Livv
Décisions

Conseil Conc., 15 février 2002, n° 02-A-01

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Toulemont-Dakouré, M. Debrock, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Pasturel, vice-présidente, Mme Perrot, MM. Charrière-Bournazel, Lasserre, Piot, Robin, membres.

Conseil Conc. n° 02-A-01

15 février 2002

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre du 29 octobre 2002, enregistrée sous le n° A 345, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce, d'une demande d'avis relative à l'acquisition, par la société Imprimeries Quebecor France, de la société European Graphic Group, filiale de Hachette Filipacchi Médias ; Vu le livre IV du Code de commerce, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-4, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la société Imprimeries Quebecor France, la société European Graphic Group et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Imprimeries Quebecor France, European Graphic Group et Hachette Filipacchi Médias entendus ; M. Bovero, délégué général de la Fédération de l'imprimerie et de la communication graphique, entendu conformément aux dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce, Adopte l'avis fondé sur les constatations et les motifs ci-après exposés :

1. Présentation de l'opération de concentration et des entreprises concernées

La société objet de la transaction est European Graphic Group ou E2G, holding détenue à 100 % par Hachette Filipacchi Médias regroupant les activités d'Hachette dans le domaine de l'imprimerie et des métiers connexes. Elle a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires consolidé de 810 MF et comporte les actifs suivants :

La totalité du capital de la société HélioCorbeil, imprimerie de labeur utilisant le procédé de l'héliogravure installée dans la ville éponyme ;

La totalité du capital de la société GraphicBrochage, installée à Pontault-Combault (77) ;

50 % des actions de la société Bayard Hachette Routage (ou BHR), installée à Morangis (91), le reste du capital restant détenu par Hachette Filipacchi Médias ;

50 % de la société HélioCharleroi, imprimerie de labeur utilisant le procédé de l'héliogravure installée dans la ville éponyme, le reste du capital appartenant au groupe belge Albert Frères.

<IMG/>

La cession a fait l'objet d'un contrat en date du 30 juillet 2001 portant sur le rachat par Imprimeries Quebecor France de la totalité des actions de E2G. Il s'agit donc bien d'une opération de concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code : " La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante. "

Cette transaction vient clore le retrait du groupe Hachette de l'imprimerie de labeur à la suite des ventes antérieures : en France, de Brodard, cédé à Maury en 1999, et, à l'étranger, de Heliocolor (Espagne), cédé en 2000 au britannique Polestar, et de Rotocalco (Italie), cédé en juin 2001 à Pozzoni.

L'acquéreur est la société Imprimeries Quebecor France, filiale à 100 % du groupe Quebecor Inc (Canada) présent dans deux secteurs, la presse/médias et l'imprimerie, pour un chiffre d'affaires total de 54 milliards de francs en 2000. Quebecor est le premier imprimeur mondial avec un chiffre d'affaires de 50 milliards de francs en 2000, réalisé à travers 160 sites industriels, répartis entre l'Amérique du Nord (84 % du chiffre d'affaires, 125 imprimeries), l'Europe (14 % du chiffre d'affaires, 27 imprimeries) et l'Amérique latine (2 % du chiffre d'affaires, 7 imprimeries).

En France, Quebecor a réalisé un chiffre d'affaires de 3 370 MF en 2000 pour un volume de produits imprimés de (...) tonnes, employant 3 265 salariés dans 12 implantations industrielles. La filiale française intervient sur 3 métiers, l'imprimerie, le brochage et le routage, et s'est constituée en une dizaine d'années par rachat d'entreprises.

<IMG/>

Quebecor et E2G n'interviennent que sur une partie des productions de l'imprimerie de labeur, les magazines, les imprimés publicitaires et les catalogues, correspondant à 65 % de la production totale du secteur imprimerie de labeur. Les deux entreprises sont absentes des autres activités de l'imprimerie de labeur (affiche, livre, impression en continu et emballage). La fabrication de livres, d'affiches, d'emballages ou de continu constituent des métiers différents, avec une spécialisation des entreprises pour des raisons d'équipements techniques spécifiques.

L'imprimerie de labeur met en œuvre deux procédés techniques d'impression : l'héliogravure et l'offset. Quebecor utilise les deux technologies alors que E2G est uniquement héliograveur.

Au cours des cinq dernières années, les évolutions marquantes du secteur ont été l'augmentation globale des volumes produits, la baisse constante des prix de vente (égale à 12 % sur la totalité de la période) et la diminution relative de la part de la production réalisée en héliogravure.

<IMG/>

(Source : FICG)

Quebecor a procédé dans sa notification à une estimation du parc de rotatives installé en France en 2000. L'offset représente un parc de 234 rotatives, dont 39 de technologie la plus récente (machines de 48 et de 64 pages), réparti entre 28 entreprises. L'héliogravure se caractérise par le nombre réduit d'opérateurs (4 entreprises dont 2, Braun et HelioCorbeil, sont uniquement héliograveurs) et de rotatives installées (22 au total dont 12 chez Quebecor, 4 pour HélioCorbeil, 3 pour Braun et 3 pour Decoster).

Concernant les débouchés auxquels s'adressent Quebecor et E2G, ils se répartissaient pour l'année 2000 respectivement entre les éditeurs de presse à hauteur de 51 % pour Quebecor et de 67 % pour E2G, et la distribution pour 49 % et 33 %.

