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Décisions

TPICE, 5e ch. élargie, 3 juin 1996, n° T-41/96 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Bayer (AG)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Avocats :

Mes Sedemund, May.

TPICE n° T-41/96 R

3 juin 1996

Faits et procédure

1 Le groupe Bayer est un groupe chimique international qui occupe le huitième rang mondial dans le secteur pharmaceutique. En 1991-1992, ses ventes s'élevaient à environ 3 264 millions d'écus, selon les données figurant dans la décision de la Commission du 10 janvier 1996 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-342.79-F3 Adalat) (ci-après "décision"). L'entreprise mère du groupe, la société Bayer AG (ci-après "Bayer"), produit et commercialise depuis de nombreuses années, sous la marque Adalat (dénommée Adalate en France), une gamme de médicaments (ci-après "Adalat") dont le principe actif est la nifédipine, destinés à soigner des maladies cardio-vasculaires. D'après des documents internes de Bayer cités dans la décision, Adalat "constitue actuellement l'un des principaux produits sur le marché de l'hypertension et de l'insuffisance coronarienne". Il s'agit d'"un produit leader à identité forte". Adalat arrive en neuvième position parmi les quarante produits pharmaceutiques les plus vendus dans le monde en 1992, avec des ventes atteignant environ 783 millions d'écus.

2 Il ressort de la décision qu'Adalat représente un produit majeur dans la stratégie de vente des filiales de Bayer dans les différents États membres. En 1992, ce médicament représentait environ 15 % du chiffre d'affaires total de Bayer Espagne et 36 % de celui de Bayer France. Au Royaume-Uni, il représentait 56 % du chiffre d'affaires total de Bayer UK.

3 D'après les indications fournies par Bayer, la part de marché détenue par Adalat dans la Communauté atteint environ 8 %. Selon la même source, reprise par la décision, Bayer occupe environ 7 et 9 % respectivement des marchés de l'insuffisance coronarienne et de l'hypertension en Espagne, 5 et 4 % de ces mêmes marchés en France et 20 et 17 % au Royaume-uni.

4 Dans la plupart des États membres, le prix d'Adalat est directement ou indirectement fixé par les autorités sanitaires nationales. De 1989 à 1993, les prix fixés par les services de santé espagnols et français étaient, en moyenne, inférieurs de 40 % à ceux appliqués au Royaume-Uni. Pour Adalat Retard 20 mg, la différence de prix atteignait, en Espagne, 35 à 47 % et, en France, environ 24 %. De même, le prix des capsules Adalat était inférieur, en Espagne, de 48 à 55 % et, en France, de 39 à 45 % à celui appliqué au Royaume-Uni.

5 En raison de ces différences de prix, des grossistes établis en Espagne ont, dès 1989, entrepris l'exportation d'Adalat à destination du Royaume-Uni. A partir de 1991, ils ont été suivis sur cette voie par des grossistes établis en France. D'après Bayer, de 1989 à 1993, les ventes d'Adalat effectuées par Bayer UK auraient baissé presque de moitié en raison des importations parallèles. La filiale britannique de Bayer aurait ainsi subi une perte de chiffre d'affaires de 230 millions de DM, représentant pour Bayer une perte de recettes de 100 millions de DM.

6 Face à cette situation, Bayer Espagne et Bayer France ont décidé de ne plus honorer l'intégralité des commandes passées par les grossistes établis en Espagne et en France.

7 C'est dans ce contexte que, le 10 janvier 1996, la Commission a adopté à l'égard de Bayer la décision susvisée constatant, en son article 1er, que Bayer Espagne et Bayer France ont commis une infraction à l'article 85 du traité, imputable à leur société mère, en concluant avec leurs grossistes en Espagne et en France, dans le cadre de relations commerciales continues, un accord ayant pour objet une interdiction d'exporter Adalat dans d'autres États membres. Les marchés géographiques que la Commission a définis comme pertinents sont les marchés nationaux, dans la mesure où la vente des médicaments est influencée par les politiques administratives ou d'approvisionnement adoptées dans les États membres par les services de santé nationaux. D'après la décision, l'analyse du comportement adopté par Bayer Espagne et Bayer France vis-à-vis de leurs grossistes respectifs permet d'établir en l'espèce l'existence d'une interdiction d'exporter imposée par ces filiales de Bayer dans le cadre des relations commerciales les unissant à leurs clients. La Commission a déduit l'existence d'une telle interdiction de ce qu'elle a considéré comme un système de détection des grossistes exportateurs, ainsi que des réductions successives des volumes livrés qui seraient appliquées par les deux filiales dans le cas où les grossistes exportent tout ou partie des produits livrés (point 156).

8 Aux termes de l'article 2 de la décision, Bayer "doit mettre fin à l'infraction constatée à l'article 1er, et notamment:

- envoyer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, une circulaire aux grossistes en France et en Espagne précisant que les exportations sont permises au sein de la Communauté et ne sont pas sanctionnées

- indiquer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, ces éléments de façon claire dans les conditions générales de vente applicables en France et en Espagne".

9 L'article 3 de la décision inflige à Bayer une amende d'un montant de 3 millions d'écus. L'article 4 fixe une astreinte d'un montant de 1 000 écus pour chaque jour de retard dans l'exécution des obligations spécifiques énoncées à l'article 2.

10 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 22 mars 1996, Bayer a demandé l'annulation de la décision.

