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Décisions

CA Paris, 22e ch. A, 27 novembre 1991, n° 33442-91

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Rand (SA)

Défendeur :

Levy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boubli

Conseiller :

M. Breque

Avocats :

Mes Goldnadel, Anglars.

Cons. Prud'h. Paris, sect. encadr., du 5…

5 février 1991

Le 20 mars 1991, la société Rand a régulièrement interjeté appel d'un jugement du 5 février 1991 du Conseil de prud'hommes de Paris, section de l'encadrement, en ce que, d'une part, il l'a condamnée à payer à M. Levy les sommes suivantes :

- 29.847 F à titre d'indemnité de préavis

- 2.984 F à titre d'indemnité de congés payés incidents

et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la notification de la demande

- 119.000 F à titre d'indemnité de clientèle et ce, avec intérêts au taux légal à compter du jugement

et en ce que, d'autre part, il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle d'un montant de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ce jugement a débouté M. Levy de ses demandes de rappels de commissions, de congés payés incidents et de dommages-intérêts pour licenciement abusif.

Exposé du litige :

Suivant lettre du 10 octobre 1988, M. Levy a été engagé à compter du 17 octobre 1988 en qualité de VRP exclusif par la société Rand Frères.

Il était chargé de vendre des bijoux fantaisie à tous les clients grossistes de cinquante-cinq départements situés, à l'exception de certains clients expressément réservés au contrat) dans une zone excluant approximativement la Normandie, la Région Parisienne, le Nord et Nord-Est de la France.

Il avait, en outre, la possibilité de vendre à l'extérieur de ce secteur sous réserve d'un accord préalable de l'entreprise.

Sa rémunération était constituée par une commission de 4 % sur son chiffre d'affaires hors taxes (avoirs déduits) payable mensuellement après règlement intégral du client.

Le lundi 23 janvier 1989, après un entretien informel avec M. Levy, la société Rand a accepté d'augmenter son taux de commission de 0,5 % à compter de la date d'embauche.

Le 24 janvier 1989, M. Levy a adressé à son employeur un courrier précisant que l'augmentation susvisée lui paraissait insuffisante compte tenu du montant de ses frais professionnels.

Le jeudi 26 janvier, la société Rand répondait en ces termes ... "Compte tenu de la très forte pression d'une concurrence accrue d'année en année, les prix que nous pratiquons ne peuvent pas supporter une amputation de plus de 4 à 5 % pour frais commerciaux externes et nous sommes prêts à vous accorder le maximum de 5 %, tout en vous avisant d'ores et déjà qu'il s'agit là d'un effort ultime que nous ne dépasserons en aucun cas.

... Au cas où vous décideriez très rapidement d'accepter les conditions susdites nous vous demandons de signer ces dispositions".

Dans un post-scriptum, l'employeur, après avoir constaté que le salarié, venu à l'entreprise, avait accepté verbalement la proposition susdite, demandait une confirmation écrite.

Par courrier du 31 janvier, M. Levy informait la société Rand qu'il estimait insuffisante l'offre d'une commission de 5 % et demandait le double des factures.

Reprochant à son VRP d'avoir cessé de visiter la clientèle depuis le 23 janvier, l'employeur a, par courrier du 6 février 1989, convoqué ce dernier pour le 9 février, à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

La rupture du contrat de travail pour faute grave a été notifiée au salarié par courrier du 13 février 1989.

Le 26 septembre 1989, M. Levy a saisi le Conseil de prud'hommes aux fins précisées en exergue.

En cause d'appel, la société Rand Frères conclut à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il est entré en voie de condamnation à son encontre et sollicite le débouté de M. Levy en toutes ses demandes.

Par voie reconventionnelle, elle réclame la condamnation de M. Levy, d'une part, à lui payer 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, d'autre part, à lui rembourser la somme de 36.858 F versée dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés incidents.

M. Levy conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle est entrée en voie de condamnation à l'encontre de la société Rand Frères mais, formant appel incident pour le surplus, il demande la condamnation de cette dernière à lui payer les sommes suivantes :

- 87.102 F à titre de solde de commissions

- 8.710 F à titre de congés payés incidents

- 6.310 F à titre de commissions de retour sur échantillonnages

- 51.622 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 5.162 F à titre de congés payés sur préavis

- 200.000 F à titre d'indemnité de clientèle

- 120.000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive

et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la demande

- 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir qu'il n'aurait pas cessé le travail, mais reconnaît avoir seulement suspendu sa prospection en raison des pourparlers en cours à Paris.

