CA Toulouse, 4e ch. soc., 4 février 1988, n° 1034-87
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cara
Défendeur :
Gestetner (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grenet
Conseillers :
Mme Gaussens, M. Broquière
Avocats :
SCP Serrès-Dumaine, Me Besson.
Aux termes d'un contrat de travail écrit à durée indéterminée Jean-Claude Cara était, à compter du 1er décembre 1969, engagé par la SA Gestetner, société distributrice de matériel de reprographie et de fournitures pour l'utilisation de ce matériel, en qualité de représentant-fournitures, ses fonctions consistant en la vente des accessoires fournitures et papiers de la marque de cette société et en entretien des duplicateurs ; il devait en outre informer son employeur des possibilités de vente de nouveaux appareils à la clientèle qui lui était confiée ; la clause de non-concurrence figurant à son contrat de travail lui interdisait pendant une durée de deux ans après la cessation de ses fonctions de s'intéresser directement ou indirectement à une maison concurrente dans le secteur à lui concédé ;
A compter du 1er juin 1971 intervenait une modification dans ses fonctions, la vente de machines lui étant confiée ; après quoi le 1er septembre 1979 lui était attribué un poste de représentant mixte, impliquant la vente tant de duplicateurs que de fournitures, la clause de non-concurrence prévue au premier contrat étant assortie, au cas de non respect, d'une pénalité d'un montant de 75 000 F ;
Le 3 juillet 1980, Jean-Claude Cara donnait sa démission à effet du 31 août 1980 ;
Le 8 décembre suivant, la SA Gestetner portait à la connaissance de la SA Copy Sud qui avait embauché Jean-Claude Cara quelques mois après sa démission, la clause de non-concurrence contenue dans le contrat du 1er septembre 1975 et précisait à cette société que jusqu'au 29 août 1982 ce représentant ne pouvait travailler dans la Principauté d'Andorre, les départements de l'Ariège et de la Haute-Garonne, secteur dans lequel il avait exercé son activité pour le compte de la SA Gestetner ; le même jour, cette société, rappelant à Jean-Claude Cara ladite clause de non-concurrence, l'invitait au respect de cette clause ;
Celui-ci n'obtempérant pas à l'injonction ainsi faite, la SA Gestetner le faisait convoquer le 12 juin 1981 devant le Conseil des prud'hommes de Toulouse afin d'obtenir paiement de 75 000 F de dommages et intérêts et voir ordonner sous astreinte de 50 F par jour de retard la cessation de l'infraction ;
Par jugement de départition en date du 24 février 1987 et après qu'une expertise ait été ordonnée, Jean-Claude Cara était condamné à payer à la SA Gestetner la somme de trente mille francs pour violation de la clause de non-concurrence avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes, les dépens, en ce compris les frais d'expertise, étant mis par moitié à la charge de chacune des parties ;
Jean-Claude Cara interjetait appel de cette décision, la SA Gestetner formant appel incident ;
Jean-Claude Cara conteste la validité de la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail signé par les parties et invoque son illicéité, motif pris de ce qu'elle porterait atteinte à la liberté du travail en raison de l'étendue excessive de son objet professionnel et du fait qu'elle provoquerait un déséquilibre dans le contrat au seul profit de l'employeur ;
A l'appui de ses moyens liminaires il invoque l'absence de limitation catégorielle relative à la nature du produit vendu et à la qualité de la clientèle visitée et prétend que la clause de non-concurrence qui lui est opposée est de fait considérablement plus large que l'objet du contrat de travail qui la supporte ; il soutient que lui est interdite toute activité dans un domaine spécifique ou à l'égard d'une clientèle auxquels il est resté étranger alors qu'il n'a jamais été représentant en photocopieurs, son activité limitée au domaine des consommables, produits assimilés, duplicateurs à stencil et offset, étant exclusive de toute autre ;
Il conteste avoir reçu de la SA Gestetner une formation en matière de copieurs et considère que les rares informations par lui données sur les besoins en copieurs de sa clientèle témoignent du cloisonnement rigide séparant les divers réseaux de distribution ;
Il fait en second lieu valoir qu'il ne saurait être privé de la vente de certains produits à la fois en cours de contrat et après expiration dudit contrat ;
A titre subsidiaire, il conclut à la rescision au franc symbolique de la pénalité fixée par la clause de non-concurrence, ce en application des dispositions de l'article 1152 du Code civil alors qu'il a été contraint de donner sa démission, que seuls quelques cantons de Toulouse constituaient le dénominateur commun des secteurs à lui confiés par ses deux employeurs successifs et que la SA Gestetner ne rapporte la preuve d'aucun préjudice ;
A titre très subsidiaire, il demande que soient supprimés les intérêts au taux légal dont les premiers juges ont assorti la condamnation prononcée, le taux applicable supérieur à celui de l'inflation, constituant une pénalité supplémentaire et la lenteur de la procédure ne lui étant pas imputable ;
