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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 24 mars 1993, n° 92-008872

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Euro Garage (SA)

Défendeur :

Régie nationale des usines Renault

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Serre, Canivet

Avocat général :

M. Galibert

Conseillers :

MM. Bouche, Boval, Mme Garnier

Avoués :

SCP Roblin, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes Bourgeon, Hamon

T. com. Paris, 1re ch., du 22 sept. 1986

22 septembre 1986

LA COUR est saisie, par arrêt de renvoi de la Cour de Cassation du 27.11.1991, de l'appel interjeté par la SA Euro Garage contre un jugement rendu le 22.9.1986 par le Tribunal de Commerce de Paris qui :

- l'a débouté de ses demandes en allocation d'une provision de deux millions de francs à titre de réparation pour perte de marge brute, et en désignation d'un expert,

- l'a condamnée à verser à la Régie Nationale des Usines Renault la somme de 6.000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

La Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, au jugement dont appel et aux conclusions.

Elle se borne à rappeler certains éléments de ce litige afférent aux conséquences sur les contrats en cours, de l'entrée en vigueur le 1.7.1985, du règlement n° 123-85 de la Commission des Communautés Européennes, signé le 12.12.1984 et publié au JO des Communautés Européennes le 18.1.1985.

La Société Euro Garage, concessionnaire de la marque Renault pour la région nord de l'agglomération de La Rochelle, depuis 1975, a conclu courant janvier 1984, avec la Régie Renault un contrat de concession exclusive d'une durée de deux ans non renouvelable par tacite reconduction.

L'article I3 de la Convention stipulait que celle des parties qui ne désirait pas " signer un nouveau contrat pour une nouvelle période débutant le 1.1.1986 " devait " en prévenir l'autre au moins 3 mois avant la date d'expiration " du contrat en cours.

Par lettre recommandée avec AR du 20.2.1985, la Régie Renault a informé la société Euro Garage de son intention de ne pas renouveler le contrat au-delà du 31.12.1985.

Le 29 mai, puis le 28 juin 1985, la société Euro Garage, se référant à deux courriers, que lui avait adressés la Régie Renault le 28 Septembre 1983 et le 28 Septembre 1984, a demandé à celle-ci de lui transmettre un avenant portant à 4 ans la durée du contrat en cours.

Après avoir confirmé les 25 juin et 3 juillet 1985, que les relations commerciales cesseraient le 31 Décembre 1985, la Régie Renault, le 8 Juillet 1985, a proposé à la Société Euro Garage de lui soumettre un avenant la libérant de toute obligation d'exclusivité du 30 Juin au 31 Décembre 1985.

Par courriers des 15.7. et 26.7.1985 la société Euro Garage a manifesté son désaccord et exigé un avenant prorogeant jusqu'au 31.12.87 la durée du contrat.

Suivant exploit du 29.9.1985, elle a assigné la Régie Renault sur le fondement de l'article 1149 du Code civil.

Le tribunal, à l'appui de la décision déférée, a notamment relevé :

- que l'absence de mise en conformité du contrat de concession avec les dispositions du règlement CEE N° 123-85, avait entraîné la nullité de celui-ci,

- que la responsabilité de cet état de droit incombait moins au concédant qu'au concessionnaire, dès lors que la société Euro Garage n'avait pas donné suite à la proposition d'avenant du 8 juillet 1985,

- que les deux parties avaient poursuivi l'exécution du contrat jusqu'à son terme,

- que la société Euro Garage ne justifiait d'aucun préjudice au titre du dernier semestre de la concession.

La Société Euro Garage, appelante, fait valoir :

- que le contrat de concession qui comportait plusieurs clauses non conformes au règlement CEE n° 123-85, faisant obstacle au bénéfice de l'exemption catégorielle, et notamment une clause d'exclusivité territoriale, n'a pu échapper à compter du 1er Juillet 1985 à la nullité de plein droit découlant de l'article 85 § 2 du Traité de Rome,

- que la nullité de la clause d'exclusivité territoriale, impulsive et déterminante de son consentement, a entraîné, en application du droit national, la nullité de l'ensemble du contrat,

- que la responsabilité de cette nullité incombe à la Régie Renault qui n'a pas respecté l'engagement précontractuel par elle pris le 28 Mars 1983 et renouvelé le 28 Septembre 1984, d'assurer la validité du contrat, moyennant sa mise en conformité avec le règlement CEE à intervenir,

