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Décisions

CA Agen, 1re ch., 22 janvier 1996, n° 94001145

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Scaex Vertou (SA), BCM France (Sté), Coppa LGM France (Sté), Fordis (Syndic), ITM (SA), STM (Sté), Stime (SA), Union nationale des Mousquetaires

Défendeur :

Franjean (Sté), Dervaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourcheraud

Conseillers :

Mmes Coleno, Girot

Avoués :

SCP Tandonnet, Me Burg

Avocats :

Mes Jauffret, Despieghelaere.

T. com. Villeneuve, du 17 juin 1994

17 juin 1994

Par arrêt du 8 novembre 1994, la Cour d'appel d'Agen a infirmé du chef de la compétence un jugement du Tribunal de commerce de Villeneuve-sur-Lot qui s'était déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris, et a évoqué le fond de l'affaire.

Faits et procédure

M. Dervaux PDG de la société Franjean a signé le 2 janvier 1990 un contrat de franchise avec la société ITM comprenant une clause d'exclusivité au profit de la société BCM, en vue de l'exploitation d'un commerce à l'enseigne Bricomarché (Intermarché) à Villeneuve-sur-Lot.

La société BCM poursuit auprès de la société Franjean le règlement de marchandises livrées à celles ci.

Les sociétés Scaex, ITM, UNM, Stime, Coppa, STM, apparentées au groupement Intermarché réclament également le règlement de prestations diverses qu'elles ont assumées auprès de la société Franjean.

Pour plus amples exposés des prétentions et parties, la cour se réfère expressément aux multiples écritures successivement déposées par les parties, et à leurs notes en délibéré, déposées sur demande exprès de la cour.

Prétentions des parties

Les demandes principales présentées à la cour sont les suivantes :

La société BCM demande la condamnation de la société Franjean à lui payer 747 385 F avec intérêt légal au jour de l'assignation ;

La société Stime demande la somme de 136 540,95 F.

La société ITM demande la somme de 212 518,93 F,

La société UNM demande la somme de 47 441,78 F,

la société STM demande la somme de 29 239,74 F,

La société Fordis demande la somme de 2 134,80 F.

Elles demandent en outre 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Franjean et M. Dervaux concluent à titre principal à la nullité du contrat du 2 novembre 1990, ils demandent reconventionnellement la condamnation de la société ITM à leur restituer la somme de 715 105,88 F au titre des redevances indûment versées, et le déblocage à leur profit des sommes consignées à la Carpa depuis janvier 1994.

Ils demandent en outre la condamnation conjointe et solidaire de ITM et de BCM France à leur payer 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts et 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

1°) Sur la validité du contrat souscrit le 2 novembre 1990

Les intimés font grief à ce contrat de n'avoir pas date certaine en raison de la surcharge affectant la date qu'il comporte, d'avoir été établi en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1989 dite loi Doubin, ils relèvent encore que le prix des marchandises vendues ne serait pas déterminable et qu'enfin il comporterait une clause d'approvisionnement exclusif contraire aux dispositions du traité de Rome.

a) sur la date du contrat.

S'agissant de la preuve d'un contrat de nature commerciale, les règles civiles relatives à la date certaine de l'acte de même que les dispositions de l'article 1325 du Code civil, relatives aux originaux multiples ne sont pas applicables.

Le contrat a été souscrit entre la société Derveaux et la société BCM agissant en qualité de mandataire de la société ITM.

Le contrat porte toutefois la signature du représentant de la société ITM.

Le mandant, la société ITM, ayant ainsi directement souscrit avec M. Derveaux les engagements litigieux, l'absence de signature de la société BCM est sans portée en ce qui concerne les rapports Franjean/ITM.

Les premiers juges ont exclusivement tranché le problème de compétence et n'ont pas tranché le fond du litige.

Les sociétés ITM et BCM étaient toutes deux représentées en première instance, et l'exception de nullité présentée par la société Franjean, qui tend à faire écarter les demandes en paiement présentées contre elles, et la demande en restitution, qui a un caractère reconventionnel, sont toutes deux recevables par application des articles 564 et 567 du nouveau Code de procédure civile.

Le dossier des appelants comporte un exemplaire du contrat de franchise portant la mention manuscrite 02/01/1990.

En cours de délibéré, les parties se sont expliqués sur un exemplaire portant la même date manuscrite, mais où le zéro précédant le quantième du jour est surchargé.

