CA Caen, ch. soc., 12 février 1987, n° 1505-86
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Extra Souple (Sté)
Défendeur :
de Floris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Desbordes
Conseillers :
MM. Moulanier, Tournier
Avocats :
Mes Salmon, Tourret.
Monsieur Bernard de Floris était embauché le 1er novembre 1978 en qualité de Voyageur Représentant Placier par la société de Caoutchouc Manufacturé Extra Souple, et se voyait confier la représentation commerciale de la société dans les départements de la Seine-Maritime, l'Eure, l'Eure et Loire, Le Loiret, l'Orne, le Calvados et la Manche pour vendre des articles, bretelles, ceintures et pulls.
A partir du mois de mai 1985 de nouveaux dirigeants définissaient une orientation commerciale différente de la précédente, si bien que le 28 août Monsieur Bernard de Floris écrivait à la Direction qu'après présentation des produits à la clientèle, il était inquiet pour ses salaires à venir et constatait " qu'il y avait des problèmes au niveau du style et du prix, ainsi que sur la stratégie de la politique menée et du manque de moyens ".
Le 28 octobre il écrivait à nouveau à son employeur que " malgré une activité toujours plus forte de sa part, ses commissions avaient chuté de manière alarmante à cause de retards de livraison, des argumentations de prix qui dépassent l'inflation et ceux des concurrents et du fait de la suppression de la commercialisation des pulls de marque Richard Lax ".
Il estimait donc le contrat rompu du fait de l'attitude de la société.
Cette dernière prenait acte de cette décision mais contestait l'argumentation de Monsieur Bernard de Floris, lequel saisissait le Conseil de prud'hommes de Caen qui condamnait le 5 mai 1986 la société à lui payer une indemnité de 39 234 F au titre du préavis, 156 932 F au titre de l'indemnité de clientèle, et diverses sommes en contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
La société a régulièrement relevé appel de cette décision. Elle soutient tout d'abord que la baisse des revenus de Monsieur Bernard de Floris est le résultat de la propre carence de l'intéressé dans l'exécution de son travail, que les produits supprimés ont été immédiatement remplacés de sorte que la rupture ne lui est imputable. Elle expose également que celui-ci participe à une société qui a une activité identique à la sienne, ce qui constitue une concurrence déloyale, et ne peut bénéficier d'une indemnité de clientèle car il n'en n'a pas créé ni développé. Enfin elle sollicite 34 284 F au titre du préavis non effectué par Monsieur Bernard de Floris et 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Bernard de Floris sollicite la confirmation du jugement sur le principe, et demande 1 229 F de rappels de commissions et les congés payés y afférents, l'indemnité de préavis, une indemnité de clientèle de 313 864 F, 78 418 F de dommages-intérêts, 8 718 F par mois au titre de la contrepartie financière depuis le 28 octobre 1985 au 20 octobre 1985 et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Sur l'imputabilité de la rupture
Attendu qu'il résulte de documents comptables produits par les parties et notamment des résultats du chiffre d'affaires mensuel réalisé au titre de la vente de ceintures et bretelles par M. Bernard de Floris, que le montant de celui-ci a été nettement inférieur pour les trois premiers mois de l'année 1985 par rapport à la même période de l'année précédente, que par la suite il est devenu supérieur, qu'en effet les chiffres s'établissent comme suit :
Janvier 1984 : 34 043 F ; 1985 : 22 126 F
Février 1984 : 81 484 F ; 1985 : 34 165 F
Mars 1984 : 249 027 F ; 1985 : 110 817 F
Avril 1984 : 245 663 F ; 1985 : 236 462 F
Mai 1984 : 171 227 F ; 1985 : 243 991 F
Juin 1984 : 159 181 F ; 1985 : 199 598 F
Juillet/ août 1984 : 113 788 F ; 1985 : 141 791 F
Septembre 1984 : 243 316 F ; 1985 : 243 410 F
Octobre 1984 : 237 287 F ; 1985 : 377 477 F
Attendu qu'également la totalité des commissions brutes perçues à la suite des ventes des produits de la société Extra Souple et Lax, par M. Bernard de Floris sont les suivants :
Janvier 1984 : 23 755 F ; 1985 : 13 224 F
Février 1984 : 6 512 F ; 1985 : 1 327 F
Mars 1984 : 4 665 F ; 1985 : 2 049 F
Avril 1984 : 15 228 F ; 1985 : 6 772 F
Mai 1984 : 14 739 F ; 1985 : 13 565 F
Juin 1984 : 10 273 F ; 1985 : 14 639 F
Juillet 1984 : 9 636 F ; 1985 : 11 975 F
Août 1984 : 12 231 F ; 1985 : 10 318 F
Septembre 1984 : 6 827 F ; 1985 : 7 885 F
Octobre 1984 : 14 807 F ; 1985 : 15 090 F
