CA Limoges, ch. soc., 30 octobre 1990, n° 1495-87
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Europ Fleurs (SARL)
Défendeur :
Allonneau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Borie
Conseillers :
MM Etchepare, Eichler
Avocats :
Mes Priollaud, Reye.
Le 1er juillet 1981, un contrat de travail ainsi libellé a été signé entre la société Europ Fleurs et Allonneau :
"Il a été convenu et arrêté ce qui suit :
Article 1 : Engagement
La SARL Europ Fleurs s'engage ce jour à prendre à son service Monsieur Allonneau Bernard en qualité de Vendeur Livreur en laissé sur place.
Article 2 : Durée
Ce contrat est conclu pour une durée déterminée de trois mois. Pendant cette période, la société Europ Fleurs pourra reprendre sa liberté, à charge de prévenir Monsieur Allonneau trente jours à l'avance. Passé cette période de trois mois, sauf faute grave, force majeure ou objectif non atteint, ce contrat sera renouvelable deux autres fois pour la nouvelle période de trois mois, à charge par celle des parties qui n'entendrait pas procéder à ce renouvellement d'en prévenir l'autre par lettre recommandée trente jours avant pour la société et quatre vingt-dix jours à l'avance pour Monsieur Allonneau.
Article 3 : Conditions de travail
Les horaires de travail seront répartis suivant les exigences de la profession.
Article 4 : Détermination de la rémunération
En rémunération de ses fonctions, Monsieur Allonneau percevra l'équivalent du SMIC en salaire de base, une participation pour ces frais de route et une prime de 0,50 F par article vendu.
Article 5 : Clause de non-concurrence
En cas de résiliation du présent contrat pour quelque cause et motif que ce soit, Monsieur Allonneau s'interdit formellement, sous peine de dommages-intérêts, d'entrer au service d'une maison exploitant un commerce identique ou similaire à celui de la SARL Europ Fleurs et susceptible de concurrencer cette dernière.
Il s'interdit également le droit de s'établir, de diriger à quel titre que ce soit, directement ou indirectement par personne interposée y compris conjoint et enfants pour son compte ou celui d'un tiers, à tout commerce, entreprise ou exploitation de même nature ou similaire à celle faisant l'objet du présent contrat. Ces interdictions sont limitées aux départements suivants : Haute-Vienne, Vienne, Corrèze, Puy-de-Dôme, Dordogne, Creuse, Allier, Charente, Charente-Maritime, Cher, Indre et Loire, Deux-Sèvres, Vendée, Indre, Gironde, pendant une durée de cinq ans.
Le 3 octobre 1986, Allonneau a donné sa démission.
le 16 mars 1987, Allonneau a attrait la société Europ Fleurs devant le Conseil de prud'hommes de Limoges en paiement de congés payés, de salaires et d'indemnité conforme a l'article 17 de la Convention Collective des VRP.
Europ Fleurs a reconventionnellement demandé condamnation d'Allonneau a lui verser 102.256,55 F avec intérêts de droit.
Par jugement du 1er décembre 1987, le conseil de prud'hommes a ainsi statué :
"Dit que Monsieur Allonneau remplissait les fonctions d'un VRP et non d'un vendeur-livreur, et qu'il dépend de la Convention Collective des VRP et qu'en conséquence l'article 17 de cette convention doit lui être appliqué.
Condamne en conséquence Europ Fleurs à payer :
- le montant de 3.176,83 F (trois mille cent soixante seize francs et quatre vingt trois centimes) mensuel soit pour vingt-quatre mois 76.243,92 F (soixante seize mille deux cent quarante trois francs et quatre vingt douze centimes).
Condamne Europ Fleurs a payer la somme de 3.787,61 F (trois mille sept-cent quatre-vingt-sept francs et soixante-et-un centimes) au titre des congés payés.
Condamne Europ Fleurs à payer 650 F (six cent cinquante francs) au titre des deux jours de salaires restant dus et reconnus à la barre et 65 F (soixante cinq francs) de congés payés.
Déboute Europ Fleurs de sa demande reconventionnelle celle-ci n'étant pas de la compétence du Conseil et le renvoie à la juridiction compétente.
Dit qu'Europ Fleurs devra établir un bulletin de salaire sur lequel devront figurer l'indemnité concernant les congés payés et devra régulariser et payer les cotisations dues aux organismes sociaux, Caisse de retraites IRREPIP-VRP auxquels les parties étaient habituellement affiliées, Dit qu'Europ Fleurs devra régulariser et payer les cotisations parts salariale et patronale auprès de chacun de ces organismes.
Dit que les paiements des sommes constituant salaires telles qu'elles apparaîtront sur le bulletin de salaire sera assorti des intérêts légaux depuis la date du présent jugement.
