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Décisions

Conseil Conc., 19 décembre 1995, n° 95-D-84

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Marché de la fourniture de pain à certaines collectivités publiques de Franche-Comté

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Marie-Hélène Mathonnière, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, vice-président, M. Rocca membre, désigné en remplacement de M. Jenny, empêché.

Conseil Conc. n° 95-D-84

19 décembre 1995

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 25 mars 1991 sous le numéro F 399, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'il estime anticoncurrentielles sur le marché de la fourniture de pain à certaines collectivités publiques de Franche-Comté ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ; Vu la lettre du président du Conseil de la concurrence en date du 20 octobre 1995 notifiant aux parties et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter l'affaire devant la commission permanente, en application de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et par les sociétés Bisonpain, Jurapain et Sopanif ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Bisonpain, Jurapain et Sopanif entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I - CONSTATATIONS

A - Le marché

A l'époque des faits quatre producteurs possédaient dans la région Franche-Comté la dimension de boulangeries industrielles : les sociétés Sofrapain, Sopanif, Jurapain et Bisonpain.

Par boulangerie industrielle, il faut entendre généralement des entreprises :

- traitant au moins 5 000 quintaux de farine par an ;

- utilisant des fours à sol mobile d'au moins 30 mètres carrés ;

- employant au moins 20 salariés ;

- vendant au détail moins de 30 p. 100 de leur production.

La fabrication de pain frais par ces boulangeries industrielles était principalement destinée à trois catégories de clients : les grandes surfaces, les professionnels de la restauration et les collectivités publiques. Le pain frais nécessitant des livraisons quotidiennes, les lieux de production ne doivent pas être trop éloignés des lieux de livraison. La société Sopanif, qui était la plus importante boulangerie industrielle de la région, livrait dans un rayon maximal de 100-120 kilomètres à partir de l'usine d'Exincourt au moyen de trente véhicules spéciaux. Compte tenu des contraintes de transport, le marché du pain frais ne peut avoir, en conséquence, qu'une dimension locale.

La société Montbéliardaise de Panification (Sopanif, située dans le Doubs) a réalisé en 1989 un chiffre d'affaires global de 80 millions de francs, dont 20 millions en pain frais, les ventes de pain frais aux collectivités publiques représentant 7 p. 100 de ce dernier chiffre.

Le Tribunal de grande instance de Montbéliard, statuant commercialement, a prononcé par jugement du 15 juin 1993 l'ouverture du redressement judiciaire de la société Sopanif, puis par jugement du 24 janvier 1995, a arrêté un plan de cession de la société. Le tribunal a ordonné la cession de l'activité de fabrication à la SARL Le Fournil, et la cession de l'activité de commercialisation à la SA Le Fournil Bisontin. Cette dernière société a pris la dénomination "SNE Sopanif SA ".

La société Sofrapain, dont le siège social est à Vaux-en-Velin dans le Rhône, est filiale à 99 p. 100 du groupe anglais RHM Overseas Limited depuis 1973. A l'époque des faits, elle exploitait douze unités de production sur le territoire national, dont deux en Franche-Comté, l'une à Besançon l'autre à Belfort.

La société Sofrapain a réalisé en 1989 un chiffre d'affaires de 315 millions de francs. Les usines de Besançon et de Belfort ont réalisé ensemble en 1989 un chiffre d'affaires total de 42 millions de francs. Le chiffre d'affaires en pain frais des deux usines s'est élevé à 13,7 millions de francs. Les ventes aux collectivités publiques ont représenté respectivement 21 p. 100 et 8 p. 100 des chiffres d'affaires en pain frais des usines de Besançon et de Belfort.

En janvier 1990, la société Sofrapain a cédé à la société Sopanif le fonds de commerce de fabrication et de commercialisation de produits frais de boulangerie situé à Belfort et à la société Bisonpain le fonds de commerce de fabrication et de commercialisation de produits frais de boulangerie situé à Besançon, Sofrapain conservant l'activité et la commercialisation des produits surgelés de l'usine de Besançon.

La société Jurapain, située à Tavaux dans le Jura, a réalisé en 1989 un chiffre d'affaires de 17 millions de francs, dont 5,8 millions en pain frais, les ventes de pain frais aux collectivités publiques représentant 34 p. 100 de ce dernier chiffre.

La société Bisonpain, située à Besançon, a réalisé en 1989 un chiffre d'affaires global de 6 millions de francs, dont 4 millions en pain frais, les ventes de pain frais aux collectivités publiques représentant 45 p. 100 de ce dernier chiffre.