Attendu qu'il apparaît donc que la baisse d'activité, et des commissions perçues se situe dans les quatre premiers mois de l'année 1985 ; que ceci est corroboré également par la note de la Direction du mois de mars 1985 laquelle lui précisait qu'il devait " assurer impérativement un rattrapage à la suite du retard accumulé. Vous n'avez pas démarré, c'est le plus mauvais résultat de l'équipe. Vous n'avez pas d'excuse " ;
Attendu que les documents démontrent également que les retards de livraisons existaient depuis le début de l'année 1985, car une lettre de la Direction Commerciale adressée aux représentants le 29 mars précisait : " Nous recevons actuellement des réclamations de clients directement vus par vous-mêmes. Un retard considérable a effectivement eu lieu depuis début 1985, culminant fin février. Nous avons pris plusieurs mesures, travail sur deux samedis consécutifs, appel à la sous-traitance, mise à l'essai d'un nouveau matériel. (...) On peut dire aujourd'hui qu'une prise d'ordre sera satisfaite sous 4 à 5 semaines au lieu de 8 semaines. L'une des explications premières réside dans le fait que décembre était deux fois plus important en prises d'ordres que les années précédentes et qu'aucun répit traditionnel, janvier notamment, n'a eu lieu ;
Attendu qu'en juin 1985 le retard n'était d'ailleurs plus que de trois semaines selon la lettre de la Direction du 17 juin à ses représentants, et s'était donc encore résorbé, que Monsieur Bernard de Floris ne prétend pas qu'il soit aggravé, par la suite ;
Attendu qu'il résulte donc de toutes ses constatations que le retard de livraisons n'était pas dû à une carence de l'employeur, mais à une difficulté de celui-ci à faire face à une conjoncture particulière et que les possibilités de fabrication n'ont pu répondre aux commandes ; qu'en outre Monsieur Bernard de Floris n'a jamais formulé de critiques ou de réserves écrites ou orales à la suite de la mise en garde précitée du mois de mars par la Direction qui lui reprochait une insuffisance professionnelle, alors que les retards à cette époque étaient deux fois plus importants que ceux existants au mois d'octobre, et qu'il n'a jamais prétendu, même auprès d'autres collègues de travail, que la baisse du chiffre d'affaires de ses commissions à cette époque avait pour origine les difficultés de livraison ; qu'il apparaît donc que cette argumentation ne peut être retenue ;
Attendu que Monsieur Bernard de Floris a reproché à la Direction d'avoir supprimé la commercialisation des pulls de marque Richard Lax laquelle correspondait à un pourcentage très important de ses commissions ;
Attendu que si effectivement la société avait décidé cette mesure à compter du 31 décembre 1985, elle l'estimait indispensable car sa marge bénéficiaire sur les ventes était insuffisante ce qui entraînait un résultat d'exploitation déficitaire et avait alors prévu de proposer à sa clientèle des ceintures pour femme ; qu'ainsi au mois d'octobre 1985 Monsieur Bernard de Floris n'avait pas encore eu à souffrir de cette décision, et que rien ne démontre que son raisonnement pouvait se trouver ultérieurement justifié ;
Qu'en outre il ne peut prétendre que la société n'a pas respecté ses obligations contractuelles, car l'article 6 du contrat d'embauche stipule expressément que Monsieur Bernard de Floris " ne peut se prévaloir d'un préjudice au cas où la société déciderait de cesser la fabrication ou la vente d'un produit " ;
Attendu qu'ainsi cet argument ne peut être retenu ;
Attendu que selon les attestations de plusieurs commerçants les prix des ceintures et bretelles fixés par la société avaient augmenté très rapidement, et Monsieur Bernard de Floris prétend qu'il avait alors rencontré des difficultés insurmontables ;
Attendu cependant que parmi les nombreux documents produits aucun ne permet d'affirmer avec certitude que le coût des produits a eu une influence décisive sur la prospection de la clientèle et sur les résultats du chiffre d'affaires mensuel réalisé par ce salarié depuis le mois de mai, date du changement de la Direction, au mois d'octobre 1985 et tels qu'ils ont été exposés précédemment ;
Attendu qu'en outre la société n'a pas employé de manœuvres discriminatoires à l'égard d'acheteurs particuliers ;