Dit que le présent jugement bénéficiera de l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution et suivant les dispositions des articles R. 516-18 et R. 516-37 du Code du travail dans la limite de neuf mois de salaires calculés sur la moyenne des douze derniers mois soit :
9.539,50 F x 9 = 85.774,50 F
en conséquence prononce l'exécution provisoire à concurrence de 85.774,50 F (quatre vingt-cinq mille sept-cent soixante-quatorze francs et cinquante centimes).
Déboute Monsieur Allonneau de sa demande d'astreinte.
Condamne Europ Fleurs à payer à Monsieur Allonneau la somme de 2.000 F (deux mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens.
Déboute Europ Fleurs de sa demande de 5.000 F au titre de l'article 700 NCPC.
Dit qu'Europ Fleurs devra s'adresser à la juridiction compétente en ce qui concerne sa demande de remboursement de la somme de : 102.256,55 F".
Discussion
Attendu que la société Europ Fleurs, appelante, demande :
- De réformer le jugement,
- De dire qu'Allonneau était vendeur-livreur en laissé sur place et non VRP,
- De dire, en conséquence, que la Convention Collective Nationale des VRP, plus particulièrement son article 17, ne lui était pas applicable,
- De débouter Allonneau de sa demande tendant à se voir allouer la contrepartie pécuniaire prévue par cet article,
- De la dire fondée en sa demande reconventionnelle et de condamner Allonneau à lui payer la somme de 102.256,55 F outre les intérêts de droit,
- De le condamner à lui verser 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la société Europ Fleurs fait plaider que le statut de VRP implique la prospection d'une clientèle par la prise d'ordres ;
Que le seul contrat signé entre les parties est un contrat de vendeur-livreur en laissé sur place ;
Que, sauf cas très exceptionnel, il n'y avait pas de prise d'ordres transmise par Allonneau ;
Qu'Allonneau se déplaçait avec un camion réfrigéré de neuf tonnes, chargé de fleurs pour deux jours, pour une tournée nettement déterminée ;
Qu'il se présentait dans chaque point de vente faisant partie de sa tournée ;
Que le client choisissait ses fleurs et qu'Allonneau établissait alors la facture et encaissait ;
Attendu qu'elle fait valoir, par ailleurs qu'Allonneau n'a jamais eu la carte de VRP ;
Que, si en 1985, il est exact qu'elle a offert à Allonneau de transformer son contrat en contrat de VRP, il a refusé ;
Attendu que la société Europ Fleurs précise que, bien que n'y étant pas obligée, elle a accepté de lever l'interdiction de non-concurrence sur certains départements, comme l'avait demandé Allonneau lui-même, savoir les départements de la Gironde, de la Vendée, des Deux-Sèvres, de la Charente-Maritime, de la Charente, à l'exception de certaines villes ;
Que cet accord a été matérialisé par un écrit en date du 12 novembre 1986 et qu'il est bien certain que si Allonneau avait entendu être en droit de bénéficier de la garantie pécuniaire pour les autres départements pour lesquels il n'aurait pas été libéré de la clause de non-concurrence, il l'aurait fait insérer dans cette convention ;
Que cet accord met fin au litige ;
Attendu qu'elle expose sur sa demande reconventionnelle que les investigations auxquelles elle s'est livrée, après le départ d'Allonneau, lui ont permis de constater que ses craintes, exprimées dans la lettre qu'elle lui avait adressée le 23 janvier 1987, étaient fondées, savoir que d'une part importantes ont été les espèces manquantes dans les caisses remises par Allonneau, que d'autre part la valeur des marchandises manquantes représente une somme importante ;
Que pour les années 1984-1985-1986, les manquants se chiffrent à 90.275 F et les espèces manquantes à 11.981,05 F ;
Attendu qu'Allonneau conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société Europ Fleurs à lui verser 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'Allonneau déclare que le contrat initial a été reconduit par accord entre les parties sans qu'aucun contrat écrit ne soit signé ;
Qu'en 1985, un contrat fut élaboré mais non signé entre les parties ;
Qu'en l'absence de contrat, tout représentant est présumé satisfaire aux conditions du statut ;
Qu'en fait, il exerçait la représentation dans la mesure où son activité consistait à prospecter la clientèle existante et à essayer de la développer ; qu'il prenait des ordres et négociait auprès de la clientèle afin de conclure les ventes ;
Que le contrat que l'employeur avait projeté de lui faire signer en 1985, était bien un contrat de VRP ;
Qu'enfin, Europ Fleurs l'a fait affilier à l'IRP VRP pour 1985 ;
Attendu qu'il soutient que c'est donc à tort que la société Europ Fleurs lui conteste la qualité de VRP ;
Attendu qu'il déclare que le contrat contenait une clause de non-concurrence de cinq ans ; qu'elle doit être réduite à deux ans, par application de la Convention Collective ;
Que son salaire mensuel moyen, en 1986, s'établit à 9.530,50 F ;
Que la contrepartie pécuniaire, conformément à la Convention Collective des VRP, s'établit à :