La société intimée demande en premier lieu à la cour de statuer sur la recevabilité de l'appel interjeté par Jean-Claude Cara, domicilié selon elle à une fausse adresse ;
Elle rejette, sur le même fondement que celui par elle exposé devant les premiers juges, les moyens de l'appelant tels que ci-dessus relatés, au titre de son appel incident, conclut à la condamnation de Jean-Claude Cara au paiement de l'indemnité contractuelle de 75 000 F pour violation de la clause de non-concurrence, ce avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Sur quoi, LA COUR,
Sur la recevabilité de l'appel interjeté par Jean-Claude Cara, que la SA Gestetner ne rapporte pas la preuve de la domiciliation de l'appelant à une fausse adresse ;
Attendu qu'au demeurant une telle irrégularité serait sans incidence sur le cours de la procédure alors que l'intimée n'en tire aucune conséquence, notamment sur le plan de la compétence de la juridiction saisie pas plus qu'elle ne fait état d'un quelconque préjudice résultant de la fausse domiciliation par elle invoquée, mais non établie ;
Attendu, sur la validité de la clause de non-concurrence, que les premiers juges l'ont à bon droit reconnue licite alors que, limitée dans le temps (2 ans), dans l'espace (secteur antérieurement prospecté), et quant à son objet, elle ne mettait nullement Jean-Claude Cara dans l'impossibilité d'exercer, même dans des entreprises concurrentes, une activité normale conforme à ses connaissances et à son expérience, ce d'autant plus qu'antérieurement aide-comptable, puis agent d'escompte dans une banque, par la suite contrôleur de crédit dans un grand magasin, et enfin attaché commercial dans une société de transports puis dans un établissement financier, Jean-Claude Cara avait une formation pratique assez éclectique pour lui permettre de se reconvertir éventuellement dans une branche d'activité autre que celle du matériel de reprographie ;
Attendu en outre que ladite clause apparaît légitime au vu de la formation professionnelle dispensée par la SA Gestetner à Jean-Claude Cara après son embauche ;
Attendu, sur les agissements de Jean-Claude Cara contraires à la clause de non-concurrence que l'embauche de ce salarié par la société Copy Sud en qualité de représentant de commerce et l'exercice de ses nouvelles fonctions sur le secteur de l'Ariège, de la Haute-Garonne et du Tarn en vue de la vente de photocopieurs neufs est un fait constant et non contesté ;
Attendu que la clause de non-concurrence par lui signée visant l'ensemble des produits vendus par la SA Gestetner concernait donc des appareils de ce type, la société Copy Sud étant le principal concurrent de la SA Gestetner sur ce marché;
Attendu au surplusque Jean-Claude Cara avait exercé au service de la SA Gestetner une activité recouvrant partiellement celle à lui confiée par la société Copy Sud alors qu'il bénéficiait chez son précédent employeur de commissions sur les ventes de photocopieurs réalisées à partir de " tuyaux par lui donnés ";
Qu'enfin le secteur de prospection à lui confié par la société Copy Sud recoupait en partie celui que lui avait attribué la SA Gestetner dans la mesure où il poursuivait son activité dans le département de la Haute-Garonne;
Attendu que pour ces divers motifs la violation de la clause de non-concurrence a été justement reconnue flagrante et caractérisée par le Conseil des prud'hommes de Toulouse;
Attendu, sur la rescision de la pénalité demandée par Jean-Claude Cara à titre subsidiaire, qu'en application de l'article 1152 du Code civil et au vu d'une concurrence qui ne s'est exercée que pendant neuf mois, Jean-Claude Cara ayant cessé ses fonctions au service de la société Copy Sud trois mois après sa convocation en justice, compte tenu néanmoins de la perte par la SA Gestetner de cinq clients dans le secteur considéré, les premiers juges ont justement fixé à la somme de trente mille francs l'indemnité due à la SA Gestetner à raison du non respect de la clause de non-concurrence ;
Attendu que la saisine du conseil des prud'hommes valant sommation de payer, cette indemnité forfaitaire doit être assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;
Attendu par contre que l'équité ne justifie pas la mise à la charge de Jean-Claude Cara des frais irrépétibles engagés par la SA Gestetner dans le cadre de la présente procédure ;
Attendu que succombant sur l'appel par lui interjeté, Jean-Claude Cara devra supporter les dépens éventuellement engagés devant la cour ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare régulier en la forme l'appel interjeté par Jean-Claude Cara à l'encontre du jugement du conseil des prud'hommes en date du 24 février 1987 ; Au fond, l'en démet, et statuant sur l'appel incident de la SA Gestetner, l'en démet également ; Confirme en toutes ses dispositions et par adoption des motifs le jugement déféré ; Condamne Jean-Claude Cara aux dépens d'appel.