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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 15 février 2000, n° 98-0005666

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sineu-Graff (SA)

Défendeur :

France Aménagements (SARL), Metalco SPA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Derdeyn, Mme Poli-Sonntag

Avoués :

Me Auche- Hedou, SCP Argellies-Travier

Avocats :

Mes Baschet, Naval.

T. com. Montpellier, du 4 nov. 1998

4 novembre 1998

Faits et procédure :

La société Industrielle d'Equipements Urbains dont le nom commercial est Sineu mais communément appelée Sineu-Graff a pour objet social la conception, la fabrication et la commercialisation de mobilier urbain et, dans le cadre de cette activité elle commercialise un banc appelé "Centaure" dont le modèle a fait l'objet d'un dépôt à l'INPI en avril 1986.

Arguant que la société France Aménagements vendait des bancs de la société Metalco, société de droit italien, identiques aux siens, la société Sineu-Graff était autorisée par ordonnance du président du Tribunal de commerce de Montpellier en date du 27 février 1997 à faire constater les faits par huissier de justice.

Sur assignation délivrée à la requête de la société Sineu-Graff à l'encontre des sociétés France Aménagements et Metalco et tendant à les voir condamner pour concurrence déloyale, le Tribunal de commerce de Montpellier, par jugement en date du 4 novembre 1998, a rejeté les demandes de la société Sineu-Graff, a rejeté également la demande reconventionnelle des sociétés France Aménagements et Metalco et a condamné la société Sineu-Graff à payer une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile aux sociétés Metalco et France Aménagements.

Le 13 novembre 1998 la société Sineu-Graff a relevé appel de cette décision.

Prétentions et moyens des parties :

Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 15 décembre 1999 par les sociétés Metalco et France Aménagements et le 3 janvier 2000 par la société Sineu-Graff.

La société Sineu-Graff demande à la cour de réformer le jugement déféré, de dire que les sociétés France Aménagements et Metalco se sont livrées à des actes anticoncurrentiels déloyaux et de leur faire défense de poursuivre la fabrication, l'assemblage et la commercialisation des bancs litigieux à peine d'astreinte de 10.000 F par infraction constatée, d'ordonner la destruction ou l'occultation de la représentation desdits bancs sur tout support publicitaire ou commercial, d'ordonner la destruction du stock existant, de condamner les sociétés France Aménagements et Metalco à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq publications au choix des sociétés Metalco et France Aménagements.

A l'appui de ses prétentions la société Sineu-Graff soutient que son banc dénommé "Centaure" a été servilement copié par les sociétés Metalco et France Aménagements et que ces sociétés se sont livrées à une concurrence déloyale en vendant les bancs copiés moins chers.

Elle soutient également qu'elle-même n'a fait aucune action de dénigrement à l'égard des sociétés intimées.

Les sociétés Metalco et France Aménagements demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Sineu-Graff et l'a condamnée à leur payer la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de le réformer en ce qu'il a rejeté leur demande reconventionnelle et de condamner la société Sineu-Graff à payer à la société Metalco la somme de 1.000.000 F à titre de dommages- intérêts et à la société France Aménagements la somme de 500.000 F au même titre.

Subsidiairement, les sociétés intimées demandent à la Cour de prononcer la nullité du dépôt du modèle du banc "Centaure" à l'INPI.

Enfin, en tout état, les sociétés intimées demandent à la cour de condamner la société Sineu- Graff à leur payer la somme de 30.000 F HT par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de leurs demandes les sociétés Metalco et France Aménagements font valoir que le banc Centaure ne présente aucun aspect original et que la société Sineu-Graff n'en est de surcroît pas le créateur. Elles font également valoir qu'elles n'ont commis aucune faute en diffusant un modèle ressemblant mais cependant différent et ne permettant aucune confusion, et que, de surcroît, la société Sineu-Graff ne justifie d'aucun préjudice.

Enfin les sociétés Metalco et France Aménagements soutiennent que la société Sineu-Graff les a dénigré auprès de différents clients et que ce dénigrement leur a occasionné un préjudice important.

Discussion :

Il convient, tout d'abord, en ce qui concerne les demandes de la société Sineu-Graff de replacer le débat dans le cadre juridique que les parties lui ont donné, c'est-à-dire une action en concurrence déloyale fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, comme cela est expressément noté page 7 des conclusions de la société Sineu-Graff, laquelle précise, de surcroît, qu'elle avait le choix entre, fonder son action sur le droit des dessins et modèles, ou sur la concurrence déloyale et qu'elle a, exclusivement, choisi ce dernier fondement.

La société Sineu-Graff a également précisé que son action n'était pas fondée sur la protection de la marque "Centaure".

La concurrence déloyale nécessite la preuve d'agissements déloyaux, distincts des faits de contrefaçon, à savoir la reproduction servile ou quasi-servile d'un objet afin de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle en bénéficiant des efforts de recherche et de commercialisation de l'entreprise concurrente.

En l'espèce, il n'est pas contesté que les parties en cause interviennent sur le même secteur d'activité et, notamment commercialisent du mobilier urbain et se trouvent donc en concurrence.

L'action étant fondée sur la concurrence déloyale telle que définie ci-dessus, il n'apparaît pas nécessaire de se prononcer sur les arguments et moyens des parties, inopérants dans ce cadre, concernant l'originalité ou non du modèle "Centaure" de la société Sineu-Graff et sur l'existence ou non d'antériorités comme le soutiennent les sociétés Metalco et France Aménagements.

