CA Grenoble, ch. des urgences, 27 novembre 2001, n° 01-02639
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Warmtec et Caldis (SARL)
Défendeur :
France Geothermie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Husquin
Conseillers :
M. Rebuffet, Mme Phaure
Avoués :
SCP Calas, SCP Hervé Jean Pougnand
Avocats :
Mes Fessler, Winckel, Laurent.
Le 5 décembre 1995, Monsieur Jean-Paul Camarano et Monsieur Patrice Malgouverne constituaient la société France Geothermie, dont ils étaient dès lors les deux associés à part égale.
Alors que Monsieur Camarano se voyait confier le mandat de gérant de cette société, Monsieur Malgouverne se voyait confier les fonctions de Directeur Technique et de Directeur Administratif et Financier.
Au terme d'un accord de résiliation conventionnel du 11 mai 2000, Monsieur Malgouverne démissionnait de son emploi et proposait la cession de ses parts à Monsieur Camarano.
En juin 2000, Monsieur Malgouverne décidait de constituer sa propre société dénommée Caldis, puis Warmtec, et ayant pour objet l'exercice d'une activité de commercialisation et d'installation de système de chauffage thermique et aérologique.
Estimant que la société Caldis se livrait à une activité directement concurrente de la sienne, usant pour ce faire de procédés totalement déloyaux et parasitaires à son encontre, France Geothermie engageait alors diverses procédures judiciaires.
Par acte en date du 19 décembre 2000, elle assignait la société Caldis devant le Tribunal de Commerce de Grenoble, afin de voir cette dernière condamnée à lui verser la somme de 1.971.104 F en réparation du préjudice subi en raison de :
- concurrence déloyale par parasitisme,
- contrefaçon de logiciel,
- concurrence déloyale par dénigrement.
Parallèlement, France Geothermie assignait également devant le Conseil des Prud'hommes de Grenoble Monsieur Vinckevleugel, son ancien VRP démissionnaire, pour violation de sa clause de non concurrence, ce dernier étant devenu VRP pour Caldis.
Elle saisissait enfin le Juge de l'Exécution d'une requête tendant à se voir autoriser à pratiquer à titre conservatoire une saisie-attribution des comptes de la société Caldis à la BPDAS.
Cette autorisation était donnée par ordonnance du 20 février 2001, et une saisie pratiquée le 1er mars 2001 permettait de rendre indisponible la somme de 2.367,27 euros.
Une autre ordonnance sur requête était rendue le 11 juillet 2001 et autorisait des saisies conservatoires entre les mains de différents clients et concessionnaires de Caldis, dont certaines ont été exécutées.
Dans ce contexte, la société Caldis saisissait, par acte du 5 mars 2001, le Juge de l'Exécution d'une demande en mainlevée de la saisie du 1er mars 2001.
Par jugement du 19 juin 2001, le Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance de Grenoble, estimant que les faits dommageables dénoncés par la société France Geothermie apparaissaient très largement établis, déboutait la société Caldis et cantonnait la saisie à 500.000 F.
La société Caldis interjetait régulièrement appel de cette décision le 3 juillet 2001 et assignait à jour fixe la société France Geothermie par acte du 18 juillet 2001.
A l'appui de son recours, elle fait valoir que France Geothermie est incapable de rapporter un élément de preuve sur le comportement reproché à son encontre sur le fondement de la concurrence déloyale par parasitisme et par détournement de clientèle, ainsi que sur la contrefaçon de son logiciel informatique ; qu'au niveau de la concurrence déloyale par parasitisme, le plagiat du catalogue et des plaquettes publicitaires n'est pas démontré, le mot géothermie n'étant pas notamment protégé et les termes utilisés étant banals et courants et usités par tous les concurrents ; qu'il n'y a que description de la nature ou de la destination du produit ou service représenté ; que toutes les sociétés analogues ont la même présentation compte tenu que le système est toujours le même ; qu'on ne peut démontrer un risque de confusion ; que les similitudes sont dues au caractère générique et nécessaire des termes utilisés; que le catalogue Warmtec soi-disant trouvé dans l'ordinateur de Monsieur Malgouverne est un faux, la marque Warmtec ayant été créée bien plus tard que le départ de ce dernier de France Geothermie ; que le parasitisme est exclu, dès lors que la présentation du service est rendue nécessaire par des contraintes techniques ou fonctionnelles ; que les logos, spirale et soleil, ne permettent aucune confusion ; que l'identité des fichiers est due à l'utilisation du logiciel Access vendu à des millions d'exemplaires ; que Monsieur Malgouverne, ancien associé de France Geothermie, et non tenu par une clause de non- concurrence, pouvait conserver sa liste de clients déjà fournis par France Geothermie ; que les prospects ont été restitués lors de son départ ; que France Geothermie ne rapporte pas la preuve d'un démarchage de ses prospects ave dénigrement, ce qui rendrait seulement le démarchage fautif ; que le pillage des distributeurs invoqué n'a aucun sens ; que les mêmes distributeurs peuvent bien être contactés en vertu du principe de la liberté du commerce ; que ces distributeurs sont en nombre limité et parfaitement connus des professionnels du secteur ; qu'il n'y a pas détournement de secrets de fabrication ; que le parasitisme est l'appropriation ou le détournement injustifié du travail ou des investissements d'un concurrent afin de tirer partie de sa notoriété ; qu'aucun élément ne permet d'établir que Warmtec se rattache à France Geothermie ; qu'en matière de géothermie, prestations et produits sont rigoureusement identiques ; que les savoir faire ne sont pas différents ; qu'il n'y a pas de brevet spécifique en la matière ; qu'en réalité France Geothermie demande simplement d'évincer un concurrent du marché, sans établir un comportement déloyal.