11 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit, en vertu du l'article 185 du traité, une demande de sursis à l'exécution de l'article 2 de la décision, précité. La Commission a présenté ses observations écrites par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 avril 1996. Par mémoire déposé le 17 avril 1996, la requérante a soumis des observations sur les observations de la Commission, susvisées. L'institution défenderesse a pris position sur ces observations par mémoire déposé le 25 avril 1996. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 2 mai 1996.

En droit

12 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), par la décision 94-149-CECA, CE du Conseil, du 7 mars 1994 (JO L 66, p. 29), et par la décision 95-1-CE, Euratom, CECA du Conseil, du 1er janvier 1995 (JO L 1, p. 1), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

13 L'article 104, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal précise qu'une demande de sursis à exécution n'est recevable que si le demandeur a attaqué l'acte en question dans un recours devant le Tribunal. Le paragraphe 2 du même article prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 22 avril 1996, De Persio-Commission, T-23-96 R, RecFP p. II-527, point 19).

Arguments des parties

Sur le fumus boni juris

14 La requérante précise, au préalable, qu'elle ne formule aucune objection en ce qui concerne la constatation selon laquelle, pour les grossistes qu'elle approvisionne, "les exportations sont permises au sein de la Communauté". En effet, elle n'aurait jamais imposé des restrictions à l'exportation aux grossistes et n'entendrait pas le faire. Toutefois, elle conteste la formule selon laquelle ces exportations "ne sont pas sanctionnées", qui signifierait qu'elle "n'est plus autorisée à opposer, de manière unilatérale, un refus général ou partiel de livraison aux grossistes qui exportent [ses] produits vers d'autres marchés nationaux". Elle serait ainsi soumise à une "obligation de livraison".

15 La requérante soutient que Bayer Espagne et Bayer France n'ont conclu aucun accord avec leurs grossistes en Espagne et en France contenant une interdiction d'exporter les produits Adalat dans d'autres États membres, en particulier au Royaume-Uni. Lors de l'audition des parties dans le cadre de la présente procédure, elle a confirmé que la réduction des livraisons aux grossistes en Espagne et en France avait pour but d'endiguer les exportations parallèles vers le Royaume-Uni. Toutefois, ses filiales n'auraient jamais imposé à leurs clients une interdiction d'exporter. Dans la mesure où elles ne seraient tenues à aucune obligation de livraison, elles auraient refusé unilatéralement d'honorer certaines commandes. En vue d'éviter tout accord avec les grossistes relatif à une interdiction d'exportation, elles auraient même donné à leur personnel chargé de la distribution l'instruction de ne pas divulguer les vraies raisons de la réduction unilatérale du volume des livraisons et d'invoquer systématiquement une "insuffisance des stocks" liée à des problèmes internes de livraison ou de production.

16 Bayer conteste plus spécialement les affirmations de la Commission selon lesquelles les grossistes qui exportaient auraient été identifiés à l'aide d'un système de contrôle des ventes et auraient subi ensuite une réduction automatique de leurs livraisons. Ces allégations ne seraient fondées sur aucune preuve. En l'occurrence, la requérante serait dans l'impossibilité de vérifier, après avoir livré des produits à un grossiste, si celui-ci les exporte. Dans ces conditions, les grossistes auraient su qu'ils n'avaient à craindre aucune réduction de livraison lorsqu'ils exportaient. Ils n'auraient donc eu aucun "intérêt à respecter l'interdiction d'exporter", contrairement à ce que soutient la Commission. Celle-ci aurait d'ailleurs constaté elle-même que le système de contrôle de la distribution choisi par la requérante consistait uniquement à enregistrer d'abord les quantités fournies à chaque grossiste au cours des périodes précédentes ("quantités de référence") et à déterminer unilatéralement à l'avance les quantités mensuelles et annuelles qu'elle désirait lui livrer (en général la quantité de référence augmentée d'environ 10 % par an), puis à vérifier, à l'aide du système de contrôle de la distribution, à quel moment les commandes courantes d'un grossiste dépassaient les quantités de référence. Dans ce cas, la requérante n'aurait plus accepté l'ordre de livraison ou ne l'aurait accepté que partiellement. La remarque de la Commission selon laquelle, dans de rares cas, la requérante n'ajoutait pas les 10 % à la quantité de référence, ou corrigeait celle-ci ultérieurement, ne changerait rien au fait que cette dernière fixait à l'avance et de manière unilatérale les quantités à fournir.

17 Dans ce contexte, la requérante rejette la thèse de la Commission selon laquelle les grossistes auraient accepté l'interdiction d'exporter alléguée en réduisant, "en apparence" seulement, les volumes de leurs commandes, ce qui constituerait, du fait des relations commerciales suivies entre la requérante et ses grossistes, un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité (point 181 de la décision). Cette interprétation serait incompatible avec le libellé de l'article 85, ainsi qu'avec les objectifs et l'économie du droit communautaire de la concurrence. Celui-ci n'interdirait pas un comportement unilatéral au seul motif qu'il viserait à empêcher les exportations parallèles. La décision étendrait donc le champ d'application de l'article 85 de manière à y inclure également un refus de livraison unilatéral, qui, en principe, ne pourrait relever que de l'article 86 du traité.

