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Décisions

CA Caen, ch. soc., 24 décembre 1987, n° 382-87

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Chais du Gislot (SA)

Défendeur :

Aubry

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Desbordes

Conseillers :

M. Tournier, Melle Nouaille

Avocats :

Mes Huaume, Durand.

Cons. prud'h. Coutances, du 21 oct. 1986

21 octobre 1986

Monsieur Patrice Aubry a été engagé en qualité de représentant par la société Les Chais du Gislot à compter du 1er mars 1973.

En août 1985, la société a dû envisager le licenciement de trois salariés pour cause économique. Monsieur Patrice Aubry a proposé à l'employeur de figurer parmi les salariés licenciés au lieu et place d'un chauffeur qui souhaitait demeurer en fonction. La société, puis le Directeur Départemental du Travail acceptèrent cette substitution et Monsieur Patrice Aubry fut licencié par courrier du 30 août 1985, avec préavis de trois mois.

La société ne lui ayant versé au titre de la rupture que l'indemnité légale de licenciement, Monsieur Patrice Aubry a saisi le Conseil de prud'hommes de Coutances pour avoir paiement de l'indemnité de clientèle ou à défaut de l'indemnité spéciale de rupture, ainsi que de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence.

Par jugement en date du 21 octobre 1986, la société Les Chais du Gislot a été condamnée à payer à Monsieur Patrice Aubry :

- la somme de 42 328,83 F au titre de l'indemnité spéciale de rupture,

- la somme de 24 578,14 F au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence.

La société Les Chais de Gislot a interjeté appel de cette décision, lequel a été déclaré recevable par arrêt du 29 juin 1987.

Faisant valoir que la rupture avait pour auteur non l'employeur mais le salarié qui s'était volontairement proposé dans le cadre du licenciement économique, que Monsieur Patrice Aubry n'avait pas renoncé à l'indemnité de clientèle et qu'il ne pouvait donc bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture, que Monsieur Patrice Aubry ne faisait pas la preuve d'une création de clientèle mais qu'au contraire il y avait eu raréfaction de celle-ci, qu'enfin s'il n'y avait pas eu en temps utile dénonciation de la clause de non-concurrence, il n'y avait pas eu préjudice de ce chef et que d'ailleurs Monsieur Patrice Aubry avait rapidement travaillé chez un concurrent direct en contravention de la clause, la société Les Chais du Gislot conclut à l'infirmation de la décision sauf en ce qu'elle a prononcé rejet de I'indemnité de clientèle et à la condamnation de Monsieur Patrice Aubry à payer la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Patrice Aubry forme appel incident et reprend sa demande en paiement d'une somme de 200 000 F au titre de l'indemnité de clientèle cependant qu'il porte à 80 272 F sa revendication au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause non-concurrence avec intérêts de droit à compter de l'arrêt. Il demande enfin l'allocation d'une somme de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Il est constant d'abord que la rupture du contrat de travail de Monsieur Patrice Aubry s'inscrit dans le cadre d'une mesure de licenciement collectif décidée par l'employeur et autorisée par la Direction du Travail en raison du caractère économique qui la motivait;

Le fait que Monsieur Patrice Aubry se soit proposé pour y être inclus au lieu et place d'un autre salarié n'a donc pas eu pour effet de lui conférer le rôle d'auteur d'une mesure décidée par l'employeur seulpuisque aussi bien d'ailleurs celui-ci ne s'est pas estimé exonéré du paiement de l'indemnité de licenciement, cependant que, contrairement à ce que soutient la société, rien ne permet de retenir que l'attitude des parties doive s'analyser en une résiliation amiable, après négociation des conditions du départ du salarié volontaire sur la base de ce qui aurait effectivement été alloué au salarié qu'il remplaçait, aucun écrit ni autre preuve n'étant fournis en ce sens ;

Il incombe à l'employeur de connaître l'étendue exacte de ses obligations, légales et conventionnelles, à I'égard de ses salariés, et il appartenait à la société de déterminer les conséquences de la substitution prononcée par Monsieur Patrice Aubry et de définir avec lui si nécessaire les conditions auxquelles elle subordonnait son acceptation ;

Le salarié ayant le statut de VRP, c'est donc bien à défaut de stipulations contraires régulièrement constatées en fonction de celui-ci que doivent être déterminés les droits qu'il tient du licenciement ;

