CA Montpellier, ch. soc., 24 mai 1995, n° 93-00965
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Falgaronne
Défendeur :
Silit France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delmas
Conseillers :
MM. Tournier, Gaillard
Avocats :
Mes Delposo, Blanvillain.
Faits procédure et prétentions des parties
Jeanne Falgaronne était embauchée le 3 mai 1982 en qualité de déléguée-conseil, avec statut de VRP, par la société Silit France.
Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable régionale, toujours avec le statut de VRP, et, dans ce cadre, était alors chargée de vendre les produits Silit en réunion à domicile, de recruter, animer une équipe de deléguées-conseils qui vendront des produits selon le système " home party " c'est-à-dire au cours de réunions animées et organisées par ces déléguées chez des hôtesses de leur choix.
Le 6 octobre 1989 elle était convoquée à un entretien préalable et licenciée le 31 octobre suivant aux motifs que :
- elle avait refusé d'accepter le poste d'attachée régionale,
- le recrutement dont elle était chargée était infructueux, la qualité et l'efficacité de la formation dispensée aux déléguées étant mise en cause, trois personnes étant encore actives à la fin octobre,
- le développement de son chiffre d'affaires était en baisse compte tenu des différentes hausses de tarif.
Elle saisissait alors le Conseil de prud'hommes de Perpignan qui, par jugement du 11 mars 1993, rejetait la demande de péremption d'instance soulevée par la société et la déboutait de l'intégralité de ses demandes.
Jeanne Falgaronne a régulièrement relevé appel de cette décision et soutient essentiellement que :
- la procédure de licenciement est irrégulière car l'objet de la convocation n'a pas été indiqué dans la lettre en sorte qu'elle n'a pas pu préparer sa défense,
- la rupture n'est pas justifiée car postérieurement à la lettre de licenciement la société lui a proposé de la rétrograder au poste d'attachée régionale et a cru bon de la licencier pour un refus d'accepter ce poste,
- son équipe a réalisé un chiffre d'affaires supérieur à l'objectif fixé,
- elle n'a pas perçu d'indemnité de clientèle.
Elle sollicite donc les sommes de :
- 141 985,40 F à titre d'indemnité de clientèle,
- 100 000 F à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- 11 602,08 F d'indemnité compensatrice de préavis,
- 7 712,51 F de rappel de congés payés,
- 8 816 F au titre de la prime de résultat pour l'année 1988,
- 50 000 F de dommages intérêts en réparation de la dissimulation volontaire par la société de son chiffre d'affaire réel réalisé chaque année,
- 15 000 F pour ses frais irrépétibles au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société expose que l'instance est interrompue car elle n'a reçu les demandes et pièces de son adversaire que plus deux ans après l'audience de conciliation, subsidiairement conclut à la confirmation du jugement, et également au paiement de la somme de 11 602,08 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs
Sur la péremption d'instance
Attendu que selon l'article R. 516-3 du Code du travail, seul applicable en application de l'article R. 516 dudit Code, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant un délai de deux ans, les diligences qui ont été expressément mises a leur charge par la juridiction prud'homale ;
Attendu qu'entre la date de l'audience de conciliation et celle de la communication des pièces et conclusions aucune décision des premiers juges n'avait mis expressément à l'une ou l'autre des parties la charge d'une quelconque diligence ;
Attendu que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;
Sur le licenciement
Attendu que la rupture du contrat avait pour motif d'une part un recrutement, dont était chargée Jeanne Falgaronne, infructueux, d'autre part un développement de son chiffre d'affaires en baisse compte tenu des différentes hausses de tarif, et enfin le refus d'accepter le poste d'attachée régionale ;
Attendu que le contrat initial du 1er septembre 1983, la recrutant responsable régionale, imposait à Jeanne Falgaronne un objectif de chiffre d'affaire de 1 800 000 F avec 35 déléguées et 3 " leaders " ; qu'à la suite de la constatation par la société qu'aucune déléguée ne résidait dans le département de l'Aude, celui-ci lui était alors supprimé en 1986 ; qu'ainsi en 1987 le chiffre d'affaire passait à 721 650 alors que l'année précédente il s'établissait à 1 162 360 ;
