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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 26 octobre 1988, n° 87-3473

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pharmagen (Sté)

Défendeur :

Faure de Fondclair

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Daphy

Conseillers :

M. de Bardonneche, Melle Robin

Avocats :

Mes Tournois, Gaude.

Cons. prud'h. Vienne, sect. encadr., du …

1 décembre 1987

Par lettre recommandée du 21, reçue le 22 décembre 1987 au secrétariat-greffe du Conseil des prud'hommes de Vienne, l'avocat de la société Pharmagen a fait appel d'un jugement contradictoirement rendu le 1er décembre 1987 par la section de l'encadrement, notifié le 7 décembre.

Cet appel est recevable en la forme.

Exposé des faits :

La cour retient l'exposé des faits des premiers juges.

Sur le licenciement :

Attendu que Monsieur Faure de Fondclair, embauché par les laboratoires UPSA en qualité de VRP exclusif le 1er janvier 1974, dont le contrat de travail avait ensuite été repris par la société appelante le 1er janvier 1983, a été licencié pour faute grave le 7 janvier 1987 - qu'il a demandé les motifs de son licenciement qui lui ont été indiqué par lettre de la société du 14 janvier 1987 ainsi conçue " Nous vous faisons connaître les causes réelles et sérieuses de votre licenciement. Suite à une lettre de réclamation d'un client, nous avons constaté que vous aviez émis pour la journée du 3 décembre 1986 deux comptes rendus de visite sans commande pour les pharmacies Jeannoel et Bochu, alors que vous n'aviez pas visité ces clients. Non seulement vous avez reconnu avoir émis ces deux fausses visites, mais vous n'avez pas nié en avoir émis d'autres. Vous avez ainsi commis une faute grave privative des indemnités de rupture et de préavis. Vous évoquez d'autre part la progression du chiffre d'affaires de votre secteur, progression que nous n'avons pas contestée, mais qui reste insuffisante, comme vous avez pu le constater lors de l'entretien (- 21,4 % entre votre objectif et vos résultats)... ".

Attendu que la société se basant sur la jurisprudence selon elle constante en la matière veut voir dans les mensonges du salarié une faute grave - que ce dernier répond que s'il a reconnu par écrit avoir rédigé deux comptes rendus de visite qu'il n'avait pas faites "sous la pression de l'employeur", il estime que ses conditions très dures de travail, la multiplicité des visites quotidiennes à effectuer, la difficulté des routes de montagne, expliquent cette unique erreur en 14 ans - qu'il conteste d'autre part vigoureusement avoir rédigé d'autres comptes rendus fictifs.

A - Attendu que l'insuffisance professionnelle n'a pas été invoquée à la barre, la société se bornant à faire plaider que le représentant n'était pas de qualité exceptionnelle, puisque ses résultats se situaient dans la moyenne de l'ensemble de la France - qu'une telle affirmation apparaît hasardeuse puisque si les chiffres relevés sur un simple tableau, dépourvu de toute authenticité, établis par la société semblent faire apparaître un certain décalage entre objectifs et réalisations, la cour doit constater d'une part que jamais aucun reproche n'a été adressé à ce sujet au salarié et d'autre part que les pièces qu'il verse au dossier prouvent qu'il est sorti vainqueur de deux concours, en mai 1986 et pour la période décembre 1986, janvier et février 1987 (en dépit du licenciement) ce qui lui a d'ailleurs valu une prime exceptionnelle.

Attendu qu'un tel reproche d'ailleurs abandonné devant la cour, n'apparaît donc pas fondé.

B - Attendu que la société a toujours soutenu d'une part que le 3 décembre 1986, Monsieur Faure de Fondclair avait rédigé deux comptes rendus mensongers de visite, d'autre part que le 2 décembre il avait agi de la même façon.

1°) 2 décembre 1986 - Attendu que la société affirme que Monsieur Faure de Fondclair a rédigé le 2 décembre 1986 deux comptes rendus de visite inexacts, qu'il a en effet indiqué qu'il avait visité les pharmacies Berlaud et Marcelet alors qu'il n'y avait pas effectué de visites - qu'elle en veut pour preuve les attestations rédigées par Messieurs Faivre, directeur régional, Rozes directeur des ventes et Lamblin qui a assisté le salarié, tous trois étant présents lors de l'entretien préalable - qu'ils indiquent avec ensemble que l'intimé a reconnu les faits du 3 décembre et que d'autre part, il n'a pas caché que lui comme les autres avaient eu recours d'autres fois à de telles pratiques.

