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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 24 novembre 1988, n° 328-88

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Socprodex (Sté)

Défendeur :

Haillet Sport Diffusion (SA), Prince Manufacturing Inc.(Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneron

Conseillers :

MM. Forget, Bonnecaze

Avoués :

Mes Robert, Treynet, Lefèvre

Avocats :

Mes Roux, Damelincourt, Bremont.

T. com. Nanterre, 4e ch., du 27 nov. 198…

27 novembre 1987

Faits et procédure

La société Socprodex a passé en 1984 avec la société américaine Prince Manufacturing Inc un contrat de distribution des produits de cette dernière (raquettes de tennis) en France et à Monaco pour une durée indéterminée.

Le contrat prévoyait que Socprodex devrait coopérer à cette fin avec la société Haillet Sport Diffusion (HSD).

En exécution de ces accords, une convention a été passée entre Socprodex et HSD pour une durée de 5 ans à partir du 5 décembre 1984, date du départ du contrat société Socprodex - société Prince Manufacturing Inc.

Il y était précisé à l'article 11 que Socprodex pourrait y mettre fin à tout moment sans que cela puisse donner lieu à des dommages et intérêts notamment en cas de rupture du contrat liant Socprodex et Prince Manufacturing Inc.

Le 10 novembre 1986 Prince notifiait à Socprodex sa décision de créer sa propre succursale en France et l'informait que leur collaboration cesserait à compter du 30 avril 1987. Il lui faisait cependant promesse d'une indemnisation à préciser ultérieurement.

Informée de cette situation, HSD réagissait d'autant plus vigoureusement qu'elle faisait état de commissions impayées d'un montant élevé (elle obtenait à ce sujet en janvier 1987 la désignation d'un expert judiciaire).

La compensation promise à Socprodex était concrétisée le 10 décembre 1986 par un arrangement sous forme d'un rabais des prix consentis à Socprodex et de l'octroi d'un pourcentage de 1 % sur les ventes réalisées en France de mai 1987 à août 1988, avec un minimum de 450 000 F versés d'avance, HSD, qui n'était ni concernée ni mentionnée, se voyait par un arrangement ultérieur passé avec Prince le 24 février 1987 gratifiée d'une commission de 12 % sur les ventes effectuées pendant cette même période.

Le 6 mars 1987, Prince Manufacturing Inc agissant tant en son propre compte que pour celui de sa succursale française renouait avec Socprodex par un " contrat de services ", conclu pour deux ans avec faculté de résiliation anticipée moyennant préavis de six mois. Ce contrat mettait à la charge de Socprodex (dont la qualité d'agent ou de distributeur était expressément exclue), le suivi administratif des importations, l'entreposage et l'assurance des marchandises, la gestion des stocks celle des commandes par enregistrement dans son ordinateur, la livraison, les encaissements pour compte de Prince, y compris les relations avec la clientèle, la gestion commerciale Prince de son côté conservait la propriété des marchandises, le droit d'accès aux données informatisées, la propriété de ces données, la maîtrise des crédits éventuels accordés à la clientèle, le contrôle général de la gestion commerciale. Etaient communs le choix des transporteurs, la partie comptabilité-clients. En rémunération de l'ensemble de ses services, Socprodex recevait 11,5 % du chiffre d'affaires net hors taxes, avec dégressivité au delà, de 35 millions de francs.

Estimant que ce nouvel accord était venu se substituer au précédent en fraude de ses droits, HSD assignait à la fois Socprodex et Prince en indemnisation de la perte de clientèle et de son préjudice résultant selon elle de la rupture unilatérale et injustifiée de son contrat d'agence. Elle réclamait à ce titre 3 750 000 F.

Bien que le nouveau contrat du 6 mars 1987 n'ait pas été communiqué, les juges du Tribunal de commerce de Nanterre en ont, par jugement rendu le 27 novembre 1987, soupçonné l'existence, y ont vu une fraude aux droit de HSD, dont ils ont accepté la demande en son principe en ce qui concerne Socprodex, ordonnant expertise pour déterminer le montant du préjudice.

