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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 décembre 1992, n° 91-5050

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Établissements Georges Andelfinger (SARL)

Défendeur :

Fiatgeotech France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

Mme Regniez, M. Ancel

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, Me Ribaut

Avocats :

Mes Bourgeon, Meyung

T. com. Paris, 12e ch., du 18 déc. 1990

18 décembre 1990

La société Georges Andelfinger, dite ci-après Andelfinger, est devenue concessionnaire exclusif de la société Fiatagri actuellement dénommée Fiatgeotech France (ci-après Fiatgeotech) par deux contrats du 20 juin 1986, à effet au 1er juillet 1986, le premier portant sur la vente de tracteurs Fiat, l'autre sur la vente de moissonneuses batteuses Laverda, des herses et ensileuses Hesston et machines à vendanger Brand, dans le département du Haut Rhin.

Ces deux contrats étaient conclus pour une durée indéterminée et résiliables à tout moment par l'une des parties avec un préavis d'au moins un an (article 2 des contrats) sauf cas prévus à l'article 16 B qui stipulait une résiliation de plein droit pour fautes graves du concessionnaire, notamment pour insuffisance de pénétration du concessionnaire dans le ou les produits objet du contrat ", pénétration définie à l'annexe 1 de chacun de ces contrats.

Par un protocole d'accord de même date, qu'il exposait en préambule que la partie centrale du Haut Rhin n'avait " jamais fait l'objet pour Fiatagri d'une couverture territoriale permettant d'y réaliser les objectifs fixés à l'ensemble du réseau français ", Fiatagri fixait les conditions commerciales (remises, primes) consenties de 1986 à 1989 en fonction notamment des objectifs de pénétration, les remises accordées étant diminuées de 0,5 % par 1/2 point inférieur à l'objectif ".

Se plaignant des insuffisances d'Andelfinger par rapport aux objectifs de pénétration convenus, et après avoir envoyé une lettre recommandée avec AR le 11 avril 1988 à Andelfinger pour qu'il réalise au moins " 12 ventes culture " à fin juin 1988, Fiatgeotech a, se référant à la clause résolutoire de l'article 16 des deux contrats, résilié les deux conventions pour insuffisance de pénétration, par lettre recommandée avec AR du 31 août 1988 ; elle a cité devant le tribunal de commerce de Paris, Andelfinger, pour constater la résiliation de plein droit et demander paiement de la somme de 1.008.587,58 F au titre des factures impayées, de celle de 100.858 F à titre de dommages-intérêts ainsi que 30.000 F au titre des frais non taxables.

Andelfinger a formé une demande reconventionnelle en nullité de la clause résolutoire invoquée non prévue par le règlement d'exemption 123-85 de la commission de la CEE, subsidiairement, elle a soutenu que la rupture du contrat était abusive de par l'attitude de son contractant qui, au début de 1987, a modifié unilatéralement les conditions commerciales consenties et a sollicité paiement, en tout état de cause, de 1 million de francs représentant la mage brute perdue et de 165.882,61 F représentant le stock du matériel encore en ses locaux, à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 18 décembre 1990, le tribunal de commerce a débouté Andelfinger de ses demandes, Fiatagri de sa demande en paiement de dommages-intérêts ; la résiliation des contrats du 20 juin 1986 a été constatée aux torts de Andelfinger et il a été sursis à statuer sur la demande en paiement de Fiatagri, une mesure d'instruction ayant été ordonnée ; l'exécution provisoire a été prononcée ;

Andelfinger a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle n'a pas fait droit à sa demande reconventionnelle en nullité de la clause résolutoire de l'article 16 B a ; subsidiairement, elle demande de dire que la résiliation est abusive ; en tout état de cause, elle reprend ses demandes de dommages-intérêts formées en première instance et sollicite la somme de 30.000 F au titre des frais non taxables ;

Fiatgeotech conclut à la confirmation du jugement, faisant valoir que le règlement d'exemption invoqué n° 123-85 ne s'applique pas aux contrats de distribution exclusive de machines agricoles ; elle soutient, subsidiairement, que la clause résolutoire contestée n'est ni contraire au règlement d'exemption invoqué ni assimilable à une clause de quotas, ni contraire aux dispositions de l'article 85-1 du Traité de Rome. Elle soutient, en outre, n'avoir commis aucune faute de nature à justifier la résiliation des contrats. Elle sollicite paiement de 30.000 F au titre des frais non taxables ;

