Livv
Décisions

CA Lyon, 3e ch., 31 mars 2000, n° 1997-06516

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lafuma (SA)

Défendeur :

Marga (SARL), Distri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Martin, M. Santelli

Avoués :

SCP Brondel-Tudela, Me Morel

Avocats :

Mes Brumm, Richard.

T. com. Lyon, du 16 sept. 1997

16 septembre 1997

Faits, procédure et prétentions des parties

Les 6 et 7 juin 1996, la société anonyme Lafuma a fait constater, dans les locaux des hypermarchés exploités par les sociétés Continent à Vaulx-en-Velin et Casino à Villefranche-sur-Saône, qu'étaient proposés à la vente des fauteuils de relaxation pliables de marque Marga, fabriqués en Italie. Le 25 juin suivant, un autre constat d'huissier a été dressé à l'égard de la société à responsabilité limitée Distri, vendeur de ces articles en France, à l'occasion du salon Sisel se tenant à Paris, où était exposé un modèle de fauteuil de relaxation quasi-identique au fauteuil fabriqué par la société Lafuma, provenant de la société italienne Marga.

Prétendant que ce modèle de fauteuil (VO 51) constituait une copie servile du produit RS qu'elle commercialisait depuis l'année 1971 et qu'ainsi les sociétés Marga et Distri créaient une confusion dans l'esprit de sa clientèle, à son détriment, la société Lafuma les a fait assigner le 22 août 1996 devant le Tribunal de commerce de Lyon, pour qu'elles soient condamnées à cesser ces ventes déloyales et parasitaires et à lui payer des dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi. Elle a été déboutée de ces prétentions par un jugement rendu le 16 septembre 1997, au motif que, s'il existait entre les deux articles des ressemblances, résultant de contraintes techniques, les différences étaient en revanche assez prononcées pour que tout fait d'imitation parasitaire et de confusion fut exclu. Les sociétés Marga et Distri ont par ailleurs été déboutées de leurs demandes reconventionnelles, tendant au paiement de dommages et intérêts, faute pour elles de justifier d'un préjudice.

La société Lafuma a relevé appel du jugement le 15 octobre 1997. Elle prétend que la mise en vente de ce modèle de fauteuil de loisirs caractérise, à la charge des sociétés Marga et Distri, une activité concurrentielle parasitaire, en invoquant de nombreuses ressemblances non fonctionnelles avec le produit qu'elle fabrique et vend depuis longtemps, révélant chez ces concurrents une volonté de copier son produit, afin ce profiter indûment de ses efforts de création, de diffusion et de promotion, sans avoir à supporter la charge d'investissements. Elle ajoute que l'atteinte ainsi portée aux gains qu'elle tirait de la vente de cet article, ainsi qu'à son image et à sa réputation commerciales, justifient le paiement de 5 100 000 F de dommages et intérêts, outre une indemnité de 80 000 F, ainsi que l'interdiction forcée des ventes concurrentes. Elle soutient aussi que les sociétés Marga et Distri n'apportent la preuve d'aucun préjudice en rapport avec les faits qu'elles lui reprochent.

Les intimées répliquent, pour demander la confirmation du jugement sur l'action de la société Lafuma, que le modèle de siège pliant commercialisé par cette société ne présentait aucune originalité, par rapport aux produits existant sur le marché, que les ressemblances invoquées n'étaient pas significatives, au regard de l'importance des différences, et qu'il n'existait ainsi aucun risque de confusion des deux modèles. Elles reprochent ensuite à la société Lafuma de les avoir dénigrées auprès des centrales d'achat distribuant ce produit en grandes surfaces, en affirmant que ces agissements fautifs avaient entraîné l'arrêt des ventes en France et en demandant qu'une expertise soit ordonnée afin d'évaluer le préjudice commercial subi, des provisions d'un million de francs pour la société Marga et de deux cent mille francs, pour la société Distri, leur étant allouées.

Motifs et décision

Attendu que, la liberté du commerce et de la concurrence étant la règle, la mise en vente sur le même marché, par un fabricant ou un distributeur, de produits semblables à ceux que commercialise déjà un concurrent, ne peut constituer une faute, au regard des usages du commerce, que s'il est prouvé que cette marchandise non protégée par un monopole légal procède, au-delà de simples ressemblances, d'une imitation servile du produit préexistant, exprimant chez son vendeur la volonté de s'emparer de la clientèle qui y est attachée, en créant une confusion entre les deux produits et en profitant ainsi abusivement de la notoriété ou de l'originalité de l'article créé par le concurrent ;

Attendu qu'en l'espèce,s'il est vrai qu'il existait des similitudes entre les fauteuils pliants RS de Lafuma et VO 51 de Marga, tenant pour l'essentiel aux caractéristiques génériques de ces produits, les différences existant entre ces modèles permettent d'exclure toute volonté d'imiter le produit que la société Lafuma commercialisait depuis 1971 et, partant, toute intention de profiter de l'activité ou de la notoriété de cette dernière, en trompant leur clientèle commune ;

qu'en effet, les spécificités et les caractéristiques techniques du fauteuil vendu par les sociétés Marga et Distri permettent d'y voir un produit beaucoup plus élaboré que celui que la société Lafuma avait conçu en 1971, lequel ne présentait d'ailleurs pas une grande originalité au regard de ce qui existait alors en ce domaine ;