18 En particulier, l'analyse de la Commission aurait pour effet de supprimer l'élément central de la notion d'accord au sens de l'article 85, à savoir la rencontre des volontés. Selon la thèse défendue par la Commission, un fournisseur désireux, comme la requérante, d'adopter des mesures strictement unilatérales, ne pourrait empêcher la survenance d'un "accord", même contre son gré, puisqu'il suffirait que le client modifie unilatéralement son comportement en matière de commandes. En outre, il y aurait accord, au sens de l'article 85, même lorsque le client modifie ce comportement uniquement en apparence et que sa conduite effective démontre au contraire clairement qu'il ne visait précisément pas à la conclusion de l'accord allégué. La décision irait ainsi sensiblement au-delà de la jurisprudence de la Cour et de la pratique actuelle de la Commission, laquelle considérerait d'ailleurs cette décision comme une "décision-test".

19 Enfin, la notion de "sanction" utilisée à l'article 2 de la décision serait imprécise. Elle pourrait englober la solution, déjà envisagée par la requérante, consistant à modifier son système de vente en vue d'endiguer les exportations parallèles. Dans le cadre d'une telle solution, Bayer mettrait fin aux livraisons aux grossistes et confierait cette fonction à ses propres filiales, situation qui ne relèverait pas de l'article 85. La requérante en déduit que l'article 2 ne peut pas être appliqué immédiatement, dans la mesure où son domaine d'application n'a pas été défini par la Commission.

20 Pour sa part, la Commission précise, liminairement, que le terme "sanction" vise les réductions de livraisons décrites dans la décision, ainsi que toute mesure qui produirait le même effet, à savoir faire respecter une interdiction d'exporter.

21 Elle soutient, par ailleurs, que les comportements incriminés dans la décision ne présentaient pas un caractère purement unilatéral, mais résultaient d'un concours de volontés entre, d'une part, Bayer Espagne et Bayer France et, d'autre part, leurs grossistes respectifs en Espagne et en France. Selon elle, un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, suppose un intérêt des deux parties à conclure cet accord, sans que cet intérêt leur soit nécessairement commun. En l'espèce, l'intérêt de la requérante aurait consisté à empêcher ou, du moins, à réduire les exportations parallèles. Celui des grossistes aurait consisté à éviter la réduction des livraisons d'Adalat.

22 L'existence d'un accord contenant une interdiction d'exporter serait attestée par les réductions de livraisons opérées par Bayer à l'égard des grossistes violant cet accord, en vue de les dissuader de continuer à exporter. En effet, Bayer aurait identifié, à l'aide d'un système de contrôle de la distribution, les grossistes en Espagne et en France qui exportaient dans d'autres États membres et aurait réduit considérablement leur approvisionnement. Ces réductions auraient été appliquées automatiquement dès qu'un grossiste enfreignait l'interdiction d'exporter. Contrairement aux allégations de la requérante, elles n'auraient pas été fondées sur une quantité de référence fixée, par grossiste, en début d'exercice, en fonction de la quantité fournie l'année précédente, augmentée de 10 %. Pour certains grossistes, comme CERP Lorraine ou Hefame, les livraisons auraient été réduites sur la base de l'année précédente, sans supplément de 10 %. Pour d'autres, comme Hufasa et Cofares, elles auraient été réduites en deçà de la couverture des besoins du marché national.

23 Les grossistes auraient eu parfaitement connaissance du motif de ces refus de livraison et auraient tacitement accepté l'interdiction d'exporter. Leur adhésion à cette interdiction serait, en particulier, démontrée par la réduction des quantités qu'ils commandaient auprès de Bayer Espagne et de Bayer France en vue de s'aligner sur les chiffres que ces filiales considéraient, à la suite de négociations avec leurs clients, comme normaux pour l'approvisionnement du marché national. L'existence d'un accord serait confirmée par le fait que, selon la Commission, certains grossistes ont essayé d'obtenir des livraisons plus importantes par des moyens détournés, précisément parce qu'ils devaient s'engager à l'égard de Bayer à ne pas exporter et, par conséquent, commander des quantités réduites et non exportables.

24 Tout comme dans l'affaire Sandoz (arrêt de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz prodotti farmaceutici-Commission, C-277-87, Rec. p. I-45 publication sommaire), dans laquelle les distributeurs avaient accepté tacitement une interdiction d'exporter afin d'être admis en tant que partenaires commerciaux, l'interdiction d'exporter aurait constitué l'un des éléments essentiels des relations commerciales continues entre Bayer et ses grossistes en Espagne et en France. En outre, les faits en cause en l'espèce seraient similaires aux circonstances à la base de la décision 80-1283-CEE de la Commission, du 25 novembre 1980, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-29.702: Johnson & Johnson, JO L 377, p. 16), dans laquelle les distributeurs avaient accepté, à partir du 1er janvier 1977, l'interdiction non écrite d'exporter imposée par le fabricant, qui appliquait un système de contrôle et menaçait de suspendre ou de retarder l'approvisionnement des exportateurs parallèles.