Il soutient :

- qu'il aurait augmenté la clientèle de la société,

- que les commissions perçues (119.389 F au total) ne le rempliraient pas de ses droits ; qu'il lui serait dû un solde de commissions tant sur retour d'échantillonnages que pour la période antérieure au licenciement,

- qu'âgé de 48 ans, il serait toujours au chômage, en fin de droits depuis février 1991.

Cela étant exposé,

LA COUR,

Sur le licenciement et les indemnités de rupture :

Considérant qu'il résulte des pièces versées que M. Levy qui percevait une rémunération brute de près de 40.000 F par mois a cessé brusquement à compter du 23 janvier 1989 d'effectuer la partie essentielle de son travail, à savoir la prospection de clientèle;

Considérant que l'échange de lettres entre les parties suffit à démontrer que les négociations salariales que M. Levy a voulu imposer à son employeur, pouvaient se faire par courrier et n'empêchaient nullement la poursuite de la prospection par l'intéressé qui aurait pu la limiter à des départements limitrophes de la région parisienne;

Qu'il apparaît, contrairement à ce que soutient M. Levy, que cette cessation d'activité était une manœuvre pour faire pression sur l'employeur afin d'obtenir un relèvement du taux de commissions que le salarié avait pourtant accepté, en toute connaissance de cause, trois mois plus tôt, lors de son embauche;

Considérant qu'en dépit de l'offre d'augmentation non négligeable de 1 % faite par la société Rand Frères dans un souci de conciliation, M. Levy n'a pas repris le travail, même après le 26 janvier 1989, espérant ainsi obtenir une augmentation plus importante que l'employeur estimait ne pas pouvoir accorder ;

Que cette cessation abusive de prospection pendant quinze jours constitue une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail même pendant la durée du préavis;

Qu'il s'ensuit que M. Levy n'a droit à aucune indemnité de rupture ;

Que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement abusif, mais infirmé en ce qu'il a alloué à l'intéressé une indemnité de préavis, de congés payés sur préavis et une indemnité de clientèle ;

Que M. Levy sera débouté de ces chefs de réclamation ;

Qu'il y a lieu, en outre, de faire droit à la demande de l'employeur tendant à faire condamner M. Levy à lui rembourser la somme de 36.858 F versée dans le cadre de l'exécution provisoire, au titre de l'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis ;

Sur les commissions dues :

Considérant que les parties étant contraires sur le montant des commissions dues sur la base d'un taux de 4,5 %, tant sur retour d'échantillonnage que pour la période antérieure au licenciement, il y a lieu au vu des pièces versées de réserver à statuer sur ces chefs de demande ainsi que sur les congés payés incidents et d'ordonner une expertise comptable confiée à M. Paumier, les frais étant avancés par M. Levy ;

Sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant qu'il sera réservé à statuer sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Levy de sa demande d'indemnité pour licenciement abusif ; L'infirme en ce qui concerne l'indemnité de préavis, de congés payés sur préavis et de clientèle ; Statuant à nouveau à cet égard, Déboute M. Levy de ces chefs de demandes ; Le condamne à rembourser à la société Rand Frères la somme de 36.858 F, à lui payer dans le cadre de l'exécution provisoire à titre d'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis ; Réserve à statuer sur les demandes de rappels de commissions et de congés payés incidents ; Ordonne une expertise comptable ; Commet M. Paumier pour la diligenter avec la mission suivante : - calculer le montant des commissions dues par la société Rand Frères à M. Levy sur la base d'un taux de 4,5 % depuis l'engagement jusqu'au licenciement et postérieurement, à titre de retour d'échantillonnages, - après déduction des sommes déjà perçues par le VRP, préciser le solde de commissions et de congés payés incidents dû à ce dernier ; Fixe à 8.000 F le montant de la provision sur frais d'expertise à consigner par M. Levy au secrétariat- greffe de la cour dans le délai de deux mois à compter du présent arrêt ; Impartit à l'expert un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle il aura été informé de la consignation pour déposer son rapport ; Commet Mme Nauroy, Conseiller, pour suivre les opérations d'expertise ; Réserve à statuer sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Renvoie l'affaire à l'audience du 10 juin 1992 à 13 heures 30.