En revanche, il est nécessaire de déterminer si les bancs commercialisés sous les noms de Larissa et Tradition par les sociétés Metalco et France Aménagements sont des copies serviles ou quasi-serviles du banc Centaure de la société Sineu-Graff et si il y a risque de confusion pour la clientèle.

Le banc Centaure et les bancs Larissa et Tradition sont en bois avec pieds et épaulement en fonte. Les pieds et l'épaulement sont constitués d'une pièce, l'une à l'extrémité droite l'autre à l'extrémité gauche, pièce galbée qui présente, une seule barre horizontale sensiblement placée à mi-hauteur reliant le pied avant et le pied arrière. Dix lattes de bois s'emboîtent dans ces pièces de fonte et l'ensemble est maintenu par trois entretoises dont les écrous borgnes sont visibles sur les pièces en fonte.

Dans leur globalité ces bancs se ressemblent.

Toutefois il convient d'observer que les pièces formant les pieds et l'épaulement portent, d'origine de fonderie, la marque Metalco sur la barre transversale reliant les pieds avant et arrière pour les bancs Larissa et Tradition et la marque "Le Centaure" sur la fonte soutenant l'assise du banc et l'inscription Graff 67 Koggenheim sur la barre reliant les pieds avant et arrière du banc Centaure, comme le démontrent les différents catalogues versés au débat et le certificat de dépôt à l'INPI du banc Centaure.

Cet élément important et parfaitement visible fait qu'il ne saurait y avoir copie servile du banc Centaure par les bancs Larissa et Tradition.

De plus il y a lieu de noter que les bancs en cause ne sont proposés qu'à une clientèle particulièrement avertie, puisqu'il s'agit de collectivités locales, lesquelles, avant de faire leur choix s'adressent nécessairement à de nombreux fournisseurs comme le prouve d'ailleurs le grand nombre de catalogues sur lesquels figurent de nombreux bancs similaires.

Le fait que ces bancs s'adressent à une clientèle particulière, spécialement avertie de l'existence de modèles similaires disponibles sur le marché, similitude tempérée par l'indication du producteur ou du distributeur, laquelle indication est une véritable individualisation du produit, entraîne qu'il n'y a pas de risque de confusion entre les différents produits chez l'acheteur.

C'est vainement également que la société Sineu-Graff soutient que la concurrence déloyale résulterait d'un prix bas pratiqué par les sociétés Metalco et France Aménagements pour les bancs Tradition et Larissa et plus généralement d'un parasitisme pratiqué par ces sociétés.

En effet, d'une part, la vente à un prix inférieur à celui de la concurrence n'est pas en elle- même répréhensible et la société Sineu-Graff ne démontre pas que les prix pratiqués par les sociétés France Aménagements et Metalco seraient dus au fait que ces sociétés auraient, en mettant leurs bancs sur le marché, profité des investissements qu'elle avait elle-même faits.

Au contraire, il résulte des écritures de la société Sineu-Graff que pour pénétrer le marché la société France Aménagements a dû faire une publicité très importante.

D'autre part, la société Sineu-Graff ne justifie pas des investissements de recherche, de mise au point ou de commercialisation qu'elle aurait effectués et dont les sociétés France Aménagements et Metalco auraient profité indûment.

Par ailleurs la société Sineu-Graff ne soutient pas, et a fortiori ne démontre pas, que la pratique de prix plus bas par les sociétés Metalco et France Aménagements serait de nature à déprécier le produit qu'elle vend.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté comme non fondées les demandes de la société Sineu-Graff et de ce chef leur décision doit être confirmée.

Les sociétés Metalco et France Aménagements demandent à la cour, à titre subsidiaire, de dire nul le dépôt du banc Centaure à l'INPI.

Toutefois, elles ne précisent pas par rapport à quelle demande principale cette demande de nullité serait subsidiaire et, surtout, elles ne démontrent nullement leurs allégations concernant des antériorités de toutes pièces puisqu'elles ne versent au débat que des catalogues postérieurs à la date du dépôt à l'INPI. Elles doivent donc être déboutées de cette demande.

Les sociétés Metalco et France Aménagements versent au débat un courrier de la société Sineu-Graff adressé à la mairie de Grande Synthe (Nord) faisant état d'un litige pour contrefaçon l'opposant à la société Metalco et une attestation de la mairie du Crès (Hérault) faisant état de la même dénonciation.

Ces faits s'analysent en un dénigrement constitutif de concurrence déloyale de nature à engager la responsabilité de la société Sineu-Graff, ce d'autant que celle-ci ne justifie d'aucune action pénale ou civile intentée pour contrefaçon.

Ce dénigrement a entraîné pour les sociétés Metalco et France Aménagements une atteinte à leur image commerciale et ce préjudice sera intégralement réparé par l'attribution d'une somme de 25.000 F à chacune d'entre elles.

L'application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, conduit à allouer une somme de 8.000 F aux sociétés Metalco et France Aménagements.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel, Au fond, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés Metalco et France Aménagements de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts et statuant à nouveau sur ce point ; Condamne la société Sineu-Graff à payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 25.000 F à la société Metalco et celle de 25.000 F à la société France Aménagements ; Confirme le jugement déféré pour le surplus, Y ajoutant, Condamne la société Sineu-Graff à payer aux sociétés Metalco et France Aménagements la somme de 8.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Sineu-Graff aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.