Sur l'urgence

25 La requérante fait observer que l'exécution immédiate de l'article 2 de la décision l'obligerait à honorer toutes les commandes émanant d'un grossiste procédant à des exportations et entraînerait un accroissement considérable du commerce parallèle. La part représentée par les importations parallèles dans la consommation totale d'Adalat au Royaume-Uni, qui atteignait déjà près de 50 % en 1993, deviendrait supérieure à 75 %, en raison du grand intérêt des grossistes en Espagne et en France à obtenir des livraisons supplémentaires destinées à l'exportation. La Commission aurait rapporté que cet intérêt est tel que les commandes d'Adalat ont augmenté en peu de temps de 300 % par rapport aux quantités fournies par le passé et qu'un grossiste a commandé à lui seul environ 50 % de la consommation totale en Espagne. En outre, l'obligation de livraison imposée par la disposition en cause ne serait vraisemblablement pas appliquée uniquement aux produits litigieux, mais également à tous les autres produits de la requérante ainsi qu'à ceux des autres producteurs pharmaceutiques. Elle entraînerait nécessairement une très forte croissance du commerce parallèle en ce qui concerne les principaux produits de la requérante. Tous les marchés nationaux seraient alors approvisionnés avec des produits en provenance des États membres dans lesquels les autorités sanitaires nationales compétentes fixent les prix au niveau le plus bas, l'écart de prix atteignant jusqu'à 100 %. L'approvisionnement prépondérant des différents marchés nationaux à partir des "pays à prix bas" affecterait de manière irréparable le système de distribution de la requérante, qui possède actuellement des filiales dans pratiquement tous les États membres. Enfin, la requérante subirait des pertes de chiffre d'affaires annuel susceptibles d'atteindre, uniquement pour ses produits principaux, environ 240 millions de DM.

26 En particulier, si 75 % du marché du Royaume-Uni était approvisionné en produits Adalat par des grossistes établis en Espagne, il en découlerait, en supposant une différence de prix de 30 %, une perte de chiffre d'affaires annuel de Bayer UK d'environ 100 millions de DM et une perte de résultat de 30 millions de DM pour la requérante. Cela priverait de tout fondement économique la structure de distribution mise en place par Bayer au Royaume-Uni. La requérante serait contrainte de licencier une grande partie des salariés de Bayer UK, qui emploie plus de 540 personnes dans sa branche pharmaceutique. Elle perdrait un personnel qualifié et l'accès direct à la clientèle, qui est le résultat d'un travail s'étendant sur plusieurs décennies. Une telle perte serait irréparable à court terme. Pour l'ensemble de ces raisons, l'exécution immédiate de la disposition en cause de l'article 2 de la décision lui causerait un préjudice économique disproportionné et irréparable.

27 La requérante conteste l'argument de la Commission selon lequel il lui suffirait de baisser ses prix au Royaume-Uni de manière à concurrencer les produits Adalat importés d'Espagne ou de France. Les prix pratiqués au Royaume- Uni seraient soumis à un contrôle des bénéfices par le National Health Service (service de santé national du Royaume-Uni, ci-après "NHS"). La requérante fait valoir qu'une réduction de prix dans ce pays aurait les mêmes conséquences désastreuses qu'une augmentation massive des importations parallèles. Elle conduirait à des pertes de chiffre d'affaires et de résultat qui compromettraient l'existence de la branche pharmaceutique de Bayer UK Par ailleurs, l'article 85 n'habiliterait pas la Commission à contraindre la requérante à baisser ses prix. En tout état de cause, la seule question déterminante serait de savoir si l'exécution immédiate conduirait à une modification irréparable du statu quo au préjudice de la requérante. La question de savoir si celle-ci, comme le soutient la Commission, ferait encore des bénéfices suffisants en cas d'exécution immédiate de cette disposition serait dénuée de toute pertinence.

28 Selon la Commission, les allégations de la requérante relatives à l'urgence reposent sur une mauvaise compréhension de l'article 2 de la décision. Cet article viserait uniquement les accords de non-exportation entre la requérante et ses grossistes en Espagne et en France Bayer ne serait donc pas tenue d'approvisionner chaque grossiste de manière illimitée. Elle pourrait restreindre ou annuler ses livraisons dans la mesure où elle n'agirait pas ainsi pour sanctionner des exportations.

29 La requérante, à qui incomberait la charge de la preuve, n'aurait avancé aucun élément permettant d'établir, premièrement, que l'application immédiate de la disposition en cause de l'article 2 de la décision entraînerait une hausse considérable des exportations parallèles vers le Royaume-Uni. D'après les statistiques produites par Bayer (annexe 3 à la demande en référé), ces importations auraient déjà plus que doublé de 1984 à 1993, de sorte que, dès 1993, elles représentaient près de la moitié des produits Adalat commercialisés au Royaume-Uni. En outre, depuis 1992, les exportations parallèles d'Adalat vers le Royaume-Uni ne seraient plus rentables pour les grossistes établis en France, en raison de la dévaluation de la livre sterling. Quant aux exportations à partir de l'Espagne, même si elles correspondaient à un dixième des produits vendus par la requérante en Espagne, elles ne représenteraient, en raison de la taille plus réduite du marché espagnol, qu'une faible partie de l'ensemble des exportations parallèles vers le Royaume-Uni. La Commission en conclut que les exportations parallèles à partir de l'Espagne n'ont jamais été importantes et que celles à partir de la France ne le sont plus aujourd'hui.