Attendu que par lettre du 22 janvier 1988 la société l'informait que " cette situation ne saurait se prolonger indéfiniment " ; que malgré tout le chiffre d'affaire de cette année 1988 s'élevait à 720 261 F ;
Attendu qu'en 1989 il se chiffrait, selon une lettre de Jeanne Falgaronne elle même, à 607 312 ;
Attendu qu'il résulte donc des éléments fournis que le développement du chiffre d'affaires était effectivement en baisse compte tenu des différentes hausses de tarif, le prix d'une marmite passant, par exemple, dans le même temps de 299 F à 354 F ;
Attendu que l'argumentation de l'appelante est surtout relative à un respect de ses objectifs ; qu'elle fournit des chiffres invérifiables et pour certains ne correspondant pas à ceux qu'elle avait cités dans ses courriers ; que d'ailleurs ce motif n'est pas celui articulé par la société qui ne conteste pas ses qualités de vendeuse mais son efficacité comme responsable régionale ;
Attendu qu'enfin Jeanne Falgaronne ne fournit aucun élément particulier sur son recrutement que la société estime infructueux compte tenu du nombre des délégués ;
Attendu que c'est donc légitimement que la société a pu alors lui proposer un poste d'attachée régionale qui correspondait mieux à ses aptitudes afin d'enrayer cette stagnation du chiffre d'affaires ; qu'ainsi le refus par Jeanne Falgaronne d'accepter ce nouveau poste constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Attendu que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;
Sur l'irrégularité de la procédure
Attendu qu'à la suite de l'entretien préalable la société proposait à Jeanne Falgaronne un poste d'attachée régionale ; que l'employeur ne peut maintenant prétendre que cette salariée savait qu'elle était convoquée en vue d'un licenciement ; qu'en tout état de cause après le refus de ce nouveau poste la société devait reprendre la procédure puisque ce refus constitue un des motifs du licenciement ;
Attendu que le premier entretien ne pouvant être valablement retenu il convient de constater que Jeanne Falgaronne a été licenciée sans respect de la procédure légale ;
Attendu qu'en l'état des pièces produites sur l'étendue et l'importance du préjudice il convient d'allouer à Jeanne Falgaronne la somme de 10 000 F ;
Sur les autres demandes
Attendu qu'il n'est fourni par l'appelante aucun chiffre démontrant la création et le développement de la clientèle ; qu'au surplus rien ne vient corroborer une fidélisation de celle-ci et un renouvellement constant des commandes ; que la somme versée par la société qui a pris seulement en compte l'indemnité spéciale de rupture, apparaît donc justifiée, une indemnité de clientèle ne l'étant pas ;
Attendu qu'à la suite de la saisine de la juridiction la société a versé la somme de 11 311,75 F à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis ; qu'il n'est pas démontré une erreur dans les modalités de calcul ;
Attendu que dans le calcul des congés payés, et s'agissant d'un VRP, c'est à juste titre que la société a déduit les 30 % pour les frais professionnels en sorte que cette demande n'est pas fondée ;
Attendu que pour obtenir la prime de résultat pour l'année 1988, il fallait que le chiffre d'affaires ait dépassé 100 % de l'objectif ; qu'actuellement aucun élément ne vient corroborer un tel dépassement puisque pour cette année là l'objectif fixé était de 750 000 F et que le chiffre d'affaires réalisé a été de 720 261 F ;
Attendu que des dommages intérêts, en réparation de la dissimulation volontaire par la société de son chiffre d'affaire réel réalisé chaque année, ne sont pas fondés ; qu'en effet les chiffres communiqués actuellement par l'appelante ne correspondent pas même à ceux primitivement indiqués par Jeanne Falgaronne dans ses divers courriers ;
Attendu qu'il paraît équitable, compte tenu de la situation économique des parties, que celles-ci supportent leurs frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens ;
Vu l'article 696 du nouveau Code de procédure civile,
Par ces motifs : LA COUR, Déclare l'appel recevable ; Au fond, réformant partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau à cet égard ; Condamne la société Silit France à payer à Jeanne Falgaronne la somme de 10 000 F en réparation de son préjudice résultant de l'inobservation de la procédure de licenciement ; Confirme pour le surplus ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour l'instance d'appel ; Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens.