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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 17 avril 1991, n° 4130-89

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Joubert

Défendeur :

Concept Nouvelle Vieillesse (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaubert

Conseillers :

M. Martin, Mlle Courbin

Avoués :

Me Fournier, SCP Labory-Moussie-Rustmann

Avocats :

Mes Gibert, Momée.

T. com. Bordeaux, du 8 août 1989

8 août 1989

Attendu que la cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions déposées, certains éléments seulement étant rappelés ;

Que la Concept Nouvelle Vieillesse a mis au point sous le vocable " Villamonies " une méthode d'hébergement de type familial pour personnes âgées, par la construction d'unités d'accueil susceptibles d'héberger chacune 5 personnes âgées, chaque unité d'accueil étant confiée à une hébergeante avec un savoir-faire pour créer des conditions de vie familiale pour les personnes âgées ainsi logées ;

Que par acte sous-seing privé du 27 juillet 1988 intitulé " contrat de franchise " Concept Nouvelle Vieillesse confiait à Madame Joubert une unité d'accueil située à Soubise, lui conférant son savoir-faire et la faisant bénéficier de son assistance avant la mise en service et en cours d'exploitation, en contrepartie du paiement par Madame Joubert d'une redevance de 50 % du montant de son chiffre d'affaires HT ; que Madame Joubert passait des contrats d'hébergement avec des personnes âgées ;

Que le 25 janvier 1989, Concept Nouvelle Vieillesse concédait l'exploitation de son concept d'hébergement de personnes âgées de type familial à l'association " Vivre en France ", laquelle proposait un nouveau contrat en remplacement de celui du 27 juillet 1988 à Madame Joubert qui ne le signait pas ;

Que par lettre recommandée avec avis de réception du 27 avril 1989 Concept Nouvelle Vieillesse résiliait le contrat de franchise en application de l'article 8 alinéa 2 de ce contrat, au motif qu'elle se trouvait à la tête d'une " contestation ", portant atteinte à l'image de marque du réseau, à l'origine d'un avis défavorable donné par la Commission de Gérontologie du Conseil Général de la Charente à un nouveau projet d'implantation de " Villamonies " ;

Que le 2 juin 1989 Concept Nouvelle Vieillesse et l'association " Vivre en Famille " assignaient Madame Joubert en résiliation du contrat de franchise, expulsion et paiement de dommages-intérêts ;

Que le tribunal par la décision déférée rejetait l'exception d'incompétence soulevée par Madame Joubert au profit du conseil de prud'hommes écartant le " lien de subordination " de Madame Joubert à Concept Nouvelle Vieillesse invoqué, déclarait irrecevable en son action l'association " Vivre en France ", faute par elle d'établir son intérêt à agir en l'absence de lien contractuel entre Madame Joubert et elle-même ; que sur le fond, le tribunal prononçait la nullité du " contrat de franchise " du 27 juillet 1988, en l'absence de toute référence à des résultats antérieurs justifiant l'utilisation d'une franchise, en l'absence d'un savoir-faire original susceptible d'entraîner un avantage économique pour le franchisé, et en l'absence donc de contrepartie à l'obligation de Madame Joubert de verser une redevance ;

Que le tribunal se déclarait incompétent pour tirer les conséquences de la nullité de ce contrat au profit du Tribunal de commerce de Rochefort-sur-Mer en raison de l'immatriculation de Madame Joubert au registre du commerce de cette ville ; qu'il condamnait Concept Nouvelle Vieillesse et l'Association " Vivre en Famille " à payer à Madame Joubert 7 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que Madame Joubert critique cette décision, demandant à la cour de qualifier de " contrat de travail " la relation contractuelle existant entre elle-même et Concept Nouvelle Vieillesse et en conséquence de renvoyer le litige devant le Conseil des prud'hommes de Rochefort-sur-Mer, le jugement étant confirmé en ce qu'il a déclaré nul le contrat de franchise et a condamné Concept Nouvelle Vieillesse à lui payer au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile une indemnité laquelle sera toutefois portée à 15 000 F ;

Qu'elle soutient que sa fonction est celle d'une gestionnaire, subordonnée juridiquement et économiquement, d'un centre d'hébergement pour personnes âgées, qu'ainsi la CPAN de la Charente-Maritime a décidé de l'assujettir au régime général de la sécurité sociale, que la mission donnée à la " coordinatrice " par Concept Nouvelle Vieillesse pour contrôler l'exécution, confirme la " subordination des hébergeantes et donc l'existence d'un " contrat de travail " ;