30 Deuxièmement, la requérante n'aurait pas démontré que le sursis à exécution sollicité est nécessaire pour éviter le risque de préjudice qu'elle allègue. En effet, Bayer UK pourrait éviter l'augmentation massive des importations parallèles en réduisant ses prix à un niveau même nettement supérieur aux prix pratiqués en Espagne et en France, compte tenu des coûts de transport et de conditionnement supportés par les importateurs parallèles, de sorte qu'elle réaliserait des gains encore suffisants. Le seul préjudice éventuel consisterait alors dans une diminution de ses profits. A cet égard, la Commission souligne que la requérante détient, au Royaume-Uni, des parts de marché élevées, dépassant respectivement 16 et 19 % en ce qui concerne deux des principaux produits de la gamme Adalat. Il serait donc improbable que Bayer UK puisse être évincée à court terme du Royaume-Uni, d'autant qu'elle commercialise d'autres produits dans ce pays.

Sur la balance des intérêts

31 La requérante estime qu'elle justifie d'un intérêt prépondérant au sursis à l'exécution de la disposition en cause de l'article 2 de la décision, afin d'éviter un préjudice irréparable et disproportionné et de maintenir le statu quo économique. Le sursis à exécution sollicité n'aurait aucune incidence sur la situation actuelle des importations parallèles, les grossistes établis en Espagne et en France restant libres d'exporter l'intégralité ou une partie des produits Adalat achetés auprès de Bayer Espagne et Bayer France.

32 A l'inverse, il n'y aurait aucun intérêt communautaire prédominant à l'exécution immédiate de l'article 2 de la décision. Les exportations parallèles vers le Royaume-Uni bénéficieraient essentiellement aux grossistes qui réaliseraient des profits disproportionnés, inattendus et exceptionnellement élevés ("wind-fall-profits"). Alors que, pour les ventes à destination de leurs clients traditionnels en Espagne et en France, la marge commerciale des grossistes s'élèverait à environ 12 %, cette marge serait doublée pour les exportations parallèles d'Adalat vers le Royaume-Uni.

33 L'avantage "indirect" qui résulterait, pour les consommateurs du Royaume- Uni, du fait qu'une partie des rabais bénéficie au NHS, serait marginal. Les consommateurs devraient payer le même prix, que les produits proviennent de Bayer UK ou d'une importation parallèle, puisque le NHS, qui exerce pratiquement un monopole de l'achat des produits pharmaceutiques au Royaume-Uni, accorde en principe le même remboursement pour un produit donné, quelle que soit son origine.

34 Enfin, il y aurait lieu de tenir compte du fait que la décision constitue une "décision-test" dont le fondement juridique serait plus que douteux et dont le résultat ne devrait pas être accepté avant que le Tribunal n'ait statué dans l'affaire au principal.

35 La Commission objecte que l'intérêt de la requérante doit être mis en balance avec l'intérêt général et les intérêts des autres personnes affectées. Le sursis à exécution demandé nuirait non seulement aux intérêts des exportateurs parallèles, qui se limiteraient à utiliser légitimement les opportunités du marché unique, mais également à ceux du NHS et, par voie de conséquence, des consommateurs et contribuables du Royaume-Uni, eu égard au système de récupération par le NHS, sur la base d'un calcul annuel et au titre d'une action en remboursement appelée "claw-back", d'une partie des rabais accordés par les grossistes aux pharmacies.

Appréciation du juge des référés

Sur le fumus boni juris

36 La disposition de l'article 2 de la décision, dont la requérante demande le sursis à exécution, vise à mettre fin à l'infraction constatée à l'article 1er, qui serait constituée par un accord entre, d'une part, Bayer Espagne et Bayer France et, d'autre part, leurs grossistes respectifs en Espagne et en France, contenant une interdiction d'exporter Adalat dans d'autres États membres. Cette disposition impose à la requérante d'indiquer dans une circulaire à envoyer aux grossistes en Espagne et en France, et dans ses conditions générales de vente applicables en Espagne et en France, que "les exportations sont permises au sein de la Communauté et ne sont pas sanctionnées".

37 Contrairement à ce que soutient la requérante, la notion de "sanction" visée à l'article 2 a été définie par la Commission. Elle doit être entendue par référence aux éléments constitutifs de l'infraction retenus par la décision. Elle recouvre donc uniquement les refus de livraison opposés à des grossistes identifiés comme exportateurs, afin de les dissuader de continuer à enfreindre l'interdiction d'exportation invoquée, ainsi que toute autre mesure qui produirait le même effet.

38 Il apparaît ainsi clairement que cette notion de "sanction" ne saurait englober tout refus de livraison motivé par la volonté de la requérante de limiter les exportations parallèles. Elle doit être interprétée en relation avec la notion d'"accord" retenue dans la décision.

39 Cette précision liminaire étant apportée, il est à noter que les thèses des parties s'opposent fondamentalement sur la qualification de la conduite incriminée dans la décision, consistant, pour la requérante, à réduire ses livraisons selon certaines modalités en vue de restreindre les exportations parallèles et, pour les grossistes, à s'adapter à ce comportement. La controverse porte sur la question de savoir si ces comportements participent ou non d'un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et relèvent, de ce fait, de l'application dudit article. Selon la requérante, les refus de livraison présentent un caractère purement unilatéral. D'après la Commission, ils constituent au contraire l'un des aspects d'un accord destiné à cloisonner les marchés nationaux.

40 A cet égard, il importe de rappeler que l'existence d'un accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, requiert la rencontre des volontés des parties, sans qu'il soit nécessaire que celles-ci aient exprimé leur consentement de manière formelle. Celui-ci peut également résulter, de manière implicite, du comportement clair et univoque des entreprises dans le cadre de relations commerciales continues (voir l'arrêt Sandoz prodotti farmaceutici/Commission, précité).

