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Décisions

CA Versailles, 5e ch. soc., 7 janvier 1992, n° 3783-90

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Domilens (SARL)

Défendeur :

Cohen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Garrec

Conseillers :

Mmes Placidi-Monnet, Etchepare

Avocats :

Mes Barthes, Atlan.

Cons. prud'h. Boulogne-Billancourt, sect…

25 janvier 1990

La SARL Domilens puis Monsieur Daniel Cohen ont respectivement formé appel principal et appel incident d'un jugement rendu le 25 janvier 1990 par lequel le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- condamné la société Domilens à payer à Monsieur Cohen les sommes de :

* 10 000 F à titre de préavis de laquelle il convient de déduire la somme de 10 000 F déjà versée à titre de provision en application d'une décision du Bureau de conciliation en date du 2 juillet 1987,

* 1 000 F à titre de congés y afférent,

* 72 773 F à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence ;

- désigné Monsieur Maillet, expert-comptable, 164, Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris avec mission :

* de rechercher si un solde de commission et congés payés y afférent est dû,

* calculer l'indemnité de clientèle éventuellement due à Monsieur Cohen ;

- fixé la provision pour l'expert à la somme de 8 000 F à charge de Monsieur Cohen ;

- dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de 3 mois à compter du dépôt de la consignation ;

- débouté Monsieur Cohen de tous ses autres chefs de demande ;

- débouté la société Domilens de ses chefs de demande ;

- réservé les dépens.

Monsieur Cohen fut engagé en juillet 1985, sans contrat de travail, par la société Ophtalux pour vendre dans la banlieue parisienne (à l'exception de Paris) :

- d'une part, du matériel ophtalmologique de sa marque,

- d'autre part, des implants oculaires fabriqués par les laboratoires Domilens depuis le début de son exploitation le 1er mars 1983 et dont le dirigeant est le fils du dirigeant de la société Ophtalux.

Les deux sociétés sont implantées à Lyon.

Le 2 janvier 1986, la société Domilens - devenue le premier fabricant français d'implants intraoculaires - fit appel aux services de Monsieur Cohen pour la région parisienne en qualité :

- d'agent technico-commercial puis de délégué commercial, d'après elle,

- de représentant statutaire multicartes d'après Monsieur Cohen qui soutient que parallèlement il a continué d'exercer son activité pour le compte de la société Ophtalux.

Un contrat de représentant à cartes multiples fut établi par la société Domilens, signé par Monsieur Cohen, mais ladite société ne lui retourna jamais ce contrat régularisé par elle.

Elle lui fit parvenir un nouveau contrat qui, sur le fond, est identique au premier mais lui attribue la qualité de délégué commercial, et qu'il n'a ni signé ni retourné.

Le 26 mai 1986, la société lui adressa un avertissement par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les termes suivants : " comme convenu dans nos accords, je vous rappelle qu'étant donné que vos résultats sont assez éloignés des objectifs fixés nous nous verrons dans l'obligation de reconsidérer votre position au sein du laboratoire le 30 juin 1986 prochain ", contre lequel Monsieur Cohen protesta par lettre du 31 mai 1986 en appelant l'attention de son employeur sur la progression de son chiffre d'affaires qui a dépassé 105 000 F en mars 1986 alors que pour les trois derniers mois de 1985 il était inférieur à 120 000 F et l'employeur répondit, par lettre du 10 juin 1986, que ce chiffre d'affaires a eu une progression moins importante que celle de ses collègues.

Le 22 juillet 1986, Monsieur Bertholez, directeur commercial, adressa à Monsieur Cohen une mise en garde ou avertissement lui reprochant l'insuffisance de ses résultats très éloignés des objectifs fixés, le fait qu'il n'ait pas tenu compte de ses demandes réitérées de meilleure gestion - la lecture des rapports donnant une image édifiante de son activité - et lui fixant la date limite du 1er octobre 1986 à partir de laquelle, sauf changement total de comportement, une procédure de licenciement serait engagée à son encontre.

Le 1er septembre 1986, par lettre remise en main propre, son employeur le convoqua à un entretien préalable du 2 septembre, en soulignant que, malgré de nombreuses remarques et rappels, la progression du chiffre d'affaires ne reflète pas les quotas et objectifs fixés tandis que les autres secteurs enregistrent des augmentations notables et en l'informant qu'il pourrait être amené à prendre à son encontre une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.

