CA Nancy, ch. soc., 25 janvier 1995, n° 205-95
NANCY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Combettes Cuisines (SA)
Défendeur :
Colin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Junqua
Conseillers :
MM. Bresciani, Moureu, Pacaud, Malherbe
Avocats :
Mes Cantegrel, Raffin
Christian Collin est entré au service de la société anonyme Meubles Combettes devenue la société Combettes Cuisine, fabricante de cuisines, tables et chaises, en qualité de VRP exclusif, le 13 janvier 1986.
Le contrat écrit signé par les parties prévoyait, en son article III, intitulé "Secteur et Clientèle" :
"A - Secteur : Monsieur Collin Christian devra exercer son activité" : dans le seul secteur territorial suivant à savoir, "Départements : 58-89-10-52-70-25-90-68-88-54-57-67-51-55.
Toutefois, la SA Meubles Combettes se réserve de modifier cette attribution au cas où une modification générale de son réseau de vente viendrait à l'exiger. Ce secteur est donné en exclusivité et à l'exclusion de tout autre."
"B - Clientèle : Revendeurs de meubles-Installateurs de "cuisines à l'exclusion de tout autre."
Le contrat de travail de Monsieur Collin comportait une clause de non-concurrence ainsi rédigée :
"En cas de résiliation de ce contrat pour quelque motif que ce soit, Monsieur Collin Christian ne pourrait, soit par lui-même, soit par personne interposée, même par société de personne, exploiter un commerce similaire à celui de la SA Meubles Combettes ni assurer la représentation d'un semblable commerce dans l'étendue des départements ci-dessus mentionnés et ce, pendant une durée de trois ans, sous peine de dommages-intérêts envers la SA Meubles Combettes (sans) préjudice du droit que cette dernière aurait de faire cesser la contravention à la première clause".
A l'initiative de l'employeur, qui devait, par écrit ultérieur, reprocher à Monsieur Collin une insuffisance de ses résultats, le contrat liant les parties a pris fin le 5 février 1987, au terme d'un préavis d'un mois, selon une lettre de licenciement du 6 janvier 1987 rédigée comme suit :
"Suite à votre entretien du 5 janvier 1987 avec Monsieur Combettes Gilles au siège de la société, nous vous confirmons la rupture de votre contrat de travail au 5 février 1987.
Votre préavis débute donc à compter du 6 janvier 1987 et prendra fin le 5 février 1987.
Avec nos regrets, nous vous prions d'agréer, Monsieur, nos salutations distinguées."
Par acte déposé le 5 avril 1988, Monsieur Collin a attrait la société Combettes devant le Conseil de prud'hommes d'Epernay, d'une part, aux fins de voir dire que son licenciement était irrégulier, injustifié et abusif et d'obtenir des dommages-intérêts en réparation de son préjudice et d'autre part, aux fins de se voir allouer, en application de l'article 17 de l'Accord National Interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 modifié, une somme de 161.293,21 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 1988, à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence.
La juridiction prud'homale a, par jugement du 17 février 1989, débouté Monsieur Collin de ses prétentions afférentes au licenciement, mais a condamné la société Combettes à verser à son ancien salarié, à titre de compensation pécuniaire de la clause de non-concurrence, une somme de 142.000 F.
Condamnée en outre aux dépens, la société Combettes a fait appel de ce jugement et Monsieur Collin s'est porté appelant incident.
Par arrêt du 18 octobre 1989, la Cour d'appel de Reims a infirmé le jugement du 17 février 1989, en tant qu'il avait condamné la société Combettes au paiement de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, ainsi qu'aux dépens, a confirmé le jugement pour le surplus et a condamné Monsieur Collin, outre les entiers dépens, au paiement d'une somme de 3.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC.
La cour d'appel a, notamment, retenu que, si Monsieur Collin n'avait pas été régulièrement convoqué à l'entretien préalable et s'était vu notifier la rupture de son contrat de travail sans qu'ait été respecté le délai de réflexion d'un jour franc, l'article L. 122-14-5 excluait la sanction pour non-respect de la procédure de licenciement pour un salarié n'ayant même pas un an d'ancienneté.
Elle a, d'autre part, admis que la société Combettes avait pu oralement, lors de l'entretien du 5 janvier 1987, valablement libérer le représentant de l'obligation de non-concurrence.
L'arrêt de la Cour d'appel de Reims du 18 octobre 1989 a été cassé, par arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 1994, mais seulement en ce qu'il a débouté Monsieur Collin de ses demandes de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement et de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence.
Devant la cour de ce siège, la société Combettes conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à régler à Monsieur Collin une compensation pécuniaire à la clause de non-concurrence et elle demande que son ancien salarié soit débouté de ses demandes et condamné au paiement d'une somme de 10.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient, en particulier, que Monsieur Collin n'a pas respecté son obligation de non-concurrence.
