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Décisions

CA Colmar, ch. soc., 16 mars 1995, n° 5802-93

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

René Guinot (SA)

Défendeur :

Hollande

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Eschrich

Conseillers :

M. Dietenbeck, Mme Beau

Avocats :

Mes Stabusch, Paulus.

Cons. prud'h. Schiltigheim, sect. encadr…

3 septembre 1993

Attendu que le 30 mai 1988 M. Marc Hollande est entré au service de la société René Guinot, qui exploite un laboratoire de produits de beauté, en qualité de VRP exclusif,

que son contrat de travail daté du 14 juin 1988 précise notamment :

- que son secteur comprend dix huit départements de l'est de la France, mais peut être modifié par l'employeur " si les nécessités de l'organisation le justifie ",

- qu'il " sera astreint à faire parvenir à la société René Guinot un rapport hebdomadaire d'activité " et que " des rapports spéciaux pourront lui être demandés à l'occasion de missions spéciales hors tournées qui lui seront confiées ",

qu'il sera en outre tenu d'observer " toutes les instructions générales ou particulières qui lui seront données par la direction commerciale de l'entreprise " plus spécialement l'établissement d'un programme de tournées et " toute intervention de nature commerciale auprès de la clientèle préalablement ou consécutivement à la prise des ordres ",

qu'il ne pourra consentir de conditions particulières à la clientèle qu'avec l'accord préalable de la direction commerciale sur ces conditions,

- que sa rémunération comprendra un fixe (qui s'élevait en dernier lieu à 2 517 F brut par mois) et une commission de 7 % du montant des ordres menés à bonne fin " pris aux conditions générales de vente, déduction faite de toutes taxes et des frais accessoires ",

qu'il percevra une indemnité forfaitaire mensuelle pour frais de route de 10 700 F,

- qu'en cas de rupture du contrat du fait de l'employeur les deux parties acceptent que l'indemnité de clientèle soit replacée par l'indemnité spéciale de rupture conformément à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975,

que son secteur a été amputé avec son accord de quatre départements à compter du 1er janvier 1989 puis de trois autres départements à compter du 1er janvier 1992 selon avenant numéro 2 du 25 octobre 1991,

que cet avenant stipule que son préjudice financier sera compensé en trois ans " par une augmentation du taux de commission qui sera intégrale la première année, réduite d'un tiers la deuxième année et de deux tiers la troisième année ",

Attendu que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 juin 1992 Monsieur Hollande, après entretien du 1er juin, a été licencié avec dispense d'effectuer le préavis de trois mois aux motifs énoncés ci-après :

- conflits avec de nombreuses clientes, - refus d'appliquer les règles de la société, - refus d'obéir et de répondre à (son) supérieur hiérarchique, - indisponibilité et comportement personnel nuisible,

que par chèque daté du 3 septembre 1992, il a perçu, compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise et conformément à la Convention Collective Nationale interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975, 1 636,05 F au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture (2 517 x 0,65) et 102 302,57 F au titre de l'indemnité spéciale de rupture (moyenne mensuelle des douze derniers mois de commissions x 3,10),

que le 14 septembre 1992 il a été engagé par la société Marie Galland, qui exploite comme la société René Guinot un laboratoire de produits de beauté, en qualité de VRP exclusif avec comme secteur l'est de la France,

que, soutenant :

1°) que les trois premiers griefs qui lui sont adressés dans la lettre de licenciement ne sont ni réels ni sérieux et que le dernier " s'avère totalement irrecevable en droit puisqu'il ne répond en rien au caractère précis et déterminé que doit revêtir un motif de licenciement ",

2°) que la stipulation de son contrat selon laquelle l'indemnité de clientèle est remplacée d'un commun accord par l'indemnité spéciale de rupture en cas de licenciement est " radicalement illégale ",

- que la somme qu'il a perçue au titre de l'indemnité spéciale de rupture ne constitue donc qu'un acompte sur l'indemnité de clientèle qui lui est due et qui doit être chiffrée à deux années de commissions,