<IMG/>

Les clients sont donc les éditeurs de magazines et les distributeurs, ils partagent en commun le fait d'être le plus souvent des groupes de grande taille, d'envergure internationale.

L'impression de magazines (hebdomadaires ou mensuels) représente en volume 51 % de la production totale de magazines, catalogues et imprimés en 2000 et a crû de 39 % entre 1995 et 2000. L'ensemble représente environ 3 500 titres distribués régulièrement en France pour un tirage de 2 milliards d'exemplaires par an en 2000.

Les principaux éditeurs de presse magazine présents sur le marché français sont :

Hachette Filipacchi Médias (filiale du groupe Lagardère) qui édite 53 titres magazines en France (les plus connus sont Paris Match, Télé 7 jours, Elle) et 157 à l'international, pour un chiffre d'affaires de 4,8 milliards de francs en France et de 16,5 milliards de francs au total pour 2000.

Prismapresse (filiale du groupe allemand Bertelsmann, 2e groupe mondial pour cette activité) qui réalise 4-5 milliards de francs de chiffre d'affaires en France pour une dizaine de titres principaux (VSD, Géo, Gala, Télé Loisirs, Femme Actuelle) et 15,7 milliards de francs au total au cours de l'exercice 1999-2000.

EMAP France (groupe anglais au 3e rang mondial) qui a réalisé 245 MF de chiffre d'affaires en France avec une quarantaine de titres (Télépoche, Auto-Journal, Modes & Travaux, Nous Deux, ...) et 11 milliards de francs au total en 1999-2000.

Vivendi, à travers sa filiale Havas/CEP devenue Vivendi Universal Publishing, qui a réalisé 21,6 milliards de francs de chiffre d'affaires en 1999 dont 13 milliards de francs en France avec des titres généralistes (L'Express, L'Expansion, les magazines de Canal +) et une très forte présence dans la presse professionnelle (groupe Le Moniteur, Usine Nouvelle, ...).

La Socpresse (groupe Le Figaro avec un chiffre d'affaires consolidé de 1,9 milliard de francs en 1999), qui édite les suppléments magazine hebdomadaire du journal Le Figaro.

D'autres groupes, organisés autour d'un titre phare (Le Nouvel Observateur, Le Point, Télérama, Bayard/Le Pèlerin, ...), constituent des intervenants de taille plus modeste, le tirage du titre principal pouvant atteindre ou dépasser 500 000 exemplaires.

Les catalogues et les imprimés publicitaires représentent en volume 49 % de la production totale de magazines, catalogues et imprimés pour 2000 avec une croissance de 31 % sur la période 1995-2000. La distribution est cliente de l'imprimerie de labeur dans ses différents métiers : vente par correspondance, distribution généraliste et enseignes spécialisées (tels les voyagistes). Les catalogues pour la vente par correspondance représentent des tirages très élevés et des paginations de plusieurs centaines de pages. Le catalogue La Redoute (groupe PPR) représentant 1 200 pages est tiré à 7,3 millions d'exemplaires pour la France plus 4 millions pour l'étranger, 5,5 millions d'exemplaires pour les Trois Suisses (Auchan), 3,6 millions pour Quelle ou 1,6 million pour la CAMIF. Les distributeurs généralistes (Carrefour, Leclerc, Intermarché, Auchan, Casino-Rallye, ...) font éditer des prospectus ou des documents publicitaires à l'occasion de leurs opérations nationales (2 à 5 fois par an) ou régionales (très nombreuses), demandant des tirages qui varient d'une dizaine à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires pour des paginations de quelques pages à une centaine.

2. La définition des marchés pertinents et le caractère contrôlable de l'opération

Aux termes des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce, une opération de concentration ne peut être soumise pour avis au conseil au titre du contrôle des concentrations que si une des deux conditions suivantes est satisfaite : " Les entreprises qui sont partie à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 % des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 7 milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 2 milliards de francs. "

En l'espèce, la condition tenant au chiffre d'affaires des entreprises concernées par l'opération de concentration n'est pas remplie : au 31 décembre 2000 le chiffre d'affaires de Quebecor France était de 3,3 Mds F, celui de E2G de 810 MF. La part du marché pertinent détenue par l'ensemble constitué de Quebecor et E2G doit donc être examinée.

