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Décisions

Ministre de l’Économie, 21 février 2002, n° ECOC0200292Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Israël Chemicals Ltd

Ministre de l’Économie n° ECOC0200292Y

21 février 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 21 décembre 2001, vous avez notifié l'acquisition de la société productrice de potasse Cleveland Potash Limited (" CPL ") par la société Rotem Holding GmbH, filiale de la société Israel Chemicals Limited (" ICL ").

La société ICL est une filiale détenue à 52,9 % par la société Israel Corp. Le groupe ICL est actif dans différents secteurs miniers et industriels, dont ceux de la potasse et des engrais. Il exploite ainsi la potasse de la Mer morte avec sa filiale Dead Sea Works (DSW) et des mines de potasse en Espagne avec sa filiale Iberpotash, second producteur européen de potasse. Le groupe canadien Potash Corp of Saskatchewan, premier producteur mondial de potasse, a une participation minoritaire de 9 % dans son capital. Le groupe ICL est intégré verticalement : en Europe, il dispose de moyens logistiques importants situés dans les ports de Rotterdam et de Barcelone et transforme la potasse dans ses usines d'engrais situées aux Pays-Bas ; il contrôle aussi, à parité avec le groupe norvégien Norsk Hydro, une filiale de production d'engrais solubles dont les usines sont situées en Belgique et aux Pays-Bas. Le groupe ICL a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires consolidé de 1,8 milliard de dollars. Il commercialise de la potasse en France par l'intermédiaire de sa filiale Amsterdam Fertilizers BV ; les ventes en France se sont élevées à [...] millions de dollars en 2000.

La société CPL est une société de droit anglais, filiale du groupe Anglo American PLC. Elle a comme activité principale l'extraction et la vente de potasse pour l'agriculture et l'industrie et comme activité connexe l'exploitation du sel gemme. Elle a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires de [...] millions d'euros. En France, la société CPL commercialise du sel gemme et surtout de la potasse à usage agricole [...] ; elle a réalisé en 2000 avec le groupe [...] un chiffre d'affaires de [...] millions de livres sterling.

Aux termes du projet notifié, le groupe ICL acquerra, par l'intermédiaire de sa filiale de droit allemand Rotem Holding GmbH, la totalité des actions émises constituant le capital de la société CPL. L'opération constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.

Compte tenu des chiffres d'affaires réalisés en France par les sociétés du groupe ICL et par la société CPL, les seuils exprimés en chiffres d'affaires prévus à l'article L. 430-1 du Code de commerce ne sont pas franchis. Il convient donc de définir les marchés pertinents concernés par l'opération.

Le groupe ICL et la société CPL ont deux activités communes, d'ailleurs liées : l'extraction et la vente de potasse et de sel gemme. Ils commercialisent en France chacun [...] tonnes de sel gemme, ce qui représente au total [...] % de l'approvisionnement national.

La potasse est utilisée en agriculture soit sous forme de granulés, soit sous forme de poudre dite " standard ", en association avec d'autres éléments fertilisants tels que l'azote et le phosphate, constituant avec eux un engrais composé. Les fabricants d'engrais composés achètent la potasse sous sa forme courante, tandis que les agriculteurs et les intermédiaires revendeurs l'achètent en granulés. Dans tous les cas, les agriculteurs sont les utilisateurs finaux de potasse. Les deux segments de marché, potasse en poudre et potasse en granulés, sont très liés. En effet, comme l'a souligné la Commission dans sa décision Kali und Salz du 14 décembre 1993 (1), les producteurs de potasse disposent des installations nécessaires pour transformer le produit courant en granulés " et sont en mesure de " modifier les volumes de production des deux produits en fonction des débouchés ". La Commission avait conclu au vu du " degré de substituabilité relativement élevé du côté de l'offre entre les deux produits " à l'existence d'un seul marché de la potasse. Conformément à la décision de la Commission, confirmée sur ce point par la Cour de justice des Communautés européennes (2), le marché du produit pertinent doit dès lors être considéré comme celui de la potasse à usage agricole.

Le groupe ICL et la société CPL ont assuré respectivement en 2000 [10-20] % et [10-20] % des ventes en volume de potasse à usage agricole réalisées en France. L'ensemble ICL-CPL regrouperait [25-35] % des ventes de potasse en France. L'opération est donc contrôlable.