41 Au vu des thèses défendues par les parties, il y a lieu de souligner d'emblée que, en appliquant sous certaines conditions l'article 85, paragraphe 1, à des refus de livraison destinés à limiter les exportations parallèles, la Commission a adopté une décision de nature à soulever la question particulièrement délicate de savoir dans quelles circonstances un refus de vente est susceptible, lorsqu'il intervient dans le cadre de relations commerciales continues, de constituer l'un des aspects d'un accord contenant une interdiction d'exporter. Une telle question, relative à la détermination des éléments constitutifs d'un accord au sens de l'article 85 et, partant, à la délimitation du champ d'application de cet article et à sa portée, nécessitera un examen approfondi dans le cadre de la procédure au principal.

42 Au stade de la procédure de référé, les arguments de la requérante n'apparaissent pas, à première vue, comme manifestement privés de tout caractère sérieux.

43 La requérante reconnaît que les refus de livraison en cause visaient à endiguer les exportations parallèles en limitant les quantités livrées. Toutefois, le système d'information qu'elle appliquait aurait été uniquement destiné à identifier les grossistes dont les commandes avaient augmenté hors de proportion par rapport à celles de l'année précédente. Un tel comportement s'il était établi ne doit pas nécessairement être interprété, à lui seul, comme tendant à imposer une interdiction d'exporter aux grossistes. En effet, la requérante était en principe en droit d'organiser librement son système de distribution et de faire pleinement usage de sa liberté contractuelle dans la mise en œuvre de sa politique commerciale, sans être liée, au titre de l'article 85, paragraphe 1, par une obligation d'approvisionnement à l'égard de ses clients.

44 Dans ces conditions, il y a lieu d'examiner les objections formulées par la requérante à l'encontre de la thèse de la Commission, d'après laquelle le "système de contrôle de la distribution" (selon les termes employés dans un document de Bayer Espagne trouvé par la Commission dans les locaux de Bayer France, cité aux points 109 et 158 de la décision) mis en place par la requérante aurait été destiné à détecter les grossistes exportateurs en vue précisément de les "sanctionner" par des réductions de livraisons.

45 Si ce système de contrôle s'inscrivait bien dans le cadre de relations commerciales continues entre la requérante et ses clients, comme dans les affaires Sandoz et Johnson & Johnson, précitées, invoquées par la Commission, il ne comportait toutefois pas d'interdiction explicite d'exporter, à l'inverse de ces deux espèces.

46 Dans l'affaire Sandoz, la mention "exportation interdite" était apposée sur les factures, lesquelles ne constituaient pas de simples documents comptables, mais comportaient "des clauses détaillées et indispensables pour les commerçants professionnels et les relations commerciales générales existant entre Sandoz PF et ses revendeurs". La Cour a ainsi pu juger que cette clause d'interdiction d'exportation, acceptée tacitement par les clients, s'insérait dans le cadre général des relations commerciales suivies entre l'entreprise en cause et ses revendeurs (arrêt Sandoz prodotti farmaceutici/Commission, précité, points 9 à 12). Par ailleurs, dans l'affaire Johnson & Johnson, il ressort de la décision 80-1283, précitée, que l'interdiction d'exporter, qui, dans un premier temps, avait fait l'objet d'une disposition expresse figurant dans les listes de prix, avait été maintenue par la suite au moyen de menaces de suspension et de retard dans les livraisons. En pratique, l'entreprise en cause avait instauré un système de contrôle de ses clients en vue d'identifier les exportateurs grâce, notamment, à des achats-tests et à la numérotation des lots ainsi qu'à des découpures dans le mode d'emploi des produits livrés.

47 Dans la présente espèce, les faits ne révèlent pas de manière aussi claire et apparente, d'une part, que le système instauré par la requérante était destiné à contrôler la distribution de ses produits par ses clients en vue précisément de leur imposer une interdiction d'exporter et, d'autre part, que les grossistes avaient donné leur consentement tacite à une telle interdiction, dans le cadre de leurs relations commerciales suivies avec Bayer Espagne et Bayer France.

48 En particulier, les indices sur lesquels se fonde la décision ne paraissent pas, de prime abord, suffisants pour présumer que les grossistes ont interprété le comportement litigieux de la requérante comme une menace de réduction des livraisons, dans l'hypothèse où ils procéderaient à des exportations parallèles. Le fait qu'ils aient eu connaissance des motifs sous-tendant les refus de livraison qui leur étaient opposés par la requérante ne signifie pas nécessairement que les grossistes en avaient déduit une volonté de la requérante de leur imposer une interdiction d'exporter les produits livrés en contrôlant les exportations et en les "sanctionnant" par de nouvelles réductions des livraisons. A cet égard, il est à noter que, dans les documents cités par la décision, les grossistes ne font état ni d'une telle interdiction ni d'un système de contrôle destiné à détecter les exportations parallèles, qui aurait été instauré par la requérante en vue de leur imposer cette interdiction. Ils se réfèrent uniquement à la volonté de la requérante d'empêcher les exportations parallèles en limitant les livraisons.

