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Décisions

CA Bourges, ch. soc., 19 mai 2000, n° 99-01933

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pion

Défendeur :

Hueck France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mallard

Conseillers :

Mme Warein, M. Engelhard

Avocats :

Mes Villatte, Campagnolo-Gratelle.

Cons. prud'h. Châteauroux, du 16 nov. 19…

16 novembre 1999

Faits et procédure :

Monsieur Claude Pion a été embauché le 1er octobre 1985 par la société Hueck France en qualité de VRP responsable de secteur. Son affectation géographique a évolué dans des conditions qui forment pour partie le litige.

Le 26 février 1999, Monsieur Pion a fait l'objet d'un licenciement pour insuffisance de résultats, au vu d'une baisse constante du chiffre d'affaires réalisé sur le secteur 26 et du non-respect des objectifs fixés pour 1997 par le salarié lui-même.

Contestant cette décision, Monsieur Pion a saisi le Conseil de prud'hommes de Châteauroux pour obtenir :

- 341 100 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 227 399,94 F à titre de contrepartie pécuniaire mensuelle (arrêtée au 1er septembre 1999) de la clause de non-concurrence à laquelle l'employeur n'aurait pas renoncé dans les conditions fixées par la convention collective,

- 12 633 F par mois sur le même fondement du 1er septembre 1999 à février 2000 inclus,

- 4 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Par jugement du 16 novembre 1999, le conseil a débouté Monsieur Pion de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à la société Hueck France la somme de 1 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Monsieur Pion a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Moyens et prétentions des parties :

A l'appui de son recours, Monsieur Pion expose qu'au moment de son embauche lui avait été confiée la responsabilité du secteur "grand ouest" regroupant 17 départements et trois secteurs (18, 19, 20) chacun confié à un délégué régional, et qu'à compter du 13 octobre 1992 lui a été en sus confiée la fonction de délégué régional du secteur 18. Il prétend n'avoir jamais été chargé régulièrement du secteur 26, soutient que l'employeur a tenté de lui imposer ce changement d'affectation en même temps qu'une modification de sa rémunération, qu'il a expressément refusée, et affirme n'avoir non plus jamais été déchargé du secteur 18 ainsi que du surplus du secteur grand ouest.

Il estime qu'au total l'employeur l'a volontairement maintenu dans une situation très floue et ne peut lui reprocher, dans ce contexte, une insuffisance de résultat.

Il fait valoir par ailleurs qu'aucun chiffre d'affaires ne lui a été imposé contractuellement pour ce secteur 26, ce qui aurait été nécessaire puisque l'article 4 du contrat de travail prévoyait un objectif de vente n'ayant aucun rapport avec le secteur 26, et qu'on ne peut dès lors lui reprocher de n'avoir pas atteint cet objectif en réalité inexistant.

Il soutient qu'en réalité son licenciement avait pour seule justification la suppression du dernier poste de responsable de secteur, la société Hueck n'ayant conservé à son service que les seuls délégués de secteur.

Soulignant son préjudice très important eu égard à son âge et à la nécessité dans laquelle il s'est trouvée, après de nombreux mois de chômage, de créer sa propre entreprise, il demande à la cour de réformer le jugement entrepris en déclarant son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et en lui allouant la somme de 341 100 F à titre de dommages et intérêts.

Il considère d'autre part que l'employeur n'a pas renoncé à se prévaloir de la clause de non-concurrence selon la procédure et dans les délais prévus par la convention collective. Il soutient à cet égard que cette convention rend obligatoire une renonciation postérieure au licenciement et ne peut autoriser une dénonciation opérée dans la lettre même de licenciement. Il demande par conséquent à la cour de réformer sur ce point également le jugement entrepris et de condamner la société Hueck France à lui payer l'intégralité de la compensation pécuniaire due pendant 24 mois, soit la somme totale de 303 199,92 F, chaque mensualité égale de 12 633,33 F portant intérêt à compter de son exigibilité.

Il réclame enfin une indemnité de 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

La société Hueck France demande au contraire à la cour de confirmer le jugement déféré, et fait valoir à cet effet :

* au sujet du licenciement :

- que Monsieur Pion s'est vu confier de manière tout à fait régulière la responsabilité du secteur 26 conformément à son contrat de travail qui n'exige pour cela aucun avenant et comme il l'a reconnu expressément dans ses écritures de première instance, et qu'il a été corrélativement remplacé sur le secteur 18 par un autre représentant dès le mois de mars 1997 ; que ce changement d'affectation conforme au contrat de travail ne saurait être confondu avec la proposition de modification du contrat de travail, qui en est tout à fait indépendante, et qui a été refusée par Monsieur Pion comme il en avait le droit ;

- qu'il est manifeste que l'activité de Monsieur Pion n'a cessé de baisser depuis 1996, tant en ce qui concerne le nombre de visites qu'en ce qui concerne le chiffre d'affaires réalisé ; qu'il n'a pas atteint l'objectif qu'il avait lui-même fixé pour l'année 1997 et pour le secteur 26, son taux de réalisation étant inférieur de 60 % ; que les résultats qu'il avait obtenus en 1996 sur le secteur 18 démontrent que ses difficultés sont anciennes et itératives ;

* au sujet de la clause de non-concurrence :

- que le délai fixé par la convention collective pour autoriser l'employeur à renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence est un délai maximal dont le but est de permettre au salarié d'être immédiatement informé de ses possibilités de recherche d'un nouvel emploi ; qu'il importe peu dans ces conditions que la renonciation ait été notifiée par la lettre de licenciement, dès lors qu'elle apparaît bien comme une conséquence du licenciement et qu'elle intervient dans le délai conventionnel.

