Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch., 25 mars 1991, n° 89-2677

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ets Guilhermin (SARL)

Défendeur :

Courtier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bertrand

Conseillers :

M. Labignette, Mme Bouet

Avocats :

Mes Fleuriot, Rizzo.

Cons. prud'h. Aix-en-Provence, sect. enc…

20 janvier 1989

Faits, procédure et moyens des parties

Engagé verbalement par la SARL Guilhermin en 1955, en qualité de VRP, Christian Courtier a été licencié le 11 mars 1988 pour faute lourde à la suite du vol dans son véhicule automobile, dans la nuit du 7 au 8 janvier 1988, de la collection de bijoux qui lui avait été confiés par son employeur.

La société Guilhermin a assigné Courtier devant le Conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence en paiement de la somme de 608 295,29 F représentant la valeur du stock de bijoux volé ; estimant son licenciement abusif, par demande reconventionnelle, celui-ci a sollicité le paiement des sommes de :

- 16 230 F à titre de préavis,

- 43 290,11 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 10 822 F à titre de commission sur échantillonnage,

- 70 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 4 044 F représentant le montant des commissions dues pour les mois d'octobre, novembre, décembre 1987, janvier, février et mars 1988,

- 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement en date du 20 janvier 1989, le conseil de prud'hommes a retenu d'une part que la négligence de VRP était constitutive d'une faute lourde, d'autre part que l'employeur avait fait preuve de légèreté en ne souscrivant pas un contrat d'assurance contre le vol, et débouté les deux parties de leurs demandes respectives.

La société Guilhermin a fait appel le 8 février 1989 de la décision, notifiée le 31 janvier 1989, Courtier a formé appel incident en ce qui concerne la faute lourde retenue à son encontre, mais sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté son employeur de sa demande.

La société Guilhermin rappelle que Courtier était dépositaire des marchandises et valeurs lui appartenant, qu'il avait donc l'obligation d'apporter à leur conservation les soins qu'il aurait apportés à la garde de choses lui appartenant ; elle soutient qu'il a donc commis, en ne prenant pas toutes précautions pour la protection des objets qui lui avaient été confiés, une faute contractuelle de nature à justifier son licenciement pour faute lourde et à engager sa responsabilité professionnelle, dont il ne peut s'exonérer en alléguant le défaut de souscription d'une police d'assurance par son employeur, l'article 6 de la Convention Collective des VRP qui doit trouver application prévoyant dans son alinéa 1 que " le représentant de commerce doit apporter ses meilleurs soins à la garde des échantillons et collections à lui confiés par son employeur... ", et seulement dans son alinéa 2 que " faute de contrat entre les parties précisant que l'assurance des échantillons confiés est à la garde du VRP, il incombe à l'employeur de souscrire un contrat d'assurance ".

Elle demande en conséquence la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que Courtier a commis une faute lourde, sa condamnation à lui payer les sommes de 608 295,29 F, montant de stock des bijoux volés, 15 000 F, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile outre les dépens de première instance d'appel, ainsi que le débouté de toutes ses demandes reconventionnelles.

Christian Courtier souligne que son licenciement n'est intervenu que trois mois après les faits et que l'employeur a donc dans un premier temps envisagé la poursuite des relations contractuelles ; il soutient que l'article 6 de la Convention Collective des VRP prévoit deux obligations cumulatives à la charge de l'employeur et du salarié, que la société ne conteste pas ne pas avoir rempli celle lui incombant, de même qu'elle s'est volontairement abstenue de payer les frais de pose d'un système d'alarme sur son véhicule automobile (le chèque de règlement n'ayant été délivré que le lendemain du vol), alors qu'elle préconisait que les collections soient conservées en coffre de voiture ; il expose que la longueur du délai écoulé entre le vol et son licenciement ainsi que l'examen des documents qui lui ont été adressés avant celui-ci démontre à l'évidence que la mesure est uniquement motivée par son refus de payer la contre-valeur des bijoux volés, et qu'en conséquence elle ne repose sur aucun motif réel et sérieux ; il conteste enfin le montant même de la somme réclamée par la société Guilhermin, l'inventaire de la collection de bijoux ayant été dressé par son employeur, sans prise en considération de l'inventaire permanent détenu par lui-même.