L'activité imprimerie

L'instruction a permis de mettre en lumière plusieurs éléments de différenciation entre l'impression offset et l'impression héliogravure. En particulier, quatre éléments pourraient suggérer que l'héliogravure constitue un marché différent de l'offset. L'investissement initial en héliogravure est environ le double de l'investissement en offset. L'héliogravure valorise au mieux la quantité de papier consommée en autorisant une plus grande liberté quant à l'utilisation d'un format spécifique, alors que l'offset impose un format standard de type A4. Concernant le résultat obtenu, l'héliogravure apporte une garantie de qualité du rendu des couleurs et de sa non-dégradation au fil d'un tirage élevé, conduisant à une plus grande sécurité d'exécution pour l'imprimeur et donc moins de risque de litige avec son client. Enfin, l'héliogravure procure un avantage de coût pour les grands tirages. Comme le font observer les parties, aucun de ces arguments n'est cependant à lui seul convaincant. S'agissant, en premier lieu, du coût d'achat des machines, il n'est pas contesté qu'une rotative hélio de 3,64 mètres de laize pouvant imprimer jusqu'à 120 pages par tour de cylindre et 60 000 tours par heure représente un investissement d'environ 150 MF, tandis qu'une rotative offset du type Sunday réalisant 48 pages par tour de cylindre avec 70 000 tours par heure coûte environ 80 MF. Néanmoins, la productivité des deux machines étant différente, il importe de remarquer, comme le soulignent les parties, que " ramenée à la page imprimée l'incidence du prix d'achat de l'investissement initial est du même ordre de grandeur ", même s'il n'est pas strictement identique. En effet, une rotative hélio d'un coût de 150 millions de francs peut produire jusqu'à 7,2 millions de pages par heure et une rotative Sunday coûtant 75 millions de francs seulement 3,36 millions de pages à l'heure.

En deuxième lieu, les parties font valoir que l'impression de magazines au format non standard, pour laquelle l'héliogravure permettrait d'optimiser la consommation de papier, ne représenterait qu'environ 1,6 % du tonnage des périodiques imprimés en France et ajoutent que l'avantage de coût éventuel en termes de papier consommé pour l'impression de ces magazines en héliogravure est partiellement compensé par la nécessité pour le client de supporter une partie du coût correspondant à la gravure des cylindres hélio spécifiques nécessaires pour l'impression dans un format non standard.

En troisième lieu, l'avantage de coût obtenu avec une impression hélio par rapport à une impression offset, estimé pour un magazine de 120 pages tiré à trois millions d'exemplaires à 1,9 % du coût d'impression du magazine, est modeste, notamment au regard du fait que le coût d'impression ne représente lui-même que 10 % du prix de revient des magazines selon les affirmations de la société Hachette Filipacchi Médias.

Au total, s'il ne peut être ignoré que, les techniques d'impression en héliogravure et en offset étant différentes, elles ont nécessairement des différences de coût et de qualité, la question pertinente est de savoir si ces différences sont pour les demandeurs, ou pour une part substantielle d'entre eux, d'une importance telle qu'elles les conduisent à considérer que ces techniques ne constituent pas des moyens alternatifs de répondre à un même besoin.

L'observation du comportement des acheteurs constitue donc un élément crucial pour confirmer ou infirmer les indices provenant de la description des différences entre les deux techniques et parvenir à la définition du contour du ou des marchés pertinents.

a) Les relations entre l'impression en offset et l'impression en héliogravure

Les parties ne contestent pas que l'héliogravure est difficilement contournable pour les très gros tirages et en particulier l'impression des catalogues de la vente par correspondance.

En revanche, il résulte de l'instruction et des débats qu'un certain nombre de magazines sont imprimés en totalité ou pour partie en offset. La part de la production des magazines assurée par chacun des deux procédés d'impression a, en effet, été affectée par la généralisation, au cours des cinq dernières années, de l'équipement des imprimeurs en rotatives offset de nouvelle génération (offset 48 ou 64 pages). Lors de l'examen en 1996 de la reprise de l'imprimeur offsettiste Cino Del Duca, le ministre de l'économie avait considéré dans sa décision autorisant l'opération " que la concurrence entre l'offset et l'héliogravure pour imprimer des publications devrait s'accentuer avec l'équipement des opérateurs en machines offset de nouvelle génération capables d'imprimer 48 ou 64 pages à chaque tour de rotative ". En 2000, les imprimeurs français disposaient d'un parc de 31 rotatives de 48 pages et 8 de 64 pages correspondant à une capacité de production globale de 620 000 tonnes par an, devant être rapprochée du tonnage total imprimé en héliogravure en France de 558 000 tonnes la même année.

A titre d'exemples en ce sens, Ici Paris (558 000 exemplaires) et France Dimanche (600 000 exemplaires), qui font partie de la catégorie des magazines " people ", sont passés de l'impression en héliogravure à l'impression offset. Pareillement, concernant la catégorie des news magazines, Paris Match (750 000 exemplaires) et Le Figaro Magazine sont imprimés pour les deux tiers en offset, cependant que L'Express (558 000 exemplaires) est imprimé en totalité en offset. Capital (400 000 exemplaires), ou Géo (353 000 exemplaires) sont également imprimés en offset. L'Auto-Journal, qui était imprimé à 100 % en héliogravure en 1996, était passé entièrement à l'offset en 1998, et depuis 2000 est imprimé à 60 % en héliogravure et 40 % en offset. Dans la catégorie des magazines de télévision, on peut entre autres citer Télé 7 jours (2 386 000 exemplaires), Télé Star (1 850 000 exemplaires) ou Télérama (670 000 exemplaires), qui sont pour partie imprimés en offset. De même, Télépoche (1 054 000 exemplaires), imprimé à 100 % en héliogravure en 1996, puis totalement en offset en 1998, serait depuis imprimé pour partie en héliogravure et pour partie en offset. On constate ainsi que les arbitrages des éditeurs entre les contraintes de prix et délais se font à l'intérieur d'un même magazine et évoluent au cours du temps.

b) La dimension géographique des marchés

Les parties font valoir que nombre des travaux d'imprimerie en héliogravure peuvent être et sont réalisés hors de France et que les producteurs étrangers situés dans un rayon d'environ 700 kilomètres autour de Paris sont aptes à répondre à la demande des VPCistes et des éditeurs de magazines.