Sur quoi, LA COUR qui, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel ;

Considérant qu'il n'est pas discuté par les parties que les contrats de distribution exclusive du 20 juin 1986 sont, au moins dans plusieurs de leurs dispositions, dérogatoires aux règles de la libre concurrence définies par l'article 85-1 du Traité de Rome et que cet article, en son alinéa 2 est inopposable s'il existe " un accord ou catégorie d'accords entre entreprises, qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits " aux conditions de l'article 85-3 du Traité de Rome, appréciées par la Commission des communautés " ;

Considérant que, d'ailleurs, ces contrats se réfèrent aux normes de la Communauté Economique Européenne, sans toutefois préciser davantage la norme à laquelle ils se réfèrent, dans l'article 18-6 ;

Considérant que, selon Fiatgeotech, le règlement d'exemption 123-85 de la Commission de la CEE auquel se réfère Andelfinger, relatif à la distribution des véhicules automobiles, ne s'applique pas aux machines agricoles, et que, telle est la position de la Commission de la Communauté Européenne exprimée dans une communication du 2 décembre 1990 envoyée à Michel Bombon, secrétaire général du centre de liaison international des marchands de machines agricoles et réparateurs (Climmar);

Considérant, cependant, que cette position de la Commission exprimée dans cette communication n'a aucun caractère normatif; que, par ses considérants, elle apparaît reposer, non sur une analyse juridique du règlement mais sur des éléments d'opportunité qui, certes, auraient pu conduire les autorités communautaires à édicter un nouveau règlement mais qui ne sauraient justifier le juge chargé de l'application des textes à ne pas tirer les conséquences qu'impose leur rédaction actuelle;

Considérant qu'en outre, cette position constitue un revirement par rapport à ce qui était précédemment indiqué par la Commission elle-même, revirement qui, d'ailleurs, ne paraît pas, au regard des documents produits, définitif puisqu'était sollicité l'avis des destinataires de cette communication et qu'il était indiqué que la communication serait publiée, ce dont il n'est pas justifié ;

Considérant que le règlement 123-85 prévoit en son article 1 qu'il est applicable " aux accords de distribution et de service de vente et d'après vente de véhicules automobiles déterminés à trois roues ou plus destinés à être utilisés sur la voie publique ... "; que cet accord d'exemption par catégorie de l'article 85-3 du Traité de Rome doit, certes, être interprété de manière restrictive, s'agissant d'une exception à l'article 85-1 du Traité susvisé ; que, cependant, lorsque la formulation est claire, générale, et ne comporte aucune restriction, il n'y a pas lieu de la limiter ;

Considérant que tel est le cas en l'espèce, ce règlement, en dehors de la condition de 3 roues ou plus et de l'accès à la voie publique, n'étant pas limité à une catégorie de véhicules motorisés que le tracteur et le matériel agricole motorisé, dès lors qu'ils ont trois roues ou plus, entrent dans la catégorie des véhicules automobiles du règlement 123-85; qu'en effet, il est certain que, si leur finalité est essentiellement d'être utilisés dans les champs, il n'en demeure pas moins que l'accès à ces champs nécessite l'emprunt de la voie publique; qu'il s'ensuit que le règlement 123-85 est applicable aux contrats litigieux et que ces contrats, dans la mesure où ils répondent aux conditions de ce règlement, sont de plein droit licites au regard du droit communautaire;

Considérant que, pour contester la décision du Tribunal, Andelfinger fait valoir que l'obligation de pénétration du marché est une obligation qui n'entre pas dans le champ du règlement d'exemption, et que cette obligation restreint le jeu de la concurrence en ce qu'elle accroît la dépendance économique du concessionnaire ; que la clause résolutoire visant une obligation non valable au regard des dispositions de l'article 85-1 du Traité de Rome doit être annulée ;

Considérant qu'il est répliqué que la clause de pénétration n'est pas assimilable à l'impératif de réalisation minimale de ventes de l'article 4-1-3 du règlement, reprise dans les contrats et n'a aucun caractère discriminatoire ; qu'en outre, le règlement d'exemption prévoit en son article 5-4 une résiliation extraordinaire convenue par les parties, résiliation reprise pour les contrats en l'article 16 B a contesté ;