Attendu que dans ces conditions il apparaît que la décision de Monsieur Bernard de Floris a été essentiellement dictée par son refus d'accepter d'une part les nouvelles directives commerciales définies par de nouveaux dirigeants, et surtout par son refus d'accepter que la société puisse envisager de supprimer la vente de pulls de marque Lax sur laquelle il bénéficiait d'une importante commission, que tout ceci se trouve également corroboré par le fait d'une part que Monsieur Bernard de Floris avait plusieurs fois écrit à la société pour attirer son attention sur cette suppression, d'autre part qu'au cours d'une réunion qui a eu lieu le 25 novembre 1985 à Paris, la Direction a constaté qu'un seul représentant désirait continuer sur les bases ainsi définies, deux représentants souhaitaient une autorisation pour continuer la vente des pulls Richard Lax, et quatre autres n'envisageaient pas de poursuivre avec la société dont Monsieur Bernard de Floris ; qu'enfin la décision manifestée le 28 octobre 1985 par Monsieur Bernard de Floris était la suite logique d'un refus de sa part d'envisager la perspective d'une perte de ses revenus ; qu'ainsi il apparaît que la rupture n'est pas imputable à l'employeur, et que celui-ci n'ayant pas commis les griefs qui lui sont reprochés, la décision de Monsieur Bernard de Floris doit s'analyser en une démission et ce d'autant qu'aucune inexécution du contrat initial ne peut être démontrée;
Sur les rappels de commissions
Attendu que ceux-ci ne sont pas contestés ni dans leur principe ni dans leurs évaluations, qu'il convient donc d'y faire droit ;
Sur la contrepartie financière de la clause de non-concurrence
Attendu que les documents produits n'établissent pas d'une manière certaine que Monsieur Bernard de Floris prospectait de la clientèle sur le secteur dont il avait antérieurement la charge; que l'attestation de Monsieur Tardivel est particulièrement imprécise, qu'en outre le témoin n'exerce pas son activité commerciale et n'habite pas sur le secteur défini par la clause ;
Attendu qu'en outre la participation de Monsieur Bernard de Floris à une société qui procède à la vente de produits identiques à ceux que la société L'Extra Souple commercialise, en tant que salarié et actionnaire très minoritaire, ne peut, à elle seule, constituer une concurrence car Monsieur Bernard de Floris est chargé d'un secteur différent du précédent, sous peine de lui interdire de continuer sa profession ; qu'en conséquence aucun élément ne permet de faire droit à la demande de la société;
Sur l'indemnité de clientèle et de préavis
Attendu que la démission n'ouvre pas à l'octroi d'une telle indemnité, que la demande doit donc être rejetée ;
Attendu que la société appelante ne peut prétendre à solliciter le versement d'une somme correspondant au préavis non exécuté, alors qu'il résulte des documents produits d'une part que des prises d'ordres de l'intimé sont encore parvenues à la société L'Extra Souple durant le mois de décembre 1985, et qu'il n'est pas démontré que celles-ci soient antérieures au 28 octobre, d'autre part que Monsieur Bernard de Floris a été convoqué le 7 novembre pour participer à une réunion de tous les représentants de la société le 25 novembre pour la présentation de la collection été 1986, et que le procès-verbal rédigé par l'employeur mentionne sa présence à cette réunion ; qu'ainsi en l'absence de toute précision particulière ou de lettre de la société sollicitant de Monsieur Bernard de Floris le respect de ce délai, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire en cas d'inexécution compte tenu des rapports tendus existants entre la Direction et les représentants, il apparaît de ces documents que Monsieur Bernard de Floris a bien exécuté son préavis ;
Attendu que Monsieur Bernard de Floris ne peut prétendre à des dommages-intérêts compte tenu des considérations précédentes ;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais exposés par elles à l'occasion de la présente instance d'appel et non compris dans les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Déboute Monsieur Bernard de Floris de ses demandes d'indemnité de préavis, d'indemnité de clientèle, et de dommages-intérêts ; Déboute la société de ses demandes ; Condamne la société à payer à Monsieur Bernard de Floris la somme de mille deux cent vingt neuf francs et seize centimes (1 229,16 F) des rappels de commissions et cent quarante deux francs et quatre vingt onze centimes (142,91 F) de congés payés avec intérêts de droit à compter de la date de conciliation, et à huit mille cent soixante dix-huit francs (8 178 F) par mois à compter du 28 janvier 1986 jusqu'au 28 janvier 1988 au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société L'Extra Souple aux dépens.