En ce qui concerne la dimension géographique du marché, on relève que les principaux opérateurs au plan mondial sont les entreprises canadiennes, notamment le groupe Potash Corp of Saskatchewan PCS avec [30-40] % des ventes dans le monde, les producteurs de la CEI (Russie, Ukraine et Biélorussie) avec [20-30] %, le groupe allemand Kali und Salz avec [10-20] % et le groupe israélien CPL (3) avec [moins de 10] %. Ces quatre ensembles représentent près de 85 % du commerce mondial.

Cependant, la structure des ventes de potasse en Europe de l'Ouest est particulière. Alors que les entreprises du Canada et de la CEI représentent ensemble 62 % de la production mondiale, elles totalisent à peine 11 % des ventes de potasse de l'Europe de l'Ouest (respectivement 3 % et 7,7 % en 2000). Le cours élevé du dollar par rapport à l'euro et des coûts de transport élevés pénalisent les exportations nord-américaines en Europe et les droits antidumping sur les importations en provenance de la CEI jouent un rôle dissuasif. Les principaux opérateurs présents en Europe sont le groupe allemand Kali und Salz, qui a assuré en 2000 [40-50] % des ventes dans cette zone, le groupe ICL avec ses filiales DSW et Iberpotash avec [10-20] % des ventes, la société CPL avec [10-20] %, les exportateurs de la CEI avec [moins de 10] % et la Société commerciale des potasses d'Alsace (" SCPA ") avec [moins de 10] % des parts de marché. Cette structure particulière fait de l'Europe de l'Ouest un marché à part. La Commission avait par ailleurs, dans sa décision Kali und Salz précitée, distingué un marché allemanddominé par la société Kali und Salz et un marché de l'Europe de l'Ouest, hormis l'Allemagne. Aucun élément nouveau, susceptible de remettre en cause cette analyse, n'étant survenu depuis la date de la décision de la Commission, il n'y a pas lieu de remettre en cause cette distinction.

Sur le marché pertinent ainsi circonscrit à l'Europe de l'Ouest, hormis l'Allemagne, la position des producteurs de potasse est ainsi estimée : le groupe Kali und Salz détient une part de marché comprise entre [30-40] % et [30-40] % ; le groupe ICL, postérieurement à l'opération, aurait une part comprise entre [25-35] % et [25-35] % ; les autres opérateurs sont les exportateurs des pays de la CEI avec une part d'environ [moins de 10] % et la SCPA, distributrice de la potasse des MDPA, avec [moins de 10] % de parts de marché.

Une telle situation où deux opérateurs vont détenir ensemble [65-75] % des parts de marchéet où les autres offreurs sont très atomisés rend nécessaire l'examen des conditions dans lesquelles peut continuer à s'exercer une concurrence suffisante entre les entreprises.

Les deux opérateurs ICL et Kali und Salz sont chacun intégrés verticalement et sont en concurrence en tant que transformateurs avec leurs clients fabricants d'engrais. Comme le groupe ICL avec ses filiales " engrais " et ses moyens logistiques importants, la société Kali und Salz est à la fois exploitant minier et transformateur de potasse. Les autres transformateurs n'ont pas les avantages des groupes ICL et Kali und Salz, car aucun d'entre eux n'a accès à un gisement situé en Europe, la SCPA perdant sa source d'approvisionnement direct cette année avec la fermeture des Mines de potasse d'Alsace (" MDPA "). On relève cependant que les parts de marché de Kali und Salz et d'ICL demeurent modérées sur les marchés situés à l'aval du marché de la potasse à usage agricole.

Les entreprises françaises clientes ayant répondu au test de marché considèrent que la disparition de la production des MDPA survenant simultanément à la concentration projetée aura pour conséquence de limiter à deux entreprises leur choix de fournisseur de potasse et craignent une augmentation des prix. Certains transformateurs et fabricants d'engrais s'inquiètent d'avoir comme concurrents deux fournisseurs qui auraient seuls un accès direct à la matière première.