A compter du 1er février 1990, à la suite de la cession du fonds de commerce de Sofrapain situé à Besançon à la société Bisonpain, cette dernière s'est installée dans les anciens locaux de Sofrapain et a cédé, le 6 avril 1990, son fonds de commerce à M. Espinasse, son ancien directeur salarié.

B. - Les pratiques relevées

1. Par une lettre du 16 août 1989 adressée à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à Besançon, les responsables de l'unité de production de la société Sofrapain à Besançon estimaient qu'à l'occasion de l'appel d'offres lancé en novembre 1988 pour la fourniture de pain frais par le groupement d'achat des services extérieurs de l'Etat, les sociétés Sopanif, Jurapain et Bisonpain avaient mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles destinées à l'évincer de ce marché.

Au moment des faits, le groupement comptait 23 adhérents, principalement des lycées et collèges situés dans le Doubs et pour la majorité d'entre eux à Besançon. Le groupement a lancé le 10 novembre 1988 un appel d'offres pour la fourniture de pain frais (530 000 pains de 500 grammes). Il s'agissait d'un marché à commandes passé pour un an et renouvelable par tacite reconduction, sans que sa durée puisse excéder cinq ans. La période visée s'étendait du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1993. Le précédent titulaire du marché était la société Sofrapain.

Sur les dix-neuf fournisseurs consultés, cinq ont remis une offre. L'une d'entre elles n'étant pas conforme aux prescriptions du cahier des clauses particulières, restaient en compétition les offres émanant des sociétés Sofrapain, Sopanif, Jura-pain et Bisonpain.

Ces quatre sociétés étaient alors liées par les participations croisées suivantes :la société Sofita, société financière des Moulins de Parcey et des Moulins d'Audelange contrôlait, par des participations directes ou indirectes, les sociétés Bisonpain et Jurapain et détenait 14 p. 100 du capital de la société Sopanif.

Les sociétés Sopanif, Jurapain et Bisonpain avaient également des dirigeants communs : M. Lehtnann, président-directeur général de la société Sopanif était aussi directeur général de la société Bisonpain ; M. Sadosky était à la fois président-directeur général de Jurapain et de Bisonpain.

Les déclarations souscrites par ces trois sociétés, qui se sont présentées de manière indépendante, en réponse à l'appel d'offres du 1er novembre 1988 comportaient les signatures suivantes : pour la société Jurapain, M. Sadosky, président-directeur général ; pour la société Sopanif, M. Lehmann, président-directeur général ; pour la société Bisonpain, M. Espinasse, directeur. Au moment des faits, M. Espinasse était directeur salarié de la société Bisonpain.

Les prix de soumission de la société Sofrapain, titulaire du précédent marché, correspondaient selon M. Rolett, directeur régional de Sofrapain à l'époque des faits, aux prix du précédent marché actualisés par application des règles de révision des prix. La commission de dépouillement des offres a retenu l'offre la moins-disante, celle de la société Bisonpain.

Dans un procès-verbal d'audition du 15 mai 1990, M. Lehmann a déclaré : "En ce qui concerne le marché du groupement des écoles de Besançon, j'ai soumissionné au nom de Sopanif mais également par l'intermédiaire de la société Bisonpain. J'ai fait les deux soumissions ".

De son côté, M. Sadosky, dans un procès-verbal d'audition du 21 juin 1990 a déclaré aux enquêteurs : " A l'époque, Jurapain avait soumissionné au groupement des collèges. Une offre a également été faite par Bisonpain dont j'étais PDG et dont je connaissais la teneur ".

Au cours de son audition du 22 septembre 1989 par les enquêteurs, M. Espinasse, responsable salarié à la société Bisonpain a déclaré : " J'ai demandé avant le marché, à Sopanif et Jurapain de me fournir du pain en complément au cas où je serais titulaire du marché... Actuellement, je produis les 2/3 de mes livraisons, le solde est livré par Bisonpain avec des marchandises achetées auprès de Sopanif ". Ces propos ont été confirmés par M. Lehmann, qui a déclaré aux enquêteurs le 15 mai 1990 : " Sopanif a fourni les quantités nécessaires à la réalisation du marché ". L'examen des factures montre que Sopanif a vendu à Bisonpain 223 255 pains de 500 grammes, pour un marché de 530 000 pains.

Ces faits ont été également confirmés par M. Michel, à l'époque directeur général de Bisonpain, qui a déclaré aux enquêteurs : "Une partie du marché des écoles a été sous-traitée à Sopanif pour le pain de 500 grammes ". Il a ajouté : "Un plan de répartition du marché a été établi précédemment à l'appel d'offres. Sopanif nous proposait un prix de 1,90 F HT par pain de 500 grammes départ usine d'Exincourt ".