M. Derveaux soutient désormais que la date du 2 janvier entachée de cette incertitude ne peut être prise en considération, alors au surplus qu'il n'avait pas à la date du 2 janvier qualité pour engager la société Franjean, puisqu'il n'a acquis les actions de la société Franjean que le 8 janvier 1990.

La cour observe toutefois que la société Franjean a pris des écritures communes avec M. Derveaux, et que la société Franjean ne parait pas avoir dénoncé, dans ses rapports avec Derveaux, la qualité de celui-ci à engager la société.

Bien au contraire la mise à exécution ultérieure du contrat de franchise notamment par le versement de redevance, démontre que la société Franjean a ratifié l'engagement, et le défaut de qualité de M. Derveaux ainsi régularisé n'est donc pas une cause d'annulation du contrat.

Par voie de conséquence, et puisque M. Derveaux a pu avec l'accord de la société Franjean, anticiper sur ses pouvoirs de représentation, la date du 2 janvier 1990 portée sur le contrat ne révèle aucune impossibilité de droit ou de fait.

L'existence d'un précédent contrat de franchise souscrit le 21 mai 1986 ne faisait pas obstacle à la signature d'un nouveau contrat en substitution de ce précédent contrat, elle n'est pas de nature à porter atteinte à la validité du contrat litigieux.

Il apparaît en définitive que les deux exemplaires d'acte versés aux débats sont concordants pour faire état de la date du 2 janvier 1990, qu'aucun élément ne laisse présumer que la surcharge apportée sur l'un des exemplaires ait pu être effectuée après l'apposition, par M. Derveaux de sa signature, qu'aucun autre élément ne permet sérieusement de suspecter que le contrat ait pu être signé à une autre date, dans ces conditions, la surcharge apportée sur un seul des exemplaires de l'acte ne suffit pas à démontrer que la date du 2 janvier est erronée.

Cette date sera donc retenue, dès lors, les dispositions de la loi du 31 décembre 1989, publiée le 2 janvier 1990, n'étaient applicables qu'un jour franc près sa promulgation et ne pouvaient régir rétroactivement les conditions de souscription du contrat signé le 2 janvier 1990.

Les sociétés BCM et autres ont fondé à titre principal leur action sur le contrat du 2 janvier 1990, le succès de leur prétention rend donc sans objet l'examen de l'action fondée sur un contrat signé le 21 mai 1986, compte tenu du caractère subsidiaire de cette prétention.

b) La régularité du contrat au regard du caractère déterminable du prix et de la clause d'exclusivité.

- le défaut de détermination du prix.

Le contrat dont il s'agit est un contrat cadre de distribution commerciale, avec clause d'exclusivité.

L'article 8 du contrat relatif à l'approvisionnement stipule que les prix sont fixés "aux conditions de prix des catalogues cadenciers, et aux conditions de paiement contractuellement fixées".

La société Franjean soutient que la clause qui prévoit la fixation du prix par référence au catalogue du fournisseur est nulle en raison de son caractère potestatif.

Les sociétés BCM et autres soutiennent de leur côté que la fréquence des tarifs cadenciers est établie en accord avec les franchisés eux-même, que les prix sont fixés après visite chez les concurrents, que le fonctionnement du contrat de franchise n'a d'ailleurs pas été critiqué par le franchisé et que celui-ci a fait librement usage de la "clause d'évasion" qui lui permet de se libérer de son engagement exclusif en apportant la preuve d'une possibilité d'approvisionnement à un meilleur rapport coût qualité en tenant compte pour cette appréciation du service global complet et étalé dans le temps.

Elle soutient que faute de preuve d'un abus de sa part de l'exclusivité dont elle bénéficiait, la référence à ces tarifs constitue un mode valable de détermination du prix.

L'article 1129 du Code civil n'est pas applicable à la détermination du prix, et l'indétermination du prix dans la convention cadre initiale n'affecte pas sauf disposition légale particulière la validité de celle-ci, le procédé de la fixation des futurs prix ne relève que du contentieux de l'exécution contractuelle et ne peut le cas échéant qu'engager la responsabilité contractuelle de la partie défaillante, en ouvrant une action en résiliation ou en indemnisation.