49 De plus, le comportement des grossistes, lorsqu'ils ont été confrontés aux réductions de livraisons en cause, paraît, à première vue, plutôt suggérer qu'ils n'ont pas donné leur acquiescement tacite à l'interdiction d'exporter alléguée. En effet, l'examen sommaire des éléments du dossier fait apparaître que les grossistes n'ont pas modifié leur comportement en matière d'exportations, mais se sont limités à adapter la présentation de leurs commandes aux exigences de la requérante et à accepter, en apparence, de ne commander que les quantités que Bayer Espagne et Bayer France considéraient comme normales pour l'approvisionnement du marché national (point 183 de la décision). Ils ont en fait utilisé différents systèmes pour être livrés, en particulier un système de répartition, sur les différentes agences, des commandes destinées à l'exportation, et un système de commandes auprès de petits grossistes (point 182).

50 Il semblerait donc que l'accord entre la requérante et les grossistes ait uniquement porté sur le volume des commandes que passaient ces derniers. Un tel accord ne saurait en principe être interprété comme comportant implicitement une interdiction d'exporter. En effet, il n'imposait aucune restriction en ce qui concerne la destination des produits livrés. Les grossistes pouvaient privilégier, sous certaines conditions liées à la législation nationale applicable en matière de stocks minimaux de médicaments, les exportations d'Adalat au Royaume-Uni par rapport à l'approvisionnement de leur marché national (voir les points 203, premier alinéa, et 204 de la décision).

51 Cette analyse paraît confirmée par l'augmentation constante, de 1989 à 1993, des exportations parallèles à partir de l'Espagne et de la France, lesquelles couvraient, en 1993, près de 50 % des besoins du marché du Royaume-Uni en produits Adalat (voir les statistiques produites par la requérante à l'annexe 3 à la demande en référé et reprises par la Commission).

52 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que l'argumentation de la requérante relative à l'absence d'accord contenant une interdiction d'exporter, entre Bayer Espagne et Bayer France et leurs grossistes respectifs dans ces deux pays n'est pas, à première vue, manifestement privée de tout fondement, sans préjudice de l'appréciation qui sera portée dans le cadre du recours au principal. En toute hypothèse, l'examen des questions juridiques et factuelles extrêmement délicates soulevées par la décision en ce qui concerne la notion d'"accord" au sens de l'article 85, paragraphe 1, appartient au Tribunal statuant au fond.

Sur l'urgence

53 Pour ce qui est de l'urgence, la requérante a fait valoir un ensemble de circonstances de nature à établir le caractère grave et difficilement réparable ou, à tout le moins, disproportionné du préjudice qu'elle risque de subir en cas d'application immédiate de la disposition en cause, eu égard, en particulier, à la mise en balance des intérêts en présence.

54 Pour évaluer la gravité du préjudice allégué par la requérante, il y a lieu de tenir compte notamment du fait que de l'article 2 de la décision est susceptible d'être interprété, au regard des motifs de celle-ci, comme prohibant les refus de livraison visant à empêcher l'accroissement des exportations parallèles d'Adalat vers le Royaume-Uni, sur la base d'un système de contrôle dont la requérante soutient qu'il n'est pas destiné à exercer une pression sur les grossistes en vue de les dissuader d'exporter. Or, d'après une jurisprudence bien établie, si un refus de vente peut, dans certaines circonstances particulières bien précises, s'inscrire dans le cadre d'un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1 (voir notamment l'arrêt de la Cour du 17 septembre 1985, Ford/Commission, 25-84 et 26-84, Rec p. 2725, points 20 à 22), il n'en demeure pas moins que, dans ce domaine, la liberté contractuelle doit demeurer la règle, comme l'a rappelé le Tribunal dans son arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission (T-24-90, Rec. p. II-2223, points 51 et 52). En l'espèce, si la thèse de la requérante devait être reconnue fondée par le Tribunal, l'application immédiate de la disposition en cause risquerait de priver l'intéressée de la possibilité de définir de manière autonome certains éléments essentiels de sa politique commerciale. En tout état de cause, elle créerait une incertitude en ce qui concerne la latitude dont dispose la requérante dans la définition de cette politique, compte tenu notamment de la difficulté de déterminer, au regard des critères retenus dans la décision, si un refus de livraison constitue l'un des aspects d'un accord contenant une interdiction d'exporter ou s'il représente une mesure unilatérale.

55 Or, une situation de ce type serait tout spécialement susceptible de causer un grave préjudice à la requérante dans le contexte du secteur pharmaceutique, qui se caractérise par la mise en œuvre, par les services de santé nationaux, de mécanismes de fixation ou de contrôle des prix et de modalités de remboursement engendrant de fortes disparités dans les prix pratiqués, pour un même médicament, dans les divers États membres. En l'occurrence, la requérante ne détient pas la maîtrise de ses prix dans les pays d'exportation, l'Espagne et la France, où les prix des produits Adalat sont fixés par les autorités compétentes à un niveau, en moyenne, inférieur actuellement d'environ 40 % à celui des prix appliqués au Royaume-Uni, ainsi qu'il est constant entre les parties.