Aux termes des dispositions de l'article L. 751-9 du Code du travail, le VRP a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée. Or si les deux parties discutent longuement de l'accroissement en valeur, pour être d'ailleurs en désaccord sur les correctifs à apporter pour en apprécier le sens et l'importance, aucune justification n'est fournie par Monsieur Patrice Aubry d'un accroissement en nombre des clients, par la production en particulier des chiffres des clients existant sur son secteur à son entrée dans l'entreprise et à son départ, et par l'énumération des clients nouveaux qu'il aurait découverts et fidélisés dans l'exercice de sa profession. L'une des conditions nécessaires à l'obtention de l'indemnité revendiquée par Monsieur Patrice Aubry fait donc défaut;

L'indemnité spéciale de rupture prévue par la Convention Collective Nationale Interprofessionnelle du 3 octobre 1975 a justement pour effet de dispenser les parties de ces recherches sur la réalité de la clientèle créée, apportée ou développée ;

Il apparaît peu vraisemblable qu'un VRP n'ait pas connaissance de son droit à l'indemnité de clientèle;

Or si Monsieur Patrice Aubry n'a pas formellement renoncé a celle-ci, il n'en a pas davantage revendiqué le paiement dans son courrier du 16 décembre 1985, donc dans le mois qui suivait son départ de l'entreprise, mais il y a demandé la régularisation de ses " indemnités de licenciement ". L'emploi du pluriel révèle qu'il entendait s'appuyer sur celles visées dans ce cas par la Convention Collective de VRP et non faire référence à l'indemnité légale, et c'est ce que confirme son nouveau courrier du 6 janvier 1986 de protestations contre le décompte adressé par l'employeur le 28 décembre 1985, dans laquelle il expose clairement que l'indemnité à lui appliquer est celle de la Convention des VRP et plus précisément par le coefficient qu'il fournit, l'indemnité spéciale de rupture. Ainsi il apparaît que dès l'origine il a revendiqué celle-ci renonçant par là même à l'indemnité de clientèle;

La décision sera en conséquence confirmée sur l'octroi de cette indemnité spéciale de rupture, et dont le montant retenu par les premiers juges apparaît prendre justement en compte les sommes précédemment versées au titre de l'indemnité légale de licenciement, les parties n'ayant pas fourni le dernier bulletin de salaire ;

Le contrat de travail de Monsieur Patrice Aubry contenait une clause d'interdiction de concurrence de deux ans ;

L'article 17 de la Convention Collective énonce les modalités d'application et montants de la contrepartie pécuniaire de cette clause qui n'est dépourvue d'effet qu'en cas de licenciement dans les trois premiers mois d'emploi ou de démission dans les 45 premiers jours, ou encore si l'employeur a prévenu le représentant qu'il le dispensait de l'exécution de la clause dans les quinze jours suivant la notification de la rupture ;

Il n'est pas discuté qu'il n'y a pas eu renonciation dans le délai, prescrit, et le bénéfice de la contrepartie pécuniaire s'est donc trouvé acquis à compter de son départ de l'entreprise, les considérations de l'employeur sur l'absence de préjudice et sur le refus du salarié de reprendre son emploi quand l'offre lui en a été faite, étrangères aux stipulations conventionnelles et à la réparation forfaitaire qu'elles énoncent étant inopérantes à le dispenser du paiement. En revanche, c'est à juste titre que les premiers juges ont constaté que la participation active du salarié à son départ de l'entreprise avait pour conséquence de rendre la rupture du contrat de travail assimilable à une démission pour l'appréciation de la contrepartie pécuniaire de la clause d'interdiction;

La somme à revenir à M. Patrice Aubry s'élève donc à 40 136 F, aucune preuve n'étant rapportée qu'il aurait contrevenu à ses obligations avant le terme de l'indemnisation, contrairement à ce qu'énonce l'appelant;

Il n'est pas inéquitable que les parties conservent l'une et l'autre la charge de leurs frais non inclus en dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Les Chais du Gislot à payer à Monsieur Patrice Aubry la somme de quarante deux mille trois cent vingt huit francs et quatre vingt trois centimes (42 328,83 F) au titre de l'indemnité spéciale de rupture ; Ajoutant, Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'appel en conciliation ; Emendant, Condamne la société Les Chais du Gislot à payer à Monsieur Patrice Aubry la somme de quarante mille cent trente six francs (40 136 F) au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause d'interdiction de concurrence ; Dit que cette somme portera intérêt au taux légal a compter du présent arrêt ; Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Les Chais du Gislot aux entiers dépens.