2. Les investigations du service d'enquête ont également porté sur l'approvisionnement des services municipaux (restaurants scolaires, crèches, logements foyers etc.) en denrées alimentaires pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1990, qui a fait l'objet d'un appel d'offres en octobre 1989, comportant un lot pour la fourniture de 69 000 pains de 400 grammes et 4 000 baguettes de 250 grammes. Le précédent titulaire de ce lot était la société Bisonpain. Deux offres ont été présentées émanant des sociétés Sofrapain et Bisonpain.

La commission d'ouverture des plis a attribué le marché à la société Bisonpain, moins-disante. La proposition de la société Bisonpain était supérieure de 24 p. 100 au prix qu'elle avait pratiqué dans le précédent marché.

3. L'acte de vente signé en janvier 1990 entre les sociétés Sofrapain et Bisonpain, en ce qui concerne l'usine de Besançon, contient une clause libellée de la façon suivante : " Sofrapain s'engage à s'interdire expressément la faculté de créer ou faire valoir, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce similaire en tout ou en partie à celui cédé, comme aussi d'être associé ou intéressé, même à titre de simple commanditaire dans un commerce de cette nature, pendant une durée de huit (8) ans, à compter du 1er janvier 1990 et sur toute l'étendue des départements du Doubs (25), du Jura (39) et de la Haute-Saône (70) ".

L'acte de vente signé en janvier 1990 entre les sociétés Sofrapain et Sopanif, en ce qui concerne l'usine de Belfort, contient une clause intitulée " Interdiction de concurrence " : " De son côté, Monsieur Schwoob, ès qualités interdit à la société venderesse expressément la faculté de créer ou faire valoir, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce similaire en tout ou en partie à celui présentement vendu, comme aussi d'être associée ou intéressée, même à titre de simple commanditaire, dans un commerce de cette nature, pendant une durée de huit (8) années à compter du premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix et sur toute l'étendue des départements du Doubs, du Jura, des Vosges, du Territoire de Belfort, de la Haute-Saône et du Haut-Rhin... " ;

De plus, l'acte de vente signé en avril 1990 entre la société Bisonpain et son ancien salarié M. Espinasse, en ce qui concerne la boulangerie sise 67 rue de Belfort à Besançon, contient une clause par laquelle : "L'acquéreur s'interdit de faire de la vente en gros, en particulier aux collectivités, aux grandes et moyennes surfaces, hôtels et restaurants et dépôts de pains, pendant dix ans et dans le département du Doubs ".

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECÈDENT,LE CONSEIL

En ce qui concerne l'imputabilité des pratiques :

Considérant qu'à la suite du jugement prononçant le redressement judiciaire de la société Montbéliardaise de Panification (Sopanif), les sociétés Le Fournil et Le Fournil Bisontin ont proposé un plan de cession qui a été adopté par le Tribunal de grande instance de Montbéliard, statuant commercialement par jugement du 24 janvier 1995 ; qu'en vertu de ce plan de cession, la société Le Fournil a acquis les éléments corporels, le matériel (véhicules non compris), l'ensemble des stocks et la société Le Fournil Bisontin, les éléments incorporels et les véhicules ; que les sociétés cessionnaires se sont engagées à maintenir les contrats de travail de soixante-huit salariés sur quatre-vingt-dix-sept, dont trente-huit pour la société Le Fournil et trente pour la société Le Fournil Bisontin qui a été autorisée à prendre la dénomination SNE Sopanif ; qu'ainsi ces deux sociétés, à travers les éléments de la société Montbéliardaise de Panification décrits dans le plan de cession précité, ont assuré la continuité économique et fonctionnelle de celle-ci, et bien qu'il soit constant que la société Le Fournil et la SNE Sopanif n'ont pris aucune part dans les pratiques relevées à l'égard de l'ancienne société Sopanif, c'est à bon droit qu'elles ont été mises en cause pour les pratiques auxquelles s'est livrée cette dernière ;

En ce qui concerne les pratiques relevées dans les marchés publics :