Cette internationalisation de la production peut s'expliquer par le fait que les problèmes de délais et surcoûts liés au transport sont peu pénalisants.

Pour la clientèle des distributeurs, la question des délais supplémentaires liés à un site d'impression éloigné ne pose pas de difficultés. Leurs imprimés ne sont pas assujettis à une périodicité fixe de parution ni à un bouclage rédactionnel plus ou moins dépendant de l'actualité. La fabrication peut donc être organisée plusieurs semaines à l'avance et seul un éventuel surcoût résultant du transport pourrait être pris en considération.

La particularité de la distribution de la presse magazine propre à la France pourrait interférer dans la définition de l'aire géographique pertinente pour le marché de l'héliogravure. La diffusion nationale d'un titre rend, en effet, obligatoire la centralisation des livraisons sur Paris aux NMPP, qui le diffusent ensuite dans les régions. Or, on constate que les hebdomadaires destinés au marché français imprimés en héliogravure sont indifféremment fabriqués en région parisienne, en province ou à l'étranger comme cela a été indiqué par les parties. Les critères déterminants sont les caractéristiques techniques et la disponibilité des rotatives demandées pour les travaux ainsi que les plannings de production, plus que l'éloignement par rapport à Paris.

Le coût du transport apparaît d'autant moins déterminant dans le choix d'un imprimeur que l'usage dans l'imprimerie est de faire des offres de prix global transport compris.

Selon les données transmises par les parties, le coût du transport peut être évalué à 0,40 F/tonne/km, le chargement se faisant par camion de 25 tonnes de charge utile. Sur ces bases, le coût de transport pour 100 000 exemplaires imprimés en Allemagne ou aux Pays-Bas (700 kilomètres de Paris) serait d'environ 16 000 F. En reprenant les postes de dépenses du panel de magazines communiqué par Hachette dans ses deux cas extrêmes (magazine le plus cher et le moins cher) et en se fixant deux hypothèses également extrêmes (un hebdomadaire tirant à plus de 1,5 million et un mensuel tirant à 200 000 exemplaires), le surcoût de transport résultant d'une impression à l'étranger représenterait ainsi 8 % et 3,8 % des coûts de fabrication hors papier.

De plus, comme les parties l'ont fait remarquer en séance, les sites de production de papier se situent au nord de l'Europe. En faisant réaliser leurs travaux d'impression au nord de l'Allemagne, les éditeurs ou les VPCistes économisent donc sur le coût de transport du papier vierge, toujours plus volumineux en raison des chutes. Dans les faits, La Redoute, qui tire son catalogue à 7,3 millions d'exemplaires pour l'édition française et 4 millions d'exemplaires pour l'étranger, confie l'impression de ce catalogue à des imprimeurs en Allemagne (8 cahiers), en Italie (3 cahiers), aux Pays-Bas (1 cahier) et en France (1 cahier imprimé par Quebecor à Lille) ; les Trois Suisses, qui tire son catalogue à 5,5 millions d'exemplaires, en confie l'impression à des imprimeurs en Allemagne (2 cahiers), en Italie (3 cahiers), en Espagne (1 cahier) et en France (5 cahiers dont 2 imprimés par HélioCorbeil, 1 par Quebecor, à Lille, et 2 par Braun, à Vieux-Thann) ; Quelle, qui tire son catalogue à 3,6 millions d'exemplaires, travaille avec des imprimeurs en Allemagne (1 cahier), en Italie (3 cahiers) et en France (6 cahiers dont 4 imprimés par Quebecor, à Mary et à Lille, et 2 par HelioCorbeil). On peut également relever que la clinetèle de HelioCorbeil dans ce domaine d'activité comprend, notamment, des VPCistes comme Neckermann-Allemagne et Quelle-Autriche.

De même, et toujours selon les informations fournies par les parties, un certain nombre d'hebdomadaires ou de mensuels seraient imprimés en totalité ou en partie à l'étranger tels que les hebdomadaires TéléStar (2 200 000 exemplaires), Femme Actuelle (2 100 000 exemplaires), Femina Hebdo (2 290 000 exemplaires), Côté Femme (250 000 exemplaires), Maxi (860 000 exemplaires), Télé K7 (380 000 exemplaires), Oh La ! (200 000 exemplaires), Elle (400 000 exemplaires), Ciné Revue France (70 000 exemplaires) et Paris Match (750 000 exemplaires) ; il en est de même pour les mensuels Prima (1 300 000 exemplaires), Valeurs Mutualistes (750 000 exemplaires), Science et Vie (440 000 exemplaires), Cuisine Actuelle (323 000 exemplaires), Cosmopolitan (300 000 exemplaires) et Avantage (700 000 exemplaires). Les estimations communiquées par les parties évaluent le tonnage des magazines imprimés en héliogravure en France à environ 400 000 tonnes dont 70 000 tonnes exportées à l'étranger, tandis que 80 000 tonnes seraient imprimées à l'étranger et diffusées en France. La part des importations de magazines imprimés en héliogravure dans la diffusion totale en France serait ainsi de l'ordre de 20 % (80.000 tonnes pour 400 000 tonnes). Aucune donnée n'est disponible sur les importations de magazines imprimés en offset.