Appelante de ce jugement Prince Manufacturing Inc fait valoir qu'elle était en droit de rompre ses relations avec Socprodex, sains considération des relations entre cette dernière et HSD, laquelle est sans qualité à agir à son encontre. Rien ne l'empêchait ensuite de contracter sur de nouvelles bases avec Socprodex. Elle écarte toute concertation frauduleuse avec cette entreprise. Subsidiairement elle conteste la réalité d'un préjudice consécutif à la perte du contrat : la prospection de la clientèle en France de ses produits a été confiée d'abord en 1976 à un précédent distributeur, une société Cavimex, qui a porté de 1980 à 1982 le chiffre d'affaires de 350 000 dollars US environ à près de 2 millions, la rupture intervenant aux torts partagés, en 1984 ( cette société s'était liée par un contrat de collaboration avec le père du PDG d'HSD, Jean-Louis Haillet, joueur de tennis connu ). Cette clientèle n'a pas été conservée.

Egalement appelante, Socprodex reprend ces moyens. Elle observe qu'elle a également en l'affaire perdu sa clientèle sans pouvoir prétendre à indemnisation ; elle ne pouvait que répercuter cette rupture sur son agent HSD, puis faire application de la clause excluant toute indemnisation en pareille hypothèse. La compensation qu'elle obtenait néanmoins de Prince a d'ailleurs largement profité à HSD, puisque l'arrangement passé entre Prince et elle par lui a attribué 53 % des remises ou rabais obtenus de Prince pour la période du 1er septembre 1986 au 30 avril 1987, soit 483 175 F.

Elle écarte tout concert frauduleux, assure que le nouveau contrat qu'a conclu après appel d'offres Prince, de nature totalement différente du précédent, ne constitue nulle fraude à des droits inexistants, aussi bien si elle en a profité HSD l'a fait aussi, obtenant le 24 février 1987 l'octroi d'une commission forfaitaire de 12 % sur toutes les commandes passées entre le 1er mai 1987 et le 31 août 1987, soit 908 976 F HT sans nulle activité (retour sur échantillonnage). Ce qui lui permis de percevoir au total 1 392 151 F.

Haillet Sport Diffusion, après avoir observé, avoir été tenue dans l'ignorance de l'accord de résiliation anticipé, auquel elle était restée étrangère, accord qu'elle n'a pu connaître qu'à l'occasion des opérations d'expertise, de sorte qu'elle avait été contrainte, faute de négociation, d'assigner en paiement, écarte cette argumentation, porte sa demande d'indemnisation à 4 500 000 F outre 100 000 F de dommages et intérêts, demande d'évoquer l'entier litige.

Sur ce LA COUR

Considérant que les relations entre Prince et HSD résultent de la lettre adressée le 14 décembre 1984 au second, et dont ce dernier a accepté les termes ; qu'il en ressort que, si HSD percevait une quote-part des commissions d'ailleurs plus forte que celle allouée à son partenaire Socprodex (18,6 % et 14,5 %) en rémunération de sa coopération technique, Prince entendait rester étranger entre les deux entreprises françaises, tout en admettant qu'il devait jouer un rôle pour assurer le succès de leurs opérations ; que HSD a admis cette situation sur laquelle il a vainement voulu revenir en septembre 1986, à la suite de ses difficultés avec Socprodex ;

Considérant ainsi que HSD est sans qualité pour agir contre Prince sur le plan contractuel ; qu'il pourrait toutefois le faire sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à condition d'établir une faute qu'aurait commise Prince à son égard ;

Considérant que cette faute ne peut résulter ni de la résiliation licite du contrat passé avec Socprodex, ni de la transaction ultérieure en adoucissant les conséquences pour les parties évincées ; qu'elle ne peut résider non plus dans le nouveau contrat de services signé avec Socprodex, le fabricant étant libre d'assurer comme il l'entend la commercialisation de ses produits, sous réserve des droits d'autrui, ceux qu'aurait HSD à son égard étant inexistants ainsi qu'il vient d'être dit ;

Considérant ainsi que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné Prince à garantir Socprodex ;

Qu'aussi bien HSD est sans qualité pour la réclamer seul le pouvant son débiteur, qui ne le fait pas et dont la solvabilité n'est pas contestée ;

Considérant sur les relations entre Socprodex et HSD, qu'elles s'analysent en un contrat d'agence (sans qu'on sache d'ailleurs si HSD était agent statutaire ) et que, bien que destinées à assurer l'application de la convention préalable conclue sans limitation de durée, donc résiliable ad nutum a jugé bon de lui conférer une durée de cinq années, ce qui lui interdit donc de le révoquer à son gré avant le terme convenu sans se trouver tenu au principe d'indemnisation ;

