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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc., 23 janvier 1995, n° 93000354

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Lozès (SA)

Défendeur :

Tournier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

M. Gaussen, Mme De Malafosse

Avocats :

Mes Duburch, Courty.

Cons. prud'h. Bordeaux, sect. encadr., d…

14 décembre 1992

Procédure et prétentions des parties

LA COUR est saisie de l'appel formé par la société anonyme Etablissements Lozès contre un jugement rendu le 14 décembre 1992 par le Conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, dans une procédure opposant l'appelant à Monsieur Tournier, a rendu la décision suivante :

- Dit que la rupture du contrat de travail de Monsieur Tournier est imputable à la SA Lozès.

- Condamne la SA Lozès à payer à Monsieur Tournier :

* 52 845,96 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 26 422,98 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 2 863,14 F à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

* 40 000 F à titre d'indemnité de clientèle,

* 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses conclusions déposées le 15 novembre 1994 et développées à l'audience par son conseil, la société anonyme Etablissements Lozès demande à la cour de :

- Réformer le jugement déféré,

- Constater que Monsieur Tournier reconnaît avoir accepté dans un premier temps la modification prétendue de son contrat de travail par une note circulaire du 21 mai 1990.

- Constater que la rupture du contrat de travail liant les Etablissements Lozès à Monsieur Tournier n'est pas du fait de l'employeur.

- Débouter Monsieur Tournier de l'intégralité de ses demandes.

- Le condamner au paiement de la somme de 9 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour sa part Monsieur Tournier dans ses conclusions remises le 28 novembre 1994 et développées à la barre par son avocat, demande à la cour de :

- Confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions.

- Condamner la société anonyme Etablissements Lozès à verser à Monsieur Tournier la somme de 1 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Décision de la cour

Sur les données du litige

L'examen des circonstances de la cause et des documents produits aux débats fait apparaître ;

Que Monsieur Tournier, a été engagé le 17 novembre 1987 par la société anonyme Etablissements Lozès en qualité de VRP exclusif pour commercialiser les produits et matériels d'entretien et d'hygiène en collectivités.

Qu'il devait réaliser un minimum de 66 000 F HT mensuel dans le secteur 8 (Bordeaux - CUB) qui lui était attribué.

- Qu'il lui était remis une clientèle à suivre et que sa rémunération se composait d'un fixe de 2 200 F et d'un taux de commission variable.

- Qu'un contrat signé le 2 janvier 1989 a précisé les conditions d'emploi et le secteur de Monsieur Tournier.

- Que le secteur de Monsieur Tournier était agrandi, puisqu'il concernait désormais la Gironde.

- Que le 23 mai 1990, les Etablissements Lozès ont modifié, sans fournir d'explication, le secteur de Monsieur Tournier, interdisant à celui-ci de prospecter de nouveaux clients sur Bordeaux et la CUB ;

- Que, toutefois, Monsieur Tournier a continué à travailler pour le compte des Etablissements Lozès.

- Que Monsieur Tournier a pris acte, par lettre du 14 septembre 1991, de la rupture du contrat de travail dans les termes suivants ;

" Toutes ces anomalies, que je considère comme volontaires et réfléchies de votre part, m'obligent à considérer que vous ne respectez pas vos obligations vis-à-vis de moi par rapport à mon contrat de travail initial.

En conséquence, ne pouvant plus assurer mon travail professionnel dans des conditions normales, par votre volonté, je considère que vous rompez le contrat de travail qui nous liait, à vos torts, avec toutes les conséquences qui s'imposent d'autant plus que depuis quelques temps, votre comportement le justifie. Vous faites en sorte que je quitte la société Lozès.

Je vous informe par la présente que rompant le contrat de travail qui nous liait, par votre comportement, dont j'ai énuméré les causes dans la présente, je ne ferai plus partie de votre personnel au reçu de la présente, soit le mercredi 18 septembre 1991. "

- Que le 16 septembre 1991, les Etablissements Lozès adressaient à Monsieur Tournier une lettre de rappel à l'ordre en raison de la baisse de son chiffre d'affaires significatif lors des derniers mois, de ses visites et prises de commandes insuffisantes.

- Que, dans cette lettre, les Etablissements Lozès laissaient planer sur Monsieur Tournier le risque d'un éventuel licenciement faute d'amélioration de sa part.

- Que la lettre des Etablissements Lozès du 16 septembre 1991 a vraisemblablement croisé la lettre de Monsieur Tournier du 14 septembre 1991, postée le 16 septembre 1991.

- Que, par courrier du 23 septembre 1991, les Etablissements Lozès ont considéré la lettre du 14 septembre 1991 comme étant une lettre de démission du salarié.