qu'ainsi, l'article fabriqué par la société Marga présente des perfectionnements qui le distinguent nettement du modèle distribué par la société Lafuma, en ce qui concerne notamment le mode de fixation de la toile sur la structure métallique, la forme des jambages, la mise en place d'entretoises pour consolider l'ensemble, le système de relèvement, le procédé de serrage breveté, la mobilité des accoudoirs, également brevetée, la longueur du repose-pied, la protection contre les risques de basculement ou de fermeture et le confort d'ensemble offert à l'utilisateur ;

qu'il ne peut être prétendu valablement que ces différences ne seraient pas assez significatives pour exclure tout risque de confusion de la part d'un consommateur moyennement attentif, alors qu'une simple comparaison des deux produits permettait à ce consommateur, sans faire preuve d'une particulière attention, de percevoir ce qui distingue le modèle, ancien dans sa conception, de la société Lafuma de celui, techniquement mieux étudié, de la société Marga ;

Attendu au surplus que l'appelante n'est pas fondée à soutenir, en l'état des pièces produites aux débats, que la société Marga aurait entendu s'emparer des caractéristiques particulières de son produit, pour réaliser des économies à ses dépens ;

qu'en premier lieu, il n'apparaît pas que le modèle de fauteuil pliant réalisé et vendu par la société Lafuma présentait une originalité particulière, par rapport à ce qui existait au moment de son lancement sur le marché, tant en matière de fixation des toiles et de la têtière, de forme des accoudoirs, de dimension des cadres ou de mode de basculement ;

qu'en second lieu, la société Marga justifie que, pour la réalisation du fauteuil argué de copie, elle avait mis au point des procédés de laçage, de déplacement des accoudoirs et de serrage ayant donné lieu à la délivrance de brevets, en s'attachant à cette fin les services d'un technicien et modélistechargé de la conception du produit et en faisant appel aux services de conseils en brevets sociétés intimées,

Attendu que,dans ces conditions, les faits de copiage et de parasitisme imputés à la société Marga n'étant pas établis, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Lafuma fondée sur des actes de concurrence déloyale ;

Mais attendu que la société Lafuma, se prétendant alors faussement victime d'actes de contrefaçon dont elle affirmait qu'ils avaient donné lieu à l'exercice de poursuites, a mis en garde le 12 juin 1996 la société Intermarché, commercialisant le fauteuil de relaxation Marga, contre les risques que lui faisaient courir la détention ou la vente de cet article prétendument contrefait ;

que cette lettre a conduit la société Intermarché à exiger de la société Distri qu'elle lui communique la justification du dépôt d'un brevet par son fournisseur, avec une attestation de non poursuite pour contrefaçon, en la menaçant d'une action récursoire ;

Attendu que ce comportement fautif, à l'égard d'un concurrent auquel ne pouvaient être imputés les faits de contrefaçon invoqués, a nécessairement contribué à empêcher ou à réduire la vente des fauteuils Marga en France ;

que, toutefois, une mesure d'expertise est nécessaire pour déterminer l'ampleur des démarches effectuées aux mêmes fins par la société Lafuma auprès des revendeurs des fauteuils VO 51, pour apprécier les conséquences que ces interventions ont eues sur la politique d'approvisionnement de ces revendeurs et pour évaluer le manque à gagner qui a pu en résulter, pour les sociétés Marga et Distri ;

que cependant, les sociétés Marga et Distri pouvant se prévaloir justement d'une atteinte fautive à leur reputation et à celle de leur produit, une provision de 100 000 F doit leur être accordée à ce titre, dans l'attente des résultats de l'expertise ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, Confirme le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société Lafuma de ses demandes ; Avant dire droit sur la demande reconventionnelle des sociétés intimées ; Désigne en qualité d'expert Monsieur Georges Sagnol, C/O Ernst & Young, 113 Boulevard de Stalingrad, 69 626 Villeurbanne Cedex, avec pour mission : 1°) - de déterminer l'importance des démarches accomplies au mois de juin 1996 par la société Lafuma, auprès des centrales d'achat assurant la revente du fauteuil Marga VO 51, afin de les dissuader de poursuivre l'exposition et la vente de ce produit concurrent ; 2°) - de vérifier les conséquences de ces interventions sur la commercialisation de ce produit en grandes surfaces ; 3°) - de donner son avis sur le manque à gagner subi par les sociétés Marga et Distri, à la suite de ces démarches, au regard notamment du montant des ventes réalisées jusqu'alors en France et des possibilités qu'offrait ce marché ; 4°) - de déposer le rapport de ses travaux au greffe de la cour, dans les six mois suivant le versement de la consignation ; Fixe à la somme de 40 000 F le montant de la provision que la société Marga ou la société Distri devra consigner au greffe de la cour, avant le 6 mai 2000, à peine de caducité de la mesure d'expertise ; Renvoie l'instruction de la cause devant le conseiller de la mise en état, qui pourvoira au besoin au remplacement de l'expert et suivra les opérations d'expertise ; Condamne d'ores et déjà la société Lafuma à payer â chacune des sociétés Marga et Distri une provision de 100 000 F, à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices ; La condamne en outre aux dépens exposés à ce jour, avec distraction, s'il y a lieu, au profit de Maître Morel, pour la part dont cet avoué aurait fait l'avance, sans provision préalable et suffisante.