c) Conclusion

Ces éléments suggèrent, tout d'abord, que pour analyser le fonctionnement de la concurrence il est utile d'examiner séparément l'impression de prospectus et de catalogues de grand tirage pour la VPC et l'impression de magazines. En effet, les contraintes concurrentielles semblent pour partie différentes entre ces deux types de produits. La pression de la concurrence internationale joue un rôle particulièrement important pour l'impression des catalogues et des prospectus, alors que la substituabilité entre les deux techniques d'impression, héliogravure et offset, apparaît moindre, l'héliogravure restant incontournable lorsqu'il s'agit de grands tirages. En revanche, la pression de la concurrence entre technologies joue un rôle particulièrement important pour l'impression des magazines. Ainsi, l'impression des catalogues et prospectus à grand tirage et l'impression des magazines doivent être considérés comme des marchés pertinents distinctsmême s'il est exact que certains opérateurs peuvent utiliser leurs capacités de production pour offrir des services d'impression sur l'un ou l'autre de ces marchés. L'impression de catalogues et de prospectus de moyens ou faibles tirages, lesquels sont principalement imprimés en offset, constitue également un marché. Sur ce dernier marché, l'opération ne peut avoir qu'un effet marginal dès lors que E2G n'imprime pas en offset.

Ces éléments de fait suggèrent également que tant pour l'impression de magazines qu'a fortiori pour l'impression de prospectus et de catalogues de grand tirage, les demandeurs situés sur le territoire national peuvent s'adresser, et s'adressent dans les faits soit à des prestataires eux-mêmes situés sur le territoire national, soit à des imprimeurs situés dans une zone relativement proche du territoire national. Il y a donc tout lieu de penser que les prestataires situés dans une zone de 700 kilomètres de rayon autour de Paris devraient, au minimum, être inclus dans la définition géographique des marchés d'impression, qu'il s'agisse des magazines ou des catalogues et prospectus de grand tirage. Il est d'ailleurs possible que la zone géographique du marché pertinent pour les catalogues et prospectus à grand tirage soit plus étendue.

Ni les statistiques existantes, ni les éléments fournis par les parties ne permettent d'identifier précisément les contours des marchés pertinents ainsi définis. Tout au plus dispose-t-on d'une estimation fournie par les parties concernant leur part dans les capacités de production en héliogravure des imprimeurs situés dans un rayon de 700 kilomètres autour de Paris. Selon les parties, cette part s'établirait après l'opération, à (20-30) %. Par ailleurs, les parties ont fourni une estimation du taux d'utilisation des capacités de production des presses hélio en France et en Allemagne, cohérente avec l'estimation du délégué général de la FICG, et selon laquelle le taux d'utilisation des capacités de production serait de 85 % en France et de 80 % en Allemagne. Dans la mesure où une partie substantielle des capacités de production en héliogravure installées dans un rayon de 700 kilomètres autour de Paris est implantée en Allemagne, où le taux d'utilisation des capacités est moindre en Allemagne qu'en France et où Quebecor ne produit pas en Allemagne, la part de marché estimée sur la base des capacités de production installées sous-estime vraisemblablement la part effective de Quebecor dans l'impression en héliogravure. Par ailleurs, cette estimation, puisqu'elle est fondée sur l'observation de capacités de production qui peuvent servir à l'impression de divers types de produits, ne permet pas par nature de distinguer le marché de l'impression de catalogues et de prospectus de grand tirage (pour lesquels le recours à l'impression hélio est incontournable) du marché de l'impression de magazines (pour la délimitation duquel il faudrait ajouter les capacités d'impression offset). Elle recouvre donc la totalité du marché pertinent de l'impression de prospectus et catalogues de VPC en héliogravure précédemment défini et une partie seulement du marché pertinent de l'impression de magazines. A l'inverse, elle présente l'avantage d'être fondée sur une analyse des capacités de production des intervenants dans un secteur où les coûts fixes des installations représentent une part très importante des coûts totaux (environ 80 %), et où l'existence de ces capacités constitue dès lors un élément déterminant du jeu concurrentiel et de la puissance relative des acteurs sur les marchés précédemment délimités.

Compte tenu de cette évaluation, le conseil considère donc que l'opération de concentration est contrôlable sur la base de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

L'activité brochage et routage

Le brochage et le routage sont des activités connexes à l'imprimerie. Elles consistent pour la première dans la finition (assemblage, pliage, encartage et agrafage ou collage) des produits imprimés et, pour la deuxième, dans leur envoi postal en nombre à une liste de destinataires fournie par le donneur d'ordre.

Les activités de brochage et d'impression sont extrêmement liées. En raison des délais très courts de mise en circulation des périodiques ou des catalogues, il est rationnel d'installer les usines de brochage à proximité des imprimeries afin d'éviter les délais et surcoûts qui résulteraient du déplacement d'importants volumes de papier imprimé. Le brochage est une activité de main-d'ouvre non qualifiée (l'investissement en machines ne dépassant pas 2 à 5 MF), à faible rentabilité et qui doit gérer des a-coups réguliers dans sa production au cours de la semaine, en fonction des dates de parution des magazines, et au fil de l'année, avec les campagnes promotionnelles des distributeurs ou la parution des catalogues de VPC.