Suite à cet entretien, l'employeur lui notifia le 10 septembre 1986 " un troisième et dernier " avertissement " en précisant qu'à défaut de redressement de la situation au 1er octobre 1986, il serait contraint de procéder à son licenciement car il n'est en effet plus supportable pour la société de constater que les objectifs ne sont pas atteints alors que potentiellement il bénéficiait d'un marché important.

Par lettre du 15 septembre 1986, Monsieur Cohen répliqua :

" comme je vous en avais d'ailleurs fait part verbalement, lorsque vous être venu travailler avec moi sur mon secteur le 4 juin, il n'était pas dans mon intention de signer un nouveau contrat de travail. Je vous ai rappelé, en effet, que j'assurais depuis le 2 janvier 1986 l'activité de VRP multicarte et que j'avais signé un contrat en ce sens au début de l'année, contrat qui ne m'a jamais été retourné. " " La question des objectifs à atteindre n'est qu'un prétexte comme le prouvent la périodicité et les dates de vos trois dernières lettres des 22 juillet, 1er septembre et 10 septembre 1986, juste avant et juste après la période des congés annuels, ce qui se passe de commentaires. "

En réponse, l'employeur - estimant que non seulement Monsieur Cohen ne reconnaissait pas ses insuffisances mais de plus rejetait sur les autres salariés de la société la responsabilité de son incurie - le convoqua à un entretien préalable du 24 septembre 1986 à l'issue duquel il pourrait être amené à prendre à son encontre une mesure de licenciement.

Le 26 septembre 1986, l'employeur lui notifia son licenciement " pour cause réelle et sérieuse pour les motifs qui ont été préalablement exposés " avec dispense d'effectuer le préavis et, Monsieur Cohen ayant demandé, par lettre du 6 octobre 1986, de lui faire connaître la cause réelle et sérieuse de son licenciement, il lui fut répondu en ces termes le 14 octobre 1986 : " A de nombreuses reprises, nous vous avons informé que vos résultats étaient très nettement insuffisants. De plus, malgré de nombreuses sollicitations de notre directeur commercial, vous n'avez pas attaché à votre mission le sérieux et la diligence nécessaires (pertes de temps importantes, manque de présence sur le terrain). De surcroît, votre attitude durant la dernière quinzaine du mois de septembre nous a persuadé que nous ne pouvions plus vous accorder notre confiance et que de ce fait des relations contractuelles basées sur une collaboration et un respect mutuels, ne pouvaient pas être poursuivies. "

Il s'ensuivit un échange de lettres entre, d'une part, la société Domilens et, d'autre part, Monsieur Cohen et la Chambre syndicale des représentants, agents et cadres de la vente extérieure.

Le 3 juin 1987, Monsieur Cohen saisit la juridiction prud'homale pour faire condamner la société Domilens à lui payer les sommes suivantes :

- Solde de congés payés 86/87 : 3 374,18 F ;

- Indemnités compensatrices de préavis : 10 000 F ;

- Congés payés sur préavis : 1 143,29 F ;

- Soldes sur commissions : 6 634,17 F ;

- Congés payés sur commissions : 663,41 F ;

- Contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence : 122 343 F ;

- Indemnité de clientèle : 84 200 F ;

- Dommages intérêts pour rupture abusive : 84 200 F ;

- Article 700 du nouveau Code de procédure civile : 6 000 F

- Intérêts de droit sur tous les chefs de demandes à compter du jour de l'introduction de l'instance.

Pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges énoncèrent que Monsieur Cohen bénéficiait du statut de VRP dans la société Ophtalux et que " il ne faisait pas d'opérations pour son propre compte, rendait compte de son activité notamment par l'établissement de rapports de visite, les marchandises à vendre étaient définies, il avait un secteur géographique constitué de départements de la Région Parisienne et sa rémunération était fixée à 8 %, il était donc bien représentant au sens de l'article L. 751-1 du Code du Travail ; que Monsieur Cohen reconnaît avoir apuré son droit aux congés payés pour l'année 86/87 et doit bénéficier d'un mois de préavis, les commissions sur les contrats passés avant la rupture ne faisant pas double emploi avec l'indemnité de préavis ; qu'il existe une forte présomption d'application de la clause de non-concurrence au vu de la lettre de la société Ophtalux du 12 juillet 1988 et, par conséquent, l'article 17 de la Convention Collective est applicable ; que les objectifs demandés par la société n'ont pas été atteints par Monsieur Cohen, que les éléments versés au dossier ne permettent pas de déterminer le solde de commissions et le montant de l'indemnité de clientèle éventuellement due ; que la société n'apporte pas la preuve du caractère abusif des demandes présentées par Monsieur Cohen. "

La société Domilens, appelante, sollicite la réformation de ce jugement et demande à la Cour de condamner Monsieur Cohen à lui régler la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à lui rembourser celle de 10 000 F versée en application de la décision prise le 2 juillet 1987 par le Bureau de Conciliation.

Monsieur Cohen, intimé et appelant incident, demande à la cour de le recevoir en son appel incident et de condamner la société Domilens à lui payer les sommes suivantes :

- 4 273,36 F (brut) à titre de congés payés 1986/1987,

- 7 695,33 F (net) à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 143,29 F (brut) à titre de congés payés afférents au préavis,

- 5 713,04 F (brut) à titre de commissions,

- 571,30 F (brut) à titre de congés payés afférents aux commissions,

- 84 200 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 128 048,40 F à titre de contre partie pécuniaire à la clause de non-concurrence,

- 84 200 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Sur la nature du contrat de travail

Considérant que les parties reconnaissent que Monsieur Cohen, pour le compte de la société Domilens, prospectait une clientèle, et provoquait des commandes dans un secteur géographique déterminé par la société, que les marchandises étaient définies à savoir des implants intraoculaires, qu'il n'effectuait pas d'opérations pour son propre compte, que sa rémunération était constituée d'une commission de 8 %, qu'il rendait compte de son activité par l'établissement de rapports de visite, qu'il avait un contact direct et personnel avec les clients et pour ce faire se déplaçait à l'extérieur de l'entreprise et qu'il ne prenait pas d'ordres ;

Considérant que, sur ce dernier point, Monsieur Cohen explique qu'en raison de la clientèle très spécifique (hôpitaux, cliniques) avec le passage obligé par l'économat que cela suppose, ainsi que l'informatisation, excluaient qu'il eût été en mesure de recueillir en mains propres les ordres des clients ; que la société précise que les clients passaient directement leurs commandes au service " Commandes " du laboratoire en téléphonant à un numéro vert spécialement ouvert à cet effet et qu'elles étaient traitées par le service commercial sédentaire de l'entreprise ;

Considérant que la caractéristique essentielle du statut de représentant est la prise d'ordreset, qu'en l'espèce, il est constant que cet élément déterminant fait défaut;

qu'ainsi, Monsieur Cohen ne peut se prévaloir de la qualité de représentant statutaire, d'où il suit qu'il ne saurait bénéficier de l'indemnité de clientèle ni de l'indemnité légale de licenciement, prévue par l'article L. 122-9 du Code du travail, ne justifiant pas de l'ancienneté minimale de deux ans qui conditionne son attribution;

Considérant, également, que Monsieur Cohen auquel la Convention collective nationale des VRP n'est pas applicable n'est nullement fondé à solliciter une contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence, le contrat de travail auquel il se réfère, non régularisé par la société Domilens, ne prévoyant pas une telle contrepartie;

Sur le licenciement abusif

Considérant que Monsieur Cohen ne conteste nullement n'avoir pas atteint les objectifs fixés pour l'année 1986 à un chiffre d'affaires correspondant à la vente de 200 implants par mois, mais qu'il soutient que seul le délégué de la Région Rhône-Alpes pouvait atteindre les chiffres demandés et que la période d'observation impartie n'a été que de 9 mois ;

que, dans ces conditions, la mesure de licenciement revêt un caractère prématuré ;