Attendu que les pièces versées aux débats, à savoir comptes rendus de visite sans commande (CRVSC) des pharmacies Marcelet et Berlaud, attestations "de dame Magnin-Bertrand et de Messieurs Pons, Marcelet et Berlaud, relèvent sans contestation possible que Monsieur Faure de Fondclair a effectivement rendu visite le 2 décembre 1986 à Monsieur Marcelet qui ce jour là en raison de l'importance de son stock n'a pas passé de commande - qu'elles établissent avec une même certitude que le salarié s'est rendu dans les pharmacies Magnin, Berlaud et Pons et que les trois pharmaciens ont passé une commande groupée sous le nom de Monsieur Pons - qu'il apparaît donc logique que Monsieur Faure de Fondclair ait rédigé des comptes rendus de visite pour dame Magnin et Berlaud et ait rédigé une seule commande au nom de la pharmacie Pons - qu'il a d'ailleurs pris soin de mentionner sur les deux comptes rendus qu'en fait une commande groupée avait été passée.

Attendu que dans de telles conditions, la Cour s'étonne que la société ose encore soutenir devant elle de tels reproches, alors que la production des pièces en a établi sans discussion possible l'inanité.

2°) 3 décembre 1986 - Attendu qu'avec la même clarté, les pièces figurant dans les dossiers démontrent que le 3 décembre 1986, Monsieur Faure de Fondclair a rédigé deux CRVSC au nom des pharmacies Jeannoel et Bochu, toutes deux situées à Chambéry, alors qu'il ne s'y était pas rendu - qu'il a reconnu d'ailleurs ces faits par écrit dans sa lettre manuscrite du 19 décembre 1986 et que les pressions qu'il allègue - bien timidement - dans ses écritures n'ont pas été établies - que les attestations des trois témoins ayant assisté à l'entretien préalable prouvent que devant elles, il a renouvelé ses aveux pour la journée en cause.

3°) Autres faux - Attendu qu'aucune des pièces des dossiers soumis à l'examen de la Cour ne révèle la rédaction d'autres CRVSC inexactes et que les trois attestations susvisées ne peuvent suffire à en établir la réalité avec un degré de certitude suffisant.

Attendu que le salarié a tenté sinon de justifier ses agissements du moins de les minimiser en expliquant qu'il préparait chaque jour avant son départ les comptes rendus des clients à visiter que sans le dire, arguant de la dureté de ses conditions de travail, il sous-entend qu'il a pu commettre une erreur - que cette explication ne saurait être retenue par la Cour, puisque même si le salarié préparait à l'avance l'en-tête de ses futurs comptes-rendus en marquant le nom du client, il est inconcevable qu'il ait pu mentionner le soir du 3 décembre l'accomplissement des deux visites litigieuses [dès] lors qu'il ne les avait pas faites- qu'il apparaît bien au contraire qu'il s'agit d'un procédé frauduleux, tendant à faire croire à la société que son salarié procédait à des visites et avait sur le terrain une activité qu'en réalité il ne déployait pas.

Attendu cependantqu'il n'est pas prouvé que ces deux agissements, sur une même journée, avaient été précédés de faits identiques- que les deux pharmacies figuraient sur la liste de celles qui ne devaient recevoir une visite qu'une fois par an, alors qu'il résulte des plannings produits que Monsieur Bochu avait été visité le 29 janvier 1986, Messieurs Bochu et Jeannoel le 30 avril 1986, les instructions de la société étant ainsi respectées et aucun préjudice ne pouvant découler de l'existence des faux comptes-rendus - que Monsieur Faure de Fondclair était employé depuis un peu moins de treize années lorsqu'il a été surpris en flagrant délit, et qu'aucun rappel à l'ordre ne lui avait jamais été infligé.

Attendu que les faits en cause étaient de nature à entraîner une perte de confiance justifiant un licenciement pour cause réelle et sérieuse, maisque par contre, étant uniques, ils ne sauraient être qualifiées de faute grave, puisque celle retenue n'était pas de nature en l'absence de récidive, à empêcher le maintien du contrat de travail pendant le temps limité du préavis, ce maintien s'avérant insusceptible d'entraîner des inconvénients graves pour la société, qui en a d'ailleurs jugé ainsi puisqu'une mise au courant des faits le 19 décembre 1986 par l'enquête de son directeur régional Monsieur Faivre, elle n'a cependant pas jugé opportun de prendre à l'égard de l'intimé une mesure de mise à pied et l'a conservé à son service, avec une activité normale et assistance à une réunion de VRP, jusqu'au 8 janvier 1987.