Qu'aux termes de ses dernières conclusions elle demande le renvoi devant la Cour d'appel de Poitiers, le juge du premier degré ayant dû être le Conseil des prud'hommes de Rochefort-sur-Mer ;

Attendu que Concept Nouvelle Vieillesse et " Vivre en Famille " reconnaissent que le contrat du 27 juillet 1988 n'est pas un contrat de " franchise ", mais soutiennent qu'il ne peut être qualifié de " contrat de travail ", qu'eu égard à la nature des obligations réciproques des parties, et de celle que fait peser l'administration, on ne peut établir un lien de subordination ou de dépendance économique, autre que celui qui résulte d'un contrat " de réseau " ; qu'elles concluent à la réformation du jugement en ce qu'il a annulé le contrat du 27 juillet 1988, soutenant que, les obligations des uns et des autres n'étant pas contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs et trouvant leur cause et leur objet dans les obligations de l'autre , ce contrat ne doit pas être annulé ; qu'elles demandent sa résolution aux torts de Madame Joubert pour inexécution de ses obligations à leur égard, à compter du 1er novembre 1989, sa condamnation à quitter les lieux, avec astreinte, à payer à Concept Nouvelle Vieillesse une redevance et une indemnité d'occupation, à Concept Nouvelle Vieillesse et association " Vivre en Famille " 500 000 F à titre de dommages-intérêts, somme pouvant faire l'objet d'une évaluation à dire d'expert mais à charge pour Madame Joubert d'une provision de 200 000 F, outre 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que l'association " Vivre en Famille ", déclarée irrecevable en son action par le tribunal, est intervenue par conclusions du 21 novembre 1990 ; que pour le même motif que celui retenu par le tribunal, l'absence d'intérêt à agir faute de lien contractuel entre elle et Madame Joubert, elle sera déclarée à nouveau irrecevable ;

Attendu qu'aux termes du contrat de franchise signé par les parties, il est dit en préambule que le franchiseur " a mis au point et développé un concept d'hébergement à caractère familial de personnes âgées sous l'enseigne et le logo " Villarmonie " marque et logo étant déposés par le franchiseur à l'INPI le 12 juillet 1988 ;

Que le franchiseur décide de conférer sous l'enseigne " Villarmonie " l'utilisation de ses méthodes d'exploitation dont le franchisé a eu connaissance au cours des " semaines d'exécution du contrat préparatoire " et reconnaît " le bien fondé et l'originalité " ;

Que le franchisé s'engage à gérer " en qualité de travailleur indépendant et sous sa seule responsabilité " l'unité d'accueil qu'il exploitera en son nom et pour son compte, à respecter les méthodes du franchiseur, et à contribuer au renom de la marque et du réseau de franchisage " ;

Que ce contrat confère au franchisé l'exclusivité d'exploitation de l'unité d'accueil ; que l'article 3 décrit les prestations dues par le franchiseur qui s'engage à fournir son assistance lors des études et démarches préalables à la mise en service, puis lors de l'exploitation de l'unité d'accueil, ses obligations consistant notamment en la mise à la disposition du franchisé des locaux et de l'équipement nécessaire à l'exploitation, une assistance psychologique et sociale, commerciale et technique et en matière de gestion ;

Que l'article 5 définit les obligations du franchisé, dont le respect des prescriptions du franchiseur et de l'image de marque du réseau, l'obligation de discrétion, et aussi des obligations financières dont la principale est ainsi définie " en rémunération de la franchise qui lui est accordée, c'est-à-dire de la marque et de l'assistance définie à l'article 3, le franchisé versera une redevance mensuelle HT égale à 50 % du chiffre d'affaires HT réalisé au cours du mois écoulé... " ; qu'il est dit également que le franchisé " agit en son nom et sous sa seule responsabilité avec sa clientèle " et a des obligations d'information à l'égard du franchiseur ;

Que l'article 10 précise que le " manuel des prescriptions " forme partie intégrante du contrat ;

Attendu que les premiers juges ont prononcé la nullité de ce " contrat de franchise " ;

Que Madame Joubert soutient que ce contrat serait un contrat de travail en raison de la position de subordination qui est la sienne par rapport au franchiseur lequel conteste cette qualification, s'agissant selon lui d'un contrat " de réseau " très proche d'un " contrat de franchise " qu'il n'est pas, en l'absence de mise en œuvre préalable du concept innové par lui ; qu'en effet, l'expérience, non acquise, ne peut être transférée, qu'un des éléments essentiels du contrat de franchise fait défaut ;

