : 267 617 - (312 641 - 137 400) = 92 376 F ;

Considérant que la procédure engagée par Tramarine ne présente pas le caractère abusif allégué par Fimotel ; que la demande en indemnisation présentée de ce chef par cette société ne peut être retenue ;

Considérant qu'au vu des faits de la cause, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens exposés par elle tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Par ces motifs : Réforme le jugement déféré ; Et statuant à nouveau : Dit n'y avoir lieu à résiliation du contrat de franchise, Condamne la société Fimotel à payer à la société Tramarine à titre de dommages intérêts les sommes de 1 000 000 F et 150 000 F, Condamne la société Tramarine à payer à la société Fimotel la somme de 92 376 F, Ordonne la compensation à due concurrence, Rejette toutes autres demandes des parties plus amples ou contraires à la motivation retenue, notamment la demande en dommages intérêts présentée par la société Fimotel et les prétentions élevées par chacune des parties sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties ; Autorise les avoués de la cause au bénéfice de l'article 699 du NCPC.