Considérant que l'article 5-4 du règlement CEE 123-85 stipule que les conditions d'exemption prévues par le présent article ne préjugent pas du droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord ; que cette possibilité de résiliation extraordinaire, c'est à dire hors du délai avec préavis d'un an, ne saurait signifier, comme l'ont retenu à tort les premiers juges, que les parties peuvent convenir d'une telle résiliation pour toutes obligations ; qu'en effet, ce raisonnement conduirait à rendre valable toute clause résolutoire subordonnée à l'inexécution de toute obligation convenue par les parties, qu'elle soit ou non contraire aux dispositions de l'article 85-1 du Traité de Rome ; que la résiliation extraordinaire prévue par le règlement d'exemption ne saurait porter que sur des obligations exemptées par ce règlement ou des obligations non contraires aux dispositions de l'article 85-1 susvisé ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient Fiatgeotech, l'article 5 (b) des contrats conforme aux dispositions de l'article 4-1-3 du règlement 123-85 ne permet pas que le concédant impose au concessionnaire de réaliser un nombre de ventes quantifiées mais seulement de faire en sorte de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour obtenir un tel résultat ; qu'en effet, le concessionnaire doit seulement selon le règlement s'efforcer d'écouler chaque année un nombre minimum de produits contractuels tel que fixé d'un commun accord entre les parties ou à défaut par Fiatgeotech ;

Qu'il est, en conséquence, évident que la clause de pénétration du marché définie au contrat qui, en cas de non réalisation est sanctionnée par la résiliation de plein droit, n'est pas une clause autorisée par le règlement susvisé en son article 4-1-3;

Considérant que Fiatgeotech ne saurait encore valablement soutenir que la clause de pénétration prévue par les contrats - et bien que distincte des clauses de quotas - ne constitue pas une obligation de résultat alors que cette clause a, pour conséquence, d'obliger le concessionnaire à vendre sur une période de 12 mois consécutifs un nombre minimal de produits, déterminé selon un pourcentage à peine de résiliation du contrat ; qu'une telle obligation de résultat n'entre pas dans le champ d'application du règlement susvisé qui, comme il a été vu ci-dessus, n'admet à la charge du concessionnaire qu'une obligation de moyen pour réaliser un nombre déterminé de ventes;

Considérant que Fiatgeotech soutient encore que la clause de pénétration du marché n'est pas assimilable aux clauses restrictives de concurrence prohibées par l'article 85-1 du Traité de Rome, dès lors que l'objectif à atteindre est formulé en pourcentage par rapport aux ventes des concurrents et non par référence à un chiffre imposé arbitrairement par elle-même ;

Considérant que l'annexe 1 à laquelle renvoie la clause résolutoire de chacun des contrats, définit les critères de la pénétration du marché en ces termes : " la pénétration de Fiat ... dans les différentes lignes de produits est définie comme étant la part de marché prise par Fiatagri dans les ventes totales toutes marques de ces lignes de produit en France métropolitaine. La pénétration est considérée comme insuffisante quant le concessionnaire a sur son territoire une pénétration, durant douze mois consécutifs, inférieure à 70 % du taux de pénétration moyenne, toutes catégories (en ce qui concerne les tracteurs) et d'une ligne de produits (en ce qui concerne les machines agricoles) obtenu par Fiatagri sur l'ensemble du territoire de la France métropolitaine, ce taux étant abaissé à 60 % en ce qui concerne les tracteurs classés par catégories " ;

Considérant que si la terminologie de cette clause peut induire à croire que la clause de pénétration est fixée sur des critères objectifs qui échappent au pouvoir du concédant, ce qui implique qu'elle ne serait pas arbitraire au regard de la situation réelle des distributeurs et qu'elle ne créerait pas un régime inégal entre eux, ces critères sont, cependant, faussement objectifs dans la mesure où le résultat exigé ne prend pas en compte la situation concrète du concessionnaire ; qu'en effet, elle impose à chaque concessionnaire d'avoir dans son secteur un taux de pénétration identique, déterminé en fonction de l'ensemble du territoire par rapport à l'ensemble des ventes toutes marques, ce, sans tenir compte des différences existant dans les territoires concédés à raison de la situation locale antérieure des réseaux de distribution Fiat ; que cette clause de pénétration, de par sa généralité, conduit à une discrimination en ce qu'on exige le même résultat d'un concessionnaire qui se trouve dans un secteur où la pénétration antérieure est très forte et de celui qui doit œuvrer dans un territoire où aucune vente de Fiat n'a eu lieu antérieurement ; que la dépendance économique créée ainsi au profit du concédant et au détriment du concessionnaire s'effectue selon des modalités différentes mais avec un résultat équivalent à ce que serait celui provenant de l'application d'une clause de quota ; que l'exemption susvisée prévue pour de telles clauses quant elles ne portent que sur des moyens et non sur un résultat démontre qu'elles sont, en soi, contraires à la concurrence et qu'il en va de même des clauses d'effet équivalent ;

Qu'il s'en déduit que de telles clauses contraires à l'article 85-1 du Traité de Rome sont nulles en application de l'article 85-2 dès lors que le contrat qui les contient est de nature à influer sur les échanges commerciaux entre pays du marché commun, ce qui n'est pas contesté en l'espèce.