- que, nonobstant les termes de son courrier du 8 Juillet 1985, la Régie Renault ne lui a pas adressé d'avenant,

- qu'en tout état de cause, cet avenant, non conforme aux engagements pris antérieurement, eut été inefficace à assurer la validité de la convention jusqu'au 31.12.1985,

- qu'en se refusant à valider le contrat et en l'évinçant du réseau pour sauver sa créance sur la concession de la Rochelle-Sud, en difficulté financière, la Régie Renault a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

Elle demande à la Cour :

- de constater la nullité du contrat,

- de dire que cette nullité incombe à faute de la Régie Renault,

- de condamner celle-ci à lui verser la somme de 3.788.000 F de dommages-intérêts avec intérêts légaux à compter du 31 Décembre 1986 à titre de complément de dommages-intérêts et celle de 40.000 F en vertu de l'article 700 NCPC.

La Régie Renault, intimée,

réplique :

- que le contrat litigieux qui entrait dans les prévisions du règlement CEE n'a pu être frappé de plein droit, de nullité,

- qu'en l'absence de prescription contraignante dudit règlement, la durée du contrat n'avait pas à être automatiquement prorogée,

- que la clause d'exclusivité territoriale, à la supposer nulle, ne saurait entraîner la nullité de la convention, au regard du droit national,

- que la société Euro Garage a refusé l'avenant proposé le 8 Juillet 1985,

- que les lettres par elle adressées en septembre 1983 et en septembre 1984 à l'ensemble du réseau ne contenaient aucune promesse d'aménagement ou de prorogation des contrats en cours,

- qu'elle a dénoncé la convention dans les formes et délais contractuellement prévus, et ce avant le 1er Juillet 1985,

- que le préjudice allégué par la société Euro Garage est inexistant dès lors :

- que le contrat n'avait pas à être prorogé du fait du règlement européen,

- que la société Euro Garage ne justifie d'aucun préjudice antérieur au 31.12.1985.

Elle prie la Cour de confirmer la décision entreprise et de condamner la société Euro Garage à lui payer la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Considérant que le contrat de concession conclu oralement courant janvier 1984 comportait notamment la distribution des produits (véhicules neufs, pièces de rechange, accessoires d'origine Renault) et les services ;

Considérant que, compte tenu de la part du marché national détenue par la Régie Renault (31% en 1984, 28,7% en 1985) qui elle-même représente une part importante du marché européen, ce contrat similaire à ceux conclus par la Régie avec les autres membres du réseau, faussait le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et entrait dans la catégorie des accords interdits par le paragraphe 1. de l'article 85 du Traité de Rome, et nuls de plein droit en application du paragraphe 2. de ce même article ;

Considérant que pendant la durée de validité du contrat, est entré en vigueur le 1er Juillet 1985, le Règlement CEE n° 123-85 qui dispose in fine qu'il " est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État-membre " ;

Considérant qu'à partir de cette date, les accords entre entreprises conclus en vue de la revente des véhicules automobiles, qui étaient contraires aux dispositions de l'article 85 § 1. du Traité de Rome, ne pouvaient bénéficier de l'exemption catégorielle et échapper à la nullité que s'ils remplissaient les conditions exigées par le règlement ;

Considérant que par arrêt du 18.12.1986 (Sté VAG c/ Ets Magne) la Cour de Justice des Communautés Européennes, rappelant ces règles, a dit pour droit que ce règlement " n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles à y adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85. § 1 et 2. du Traité CEE " ;

Qu'il " appartient à la juridiction nationale d'apprécier en vertu du droit national applicable, les conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles " ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats :

- que la Régie Renault a continué le 7 juin et le 29 juin 1985 son intention de ne pas renouveler le contrat à son échéance, puis a, le 8 juillet 1985 avisé la société Euro Garage que " pour se conformer aux dispositions de la réglementation européenne " elle la libérait de toute exclusivité jusqu'à la fin des relations contractuelles ;

- que la société Euro Garage a contesté la suppression de l'exclusivité (lettres des 15.7 et 26.7.1985) et réclame à trois reprises un avenant portant à 4 ans la durée du contrat initial (courriers des 28 juin, 15 juillet et 26 juillet 1985) ;