La configuration nouvelle du marché peut présenter certaines caractéristiques propres à un duopole. En effet, l'offre est fortement concentrée car les deux entreprises les plus importantes présentes sur le marché vont détenir à elles seules plus de [65-75] % des parts de marché, réparties de façon symétrique: Kali und Salz détient environ [30-40] % des parts de marché et la nouvelle entité formée par ICL et CPL en détiendra environ [25-35] %. Le produit en cause est homogène et l'innovation est pratiquement inexistante. En outre, les barrières à l'entrée sur le marché sont relativement élevéesdu fait des droits antidumping imposés aux produits provenant de la CEI, des coûts de transport et des difficultés liées à la nécessité d'avoir une infrastructure portuaire. La conjonction de ces éléments, au vu de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes et de la pratique décisionnelle de la Commission et du ministre (4), nécessite d'examiner si l'opération ne conduit pas à la création d'une position dominante collective.

Des particularités propres au cas d'espèce permettent cependant d'écarter l'hypothèse d'une création de position dominante collective à la suite de l'opération. En effet, en cas d'une hausse importante des prix, les agriculteurs peuvent se dispenser de l'utilisation du produit durant une période relativement longue, de l'ordre d'un à deux ans et,, en outre,, il existe des groupes d'acheteurs de grande taille pour faire pression du côté de l'offre en important de la potasse en provenance d'autres fournisseurs. Cette forte élasticité-prix de la demande en potasse, du moins à court terme, rendrait coûteuse toute stratégie de hausse des prix de la part des opérateurs, une telle hausse pouvant avoir un impact immédiat sur le volume des ventes. Le risque induit par la mise en œuvre d'une telle stratégie est renforcé par le fait qu'il existe des concurrents potentiels, notamment en provenance de la CEI, avec de fortes capacités de production inemployées qui, dans le cas d'une hausse des prix, viendraient concurrencer d'une façon accrue le marché de l'Europe de l'Ouest, en dépit des droits antidumping. Contrainte par les effets de volume à court terme, la stratégie de prix des producteurs européens est ainsi également contrainte à moyen terme par la concurrence potentielle des opérateurs des pays tiers. Les deux principaux opérateurs européens seront de la sorte contraints de pratiquer un prix limite, sous peine de voir rentrer sur le marché les opérateurs de la CEI et du Canada. Il ressort des éléments fournis pas les parties qu'une hausse des prix de [...] % serait suffisante pour que la production en provenance des pays de la CEI soit compétitive, en dépit des tarifs anti-dumping qui pèsent sur ces importations. On note également que l'Arab Potash Company a conclu un accord de distribution au 1er février 2002 avec Heliopotasse, créée par des cadres de la SCPA. La concurrence potentielle et la pression sur les prix exercées par les importations en provenance des pays tiers sera donc de nature à contraindre la politique commerciale de la nouvelle entité, ainsi que celle de Kali und Salz.

En outre, les parts de marché entre la période 1993-2000 ne sont pas stables, ce qui traduit une absence de concertation entre les entreprises dans le passé. Bien que cet élément ne soit pas en lui-même déterminant, on relève qu'il n'existe pas de liens structurels entre les deux entités. Le fait que les différents producteurs européens aient des structures de coût sensiblement différentes rend difficile un alignement des prix. En outre, le taux d'utilisation des capacités de production en Europe est relativement élevé (entre 92 et 96 % selon les opérateurs), ce qui vient limiter les capacités de rétorsion contre un opérateur qui viendrait à dévier d'une stratégie collusive résultant d'une position dominante collective sur le marché. Le pouvoir de rétorsion des entreprises en cas de collusion tacite serait également diminué du fait que le marché est en déclin et que le profit d'une rupture d'une collusion tacite resterait toujours supérieur aux pertes résultant des représailles.

Il ressort de ces éléments que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante collective, sur les marchés concernés. Je vous informe donc qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

NOTE (S) :

(1) Décision de la Commission M.308 - Kali und Salz/MDK/Treuhand du 14 décembre 1993.

(2) Arrêt de la CJCE du 31/03/1998, aff. C-68/94 et C-30/95.

(3) Erreur matérielle, il s'agit du groupe israélien ICL et non CPL.

(4) Voir notamment la décision " BASF/Takeda " du 23 avril 2001.