Considérant que la résiliation des contrats du 20 juin 1986 intervenue par référence à l'article 16 B a est, en conséquence, abusive; que Fiatgeotech aurait dû mettre fin aux contrats en respectant le délai de préavis d'un an ; que les dommages-intérêts de nature à réparer le préjudice causé par cette rupture abusive seront appréciés en tenant compte de cette période de non exploitation durant un an et de la marge brute que le concessionnaire pouvait espérer réaliser durant cette période ;

Considérant que Andelfinger se fonde pour réclamer paiement de la somme de 1 million, sur la marge brute relative à la première année d'exploitation 1986/1987 et produit un état reprenant la marge brute ainsi réalisée ;

Considérant que, cependant, cet état n'est pas certifié conforme aux livres comptables et que la première année d'exploitation a été la plus favorable ; qu'au cours du premier semestre 1988 une seule immatriculation de tracteur a été enregistrée ; que, certes, Andelfinger invoque le comportement fautif de Fiatgeotech par le changement des conditions commerciales en mars 1987 ; que, cependant, il ne démontre pas en quoi ce changement dans les conditions de vente, à le supposer démontré, a eu une incidence réelle sur son activité ; qu'il ne verse en effet aux débats aucune commande potentielle de client annulée en raison des conditions de paiement modifiées ; qu'il en résulte que Fiatgeotech ne peut être responsable d'une absence quasi totale de clientèle ; que, la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à la somme de 120 000 F les dommages-intérêts dus au titre de la perte de marge brute ;

Considérant qu'Andelfinger sollicite, en outre, à titre de dommages-intérêts le remboursement du stock de marchandises ;

Considérant que, s'il ne peut en raison de la résiliation abusive des contrats être fait référence pour s'opposer à cette demande à la clause 17 de ceux-ci qui faisait obligation au concessionnaire d'envoyer dans le délai de deux mois de la date d'expiration du contrat par LR avec AR l'état du stock réclamé, cette réclamation au concédant, quelles que soient les conditions de la résiliation, doit être faite dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder six mois à compter de la rupture des relations contractuelles ; qu'en l'espèce, il est produit un état du stock accompagné d'une lettre non datée ; que sur cet état apparaît une référence à des prix évalués en septembre 1989 ; qu'ainsi, Andelfinger ne justifie pas avoir sollicité le remboursement du stock avant septembre 1989, soit plus d'un an après la rupture en fait des relations contractuelles ; que sa demande étant tardive il ne peut se plaindre d'un préjudice causé de ce chef par Fiatgeotech ; que sa demande de dommages-intérêts sera sur ce point rejetée ;

Considérant que Fiatgeotech ne demande pas réformation du jugement en ce qui concerne le sursis à statuer sur sa demande en paiement de factures et le débouté de sa demande de dommages-intérêts ; qu'Andelfinger demande la confirmation sur le sursis à statuer ; qu'il ne saurait critiquer la décision qui lui est favorable sur le débouté de Fiatgeotech de sa demande de dommages-intérêts ; que le jugement sera confirmé sur le sursis à statuer ; qu'il convient de constater que la Cour n'est pas saisie de la demande de dommages-intérêts de Fiat ;

Considérant qu'il est conforme à l'équité et aux nécessités économiques de laisser à la charge des parties les frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs : Infirme le jugement du 18 décembre 1990 sauf en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande en paiement des factures formées par Fiatgeotech ; Constate que la Cour n'est saisie d'aucune demande de dommages-intérêts de Fiatagri ; Dit que la clause résolutoire visée à l'article 16 B-a des contrats du 20 juin 1986 est nulle ; Dit en conséquence abusive la résiliation des contrats des 20 juin 1986 ; Condamne la société Fiatgeotech France à payer à la société Andelfinger la somme de 120.000 F à titre de dommages-intérêts ; Rejette toutes autres demandes.