- Que, par lettre du 1er octobre 1991, Monsieur Tournier a contesté l'interprétation donnée à sa lettre dans les termes suivants :

" ... Je ne suis pas démissionnaire, comme vous tentez de le faire croire, mais je confirme ma lettre dans laquelle je vous rends responsable de la rupture du contrat de travail qui nous liait et qui vous est imputable compte tenu des modifications que vous avez unilatéralement apportées au contrat et toutes les brimades et vexations envers moi... "

- Que Monsieur Tournier a saisi le conseil de prud'hommes, estimant que la rupture du contrat était imputable à son employeur.

Sur la rupture du contrat de travail

Les Etablissements Lozès soutiennent que Monsieur Tournier a démissionné aux termes de sa lettre du 14 septembre 1991.

Ils font valoir que le salarié avait accepté dans un premier temps la modification de son contrat de travail, résultant de la note circulaire du 21 mai 1990, et n'avait adressé aucune lettre ni mise en demeure d'être rétabli dans ses droits éventuels avant sa lettre de rupture.

En l'espèce, il est constant que l'employeur a interdit à Monsieur Tournier, à compter du 21 mai 1990, de prospecter de nouveaux clients sur Bordeaux et la Communauté Urbaine de Bordeaux.

Or, ce secteur avait été attribué à Monsieur Tournier depuis son engagement en 1987.

Cependant, l'acceptation par le salarié d'une modification substantielle de son contrat ne peut résulter ni de l'absence de protestation écrite de sa part, ni de la poursuite par lui du travail aux conditions nouvelles imposées par l'employeur.

Au demeurant, il est établi que Monsieur Tournier avait effectivement contesté cette modification, puisqu'il est indiqué dans une circulaire de l'employeur en date du 26 novembre 1990 qui lui était destinée ;

Vous nous avez fait remarqué que la décision de ne plus faire de nouveau client sur la CUB vous pénalisait fortement... ".

En outre, il résulte des éléments du dossier que les nouveaux clients de ce secteur ont été prospectés par d'autres représentants de la SA Lozès.

Au surplus, les Etablissements Lozès ne justifient pas que la modification contractuelle décidée unilatéralement était commandée par l'intérêt d'une meilleure organisation et d'une bonne gestion financière de l'entreprise.

Enfin, il appartenait à l'employeur, qui invoque divers griefs à l'égard de Monsieur Tournier, de sanctionner le salarié, au besoin en procédant au licenciement de l'intéressé.

Ainsi, il apparaît que la rupture du contrat de travail, intervenue à l'initiative du salarié, en raison d'une modification substantielle apportée par les Etablissements Lozès au dit contrat - à savoir l'interdiction de prospecter de nouveaux clients sur Bordeaux et la CUB - est imputable à l'employeur.

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré que la rupture du contrat de travail ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse.

Sur les effets de la rupture

1°) L'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés

Les chiffres de 26 422,98 F au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 2 863,14 F au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, fixés par le conseil de prud'hommes, doivent être retenus.

Dès lors, le jugement critiqué doit être confirmé à cet égard.

2°) Les dommages-intérêts

Il convient de confirmer la décision critiquée en ce qu'elle a alloué à Monsieur Tournier une somme de 52 845,96 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, eu égard à son ancienneté dans l'entreprise (4 ans)

3°) L'indemnité de clientèle

En application de l'article L. 751-9 du Code du travail, la loi ouvre droit à une indemnité de clientèle :

- lorsque la rupture n'est pas imputable au VRP,

- sous la condition que le VRP justifie d'un apport ou d'une création de clientèle dont la perte d'exploitation dans l'avenir lui cause un préjudice.

En l'espèce, il résulte des éléments du dossier que Monsieur Tournier a effectivement développé une clientèle qui bénéficie, après le départ du représentant, à la société.

Dans ces conditions, il convient, compte tenu du revenu annuel de Monsieur Tournier et de ses frais professionnels, de fixer l'indemnité de clientèle à la somme de 40 000 F.

En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

La Cour estime équitable de confirmer la décision critiquée en ce qu'elle a alloué à Monsieur Tournier une somme de 3 000 F pour tenir compte des frais qu'il a dû engager et qui ne figureront pas dans les dépens.

Il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 2 000 F au titre des frais d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant sur l'appel principal de la société anonyme Etablissements Lozès et sur l'appel incident de Monsieur Tournier à l'encontre du jugement rendu le 14 décembre 1992 par le Conseil de prud'hommes de Bordeaux ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Condamne la société anonyme Etablissements Lozès aux entiers dépens ; La condamne au paiement à Monsieur Tournier d'une indemnité complémentaire de 2 000 F (deux mille francs) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.