Elle fait valoir qu'en effet, par lettre du 8 janvier 1987, le représentant a offert sa candidature à un emploi de représentant sur le secteur Est de la France auprès de la société Gilet, sa concurrente directe, se libérant ainsi lui-même de la clause de non-concurrence.
Elle affirme, d'autre part, que Monsieur Collin ne verse aux débats aucun élément de nature à justifier du préjudice qu'il aurait prétendument subi du fait du non-respect de la procédure de licenciement.
Monsieur Collin conclut au rejet de l'appel principal et, se portant appelant incident, conclut à la condamnation de la société Combettes au paiement des sommes suivantes :
- Contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence : 161.293,21 F
- Non-respect de la procédure de licenciement : 14.400 F
- Article 700 du NCPC : 15.000 F
Il demande en outre que les intérêts courent sur la somme de 161.293,21 F réclamée par lui, à compter du 28 avril 1988.
Il conteste notamment avoir été délié, même verbalement, de l'obligation de non-concurrence et avoir violé la clause figurant au contrat à ce sujet.
Il affirme que le seul fait que lui impute la société Combettes, à savoir un courrier adressé par lui à la société Gilet, ne peut constituer un acte de concurrence puisque ledit courrier est resté sans suite et qu'il ne s'est trouvé à aucun moment en position de concurrencer son ancien employeur de quelque façon que ce soit.
Il reproche aux premiers juges d'avoir chiffré la contrepartie pécuniaire à laquelle il estime avoir droit en tenant compte de sa rémunération nette, au lieu de se référer à sa rémunération brute.
Motifs de l'arrêt
1) Sur la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence :
Attendu, d'une part, que le premier alinéa de l'article 17 de l'Accord National Interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 modifié, décide :
"L'interdiction contractuelle de concurrence après la rupture du contrat de travail n'est valable que pendant une durée maximale de deux années à compter de cette rupture et qu'en ce qui concerne les secteurs et catégories de clients que le représentant de commerce était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable" ;
Que les alinéas 3 et 4 du même article sont, d'autre part, libellés de la manière suivante :
"Pendant l'exécution de l'interdiction, l'employeur versera au représentant une contrepartie pécuniaire mensuelle spéciale dont le montant sera égal à 2/3 de mois si la durée en est supérieure à un an et à 1/3 de mois si la durée en est inférieure ou égale à un an ; ce montant sera réduit de moitié en cas de rupture consécutive à une démission" ;
"Cette contrepartie mensuelle spéciale sera calculée sur la rémunération moyenne des douze derniers mois, ou de la durée de l'emploi si celle-ci a été inférieure à douze mois, après déduction des frais professionnels sans que cette moyenne puisse être inférieure à 173,33 fois le taux horaire du SMIC au cas où le représentant, engagé à titre exclusif et à plein temps, aurait été licencié au cours de la première année d'activité" ;
Que les cinquième et huitième alinéas dudit article prévoient, enfin, respectivement ce qui suit :
"La contrepartie pécuniaire mensuelle spéciale cesse d'être due en cas de violation par le représentant de la clause de non-concurrence, sans préjudice des dommages-intérêts pouvant lui être réclamés" ;
"Sous condition de prévenir par lettre recommandée avec accusé de réception dans les quinze jours suivants la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, l'employeur pourra dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence ou en réduire la durée" ;
Or, attendu, d'une part, que la société Combettes n'a pas, pour dispenser Monsieur Collin de l'exécution de la clause de non-concurrence, respecté la condition, impérative, formellement prévue ainsi qu'indiqué ci-dessus, d'avoir à aviser son représentant par lettre recommandée avec accusé de réception, et dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la rupture du contrat de travail;
Que cette condition n'étant pas réalisée, la société Combettes ne peut prétendre avoir délié l'intimé de l'obligation de non-concurrence pesant sur lui pendant deux ans ;
Attendu, d'autre part, que la clause de non-concurrence n'interdisait pas à Monsieur Collin de se porter candidat à un emploi de représentant dans l'Est de la France auprès d'une entreprise concurrente de son précédent employeur;
Que, par conséquent, en s'adressant, comme il l'a fait, à la société Gilet, Monsieur Collin, qui n'a pas démontré, à cette occasion, qu'il s'estimait délié de son obligation, ne s'est pas plus libéré de celle-ci;
Qu'au demeurant, la société Gilet n'a pas donné suite à la candidature de Monsieur Collin, lequel a fait mention de l'existence de la clause de non-concurrence dans la demande d'emploi déposée par lui auprès de l'ANPE ;
Attendu, en troisième lieu, qu'il est établi que Monsieur Collin n'a pas pendant les deux années suivant la rupture de son contrat de travail commis d'actes de concurrence dans le secteur dont il avait été chargé par la société Combettes auprès de la catégorie de clients à lui confiée par celle-ci ;
Attendu que, dès lors, la contrepartie pécuniaire était bien due à Monsieur Collin et pour les vingt-quatre mois d'exécution de la clause;