Considérant, qu'à cet égard, il convient de relever que le 2 janvier 1986, date de son engagement par la société Domilens, Monsieur Cohen connaissait fort bien les possibilités de vente des implants Domilens dans le secteur confié puisqu'il le prospectait depuis le mois de juillet 1985 dans le cadre de la relation de travail le liant à la société Ophtalux qui comportait déjà la vente de ces implants dans la banlieue parisienne ;

Considérant qu'il signa, cependant, le premier contrat établi par la société Domilens mentionnant un objectif de 200 implants par mois ce qui démontre, qu'au vu de son expérience préalable, il estimait cet objectif réalisable dans son secteur ;

Considérant, en outre, qu'à la date de son licenciement, le 26 septembre 1986, il bénéficiait en fait dans son secteur d'une expérience supérieure à une année ;

Considérant, dès lors, que son licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse ;

Sur les congés payés 1986/1987

Considérant que, selon les énonciations du jugement de première instance qui, conformément aux dispositions de l'article 457 du nouveau Code de procédure civile ont la force probante d'un acte authentique, Monsieur Cohen " reconnaît avoir apuré son droit aux congés payés pour l'année 1986/1987 " ; qu'en conséquence, il doit être débouté de ce chef de demande ;

Sur les demandes en paiement du solde d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents au préavis, d'un solde de commissions et des congés payés afférents à ces commissions

Considérant que, le 23 décembre 1986, la société Domilens a déduit de l'indemnité de préavis - qui s'élevait à 11 432,90 F - la somme de 7 695,33 F en prétendant qu'elle correspond à des salaires versés au mois d'octobre (2 615,41 F), période couverte par le préavis, et au mois de novembre (5 079,92 F) durant lequel Monsieur Cohen n'exerçait plus d'activité ;

Considérant que la rémunération de l'intéressé consistait, uniquement, en un pourcentage sur les ventes, que, par conséquent, la société Domilens devait lui verser les commissions calculées sur des ordres pris et facturés avant la rupture mais encaissés après son départ, soit en octobre et novembre 1986 ; observation faite, que ces commissions ne font pas double emploi avec l'indemnité compensatrice de préavis qui représente la rémunération normalement due pendant le préavis, du 29 septembre au 29 octobre 1986 ;

Considérant qu'il convient de condamner l'employeur à payer à Monsieur Cohen le solde restant dû sur le préavis, soit la somme de 7 695,33 F indûment retenue et celle de 1 143,90 F représentant les congés payés calculés sur l'intégralité de l'indemnité de préavis qu'il ne prétend nullement avoir réglés ;

Considérant que Monsieur Cohen réclame un solde de commissions de 5 713,04 F avec congés payés afférents en produisant un décompte de la société Domilens établissant que, le 2 septembre 1986, elle était redevable de la somme de 27 017 F à titre de commissions et en soutenant que, suivant bulletins de paie de septembre, octobre, novembre il lui a été réglé la somme globale de 21 303,96 F ;

Considérant que, par manque de précisions suffisantes, Monsieur Cohen n'a pas mis la cour en mesure de vérifier l'exactitude du solde dont il fait état qu'il convient de renvoyer les parties à faire leurs comptes en prenant pour base le relevé de commissions susvisé ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais non taxables qu'elles ont exposés ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur Daniel Cohen de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement abusif ; Le Réforme pour le surplus ; Condamne la société Domilens à payer à Monsieur Cohen la somme de : - 7 695,33 F (sept mille six cent quatre vingt quinze francs trente trois centimes) à titre de solde de l'indemnité de préavis ; - 1 143,29 F (mille cent quarante trois francs vingt neuf centimes) à titre de congés payés sur l'indemnité de préavis, avec intérêts de droit du jour de l'introduction de l'instance ; Renvoie les parties à faire leurs comptes sur le montant du solde de commissions et congés payés y afférents en prenant pour base le relevé de commissions arrêté par la société Domilens au 2 septembre 1986 ; Dit qu'il conviendra de déduire de ces sommes celle de 10.000 F (dix mille francs) déjà versée par la société Domilens ; Déclare Monsieur Cohen irrecevable en sa demande de congés payés au titre de l'année 1986/1987 ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Laisse à la charge de chaque partie les frais non taxables qu'elles ont exposés ; Condamne Monsieur Cohen aux dépens de première instance et d'appel.