La société Hueck France demande aussi à la cour de lui allouer une indemnité de 10.000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi, LA COUR,

I- Sur le licenciement :

Attendu qu'il convient en premier lieu de souligner que par l'article 2 du contrat de travail liant les parties, l'employeur s'est réservé la possibilité de modifier le programme du salarié, de le changer de secteur et de poste en fonction des impératifs de l'entreprise, étant précisé qu'un tel changement est susceptible d'entraîner un changement de résidence mais ne doit entraîner aucune baisse de rémunération; que Monsieur Pion ne saurait donc exiger la signature d'un avenant au contrat de travail et ne peut subordonner à son accord le changement d'affectation;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que ce changement d'affectation (passage du secteur 18 au secteur 26) a été effectif en janvier 1997, ainsi que le reconnaît l'intéressé dans un courrier du 21 juillet 1997 par lequel il se plaint (notamment), à tort d'ailleurs comme on vient de le préciser, de ne pas s'être vu adresser par l'employeur un avenant au contrat de travail ; qu'il ne peut donc aujourd'hui invoquer un défaut d'affectation officiel pour soutenir, ce qu'il semble faire au moins implicitement, qu'il n'est pas comptable des résultats du secteur 26 ;

Attendu par ailleurs qu'il ressort de bordereaux établis de la main même de Monsieur Pion qu'il a formulé mois par mois des prévisions de chiffre d'affaires pour l'année 1997, prévisions fixées à la somme totale de 5 500 KF, ce qui confère à ces objectifs un caractère contractuel ; qu'il est constant et non contesté qu'il n'a réalisé pour cette année 1997 qu'un chiffre d'affaires très inférieur, d'un montant de seulement 2 519 KF ; qu'il se révèle incapable de justifier cette distorsion, se contentant de réitérer l'argument selon lequel le secteur 26 ne lui était pas réellement confié, ce qui est faux comme on vient de le rappeler ; que s'il a pu expliquer en juin 1997 les difficultés auxquelles il se heurtait du fait qu'il continuait à s'occuper temporairement, au moins pour partie, des secteurs 18 et 19 alors à découvert, cette explication n'était plus valable à la fin de l'année et d'ailleurs les rapports d'activité hebdomadaire versés par lui-même aux débats montrent qu'à partir de juin 1997 il n'a plus fait aucune visite dans le secteur 18, pas plus que dans le secteur 19 ;

Attendu que par ailleurs, Monsieur Pion ne démontre pas que les objectifs qu'il lui est reproché de n'avoir pas respectés étaient absolument irréalistes et totalement impossibles à atteindre ; que d'ailleurs après son départ de l'entreprise, le chiffre d'affaires réalisé pour l'année 1998 s'est révélé nettement supérieur à celui qu'il avait réalisé en 1997 ;

Attendu que dans ces conditions, l'insuffisance de résultats invoquée par l'employeur apparaît comme aussi effective qu'importante et constitue un motif réel et sérieux de licenciement ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts ;

2-Sur la clause de non-concurrence :

Attendu qu'il résulte des termes de l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des VRP que "sous condition de prévenir, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les 15 jours suivant la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture, l'employeur pourra dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence ou en réduire la durée ;

Attendu que ce texte signifie, d'une part que l'employeur ne bénéficie que d'un délai de 15 jours pour renoncer totalement ou partiellement au bénéfice de la clause de non-concurrence, que d'autre part le point de départ de ce délai est au plus tard la date de réception de la lettre de licenciement ; qu'en effet, fixer un point de départ postérieur aurait pour effet indirect, au détriment du salarié, d'allonger le délai de renonciation et de prolonger la période d'expectative ;

Attendu que ce texte n'interdit nullement à l'employeur de notifier sa décision par le courrier même qui contient notification de la rupture ; qu'une telle notification concomitante à la rupture répond en effet aux exigences conventionnelles dès lors qu'elle intervient nécessairement dans le délai de 15 jours ayant pour point de départ la notification de la rupture ; qu'il en irait différemment d'une renonciation antérieure à la rupture, puisqu'elle révèlerait par elle-même l'intention de l'employeur de mettre fin au contrat de travail, une telle rupture étant alors dépourvue de cause réelle et sérieuse du fait de l'inobservation des dispositions de l'article L. 122-14-2 qu'elle comporterait nécessairement ; qu'en l'espèce la renonciation n'est pas antérieure mais concomitante au licenciement ; qu'elle n'est donc pas nulle et dispense valablement l'employeur du paiement de la contrepartie pécuniaire de la clause ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande formée à ce titre par Monsieur Pion ;

Attendu que le jugement déféré doit ainsi être intégralement confirmé ;

Attendu que par conséquent Monsieur Pion sera condamné aux dépens du recours, et débouté de la demande qu'il a fondée sur l'article 700 du NCPC ;

Attendu qu'il en sera de même, pour des raisons d'équité tenant à la disparité des situations en présence, de la demande formée au même titre par la société intimée ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale et après en avoir délibéré, En la forme, déclare l'appel recevable ; Au fond, Confirme intégralement le jugement déféré ; Y ajoutant, Déboute les deux parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du NCPC ; Condamne Monsieur Pion aux dépens du recours.