CA Paris, 22e ch. A, 26 mai 1987, n° 21390-83
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chevrier (ès qual.), Intertypo (SARL)
Défendeur :
Hemery
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Zakine
Conseillers :
MM. Delmée, Boubli
Avocats :
SCP Fontaine-Ithurbide-Neouze, Me Besson.
Rappel de la procédure
La cour a été saisie d'un appel principal interjeté par Me Chevrier, agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la SARL Intertypo, d'un jugement (n° 4024-79) en date du 9 décembre 1982 qui, statuant sur la demande de M. Jean-Claude Hemery en paiement de diverses indemnités, a dit que le licenciement de M. Hemery était fondé sur une " cause réelle et sérieuse mais ne comportant ni faute grave, ni faute lourde " et a désigné M. Paunier en qualité d'expert avec pour mission de calculer les commissions, commissions de retour sur échantillonnage, congés payés, préavis et indemnité de clientèle et de l'appel incident de M. Hemery contre cette décision.
Par un arrêt en date du 18 juin 1985, la cour a désigné en qualité d'expert M. Jean-Gabriel Steff avec la mission définie au dispositif de la décision à laquelle il convient de se référer et qui est intégralement reprise en ce qui concerne l'exposé des faits.
M. Steff ayant déposé son rapport le 4 avril 1986 l'instance a repris son cours.
Prétentions des parties
M. Chevrier, agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société Intertypo, demande à la cour de retenir les conclusions de l'expert et de dire que M. Hemery ayant commis des actes graves de concurrence déloyale envers la société Intertypo, son licenciement pour faute lourde était justifié. Il demande en outre que M. Hemery soit condamné à verser 500 000 F à titre de dommages-intérêts, la faute commise par ce salarié ayant été en relation directe avec la liquidation de biens prononcé à la suite d'une diminution notable de l'activité de la société Intertypo. Il sollicite enfin 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la condamnation de M. Hemery aux dépens comprenant les frais d'expertise.
M. Hemery reproche à l'expert d'avoir considéré comme des procédés concurrents la composition typographique et la photocomposition et il demande à la Cour de " dire et juger que la société Intertypo est irrecevable à invoquer au soutien du licenciement de M. Hemery intervenu le 12 mai 1978 le fait d'avoir représenté la société Match Composition alors que M. Hemery y avait été autorisé par le gérant d'origine, en 1975, et par Mme Chichereau en 1976, et qui s'est inquiétée de ces faits en 1977, alors que le licenciement ne date que du 12 mai 1978. Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté qu'aucune faute grave ne pouvait être reprochée à M. Hemery et en ce qui concerne la mesure d'expertise. Sur la demande d'évocation de la société Intertypo, adjuger à M. Hemery le bénéfice de ses demandes de première instance. L'infirmer en ce qui concerne les dommages-intérêts pour licenciement sans motifs réels et sérieux. Fixer la créance de M. Hemery de ce chef au passif de la liquidation des biens de la société Intertypo à la somme de 120 000 F. Condamner la liquidation des biens de la société Intertypo au paiement d'une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".