9.530 F : 3 = 3.176,83 F, soit au total à 76.243,92 F ;
Sur la demande en reconnaissance du statut de VRP et la demande en paiement de la contrepartie prévue à l'article 17 de la Convention Collective des VRP :
Attendu que l'article L. 751-1 du Code du travail stipule :
"les conventions dont l'objet est la représentation, quelle que soit la qualification qui leur est donnée par les parties, intervenues entre les voyageurs représentants et placiers, quel que soit le titre qui leur est attribué d'une part et leurs employeurs, qu'ils soient industriels commerçants ou non, d'autre part, sont nonobstant toute stipulation expresse du contrat, ou en son silence des contrats de travail lorsque les voyageurs représentants ou placiers,
- travaillent pour le compte d'un ou plusieurs employeurs,
- exercent en fait, d'une façon exclusive et constante, la profession de représentant,
- ne font effectivement aucune opération de commerce pour leur compte personnel,
- sont liés à leurs employeurs par des engagements déterminant la nature des prestations de service ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat, la région dans laquelle ils doivent exercer leur activité, ou les catégories de clients qu'ils sont chargés de visiter, le taux des rémunérations" ;
Attendu que l'article L. 751-4 précise :
"En l'absence de contrat écrit, les personnes exerçant la représentation sont présumées être VRP, soumis aux règles particulières du présent titre" ;
Attendu que la représentation commerciale consiste dans la visite d'une clientèle existante ou éventuelle à l'extérieur de l'entreprise dans le but de prendre des ordres ;
Que, dès lors qu'il est vérifié dans les faits que le représentant exerce son activité dans les conditions fixées par l'article L. 751-1, la qualification contraire donnée contractuellement par les parties à leurs rapports devient inopérante ;
Attendu, en l'espèce, qu'un seul contrat a été signé par les parties en 1981, qualifié de contrat de vendeur-livreur en laissé sur place ;
Attendu que le projet de contrat de VRP versé au dossier en date de 1985 n'a pas été signé par les parties ;
Attendu qu'Allonneau a été immatriculé quelques mois en 1985 à l'IRP VRP ;
Attendu qu'il n'a jamais eu la carte VRP ;
Attendu qu'Allonneau ne justifie nullement avoir exercé une activité autre que celle de chauffeur-livreur et avoir prospecté la clientèle de la société Europ Fleurs;
Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, de dire qu'Allonneau n'établit pas qu'il exerçait, au sein de la société Europ Fleurs, les fonctions de VRP et, réformant le jugement de ce chef, de dire qu'il ne peut prétendre se voir appliquer la Convention Collective des VRP et prétendre obtenir la contrepartie pécuniaire prévue à l'article 17 de ladite convention pour clause de non-concurrence;
Sur la demande en paiement de congés payés et rappel de salaires :
Attendu que, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Europ Fleurs à payer à Allonneau 3.781,61 F au titre des congés payés et 650 F au titre de deux jours de salaires restant dûs ;
Sur la demande reconventionnelle de la société Europ Fleurs en paiement de la somme de 10.256,66 F :
Attendu que cette demande, qui constitue un litige accessoire au contrat de travail, relève bien de la compétence prud'homale, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ;
Mais attendu que la preuve des manquants en espèces et en marchandises imputés par la société Europ Fleurs à Allonneau n'est pas établie ;
Sur les dépens :
Attendu qu'eu égard à la succombance respective des parties dans leurs prétentions, il y a lieu de dire que les dépens de première instance et d'appel seront supportés moitié par Allonneau, moitié par la société Europ Fleurs ;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge respective des parties les frais irrépétibles ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare l'appel recevable ; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Europ Fleurs à payer à Allonneau : - Trois mille sept-cent quatre-vingt-un francs soixante-et-un centimes (3.781,61 F) au titre des congés payés, - Six-cent cinquante francs (650 F) de deux jours de salaires ; Le reformant pour le surplus et statuant à nouveau, Dit qu'Allonneau ne justifie pas de ce qu'il remplissait les fonctions de VRP ; Déboute en conséquence Allonneau de sa demande en paiement de la somme de soixante-seize mille deux-cent quarante-trois francs quatre-vingt-douze centimes (76.243,92 F) réclamée en vertu de l'article 17 de la Convention Collective des VRP ; Déboute la société Europ Fleurs de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de dix-mille deux-cent cinquante-six francs soixante six-centimes (19.256,66 F) ; Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés moitié (1/2) par Allonneau, moitié (1/2) par la société Europ fleurs ; Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement de somme.