L'apport de GraphicBrochage porte la part de marché de Quebecor de (moins de 10) % à (moins de 10) %, ce qui lui donne la première place devant Nouvelle Reliure industrielle (avec (moins de 10) %), Merkhofer ((moins de 10) %), Brio ((moins de 10) %) et Nord Brochage ((moins de 10) %), autres opérateurs significatifs. Toutefois, ce marché est très dispersé.

Concernant le routage, l'acquisition par Quebecor de 50 % de Bayard Hachette Routage (BHR) ne lui confère qu'une part de marché supplémentaire de (moins de 10) % en France, lui donnant une part cumulée avec la sienne de (moins de 10) % pour un marché français estimé à 9,7 milliards de francs en 2000 par les parties. Il s'agit là aussi d'une industrie de main-d'ouvre consistant dans le tri, le conditionnement sous film plastique et l'affranchissement postal des imprimés. De manière encore plus accentuée que pour le brochage, c'est une activité de main-d'ouvre non qualifiée, sans besoin d'investissements initiaux réellement significatifs, et où la compétitivité repose sur la gestion du personnel par rapport à des niveaux de production très fluctuants à court terme. Les clients auxquels s'adresse le routage constituent un périmètre plus large que celui des activités des parties à l'opération et de l'ensemble de l'imprimerie de labeur, puisque y figurent aussi la presse quotidienne nationale, la presse régionale et l'ensemble des entreprises pour leurs demandes de mailings.

3. L'appréciation de l'opération au regard des règles du droit de la concurrence

a) Le risque d'accroissement des prix

Selon les parties, Quebecor assurera, après l'opération, (...) % des capacités d'impression en héliogravure des magazines, catalogues et imprimés, dans un rayon de 700 kilomètres autour de Paris ((10-20) % pour Quebecor et (moins de 10) % pour E2G). L'opération prévoit que les magazines du groupe Hachette continuent à être imprimés par HelioCorbeil, pendant cinq ans.

Compte tenu des parts détenues sur le même périmètre par les grands héliograveurs européens (Rotosmeets (10-20) %, Polestar (10-20) %, TSB (moins de 10) %, Schlott-Sebaldus (moins de 10) %, Burda (moins de 10) % et Bauer (moins de 10) %), l'opération permet à Quebecor de conforter sa position de leader pour l'impression en héliogravure et pourrait faire craindre un risque de hausse des prix, sur le marché de l'impression des catalogues et imprimés, pour lesquels l'héliogravure est difficilement contournable, ainsi que sur le marché de l'impression de magazines.

Ce risque est cependant contrebalancé par plusieurs facteurs. Pour l'impression des catalogues et prospectus, l'entrée d'un nouveau concurrent, l'existence de capacités de production non utilisées chez les concurrents allemands de Quebecor, la concurrence des imprimeurs situés au-delà de la zone de 700 kilomètres retenue pour la définition géographique des marchés pertinents, concourent à limiter le pouvoir de marché de Quebecor. Pour l'impression de magazines, la pression concurrentielle de l'offset pèse sur les prix de l'héliogravure. De plus, sur les deux marchés interviennent des acheteurs puissants.

L'arrivée sur le territoire français de nouvelles capacités en héliogravure

A brève échéance, l'offre alternative à Quebecor devrait être complétée grâce à l'entrée d'un nouvel intervenant avec la société Lenglet installée à Caudry (Nord). Cette entreprise est déjà un imprimeur offset significatif et devrait se doter de capacités d'impression en héliogravure avec l'installation de 2 rotatives de 3,684 m de laize dont la mise en service est annoncée pour mai 2002 et mai 2003. La société Lenglet, étant située dans une zone en difficulté, a bénéficié d'aides publiques pour ses investissements et présente des comptes relativement équilibrés. Ce nouvel investissement d'un opérateur national prouve que pour un imprimeur spécialisé dans l'offset, les barrières à l'entrée sont surmontables.

L'existence de capacités de production en héliogravure non utilisées chez les concurrents allemands de Quebecor

Selon la FICG, l'Allemagne a absorbé un tiers des investissements réalisés dans les deux dernières années sur les machines héliogravure de grande laize. En prenant en compte les seules machines de 3,6 m de laize, les plus compétitives par rapport à l'offset, l'Allemagne en détenait 20. Des investissements sur ce créneau ont été récemment réalisés ou sont en cours chez les sociétés Springer et Rotosmeets, alors que Quebecor n'a pas investi dans son parc machines depuis plusieurs années. Une conjoncture dégradée en Allemagne, ayant comme conséquence la disparition récente d'une dizaine de titres de magazines, le repli des annonceurs, et une diminution de 10 % des volumes de la VPC, incitent les imprimeurs héliograveurs allemands à conquérir de nouveaux marchés, afin de bénéficier des économies d'échelle que devraient entraîner leurs investissements de capacité. D'après le délégué de la FICG, les prix du marché allemands ont commencé à diminuer depuis un à deux ans. Il a, par ailleurs, indiqué que le marché allemand était surcapacitaire et a évalué le taux d'utilisation des capacités de production à 80 % (offset et héliogravure confondus) contre 85 % en France.