Attendu que les premiers juges seront réformés sur ce point.

Sur les demandes du salarié :

A - Attendu que le salarié ne saurait prétendre à des dommages-intérêts pour licenciement non causé.

B - Attendu qu'ayant plus d'une année d'ancienneté, il peut par contre prétendre à un préavis égal à la moyenne de sa rémunération antérieure des trois derniers mois normaux, à savoir octobre, novembre et décembre 1986 - qu'aucune des parties n'a jugé bon de communiquer à la cour les bulletins de salaire de 1986 et que dans ces conditions, la cour sera contrainte de recourir à une mesure d'instruction.

C - Attendu que le salarié demande une indemnité de clientèle, qu'il estime à 400 000 F - qu'il apparaît remarquable qu'il demande ainsi sur la base de deux années de commissions, une somme égale à une moyenne de 16 666 F par mois, sans fournir le moindre élément à l'appui de cette demande pourtant importante.

Attendu qu'aucune liste de clients n'était jointe au contrat de travail initial - qu'il résulte cependant des diverses pièces produites que même légèrement en retrait par rapport à la moyenne nationale, le salarié a recruté de nombreux clients au profit de l'entreprise et que ceux-ci une fois acquis demeuraient fidèles, ayant pris avec leur première commande une sorte d'abonnement aux produits UPSA ou Pharmagen qu'ils diffusaient désormais de façon habituelle - que ces clients sont restés acquis à la société après le départ du VRP et que son successeur n'a eu qu'à recueillir les fruits de son labeur, excellent si l'on en juge par les nombreuses lettres de protestation envoyées à la société après le licenciement, qui toutes font l'éloge de l'intimé.

Attendu que le principe de l'indemnité de clientèle n'apparaît donc pas contestable - que par contre, pour en fixer le montant, la cour se heurte au même obstacle constitué par l'absence totale de pièces justificatives des gains réalisés en 1986 - que là encore, une mesure d'instruction s'impose.

D - Attendu que le salarié qui a réussi à faire réformer en sa faveur le jugement entrepris, ne doit pas supporter la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés au cours de l'instance - que la cour trouve en la cause des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 3 000 F l'indemnité qui compensera ce chef de préjudice.

E - Attendu que seule la carence du salarié a privé la cour des moyens de fixer sur le champ le montant du préavis et de l'indemnité de clientèle - qu'il apparaît normal dans un tel contexte qu'il fasse l'avance des frais d'expertise.

Par ces motifs, (et ceux non contraires des premiers juges), Vu les conclusions des parties, LA COUR, Statuant publiquement par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; En la forme, reçoit la société en son appel et le salarié en son appel incident ; Sur le fond, réformant partiellement ; Dit que Monsieur Faure de Fondclair a été licencié pour une cause réelle et sérieuse ; Le déboute de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause ; Dit qu'il peut prétendre à un préavis de trois mois et à une indemnité de clientèle ; Avant dire droit sur le montant de ces deux indemnités tous droits et moyens des parties étant réservés ; Commet en qualité d'expert Monsieur Charlon, expert près la cour d'appel 35, Chemin du Halage à Grenoble 38000 lequel aura pour mission : 1°) de prendre connaissance des dossiers des parties, de leur demander de lui produire toutes autres pièces utiles, en particulier les bulletins de salaire des années 1986 et 1987, 2°) de procéder au calcul du préavis, compte tenu de la moyenne des gains des mois d'octobre, novembre et décembre 1986, 3°) de faire à la cour une proposition sur le montant de l'indemnité de clientèle ; Dit que l'expert déposera son rapport avant le 30 juin 1989 ; Dit qu'avant le 30 novembre 1988, Monsieur Faure de Fondclair sera tenu de consigner au secrétariat-greffe de la cour, à titre d'avance sur les frais et honoraires de l'expert, la somme de huit mille francs (8 000 F) ; Condamne la société à verser à Monsieur Faure de Fondclair une somme de trois mille francs (3 000 F), sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Réserve les dépens.