Considérant qu'il résulte des déclarations des dirigeants des sociétés Jurapain, Sopanif et Bisonpain mentionnées au I de la présente décision que des informations ont été échangées sur les prix de soumission ; qu'ainsi les sociétés Jurapain, Sopanif et Bisonpain se sont concertées deux à deux, préalablement au dépôt des offres lors de l'appel d'offres lancé par le groupement d'achat des services extérieurs de l'Etat et se sont abstenues de porter à la connaissance du coordonnateur du groupement d'achat les liens qui les unissaient ainsi que l'accord de sous-traitance destiné à fournir à Bisonpain les moyens nécessaires pour approvisionner l'ensemble des membres du groupement d'achat ; que la signature de la déclaration de la société Bisonpain par un responsable salarié pouvait laisser le coordonnateur dans l'ignorance du fait que M. Sadosky était à la fois président-directeur général des sociétés Jurapain et Bisonpain ;

Considérant que la société Jurapain fait valoir que son président exerçait à titre principal ses activités au siège de la société à Tavaux dans le Jura ; que même si les trois sociétés " ont des dirigeants communs ou des participations financières communes, elles n'en gardent pas moins une spécificité, une individualité et une administration financière et technique propre qui ne sauraient en aucun cas les assimiler à des filiales " ; que l'appel d'offres concernant des établissements situés dans le Doubs, il était légitime que la société Bisonpain, dont le siège est à Besançon, soit représentée par son directeur salarié dûment mandaté ; que l'absence d'information du coordonnateur n'est pas, en soi, constitutive d'une atteinte à la concurrence ;

Mais considérant quelorsque plusieurs entreprises ont étudié la possibilité d'établir entre elles des liens de donneur d'ordre à sous-traitant à l'occasion d'un marché et qu'elles présentent ensuite des offres distinctes en s'abstenant de mentionner les liens qui les unissent ou le fait qu'elles ont échangé des informations et tentent d'induire ou induisent en erreur l'acheteur public sur la réalité ou l'étendue de ses choix, de telles pratiques, qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant en premier lieu qu'il résulte des déclarations du coordonnateur du groupement d'achat qu'il n'avait pas connaissance "de la composition juridique des sociétés qui ont soumissionné pour l'obtention du marché du pain, qu'il ignorait que "les responsables juridiques de Bisonpain étaient également responsables dans les sociétés Jurapain et Sopanif" et " qu'il a pris connaissance des anomalies possibles dans la constitution du groupe Bisonpain lors des plaintes déposées par la société Sofrapain " ;

Considérant en second lieu que, dans son procès-verbal d'audition du 15 mai 1990, M. Lehmann, président du conseil d'administration de la société Sopanif à l'époque des faits avait déclaré aux enquêteurs : " Bisonpain a été créée pour contrer Sofrapain sur Besançon sur un plan général. Cette concurrence a pour origine l'attitude de Sofrapain dans les années 1983-1984 qui voulait anéantir Sopanif. Ils ont cassé les prix pour prendre des marchés, à titre d'exemple le marché des usines Peugeot oh Sofrapain a proposé des prix inférieurs de 40 p. 100 aux prix habituels " ; que de même, dans son procès-verbal d'audition du 15 mai 1990, M. Michel, directeur général dé la société Bisonpain à l'époque des faits, avait déclaré aux enquêteurs : " Sofrapain est allée concurrencer Sopanif dans le pays de Montbéliard, la réaction de Sopanif a été d'essayer de contrer Softapain sur Besançon " ; que ces pratiques, qui avaient pour objet et ont eu pour effet d'écarter la société Sofrapain de ce marché, sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la société Jurapain soutient par ailleurs que la cessation d'activité de la société Sofrapain dans le secteur du pain frais dans la région Franche-Comté a été prise par le conseil d'administration de Sofrapain le 15 novembre 1989 ; qu'en emportant le marché du groupement d'achat, la société Bisonpain a permis aux membres de ce groupement de bénéficier de prix avantageux ;

Mais considérant que si, selon les déclarations du directeur régional de Sofrapain à l'époque des faits : " La perte du marché des écoles de Besançon a été un élément, mais seulement un élément, de la vente de ces unités " et qu'il est constant que les prix obtenus par le groupement d'achat ont été effectivement inférieurs aux prix pratiqués par la société Sofrapain l'année précédente, il n'en demeure pas moins que les pratiques en cause ont permis l'année suivante à la société Bisonpain, en l'absence de concurrence effective, d'obtenir le marché des services municipaux à des prix supérieurs de 24 p. 100 à ceux qu'elle avait pratiqués l'année précédente ;

En ce qui concerne les clauses de non-concurrence :