Que cette contrepartie, qui, de nature salariale, a pour but de compenser de manière forfaitaire la réduction de salaire découlant de la restriction imposée par la clause de non-concurrence et qui au surplus est assimilée à un salaire au regard des législations fiscale et sociale, devait être calculée sur la base de la rémunération brute des douze derniers mois de salaire, soit de février 1986 à janvier 1987 inclus ;
Que, d'ailleurs, l'abattement pour frais professionnels s'opère sur la rémunération brute;
Que la rémunération mensuelle moyenne étant de 14.401,18 F, dont les 2/3 forment une somme de 9.600,78 F, la contrepartie mensuelle, déduction faite de 30 % à titre de frais professionnels, représentait un montant de 6.720,54 F, soit, sur vingt-quatre mois, un total de 161.292,96 F ;
Attendu qu'il y a lieu, dans cette mesure, d'amender le jugement entrepris ;
Attendu que Monsieur Collin sollicite que, sur la totalité de ce montant, les intérêts courent à compter de la demande, la décision judiciaire étant déclarative de droit ;
Mais attendu que la contrepartie se paie mois par mois ;
Qu'à la date de notification de la demande en justice, soit le 30 avril 1988, seules quatorze échéances étaient dues, soit 94.087,56 F ;
Que les intérêts courront donc à compter de cette date sur ce montant, et s'agissant du solde, soit 67.205,40 F, composé de dix échéances de 6.720,54 F, chacune intervenue successivement les 5 des mois, de mai 1988 à février 1989 inclus, les intérêts courront à compter des dates d'échéances successives ;
2) Sur le non-respect de la procédure de licenciement :
Attendu que le licenciement est intervenu alors qu'était entrée en vigueur la loi du 30 décembre 1986 ;
Qu'il a été décidé et notifié au mépris total des exigences procédurales en la matière, puisque l'entretien au terme duquel Monsieur Collin a été licencié s'est déroulé, de manière impromptue, alors que le représentant était venu au siège de l'entreprise pour le faire visiter à l'un de ses clients ;
Qu'il n'y a donc eu aucune convocation préalable permettant à l'intimé de préparer sa défense ;
Que l'intéressé n'a pu se faire assister lors de l'entretien par une personne choisie par lui ;
Qu'il suffit, au surplus, s'agissant de la notification du licenciement, de lire la lettre du 6 janvier 1987 sus-reproduite, pour constater que la décision de l'employeur était prise dès l'entretien et que la formalité du délai de réflexion avait été vidée de son sens ;
Attendu que les manquements de la société Combettes portaient atteinte à des droits élémentaires du salarié qui n'a pu qu'en éprouver un préjudice moral d'autant plus considérable qu'il était accompagné ce jour-là d'un client et que l'entreprise, employant plus de cent salariés, avait une taille suffisamment importante, pour pouvoir disposer de toutes les informations juridiques voulues nécessaires à une gestion réglementaire correcte de son personnel ;
Qu'au vu de ces éléments, la cour considère que le montant mis en compte par Monsieur Collin n'est pas exagéré ;
Qu'il y a donc lieu de condamner la société Combettes au paiement d'une somme de 14.400 F à titre de dommages-intérêts ;
3) Sur les demandes accessoires :
Attendu que compte tenu de la succombance majeure de la société Combettes, celle-ci doit être condamnée aux dépens et déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
Qu'à l'inverse il est équitable, au vu du dossier et de la procédure, ainsi que des positions économiques respectives des parties, de condamner l'employeur à supporter à concurrence d'une somme de 7.000 F les frais non répétibles exposés par Monsieur Collin ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 1994, Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Epernay du 17 février 1989, en tant qu'il a condamné la société Combettes Cuisines, outre les dépens de première instance, au paiement de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence figurant au contrat ayant lié les parties, Emendant toutefois ledit jugement du chef du montant du au titre de cette contrepartie pécuniaire, Condamne la société Combettes Cuisines à payer à Christian Collin la somme de cent soixante et un mille deux cent quarante deux francs quatre vingt seize centimes (161.242,96 F) avec les intérêts au taux légal sur le montant de quatre vingt quatorze mille quatre vingt sept francs cinquante six centimes (94.087,56 F) à compter du 30 avril 1988 et à compter des dates d'échéances successives, sur le montant de chacune des dix échéances mensuelles de six mille sept cent vingt francs cinquante quatre centimes (6.720,54 F), échues le 5 de chaque mois, de mai 1988 à février 1989 inclus ; Infirme le jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la demande en réparation du préjudice causé par le non-respect de la procédure de licenciement, Et statuant à nouveau, Condamne la société Combettes Cuisines à payer à Monsieur Collin Christian une somme de quatorze mille quatre cents francs (14.400 F) à titre de dommages-intérêts ; Condamne, en outre, la société Combettes Cuisines à payer à Monsieur Collin Christian une somme de sept mille francs (7.000 F) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette comme mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Combettes Cuisines aux dépens d'appel.