56 Dans ces conditions, le risque d'un accroissement sensible des importations parallèles d'Adalat au Royaume-Uni, en cas d'application immédiate de la disposition en cause, ne saurait être écarté. A cet égard, les arguments invoqués par la Commission pour démontrer que les grossistes en Espagne et en France n'auraient plus aucun intérêt à augmenter le volume de leurs exportations vers ce pays ne sont guère convaincants. D'une part, il est constant que (voir ci- dessus point 51) près de 50 % des besoins du marché du Royaume-Uni était couvert en 1993 par des exportations parallèles d'Adalat, situation qui témoigne bien de l'intérêt des clients de la requérante en Espagne et en France pour de telles opérations. D'autre part, les différences de prix constatées sur les marchés nationaux concernés sont de nature à maintenir cet intérêt. Quant aux allégations de la Commission selon lesquelles la dimension plus réduite du marché espagnol rendrait impossible un accroissement sensible des exportations parallèles à partir de ce pays, elles sont en réalité sans relation pertinente avec l'existence d'un potentiel d'exportations supplémentaires à destination du Royaume-Uni. Un tel potentiel peut en effet entraîner une augmentation sensible de l'activité d'un grossiste indépendamment des besoins du marché national. En toute hypothèse, les allégations de la Commission apparaissent en contradiction avec certains motifs de la décision qui font état, par exemple, de restrictions auxquelles se heurteraient encore aujourd'hui les grossistes établis en Espagne désireux d'exporter au Royaume-Uni (voir, notamment, le point 215). S'agissant, enfin, de la dévaluation de la livre sterling, qui, depuis 1992, aurait privé de tout intérêt commercial les exportations à partir de la France, elle n'exclut nullement une évolution des parités monétaires dans le temps, comme le relève d'ailleurs la décision (point 195). En toute hypothèse, la Commission a elle- même constaté que, depuis 1992, rien n'indique "un changement dans le comportement des grossistes" (point 217).

57 Dans ce contexte, l'affirmation de la Commission, selon laquelle la requérante aurait la possibilité d'agir elle-même sur les importations parallèles au Royaume-Uni au moyen d'une baisse concurrentielle des prix pratiqués par Bayer UK, doit être tempérée par le fait que l'intéressée ne détermine pas elle-même les prix appliqués dans les pays d'exportation, où ils sont fixés par l'autorité publique.

58 Il convient donc de procéder à une mise en balance de l'ensemble des intérêts en présence, en vue d'apprécier si la condition relative à l'urgence est remplie.

59 En l'occurrence, la requérante justifie d'un intérêt au sursis à exécution sollicité en vue de préserver sa liberté contractuelle (voir ci-dessus points 43 et 54) et de maintenir le statu quo. Sous ce dernier aspect, la nécessité dans laquelle la requérante pourrait se trouver de baisser les prix d'Adalat au Royaume-Uni, en vue d'éviter un accroissement sensible des importations parallèles, risque non seulement d'entraîner, pour sa filiale au Royaume-Uni, d'importantes pertes, non récupérables, de bénéfice, mais également de priver la branche pharmaceutique de cette filiale de sa base économique et de provoquer le licenciement de nombreux salariés. En effet, il est constant qu'Adalat représente 56 % du chiffre d'affaires total de Bayer UK.

60 Le risque auquel est exposé la requérante doit être mis en balance, avec d'une part, l'intérêt des grossistes en Espagne et en France à augmenter le volume de leurs exportations au Royaume-Uni, dans le cadre d'un marché unifié et, d'autre part, celui du NHS ainsi que des consommateurs et des contribuables du Royaume-Uni à une réduction des prix d'Adalat sur le marché national. La confrontation des divers intérêts en présence fait apparaître que le préjudice susceptible de résulter, pour la requérante, de l'application immédiate de la disposition en cause présente un caractère disproportionné par rapport à l'intérêt des grossistes établis en Espagne et en France à augmenter leurs exportations.En effet, ceux-ci opèrent d'ores et déjà sur des marchés nationaux qui sont loin d'être entièrement cloisonnés par la politique commerciale litigieuse de la requérante, comme en atteste le niveau des importations parallèles d'Adalat au Royaume-Uni. A cet égard, il a déjà été constaté (voir, ci-dessus, points 51 et 56) que, en 1993, ces importations parallèles couvraient près de 50 % des besoins du marché du Royaume-Uni. Il ressort d'ailleurs du dossier que le flux de ces importations s'est accru pendant la durée même de l'infraction alléguée, de 1989 à 1993. Il en résulte que le maintien à titre provisoire de la situation actuelle, aussi longtemps que le Tribunal n'aura pas statué sur la demande au principal, ne saurait être considéré comme une entrave intolérable à l'intégration du marché et au libre jeu de la concurrence. Quant à l'intérêt du NHS et, en dernière analyse, des consommateurs et contribuables du Royaume-Uni, il y a lieu de rappeler que les prix actuellement appliqués par Bayer UK, qui sont supérieurs à ceux fixés par les autorités espagnoles et françaises, sont, en tout état de cause, soumis, au Royaume-Uni, à un contrôle indirect par les autorités compétentes, ainsi qu'il ressort de la décision (point 151).

61 Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent que la balance des intérêts penche nettement en faveur de la requérante, de sorte que le risque de préjudice pour le moins disproportionné auquel elle serait exposée, dans l'hypothèse où le juge des référés déciderait de ne pas accorder le sursis à exécution sollicité, suffit à établir l'urgence de l'adoption de la mesure demandée.

62 Les conditions d'octroi d'un sursis à exécution étant ainsi réunies, il y a lieu de faire droit à la demande de la requérante.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) Il est sursis à l'exécution de l'article 2 de la décision.

2) Les dépens sont réservés.