Considérant que les sociétés le Fournil, SNE Sopanif et Bisonpain font valoir que les clauses de non-concurrence contenues dans les actes de vente conclus entre d'une part la société Sofrapain et l'ancienne société Sopanif et la société Bisonpain et d'autre part entre la société Bisonpain et son ancien salarié ne constituent pas de manière systématique des ententes prohibées et plus particulièrement lorsque ces clauses n'ont pas d'incidence directe sur le fonctionnement du marché ; que la clause de non-concurrence figurant dans les actes de vente relatifs à la cession des fonds de commerce de la société Sofrapain n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel, cette dernière s'étant désengagée de l'activité produits frais dans la région Franche-Comté ; que la clause de non-concurrence figurant dans l'acte de vente conclu entre la société Bisonpain et son ancien directeur salarié était de " la plus élémentaire prudence en raison des fonctions importantes occupées par M. Espinasse au sein de la société Bisonpain et de relations constantes qu'il a entretenues avec la cliente de la société Bisonpain " ;

Mais considérant que la clause de non-concurrence visant la société Sofrapain, si elle s'est trouvée dépourvue d'effet compte tenu de la stratégie du groupe auquel appartenait l'entreprise, était néanmoins destinée à consolider la répartition géographique de marché entre la société Jurapain, sise à Tavaux dans le Jura, la société Sopanif qui possédait des établissements à Exuncourt (Doubs), Montbéliard et Kinguesheim près de Mulhouse et la société Bisonpain, sise à Besançon ; que par la clause de non-concurrence figurant dans l'acte de vente signé avec M. Espinasse a été confortée une répartition géographique et de clientèle ; que ces clauses présentaient un objet et ont pu avoir un effet anticoncurrentiel ; qu'au surplus, en ce qui concerne la clause visant M. Espinasse, ni la nature du marché ni celle des activités considérées ne justifiaient la durée de dix ans;

Sur les suites à donner :

En ce qui concerne les sociétés Le Fournil et SNE Sopanif :

Considérant que la société Montbéliardaise de Panification (Sopanif), qui a été reprise par les deux sociétés ci-dessus mentionnées, s'est livrée à des pratiques concertées prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que toutefois, en application de l'alinéa 3 de l'article 62 de la loi du 25 janvier 1985, dont il résulte qu'un cessionnaire ne peut être tenu de charges non prévues dans le plan de cession, les sociétés repreneurs ne peuvent se voir infliger une sanction pécuniaire pour des faits antérieurs à la cession ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance : " Le Conseil de la concurrence (...) peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'une exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé on France au cours du dernier exercice clos (...) " ; qu'en application de 1' article 22, alinéa 2, de la même ordonnance, la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13, les sanctions infligées ne pouvant toutefois excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ;

En ce qui concerne la société Jurapain :

Considérant que la société Jurapain s'est livrée à des pratiques anti-concurrentielles prohibées à l'occasion de la passation d'un marché pour la fourniture de pain frais par le groupement d'achat des services extérieurs de l'Etat, marché d'un montant annuel de 1,3 million de francs reconductible pendant cinq ans et destiné à approvisionner les établissements scolaires du Doubs en denrée de première nécessité ; que cette entreprise a réalisé du 31 mars 1994 au 31 mars 1995, dernier exercice clos, un chiffre d'affaires en France de 24 344 000 F ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

En ce qui concerne la société Bisonpain

Considérant que la société Bisonpain s'est livrée à des pratiques anti-concurrentielles prohibées à l'occasion de la passation du même marché ; qu'elle a été le principal bénéficiaire de l'entente grâce à laquelle elle a obtenu ledit marché ; que la situation ainsi créée lui a permis également d'obtenir le marché passé pour la fourniture de pain frais par les services municipaux de Besançon, et d'augmenter ses prix de 24 p. 100 ; que cette entreprise a réalisé en 1994, dernier exercice clos, un chiffre d'affaires en France de 11 396 000 F ; que par jugement du 16 décembre 1991, le tribunal de commerce de Besançon a arrêté le plan de redressement organisant la continuation de cette société ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 60 000 F ;

Considérant que la clause de non-concurrence introduite dans le contrat de cession avec son ancien salarié expire en l'an 2000 ; que dès lors il y a lieu d'enjoindre à la société Bisonpain de supprimer cette clause de non-concurrence à compter de la notification de la présente décision ;

Décide :

Article 1 : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- 100 000 F à la société Jurapain ;

- 60 000 F à la société Bisonpain.

Article 2 : - Il est enjoint à la société Bisonpain de supprimer à compter de la notification de la présente décision la clause de non-concurrence figurant dans l'acte de vente du fonds de commerce signé le 6 avril 1990 entre la société Bisonpain et M. Espinasse, sous la rubrique " Conditions particulières" au deuxième alinéa, page 8.