- que la société René Guinot ne saurait invoquer son embauche par la société Marie Galland pour " tenter de réduire " ses droits à ce titre des faits que " les laboratoires de produits de beauté distribuent leurs produits selon des normes sélectives de sorte qu'ils s'assurent un réseau de clientèle distributeurs fidélisé à leur marque ", que les parfumeries et instituts de beauté " ont évidemment intérêt à disposer d'une gamme étendue de marques de sorte qu'il n'existe pas de concurrence engendrée par les VRP " et " qu'en outre et surtout, dans leur grande majorité, les clientèles Marie Galland d'une part et René Guinot d'autre part ne se recoupent pas " ;

Il a saisi le 4 novembre 1992 le Conseil de prud'hommes de Schiltigheim, section encadrement, d'une demande tendant à la condamnation de son ancien employeur à lui payer, outre 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC :

- 406 157 F (soit, selon lui, l'équivalent de dix mois de revenus, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de travail effectif) à titre d'indemnité en application de l'article L 122-14-4 alinéa 1er du Code du travail,

- 689 717,32 F à titre de solde sur l'indemnité de clientèle (102 302,57 : 3,10 x 24 - 102 302,57),

lesdites sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter du 4 septembre 1992, date d'effet du licenciement,

Attendu que par jugement contradictoire du 3 septembre 1993 ledit Conseil, considérant :

1°) après examen et analyses des éléments fournis par les parties, que le licenciement litigieux ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

2°) que la renonciation du représentant à l'indemnité de clientèle ne peut intervenir valablement avant l'expiration du contrat de travail,

que le versement par la société René Guinot de l'indemnité spéciale de rupture " ne peut valoir renonciation de Monsieur M. Marc Hollande à l'indemnité de clientèle ",

que ce dernier a augmenté substantiellement la clientèle du secteur qui était le sien en nombre et en valeur et "après un essai négatif dans une autre société a incontestablement perdu le bénéfice de cette clientèle,

qu'il a dès lors droit à une indemnité de clientèle qui peut être fixée à 300 000 F " compte tenu des montants déjà perçus, d'une part, à tort, au titre de l'indemnité spéciale de rupture, d'autre part, au titre de l'indemnité de licenciement ",

a condamné la défenderesse, outre aux éventuels dépens, à payer au demandeur :

- 238 000 F à titre d'indemnité en application de l'article L. 122-14-4 alinéa 1er du Code du travail,

- 300 000 F au titre de l'indemnité de clientèle,

avec les intérêts au taux légal desdites sommes à compter du jugement,

- 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

qu'il a par ailleurs ordonné le remboursement par la société René Guinot à l'Assedic du Bas Rhin des indemnités de chômage payées à M. Marc Hollande du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois,

Attendu que le 15 septembre 1993 la société René Guinot a régulièrement interjeté appel de ce jugement,

qu'elle en sollicite l'infirmation et demande à la cour, statuant à nouveau, de débouter M. Marc Hollande de l'intégralité de ses prétentions et de le condamner aux dépens ainsi qu'à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

qu'elle soutient :

1°) que, contrairement à l'opinion des premiers juges, la réalité et le sérieux des motifs du licenciement de l'intimé résultent des différents documents qu'elle produit,

2°) qu'elle a respecté son obligation contractuelle de verser à son ancien représentant l'indemnité spéciale de rupture de sorte que celui-ci " se trouve rempli de ses droits ",

que, si la cour n'était pas de cet avis, il n'en demeurerait pas moins, que l'intéressé ne rapporte pas la preuve d'avoir augmenté la clientèle dans son secteur en nombre et en valeur,

que son affirmation, retenue par les premiers juges, selon laquelle il a apporté trente deux clients et plus que doublé le chiffre d'affaires, ne correspond pas à la réalité,

qu'en tout état de cause il n'a pas perdu sa clientèle puisqu'il est entré au service de la société Marie Galland dont les produits sont directement concurrents aux siens,

que, subsidiairement, elle conteste le montant qui lui est réclamé au titre de l'indemnité de clientèle en faisant notamment état " de l'importance de son budget publicitaire et de la notoriété de ses marques ",

Attendu que M. Marc Hollande conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la société René Guinot aux dépens des deux instances ainsi qu'à lui payer un montant de 13 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- qu'il se réfère aux motifs des premiers Juges,

Sur ce,

Vu le dossier de la procédure et les pièces jointes,

I - En ce qui concerne la légitimité de licenciement

Attendu que c'est par une minutieuse et saine analyse des éléments fournis par les parties et des motifs pertinents qu'il échet d'adopter que les premiers juges ont décidé que le licenciement de M. Marc Hollande ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