Que les premiers juges ont rejeté la qualification de " contrat de travail ", le contrat laissant à Madame Joubert le choix des personnes âgées qu'elle entend héberger et du prix qu'elle désire pratiquer dans les limites d'un maximum prévu au contrat, et au motif que, si sur le plan économique elle est réduite à la portion congrue compte tenu de la redevance due, si elle ne possède ni le droit au bail, ni l'outil de travail, ni le savoir-faire, elle n'en conservait pas moins " une légère marge de manœuvre personnelle qu'elle a reconnue elle-même en s'inscrivant au registre du commerce et en assurant sa responsabilité professionnelle " ;

Attendu qu'il est à noter que l'inscription au registre du commerce et la souscription d'une assurance professionnelle étaient exigées par le contrat, et ne sauraient être déterminantes à elles seules de l'inexistence d'un contrat de travail, l'inscription au registre du commerce constituant une simple présomption d'activité professionnelle commerciale et n'établissant pas à elle seule cette activité ;

Attendu qu'aux termes de l'article 1108 du Code civil, quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention outre le consentement de la partie qui s'oblige et sa capacité à contracter non discutées en l'espèce, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite de l'obligation ces deux dernières conditions faisant l'objet de contestations ;

Que tout contrat, y compris le contrat de franchise, a pour objet une chose qu'une partie s'oblige à donner ou bien s'oblige à faire ou à ne pas faire ; que Concept Nouvelle Vieillesse soutient que les obligations des uns et des autres résultant du contrat en cause ne sont pas contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, ce qui n'est pas contesté, qu'elles trouvent leur cause et leur objet dans les obligations de l'autre et correspondent à de réelles prestations, que les dispositions contractuelles contestées par Madame Joubert pouvaient être insérées dans le contrat en cause car elles ont pour contrepartie un avantage concurrentiel donné au franchisé, les sujétions étant la contrepartie de la transmission du savoir-faire de Concept Nouvelle Vieillesse et de l'avantage concurrentiel en résultant, que le contrat qualifié de façon erronée " de franchise " est cependant valable et doit produire ses effets ; que Madame Joubert nie toute contrepartie à son obligation et demande donc la " nullité du contrat de franchiseur et sa requalification en contrat de travail avec pour conséquence le renvoi devant la Cour d'appel de Poitiers, cours de renvoi du Conseil des prud'hommes de Rochefort " ;

Attendu que si l'originalité du concept peut être admise quant â la création de petites unités nécessitant des investissements importants, mais permettant à des personnes âgées devenues plus ou moins dépendantes de connaître une vie familiale sans nul doute de qualité supérieure à celle offerte dans les établissements habituels, le " savoir-faire " que Concept Nouvelle Vieillesse dit avoir transféré à Madame Joubert a pour objet le seul développement du confort et de l'accueil des personnes âgées, exigeant seulement au vu même des documents produits le dévouement de la part de l'hébergeante ainsi que l'ont dit les premiers juges, le " savoir-faire " contractuellement promis ne se distinguant pas en fait des règles de l'art qu'en sa qualité de " professionnel " l'hébergeante était à même d'acquérir par ses seuls moyens et ce, sans formation préalable ;

Que la réalité d'un avantage concurrentiel n'est pas davantage établi ; que si les sujétions imposées à l'hébergeante apparaissent justifiées en ce qui concerne le contrôle auquel elle est soumise de par la nature particulière de l'activité concernée, l'hébergement de personnes âgées plus ou moins vulnérables l'administration imposant des normes de natures multiples conditionnant l'accord et le maintien de son agrément, il apparaît à la lecture des conditions imposées à l'hébergeante que celles-ci étaient si contraignantes sur le plan économique, que le concept offert par Concept Nouvelle Vieillesse n'était pas de nature à procurer à Madame Joubert le profit que son propre engagement, incontestablement important, impliquait ; que le fait qu'elle soit logée, ne pouvait compenser le taux excessif de la redevance dont il importe peu qu'elle soit absorbée en très grosse partie par le remboursement du financement incombant à Concept Nouvelle Vieillesse, dès lors qu'elle ne permet pas à l'hébergeante d'obtenir un avantage économique ;