En raison tant de l'absence de faute lourde que de motif réel et sérieux de licenciement, il s'estime fondé à réclamer les sommes de :

- 5 411,25 F à titre d'indemnité de préavis,

- 541,12 F à titre de congés payés,

- 43 290,11 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 10 822 F à titre de commissions sur échantillonnage,

- 70 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 4 044 F représentant le montant des commissions pour les mois d'octobre, novembre, décembre 1987, janvier, février et mars 1988,

- 404,40 F au titre des congés payés y afférents,

- 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs et décision de la cour

Sur le caractère de la faute invoquée à l'encontre de Courtier

Attendu qu'il est établi par les diverses pièces versées aux débats, et notamment le procès-verbal de gendarmerie dressé à la suite des faits par la brigade de Mougins, ainsi que le constat d'huissier en date du 24 août 1988 que, dans la nuit du 7 au 8 janvier 1988, le vol de la collection de bijoux a été perpétré dans le véhicule du représentant fermé à clef, mais stationné sur un parking privé d'hôtel, non clôturé, laissé sans surveillance, directement accessible de la voie publique bien qu'en super structure de celle-ci ;

Attendu qu'aux termes de l'article 6 de la Convention Collective Nationale des VRP, " le représentant de commerce doit apporter ses meilleurs soins à la garde des échantillons et collections à lui confiés par son employeur "; que le fait d'avoir ainsi laissé une collection de valeur dans un véhicule garé la nuit sans surveillance et dépourvu de tout système d'alarme constitue de la part de Courtier une imprudence d'autant plus grande qu'il connaissait, vu son ancienneté dans la profession, la gravité des risques encourus et qu'il lui suffisait, pour y échapper, de déposer dans sa chambre d'hôtel la mallette, aisément transportable du fait de ses petites dimensions;

Attendu que, si la faute ainsi définie ne peut être qualifiée de lourde en ce qu'elle n'a pas été commise avec l'intention de nuire à l'employeur, elle revêt toutefois les caractères de la faute gravesusceptible de faire courir à l'entreprise un risque rendant impossible la continuation du contrat de travail, peu important que l'employeur n'ait cru devoir, jusqu'au 11 mars 1988, interrompre les relations contractuelles, des tractations ayant eu lieu entre les parties durant les mois de janvier et février ;

Attendu que le salarié ne peut pas plus tirer argument du fait que son employeur ne lui a pas rapidement adressé, après l'acquisition de son nouveau véhicule, 1er décembre 1987, sa participation à l'installation d'un système d'alarme, ni qu'il n'a pas contracté une assurance contre les risques de vol comme le lui imposait l'article 6 alinéa 2 de la Convention Collective ;

Attendu que quelles qu'aient pu être les lenteurs manifestées par l'employeur pour participer au financement de l'installation du système d'alarme (deux mois environ), le représentant ne devait en aucune façon laisser ledit véhicule sans protection et, dans l'attente de cette protection, ne pouvait se permettre de garder une collection de prix dans un véhicule, en stationnement, la nuit sur un parking non protégé; qu'en agissant de la sorte, Courtier a commis une faute grave, la recherche d'une négociation entre les parties, immédiatement après le vol, eu égard à l'importance du préjudice subi par l'employeur n'étant pas de nature à tempérer la gravité de ladite faute ; que dès lors, le jugement doit être réformé en ce qu'il a qualifié de lourde ladite faute ;

Sur la réparation du préjudice subi par la société Guilhermin

Attendu que les agissements reprochés au représentant constituant une faute grave, sa responsabilité contractuelle ne peut se trouver engagée et entraîner l'allocation de dommages et intérêts au profit de son employeur ; qu'en effet la responsabilité du salarié se limite à sa faute personnelle lourde et que Courtier répond d'autant moins des risques encouru par la société que celle-ci a contribué à leur réalisation en tardant à payer sa quote-part du système d'alarme devant équiper le véhicule automobile de son représentant et en ne souscrivant pas une police d'assurance, comme la lui imposait l'article 6 de la Convention Collective des VRP ;

Attendu que la demande présentée à ce titre par les Ets Guilhermin doit être rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point ;

Sur la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive présentée par la société Guilhermin :

Attendu qu'en l'état de rejet de la demande en dommages et intérêts présentée par la société appelante, la résistance opposée à ses prétentions par le représentant apparaît fondée et ne peut donner lieu à allocation de dommages et intérêts ;

Sur les indemnités réclamées par Courtier :

- L'indemnité compensatrice de préavis :