Attendu, toutefois, qu'en l'absence de la preuve d'un préjudice supérieur, l'indemnité revenant à l'intimé qui a retrouvé un nouvel emploi dès le 14 septembre 1992, soit quelques jours après l'expiration du préavis, doit être fixée au minimum prévu à l'article L. 122-14-4 alinéa 1er du Code du travail applicable en la cause, c'est-à-dire au montant de 189 743,25 F arrondi à 190 000 F - égale à la rémunération brute des six derniers mois d'activité (décembre 1991 à mai 1992 inclus),

II - En ce qui concerne l'indemnité de clientèle

Attendu que la renonciation du VRP à l'indemnité de clientèle en contrepartie du paiement de l'indemnité spéciale de rupture instituée par la Convention Collective Nationale interprofessionnelle du 3 octobre 1975 doit être expresse et intervenir dans les conditions fixées par ladite Convention, (Cass. soc. 13 novembre 1990 : Bull Civ V page 406),

Attendu que tel est le cas en l'espèce, l'article 10 du contrat ayant lié les parties stipulant " qu'en cas de rupture du contrat du fait de l'employeur les deux parties acceptent que l'indemnité de clientèle soit remplacée par l'indemnité spéciale de rupture conformément à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 ",

Attendu que, même si cette clause était nulle ainsi que le soutient l'intimé, il n'en demeurerait pas moins que celui-ci en ayant accepté sans réserve le versement de l'indemnité spéciale de rupture, laquelle correspond à une évaluation transactionnelle de l'indemnité de clientèle assise sur la partie variable de la rémunération, après l'expiration de son contrat de travail, a renoncé à se prévaloir de la nullité qu'il invoque,

qu'il est en conséquence mal fondé à solliciter une indemnité de clientèle,

qu'en tout état de cause, il ne peut prétendre à une telle indemnité puisqu'il a été engagé dès le 14 septembre 1992 par la société Marie Galland, concurrente de la société René Guinot, en qualité de VRP exclusif avec mission de démarcher la même clientèle dans le même secteur que précédemment ainsi qu'il résulte de l'attestation souscrite par la directrice administrative de la société dont s'agit,

qu'il importe peu que " la politique commerciale (de cette dernière) en septembre 1992 était de s'orienter vers les parfumeries et les parfumeries discount " alors qu'il avait " surtout une expérience de marque exclusivement d'instituts " et que, de ce fait, il n'est resté au service de son nouvel employeur que jusqu'au 23 mars 1993 (même attestation) ;

III - En ce qui concerne l'application de l'article L. 122-14-4 alinéa 2 du Code du travail

Attendu que M. Marc Hollande n'a pas pu percevoir des indemnités de chômage suite à son licenciement par la société René Guinot dès lors qu'il a retrouvé un emploi immédiatement après l'expiration de son préavis,

qu'il n'y a donc pas lieu de faire application de l'article sus visé,

Attendu que le Conseil de prud'Hommes a condamné la société René Guinot à bon escient aux éventuels dépens et à payer à M. Marc Hollande un montant de 6 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC,

Attendu que chacune des parties succombant partiellement en la présente instance, il convient de partager les dépens en résultés par moitié entre elles et les débouter de leurs conclusions sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

Par ces motifs : et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel régulier et recevable en la forme ; Au fond, Le dit partiellement fondé ; En conséquence, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement de M. Marc Hollande ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et condamné la société René Guinot, outre aux éventuels dépens, à payer à M. Marc Hollande un montant de 6 000 F (six mille francs) sur la base de l'article 700 du NCPC ; L'Infirme en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau : Condamne la société anonyme René Guinot à payer à M. Marc Hollande la somme de 190 000 F (cent quatre vingt dix mille) en application de l'article L. 122-14-4 alinéa 1er du Code du travail avec les intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 1993, date du jugement, Déboute M. Marc Hollande de sa demande en octroi d'une indemnité de clientèle, Dit n'y avoir lieu à application de l'article L. 122-14-4 alinéa 2 du Code du travail ; Condamne chacune des parties à la moitié des dépens de la présente instance et les déboute de leurs demandes au titre de l'article 700 du NCPC ; Dit qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le Greffe de cette chambre à l'Assedic du Bas Rhin.