Que les documents produits par Madame Joubert, notamment les tableaux récapitulatifs des comptes mensuels, justifient de cet absence d'avantage, au vu notamment de l'obligation pour elle de rémunérer une éventuelle remplaçante dès lors qu'elle veut prendre quelques repos ou vacances, s'agissant d'un hébergement permanent ;

Qu'il est à noter que Concept Nouvelle Vieillesse avait envisagé dans un premier temps d'établir un contrat de travail avec les hébergeantes, mais que le Directeur Départemental du Travail et de l'Emploi, dans une lettre du 29 mars 1988 lui rappelait les obligations légales qui devaient être respectées quant à la durée du travail, repos hebdomadaire et congés payés, ajoutant le respect des dispositions précitées semblant obérer la réussite de votre entreprise en raison des incidences financières et des impératifs d'organisation que vous avez énoncés, je vous ai précisé que seul, le statut de travailleur indépendant, permettait d'y échapper, et l'engageait à tirer toutes les conséquences de la mise en place d'un travailleur indépendant qui suppose qu'aucun lien de subordination ne puisse être établi ;

Que Concept Nouvelle Vieillesse a adopté cette solution, confiant les unités à des " travailleurs indépendants ", mais n'a pas su ou pu résoudre la difficulté financière ; que la mise en exécution du contrat révèle que les contraintes économiques imposées, notamment le prix maximum fixé, compte tenu des charges supportées par l'hébergeante ne permettaient pas à celle-ci d'en retirer un avantage économique et ce, en l'absence de toute faute démontrée dans sa gestion, contrôlée d'ailleurs par Concept Nouvelle Vieillesse ;

Que la redevance versée à Concept Nouvelle Vieillesse et les frais supportés par l'hébergeante absorbaient la quasi-totalité des versements effectués par les personnes hébergées alors que la tâche de l'hébergeante, certes acceptée mais incontestablement très contraignante, justifiait un avantage économique supérieur à la simple mise à disposition d'un hébergement ; qu'en l'absence d'avantage économique il ne saurait y avoir d'avantage concurrentiel ;

Attendu, au vu de ces éléments, que le contrat en cause est nul, non parce qu'il a été improprement qualifié, un contrat pouvant toujours recevoir une qualification autre que celle donnée par les parties, mais parce que les conditions de validité d'un contrat ne sont pas réunies par application du droit commun des contrats, faute de contrepartie réelle aux obligations de Madame Joubert; que ce contrat ne peut dès lors recevoir une autre qualification, y compris celle de contrat de travail dont les éléments ne sont pas réunis, Madame Joubert s'étant inscrite au registre du commerce, ayant contracté une assurance responsabilité professionnelle, mais surtout ayant quelques initiatives, tels le choix des personnes hébergées, la pratique des prix, l'organisation de son unité sous le contrôle exercé par Concept Nouvelle Vieillesse justifié par la nature particulière de l'activité en cause soumise à l'agrément et au contrôle de l'administration excluant la subordination juridique et économique, conditions du contrat de travail;

Attendu qu'à bon droit le tribunal de commerce a déclaré nul le contrat du 27 juillet 1988 et rejeté la qualification de contrat de travail ; que la convention étant nulle, la demande de résiliation est sans objet ;

Qu'il y a lieu de constater que le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rochefort-sur-Mer pour statuer sur les conséquences de cette nullité ; qu'aucune demande n'est formulée par les parties en cas de nullité du contrat ;

Attendu que chacune des parties succombe pour partie en son appel, la cour rejetant la qualification de " contrat de travail " et déboutant Concept Nouvelle Vieillesse de sa demande tendant à l'exécution du contrat disqualifié ; qu'en conséquence les dépens d'appel seront partagés par moitié ;

Qu'il n'est pas inéquitable, compte tenu des circonstances de la cause, de laisser chacune des parties supporter les frais irrépétibles de procédure exposés par elle ;

Par ces motifs : LA COUR ; Vu l'arrêt du 31 janvier 1991 ; Déclare l'Association " Vivre en famille " irrecevable en son intervention ; Déclare Madame Joubert et Concept Nouvelle Vieillesse non fondées en leurs appels principal et incident ; Confirme la décision déférée en ce qu'elle a débouté Madame Joubert de son exception d'incompétence, et prononcé la nullité du contrat de franchise du 27 juillet 1988 ; Y ajoutant, Déboute les parties de leurs demandes d'indemnités fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens seront supportés pour moitié chacune par Madame Joubert d'une part, Concept Nouvelle Vieillesse et l'Association " Vivre en Famille " d'autre part, application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.