Attendu qu'aux termes de l'article L. 122-8 du Code du travail, le salarié, en cas de faute grave, n'est pas en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de préavis ; que la demande présentée à ce titre est en voie de rejet, que le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point ;

- Indemnité de congés payés y afférents :

Attendu que la dispense de paiement, en cas de faute grave, de l'indemnité compensatrice de préavis entraîne, par application de l'article L. 122-8 du Code du travail, celle du paiement de l'indemnité de congés payés qui en découle ;

- Indemnité de clientèle :

Attendu que l'article L. 751-9 du Code du travail supprime le droit du VRP à une indemnité de clientèle en cas de résiliation du contrat à durée indéterminée pour faute grave de l'employé; que la demande doit en conséquence être rejetée;

- Commissions sur échantillonnage :

Attendu que l'article 751-8 de Code de travail reconnaît le droit de l'employé, à titre de salaire, aux commissions sur les ordres encore non transmis à la date de la cessation de ses services quelle qu'en soit la cause, suite directe des échantillonnages et des prix faits antérieurs à celle-ci ;

Attendu que Courtier verse aux débats quelques fiches de commandes ou achats à en-tête des Ets Guilhermin non signées, intervenues les 26 et 28 janvier, 10 février et 2 mars 1988 ;

Mais attendu que celles-ci n'ont pas trait soit à des commandes reçues après la cessation de ses activités au sein de la société, conséquence directe de son travail de prospection, soit à des ordres antérieurs à la cessation du contrat mais pour lesquels les commissions n'étaient exigibles que postérieurement ;

Attendu que Courtier, auquel incombe la charge de la preuve, n'établit pas le non-paiement des commissions pouvant lui être dues du fait de ces acquisitions, dont le montant est inconnu, intervenues antérieurement à la cessation de ses activités ; qu'il doit être débouté de ce chef de demande ;

- Dommages et intérêts pour licenciement abusif :

Attendu que le licenciement n'apparaissant pas prononcé sans cause réelle et sérieuse, aucune somme n'est due de ce chef ;

- Commissions des mois d'octobre, novembre, décembre 1987, janvier, février et mars 1988 : 4 044 F :

Attendu qu'il est établi par les divers décomptes versés aux débats par l'intimé que lesdites commissions que la société ne conteste pas ne pas avoir réglées, s'élèvent aux sommes suivantes :

* 1 549,44 F pour le mois d'octobre 1987,

* 1 307,62 F pour le mois de novembre 1987,

* 1 209,10 F pour le mois de décembre 1987,

* 782,69 F pour le mois de janvier 1988,

* 196,80 F pour le mois de février 1988,

* 277 F pour le mois de mars 1988 ;

qu'il y a lieu de faire droit à la demande réclamée, qui ne s'avère pas supérieure aux sommes précitées ;

- Indemnité de congés payés y afférents :

Attendu que celle-ci apparaît due au titre du travail personnel fourni ; qu'elle s'élève, conformément aux dispositions de l'article L. 223-11 du Code de travail à la somme de 404,40 F ;

Sur I'application de I'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu qu'en raison de la succombance respective des parties, il apparaît équitable de laisser à leur charge les frais irrépétibles qu'elles ont engagés pour assurer la défense de leurs droits en justice ; que les demandes présentées à ce titre doivent être rejetées ;

Sur les dépens

Attendu que, pour les motifs sus-énoncés, il y a lieu de procéder à un partage par moitié entre les parties des dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale ; Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu à l'encontre de Christian Courtier l'existence d'une faute lourde et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ; Statuant à nouveau ; Dit et juge que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, constitutive de faute grave ; Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la SARL Guilhermin de sa demande en paiement de la somme de 608 295,29 F représentant le montant du stock de bijoux confié à Courtier ; La déboute de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive ; Déboute Courtier de ses demandes en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de congés payés y afférents, d'une indemnité de clientèle de commissions sur échantillonnage et de dommages et intérêts pour licenciement abusif ; Condamne La SARL Guilhermin à payer à Courtier les sommes de : 4 044 F au titre des commissions dos mois d'octobre, novembre, décembre 1987, janvier, février et mars 1988, avec intérêts de droit compter du 9 décembre 1988, date du dépôt de la demande ; 404,40 F au titre de l'indemnité de congés payés y afférents, avec intérêts de droit à compter du 28 janvier 1991, date de dépôt de la demande ; Déboute les parties de leurs demandes présentées en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne par moitié les parties aux dépens de première instance et d'appel.