L'existence de surcapacités de production importantes en héliogravure en Allemagne, et la pression sur les prix qui en résulte, limitent fortement les possibilités que Quebecor aurait d'augmenter ses prix. Les clients, tant dans l'édition que dans la VPC et la grande distribution, déjà habitués à faire appel aux imprimeurs allemands, disposent en effet d'une alternative capable de faire face sans délai à une hausse de la demande.

Par ailleurs, on peut noter que les imprimeurs italiens ont des surcapacités en offset 48 et 64 pages, des prix compétitifs, et cherchent à s'implanter en France, en particulier sur le marché des magazines. L'Espagne, qui bénéficie d'un avantage sur le coût de la main-d'ouvre, attaque le marché des catalogues pour la grande distribution.

La pression concurrentielle des imprimeurs localisés au-delà de la zone de 700 kilomètres autour de Paris

Une offre alternative en héliogravure est disponible aux frontières des marchés pertinents retenus. Cette offre étrangère peut être sollicitée pour les impressions qui ne sont pas directement liées à l'actualité. Selon les données fournies par les parties, sur le total des magazines imprimés en héliogravure hors de France, 45,8 % l'est à plus de 700 kilomètres.

La pression concurrentielle de l'offset

Les informations disponibles sur l'offre en offset se limitent au territoire français. Quebecor assure (10-20) % des travaux d'impression en offset en France. L'opération ne modifie rien sur ce secteur, E2G n'étant pas présent sur cette activité. Les autres opérateurs sont principalement l'Imprimerie nationale, avec (10-20) % de l'impression en offset, et un parc rotatives de 6 presses 64 pages, Maury, avec (moins de 10) % et un nouveau parc de 11 presses 48 pages, ou Actis et Sego avec respectivement (moins de 10) % et (moins de 10) % de l'impression en offset.

L'examen de la répartition de la production française selon la technique d'impression utilisée au cours des dernières années, permet d'apprécier l'augmentation globale des travaux traités en offset. Les cinq dernières années ont été marquées par la diminution de la part de l'héliogravure, passée de 18,4 % des volumes produits en 1995 à 16,8 % en 2000, au bénéfice de l'offset.

L'examen factuel développé dans l'analyse du marché pertinent, démontrant les changements dans les choix de technologie opérés par la clientèle, a confirmé la pression concurrentielle forte exercée par l'offset, en particulier depuis la politique d'investissements massifs menée par les offsettistes dans les Sunday 48 et 64 pages (31 presses 48 pages depuis 1996 et 8 presses 64 pages installées en France).

Cette constatation est renforcée par l'analyse de la baisse des prix des produits imprimés depuis une dizaine d'années. Cette baisse globale connaît une différenciation, mesurée, selon le procédé d'impression mis en œuvre : Quebecor ayant estimé dans la notification que la diminution a plus affecté l'offset (- 16 % au cours des cinq dernières années), que l'héliogravure (- 10 %).

Or, l'écrasement progressif des prix des produits offset est la conséquence d'une surcapacité productive conduisant à une course au volume, du fait de l'importance des coûts fixes à couvrir. Le taux d'utilisation des capacités de production sur l'offset a été estimé par la Banque de France à 84 %. Aucun gain de productivité n'ayant été réalisé depuis dix ans car le matériel français est vieillissant, la diminution des prix sur l'héliogravure s'explique plus vraisemblablement par la pression concurrentielle exercée par l'offset.

La position industrielle obtenue par Quebecor est contrebalancée par la puissance d'achat des clients

Les clients pour les magazines (HFM, Emap, VUP, Prismapresse) et encore plus pour la distribution (PPR, 3 Suisses, CAMIF en VPC ou Leclerc, Carrefour pour la grande distribution), sont, le plus souvent, des entreprises de taille importante et d'envergure internationale, en mesure de négocier les meilleurs prix avec leurs imprimeurs et de faire appel à des prestataires à l'échelle européenne.

Concernant les groupes de presse indépendants (Socpresse, Bayard, ...), de taille plus modeste, le fait d'avoir des titres hebdomadaires tirant à 500 000 exemplaires ou plus leur donne un pouvoir de pression vis-à-vis de leur imprimeur.

En 2000, les 10 premiers clients représentaient (...) % du CA chez Quebecor et (...) % du CA chez E2G, dont toutefois (...) % correspondant aux prestations assurées pour le groupe Hachette. Les informations données dans la notification permettent d'identifier dans la clientèle des grands groupes de l'édition tels que Bertelsmann (Grüne & Jahr), Emap, Socpresse, Bayard, Vivendi, et de la distribution, Carrefour/Altavia, PPR, Auchan, Kingfisher (enseignes : Darty/ Conforama/ But).

Globalement, cette clientèle, presse ou distribution, apparaît volatile, de par les pratiques professionnelles prévalant dans l'imprimerie et le constat des transferts d'imprimeurs intervenus au cours des années récentes. La relation entre l'imprimeur et un éditeur ne donne pas lieu le plus souvent à la formalisation d'un contrat, mais simplement à une négociation annuelle entre les deux parties sur un volume d'activité, un planning de fabrication et un prix unitaire, un désaccord en cours d'année ouvrant simplement droit pour l'imprimeur aux quelques mois de préavis de rupture prévus par les usages professionnels.