Discussion
Sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par M. Hemery
Considérant que M. Hemery soutient que la société Intertypo serait irrecevable à invoquer contre lui une prétendue faute grave commise en 1978 dans la mesure où elle l'avait autorisé dès 1976 à représenter la carte objet du litige ;
Mais Considérant que cette argumentation de M. Hemery rejoint l'appréciation que doit faire la cour de la pertinence du motif invoqué par l'employeur et ne constitue pas en elle-même une fin de non-recevoir, alors surtout qu'il résulte des productions des parties que la société Intertypo répondant le 24 mai 1978 à la demande d'énonciation des motifs de son licenciement présentée par M. Hemery avait fait connaître è ce dernier que le licenciement pour faute lourde avait été décidé à la suite de la découverte d'actes de représentation d'une société concurrente et de son refus d'y mettre fin ;
Sur le motif du licenciement
Considérant que pour soutenir que son licenciement était injustifié, M. Hemery se prévaut de l'autorisation de devenir représentant multicartes consentie par la société Intertypo le 1er janvier 1976 et de la définition des termes de " composition typographique et de " photocomposition " ;
Considérant qu'il résulte de l'avis technique émis par l'expert et abstraction faite de toutes autres considérations surabondantes contenues dans le rapport de M. Steff, que les entreprises de composition typographique ont, à partir des années 1945, progressivement adopté le procédé de la photocomposition pour échapper aux contraintes liées à la fabrication et è l'assemblage des caractères en plomb ; qu'il apparaît ainsi qu'en définitive la clientèle courante demeure la même, que le fournisseur utilise la composition typographique s'il n'a pas encore modernisé son matériel ou qu'il ait déjà adopté le procédé de la photocomposition;
Considérant que l'autorisation délivrée par la société Intertypo à M. Hemery le 1er janvier 1976, si elle utilisait certes la formule de " composition typograhique " qui figurait d'ailleurs sur son papier commercial utilisé pour cette autorisation, se référait néanmoins aux usages de la profession de VRP et précisait formellement " qu'en matière de composition typographique M. Hemery s'engageait sur l'honneur à ne représenter exclusivement que la société Intertypo " ;
Considérant, dans ces conditions, que M. Hemery par cette autorisation limitée ne pouvait en aucune manière démarcher une clientèle indifféremment intéressée par le procédé utilisé par son fournisseur, aucun élément soumis à la cour ne permettant de dire que M. Hemery eût été spécialement chargé par la société Intertypo de prendre des commandes auprès de clients exigeant une composition manuelle ou mécanique à partir de caractères de plomb pour des travaux relativement luxueux ;
Considérant dès lorsqu'en persistant dans son activité de représentant de la société Match Composition dont l'activité telle qu'elle figurait sur son papier commercial était la " composition à façon : typo, lino, mono, photocomposition " et dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elle plaçait des produits semblables à ceux de la société Intertypo, malgré le rappel formel par son employeur initial des termes de l'autorisation du 1er janvier 1976 et en s'en tenant à une définition exégétique de l'expression " composition typographique " qui ne correspondait plus à l'époque aux usages de la profession, M. Hemery a commis une violation flagrante de son obligation de fidélité à l'égard de son employeur;
Qu'un tel comportementde M. Hemery qui avait répondu par une fin de non-recevoir à la demande de la société Intertypo laissant ainsi entendre qu'il poursuivrait son activité pour la société Match Composition, était de nature à rendre impossible l'exécution du contrat pendant la durée du préavis et était privative de toute indemnité de rupture; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'Hommes en ce qu'il a estimé que le licenciement de M. Hemery n'était pas justifié par une faute grave ;
Considérant cependant que si l'expert a relevé que certains autres clients de la société Intertypo ont été retrouvés dans la clientèle de la société Match Composition, les attestations produites sont trop vagues pour établir de façon certaine à la charge de M. Hemery un détournement de cette clientèle qui serait constitutif d'une faute lourde ; que dans ces conditions la demande reconventionnelle de dommages-intérêts présentée par Me Chevrier ès qualité ne saurait être accueillie ;
Sur la demande d'indemnité de congés payés, de commissions et de commissions de retour sur échantillonnages
Considérant qu'il apparaît de bonne justice de donner une solution définitive à l'affaire, compte tenu de l'ancienneté des faits et d'évoquer ces chefs de demande ;
Considérant que ni devant le bureau de jugement du conseil de prud'Hommes, ni devant la cour, M. Hemery n'a fourni le moindre élément de nature à établir un quelconque droit à commissions, à commissions de retour sur échantillonnages, ou à indemnité de congés payés, se bornant à solliciter une expertise et que le conseil de prud'Hommes a ordonné cette mesure ;
Mais considérant qu'en aucun cas, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré et de débouter M. Hemery de ces chefs de demande ;
Considérant que M. Hemery, qui succombe, doit être condamné aux dépens, sa demande au titre de l'article 700 étant par voie de conséquence irrecevable ; qu'il n'apparaît pas enfin inéquitable de laisser è la charge de Me Chevrier, ès qualité, la charge de ses frais non compris dans les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Vu l'arrêt avant dire droit du 18 juin 1985, Infirme le jugement du Conseil de prud'Hommes de Paris du 9 décembre 1982 ; Statuant à nouveau, Déboute M. Hemery de l'ensemble de sa demande formée contre la SARL Intertypo en liquidation de biens et représentée par Me Chevrier, syndic ; Déboute Me Chevrier, ès qualité, de toutes ses demandes si contre M. Hemery ; Condamne M. Hemery aux dépens et déclare irrecevable sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.