Considérant il est vrai, que le contrat prévoit la dispense d'une telle indemnisation dans diverses hypothèses notamment dans celle où le support contractuel avec le fabricant américain viendrait à défaillir, ce qui aurait été selon Socprodex le cas ;

Considérant cependant qu'il incombe à Socprodex, qui excipe de cette clause, d'établir la réalité de la situation qu'elle prévoyait plus précisément de justifier la rupture de ses propres relations avec Prince, amenant celle des relations avec son propre agent ;

Considérant que si, apparemment, cette rupture initiale ressort de la manifestation d'intention de Prince du 10 novembre 1986 pour compter du 30 avril 1987, il résulte des propres affirmations de Socprodex insérées dans l'arrangement du 10 décembre 1986, signé par le responsable de la société qui s'en appropriait ainsi le contenu, que Socprodex avait adressé à Prince dès le 10 septembre précédent une proposition de contrat de services, contrat en fait appliqué depuis le 1er septembre précédent, de sorte qu'elle avait, pour cette raison, accepté d'appliquer des prix et conditions de vente tels qu'ils entraîneraient pour elles une perte d'exploitation et des risques importants si elle restait lié par son contrat précédent de distribution pendant la durée du préavis restant à courir qu'en considération de cette situation Prince lui a promis au cas où elle créerait sa succursale pendant cette période de préavis (cette création constituant le motif avancé par Prince à sa décision de résiliation), de transformer le contrat de distribution en un contrat de services pour la durée du préavis restant à courir ;

Considérant qu'effectivement un tel contrat fut établi le 6 mars 1987 par Prince Manufacturing Inc, représentant la succursale française, non pas il est vrai pour la fin du préavis, 7 à 8 semaines, mais bien à partir du 1er mai et pour une durée de deux ans ;

Que, bien que juridiquement différente du contrat de distribution exclusive, la nouvelle convention en est pratiquement fort proche, les prestations exigées de Socprodex étant similaires et sa rémunération voisine, compte tenu de ce qu'elle cessait de supporter les risques de la marchandise dont elle n'acquérait plus la propriété;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la clause exonératoire d'indemnité inserée dans le contrat d'agence ne pouvait jouer, la rupture du contrat de représentation exclusive Prince étant fallacieuse, constituant une pure apparence immédiatement, voire antérieurement, démentie par l'établissement de relations similaires, quoique autrement dénommées;

Qu'en conséquence le droit commun régissant la rupture du contrat d'agent commercial doit recevoir application et que, pour avoir résilié avant terme un contrat conclu pour 5 ans sans invoquer une faute de l'agent dans l'accomplissement de sa mission, mais seulement un argument inexact, Socprodex est tenu à indemnisation;

Considérant qu'il sera statué sur son montant après expertise, sans qu'il y ait lieu d'évoquer ; que l'expert, dont la mission sera confirmée prendra néanmoins en compte les éléments nouveaux produits en appel, notamment contrats relatifs en particulier à l'importance, voire à l'existence de la clientèle créée ou développée par HSD, ainsi qu'aux avantages que cette dernière a tiré de ses arrangements postérieurs à la rupture, passés avec Prince et Socprodex ;

Considérant enfin qu'il n'y a pas plus lieu d'évoquer en ce qui concerne le paiement des commissions normalement dues ce litige étant étranger à la cause ;

Considérant en définitive que, nonobstant le caractère quelque peu dubitatif de sa motivation, causé par la réticence des parties à lui remettre leurs arrangements et accords, le jugement sera confirmé en son principe ;

Considérant qu'il n'a pas lieu de faire droit à la demande fondée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à celle de dommages et intérêts ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit la société Socprodex tenue à indemniser la société Haillet Sport Diffusion et a ordonné une expertise avec mission dont elle approuve la teneur générale, sous réserve de ce qui est indiqué plus haut, précise que le rapport sera déposé au greffe du Tribunal de commerce de Nanterre, enfin sur les dépens ; L'infirme en ce qu'il a condamné Prince Manufacturing Inc à garantir Socprodex ; Condamne la société Haillet Sport Diffusion aux dépens de cette mise en cause, et dit qu'ils pourront être recouvrés pour ceux le concernant, par Me Lefèvre, Avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Socprodex, sous la réserve précédente aux dépens d'appel, et dit qu'ils pourront être recouvrés par Me Treynet, Avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.