Concernant plus particulièrement les distributeurs, la nature de leur demande à la fois ponctuelle, engageant des volumes élevés et admettant une certaine souplesse quant au délai de fabrication, leur permet de procéder par appels d'offres avec attribution au meilleur rapport qualité-prix. Pour ces deux clientèles, le changement d'imprimeur est une possibilité réelle et usitée.

b) Le risque d'un comportement prédateur

Il est peu vraisemblable que l'opération donne à Quebecor la possibilité de mettre en œuvre une stratégie prédatrice à l'égard de ses principaux concurrents sur les marchés définis. En premier lieu, sa part dans la capacité d'impression en héliogravure, soit (20-30) % sur la zone géographique pertinente de 700 kilomètres autour de Paris, est trop faible pour qu'il puisse espérer évincer tous ses concurrents, c'est-à-dire les seuls héliograveurs pour l'impression des catalogues et prospectus de grand tirage et ces derniers, ainsi que les imprimeurs offset, pour l'impression des magazines, afin de pouvoir remonter ses prix. En second lieu, les capacités de production de Quebecor ne lui permettent pas d'absorber une demande supplémentaire laissée vacante par un concurrent, alors que ses concurrents allemands disposent, comme on l'a vu ci-dessus, d'importantes capacités excédentaires et pratiquent eux aussi une politique de baisse des prix.

c) Le risque d'effet de gamme

L'opération de concentration donne au nouvel ensemble (moins de 10) % du marché français du brochage et (moins de 10) % du routage. Le groupe Quebecor est en mesure d'offrir à ses clients une offre unique regroupant l'impression, le brochage et le routage (qui ne concerne que les abonnements). Cet effet de gamme ne constituerait cependant un risque pour la concurrence que s'il permettait à Quebecor d'évincer ses concurrents ou de restreindre les possibilités de choix de ses clients par des ventes liées.

Or, plusieurs concurrents directs de Quebecor offrent également l'ensemble des prestations, ainsi, à titre non limitatif, Maury, Sego, Actis, Imprimerie nationale, Serge Laski, ou Decoster. De plus, une offre groupée ne correspond ni aux attentes des clients qui ont le souci de diversifier leurs fournisseurs pour sécuriser leurs approvisionnements, ni aux contraintes techniques rencontrées par les activités de brochage et de routage.

Quebecor a ainsi indiqué que sur les 28 titres de magazines qu'il imprime en héliogravure, il ne réalise le brochage en tout ou partie que de (...) d'entre eux. Les distributeurs et, plus encore, les éditeurs clients des imprimeurs privilégient une diversification de leurs brocheurs afin de se prémunir contre les conséquences d'un incident technique ou d'un conflit social. Par ailleurs, pour les travaux d'impression réalisés à l'extérieur des frontières françaises, les travaux de brochage sont également réalisés à l'étranger.

Au plan technique, l'écart important de productivité entre les rotatives et les machines de brochage (une rotative imprime jusqu'à 70 000 exemplaires à l'heure, alors que les machines d'assemblage-collage ou piquetage les plus performantes ne dépassent pas 18 000-20 000 exemplaires par heure) impose fréquemment la mise en production concomitante de plusieurs brocheurs pour respecter les délais, spécialement pour les magazines. Par ailleurs, la publicité pour les magazines et le marketing pour la distribution demandent de plus en plus des imprimés adaptés à un public spécifique (cible de clientèle prédéterminée, personnalisation, éditions locales), ce qui nécessite autant de chaînes de brochage distinctes et freine l'automatisation.

La nouvelle position acquise par Quebecor dans le brochage n'est donc pas de nature à fermer le marché du brochage aux dépens des concurrents.

S'agissant du marché du routage, la nouvelle situation obtenue par Quebecor ne modifie pas la structure d'un marché très atomisé, où le concurrent le plus important (Koba-Sodimail) ne contrôle que (moins de 10) % du marché français en 2000 et les 5 suivants (dont Quebecor-BHR) chacun (moins de 10) %, avec en outre une présence multiple de La Poste.

Enfin, malgré la pratique consistant à utiliser les deux procédés d'impression (héliogravure et offset) à l'intérieur d'un même magazine, les données fournies par les parties montrent que, comme pour l'ensemble des prestations, les éditeurs, clients de Quebecor, préfèrent diversifier leurs fournisseurs et font rarement réaliser à la fois, par le même imprimeur, des travaux d'héliogravure et d'offset.

Au total, le brochage et le routage représentent deux marchés aval par rapport à l'impression mais distincts par leurs prestations, leurs intervenants, leur fonctionnement et le caractère déterminant des coûts de main-d'ouvre qui ne pèse pas de la même manière dans l'imprimerie. Les positions acquises par Quebecor sur chacun de ces marchés n'ont donc pas d'incidence les unes sur les autres.

Sur la base des considérations qui précèdent, le Conseil de la concurrence est d'avis :

Que la concentration résultant de l'acquisition du groupe E2G par le groupe Quebecor n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

La rapporteure générale adjointe, Nadine Mouy

Le vice-président, présidant la séance, Frédéric Jenny

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.