CA Nancy, ch. soc., 12 mai 1992, n° 245-92
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Briolet
Défendeur :
Tiflex (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ollier
Conseillers :
M. Bresciani, Mme Charpentier
Avocats :
Mes Thibaut, Gérard.
Monsieur Jean-Paul Briolet a été engagé comme VRP par la société Tiflex en 1974. Il a été licencié sans préavis, ni indemnité pour résultats insuffisants le 20 octobre 1989. Il a saisi le Conseil de prud'hommes de Nancy afin d'obtenir paiement des sommes de :
- 39.957 F à titre d'indemnité de préavis, outre 3.995,70 F à titre d'indemnité de congés payés,
- 228.000 F à titre d'indemnité de clientèle,
- 5.000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Par jugement du 19 novembre 1991, le conseil de prud'hommes a fait droit aux demandes relatives au préavis, condamné la société Tiflex à verser 500 F en application de l'article 700 du NCPC, et rejeté la demande d'indemnité de clientèle.
Monsieur Briolet a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Il fait valoir que :
- de 1974 à 1983, le chiffre d'affaires est passé de 350.000 F à 2.100.000 F,
- ses commissions sont passées de 50.000 F en 1975, à 115.400 F en 1980, et à 244.000 F en 1989,
- ces résultats ont été obtenus malgré une modification du secteur et la perte de l'activité "département automobile" en 1985.
Il estime donc avoir droit à l'indemnité de clientèle, qu'il chiffre à 244.000 F. Il demande à la cour de lui allouer cette somme, ainsi que celle de 5.000 F en application de l'article 700 du NCPC.
La société Tiflex soutient que Monsieur Briolet ne rapporte pas la preuve de ce qu'il a apporté, créé ou développé tout ou partie de la clientèle, mais qu'au contraire l'évolution de son chiffre d'affaires, jamais supérieure au chiffre d'affaires de la société elle-même et au coût de la vie, parfois même en régression d'une année à l'autre, en ayant évolué nettement moins vite entre 1985 et 1989 que la moyenne des autres représentants, démontre que nulle création, ni augmentation en nombre ou en valeur de clientèle, ne peut être inscrite au crédit de Monsieur Briolet. Elle conclut à la confirmation du jugement frappé d'appel.
Discussion :
Attendu que les parties ne fournissent aucun élément de comparaison directe entre la clientèle existant en 1974 et celle abandonnée par Monsieur Briolet en 1989 ; qu'il y a lieu de se référer aux évolutions du chiffre d'affaires et des commissions ;
Attendu qu'il convient en premier lieu d'observer qu'en 1985, la société Tiflex a supprimé à Monsieur Briolet la représentation des produits du département "automobile" ; qu'elle n'a alors pas discuté le principe de l'existence d'un droit de son salarié à une indemnité de clientèle, puisqu'elle lui a versé à ce titre une somme de 25.000 F, représentant vingt-six mois de commissions nettes des frais professionnels ; qu'il n'est pas allégué que Monsieur Briolet aurait créé ou développé plus de clientèle dans ce secteur que dans les autres ;
Attendu que, pour l'année 1984-85, le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Briolet sur les secteurs d'activité qu'il avait conservés s'élevait à 1.466.570 Fet qu'il est passé à 2.051.190 F pour l'année 1988-89, soit une augmentation de 39,86 % au total, et de plus de 8,5 %, nettement supérieure à l'augmentation du coût de la vie pendant cette période; que cet accroissement ne peut parvenir que d'une augmentation du nombre de clients ou du chiffre d'affaires réalisé avec chacun d'eux; qu'elle démontre que Monsieur Briolet a bien créé ou développé la clientèle qui lui était confiéeet qu'il peut donc prétendre à percevoir une indemnité de clientèle;
Attendu que le fait que sa progression ait été inférieure à celle de la société et de ses autres représentants, si elle peut justifier la décision de rupture, ne permet cependant pas d'établir que Monsieur Briolet ait simplement maintenu la clientèle existant lors de son entrée au service de la société Tiflex;
Attendu que, compte tenu des chiffres fournis, la cour estime que l'indemnité de clientèle peut être calculée sur la base d'une année de commissions nettes de frais professionnels, soit, selon les montants portés par l'employeur sur l'attestation ASSEDIC, à 154.406,36 F, arrondi à 155.000 F ;
Attendu qu'il serait inéquitable que Monsieur Briolet conserve la charge intégrale de ses frais de procédure ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 3.500 F ;
Attendu que la société Tiflex, qui succombe, supportera les dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme le jugement frappé d'appel en ce qu'il a débouté Monsieur Briolet de sa demande d'indemnité de clientèle, Statuant à nouveau, Condamne la société Tiflex à verser à Monsieur Briolet la somme de 155.000 F à titre d'indemnité de clientèle, avec intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 1990, date de notification de la demande ; La condamne à lui verser 3.500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens d'appel.