Au demeurant, le procédé de fixation du prix par référence au futur barème du fournisseur est un procédé en lui-même licite, et seul l'abus dans cette fixation du prix peut donner lieu à résiliation ou indemnisation.

Il en résulte que l'action de la société Franjean, visant à l'annulation du contrat cadre pour indétermination du prix ne peut en aucune façon prospérer.

Au surplus, les intimés ont longuement développé dans leurs écritures signifiées le 9 décembre 1994 les conditions d'élaboration de leur tarifs, en partenariat avec leurs adhérents.

Ces énonciations ne sont pas contredites par les appelants qui ne démontrent aucun abus, ni même aucun procédé de nature à établir que ces tarifs sont établis de mauvaise foi par le fournisseur.

La demande en restitution des redevances pour exécution fautive du contrat ne peut donc davantage prospérer.

- la validité de la clause d'exclusivité.

La société Franjean et M. Derveaux soutiennent que la clause d'approvisionnement exclusif doit être annulée au regard de l'article 85 du traité de Rome et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Ils soutiennent qu'une telle clause ne peut se justifier que dans la perspective de la protection de l'identité et de la réputation d'un réseau, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque la convention prévoirait selon eux une clause complémentaire aux termes de laquelle le franchisé pourrait en administrant la preuve de certains faits s'approvisionner en d'autres points.

L'obligation d'approvisionnement exclusif a un effet restrictif de concurrence, elle est susceptible de relever à ce titre de l'interdiction de l'article 85-1 du traité de Rome.

Une telle clause reste cependant valable si elle est nécessaire à l'opération de franchise en cause et destinée à préserver la réputation du réseau.

En l'espèce toutefois, la cour ne peut que constater que la clause d'exclusivité impose une obligation d'achat exclusif auprès de BCM fournisseur.

Cependant aucun des deux exemplaires du contrat signé le 2 janvier 1991, ne comporte la signature de BCM.

Dès lors, la cour s'interroge sur la portée contractuelle de ce document, dans les rapports entre la société BCM et la société Franjean, tant en ce qui concerne la clause d'achat exclusif, que l'opposabilité de la clause de détermination du prix par référence aux tarifs.

La société Franjean ayant dès l'origine contesté la valeur contractuelle de l'acte du 2 janvier 1990, le litige sur la valeur et la portée des engagements souscrits par la société Franjean auprès de la société BCM est nécessairement en germe dans le débat, et impose à la cour de parfaire le débat contradictoire sur ce point.

Les parties seront donc invitées à s'expliquer sur ce point.

2°) Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

Les appelants sollicitent la condamnation des intimés au paiement de la somme de 1 000 000 F en raison d'un "défaut d'appui logistique du groupe".

Aucun élément de preuve ne vient étayer cette demande, fondée sur de simples affirmations, les manquements prétendus des sociétés BCM et ITM ne sont ni identifiés, ni à fortiori établis.

Cette demande sera rejetée.

3°) sur les demandes des sociétés ITM, Fordis, Coppa, LGM, STM, Stime, UNM.

Les appelants contestent de façon globale ces factures en soutenant qu'aucune commande n'a été enregistrée, ou honorée.

Les écritures des intimés prises devant la cour n'identifient aucune facture, et ne font expressément référence à aucune pièce cotée de telle sorte que la cour n'est pas en mesure d'opérer la vérification du bien fondé de leurs prétentions.

Les parties seront également invitées à préciser ces points.

Enfin, et pour restructurer le débat, qui s'est dilué dans l'échange de multiples conclusions, les parties seront invitées par application de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, à établir des conclusions récapitulatives.

Par ces motifs, LA COUR, Dit que le contrat de franchise susceptible de recevoir application est daté du 2 janvier 1990, Rejette d'ores et déjà la demande d'annulation fondée sur l'indétermination du prix, Rejette la demande en restitution de redevances présentée par M. Dervaux et la société Franjean, et la demande en paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts, Avant dire droit sur les autres demandes en paiement, Invite les parties à conclure sur l'opposabilité à l'égard de BCM du contrat du 2 janvier 1990, et à s'expliquer sur les conditions tarifaires applicables à l'approvisionnement et à s'expliquer sur les justificatifs des demandes en paiement des sociétés Stime, STM, ITM, UNM, Fordis, Enjoint aux parties par application de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, d'établir des conclusions récapitulatives, Renvoie le dossier à la mise en état du 6 février 1996, réserve les dépens.