Considérant que la renonciation à l'exclusivité était insuffisante pour permettre au contrat de bénéficier de l'exemption catégorielle, dès lors que subsistaient d'autres clauses non conformes au règlement européen, notamment celles imposant au concessionnaire, de commercialiser des quantités minimas de véhicules neufs " constituant l'objectif " (art. III-I), de nommer les agents suivant les instructions et avec l'accord du constructeur (art. X. I.), de ne mettre en vente que les pièces détachées de la marque (art. XII.2.) et celle lui interdisant de commercialiser les véhicules par le biais d'intermédiaires (art. V-I) ;

Considérant qu'en tout état de cause la Régie Renault ne pouvait unilatéralement priver la société Euro Garage du droit contractuel à cette conclusion du contrat, un caractère impulsif et déterminant de son consentement ;

Considérant de même, que la société Euro Garage, en l'absence de tout caractère contraignant du Règlement CEE, ne pouvait exiger de la Régie Renault une prorogation de la durée du contrat dès lors que cette durée, limitée à deux ans présentait pour celle-ci, ce même caractère impulsif et déterminant, ainsi que cela résulte, d'une part de l'insertion dans le contrat d'une clause excluant tout renouvellement par tacite reconduction d'autre part des courriers par elle adressés à la société Euro Garage les 20.2., 7.6., 25.6., 3.7. et 8/7/1985 précisant que les relations commerciales prenaient fin le 31.12.1985 ;

Considérant que la clause d'exclusivité ne pouvait échapper à l'interdiction prévue à l'article 85 § 1 du Traité de Rome et à la nullité édictée au § 2 du même article;

Que cette nullité, compte tenu du caractère essentiel de la stipulation, affecte l'ensemble du contrat;

Considérant que la société Euro Garage fait valoir que la Régie Renault est responsable de cette nullité, dès lors qu'elle s'est abstenue, malgré l'engagement pris le 28.9.1983 puis le 28.9.1984, de lui présenter un avenant mettant le contrat en conformité avec le règlement européen ;

Considérant que par lettre recommandée avec AR du 28 septembre 1983, confirmée le 28 septembre 1984, la Régie Renault a indiqué à la société Euro Garage que le contrat qui devait être proposé à sa signature début 1984 serait semblable au contrat antérieur, que cependant pour se " conformer aux nouvelles dispositions contractuelles susceptibles d'être imposées par la Commission des Communautés Européennes ", elle serait amené à faire signer un nouveau contrat ou un avenant ;

Considérant que ces lettres, dont la deuxième se réfère expressément à la première et en renouvelle les termes " quant à l'évolution de la réglementation européenne sur la distribution automobile ", envisagent seulement l'hypothèse de " dispositions susceptibles d'être imposées " par le règlement à intervenir ;

Considérant, dès lors que le règlement 123-85 n'établit aucune prescription contraignante, que la société Euro Garage n'est pas fondée à soutenir que la Régie Renault lui a promis une mise en conformité avec ce texte, à l'effet notamment de proroger la durée du contrat au-delà de l'échéance prévue et à imputer à celle-là la responsabilité de la nullité ;

Que la nullité de la convention est en réalité due au refus catégorique de chacune des parties de négocier un nouvel accord sur les bases proposées par l'autre ;

Considérant que la Régie Renault a notifié son intention de ne pas renouveler le contrat dans les termes et délais prévus à l'article XIII. ;

Considérant qu'en l'absence de tout caractère contraignant du règlement CEE, la société Euro Garage ne peut prétendre avoir subi un préjudice du fait du refus de la Régie Renault de proroger le contrat pendant deux ans ;

Qu'au surplus elle n'établit pas avoir été évincée du réseau au profit d'un autre concessionnaire dans des circonstances de nature à engager la responsabilité de la Régie Renault sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le contrat a été exécuté par les deux parties jusqu'à sont terme ;

Que la société Euro Garage ne justifie ni même allègue le non-respect par la Régie Renault de ses obligations contractuelles ;

Qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un préjudice consécutif à la nullité de la convention ;

Que la nullité dudit contrat est sans rapport avec une quelconque perte de chance de la société Euro Garage qui ne pouvait espérer un nouveau contrat dont l'éventualité avait été écartée avant l'entrée en vigueur du règlement européen et plus de dix mois avant son échéance ;

Qu'en conséquence, il convient de débouter la société Euro Garage de sa demande d'indemnisation ;

Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont engagés ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris ; Déboute la société Euro Garage de ses demandes et la Régie Renault du surplus de ses demandes. Condamne la société Euro Garage aux dépens d'appel ; Admet la SCP Duboscq et Pellerin avoués au bénéfice des dispositions de l'article 699 NCPC.