Elle ajoute que France Geothermie ne rapporte pas la preuve d'une concurrence déloyale par dénigrement ; que seul est sanctionné le fait de discréditer systématiquement une entreprise concurrente, ses produits ou services ; que les témoignages d'agents commerciaux ou commerciaux de France Geothermie ne démontrent rien, pas plus que la perte de distributeurs ; qu'en l'absence de clause de non concurrence France Geothermie ne peut interdire à ses concurrents de développer sa propre clientèle ; qu'on se demande comment France Geothermie peut invoquer un préjudice commercial de deux millions de francs, alors qu'elle dénonce l'amateurisme commercial de Warmtec et que son propre chiffre d'affaires pour 2001 est supérieur de plusieurs millions par rapport à 2000 que le préjudice de 400.000 F invoqué pour le développement de son logiciel ne repose sur aucune base ; que ce n'est pas un logiciel spécifique, mais un logiciel Microsoft ; que la protection de logiciels ne s'applique qu'à l'auteur d'un programme constituant une véritable création intellectuelle ; que le préjudice sur les concessionnaires n'est pas davantage vérifiable ; qu'en réalité l'action de France Geothermie procède de rancoeurs personnelles ; que le transfert de clientèle fait dans le respect des usages loyaux du commerce est parfaitement valable ; que le simple fait pour l'ancien préposé d'une entreprise d'aviser la clientèle de son départ et de la création d'une nouvelle société ne suffit pas à caractériser la concurrence déloyale ; que le Conseil des Prud'hommes a considéré que Monsieur Vinckevleugel avait parfaitement respecté sa clause de non concurrence ; qu'il n'y a à aucun moment démonstration d'une faute, d'un préjudice ou d'un lien de causalité ; que France Geothermie lui cause un préjudice considérable par la saisie.
Elle demande la somme de 100.000 F de dommages-intérêts, outre 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société France Geothermie rappelle qu'après avoir appris la création de la société Caldis elle a fait dresser procès-verbal d'huissier, assisté d'un expert informatique, qui a fait apparaître de larges similitudes au niveau des plaquettes publicitaires, des catalogues de documentation technique, des logiciels et des fichiers des deux entreprises.
Elle soutient, en réponse, que dès le 25 mai 2000 était créée la société Caldis entre Monsieur Malgouverne et Monsieur Vinckevleugel qui n'avait pas encore démissionné de France Geothermie et était lié par une clause de non-concurrence ; que l'examen de la mémoire du matériel informatique restitué par Monsieur Malgouverne laissait apparaître un catalogue Warmtec 2000 constituant le plagiat de son propre catalogue, contenant encore la mention France Geothermie, et des photos du matériel Warmtec portant le sigle France Geothermie ; que dans les catalogues figurent des photos identiques ; que l'expert informatique a reconnu les mêmes architecture et contenu des logiciels des deux sociétés, avec même des erreurs identiques ; que Monsieur Malgouverne l'a lui-même reconnu ; qu'il y a incontestablement parasitisme économique ; que le préjudice a été chiffré par expertise à près de deux millions de francs ; que le recouvrement de cette créance est manifestement en péril.
Elle sollicite la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Motifs de la décision :
La société France Geothermie, dans sa requête aux fins de saisie conservatoire de créance présentée au Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance de Grenoble le 19 février 2001, fonde son action en concurrence déloyale par parasitisme et dénigrement sur un certain nombre de moyens matériels et de comportement, dont les principaux sont le plagiat de son catalogue, l'identité des logos, l'appropriation et l'utilisation des fichiers clients et distributeurs, le détournement de personnel, le dénigrement vis à vis de clients ou commerciaux ; ces points sont repris dans les conclusions d'appel et il convient donc, au delà de l'appréciation globale faite en première instance, de les reprendre un par un.
L'IDENTITE DES PLAQUETTES ET CATALOGUES DES DIFFERENTES SOCIETES :
Le constat de Maître Bauthier du 22 septembre 2000 fait état de ressemblances très nettes entre les catalogues France Geothermie et Warmtec, tant au niveau de la présentation générale et de la structure, qu'au niveau du texte même et des illustrations, dossiers et photos.
Si les plaquettes apparaissent effectivement assez ressemblantes, on peut néanmoins observer que les termes et les techniques décrits sont génériques et non distinctifs en tant que tels ; on les retrouve du reste dans toutes les plaquettes des sociétés concurrentes versées aux débats, Avenir Energie, Solterm, Sofath, Enalsa, France Energie Systeme, etc..., notamment dans la reprise du vocabulaire, ou de l'emploi du dessin éclaté de maison avec croquis de capteur, sonde et plancher expliquant le principe même de la géothermie, dessin qui ne saurait être considéré comme original.
Les termes utilisés sont banals et d'usage courant, et se bornent à décrire la nature du produit, sa technique et le service présenté.
Il est admis que l'idée publicitaire n'apparaît pas protégeable en tant que telle, et en l'espèce celle-ci n'apparaît pas de surcroît originale, puisque semblable pour des sociétés comparables.
Certes une photo de France Geothermie représentant une maison est reproduite à l'identique dans la plaquette Warmtec, mais ce manque d'imagination évident de Warmtec ne constitue pas à lui seul un élément de concurrence déloyale, ladite maison ne pouvant symboliser un caractère spécifique de l'une ou l'autre des entreprises.
Quant aux catalogues des pièces, ceux-ci sont également identiques pour les entreprises de même type, compte tenu de l'identité des produits vendus et du caractère encore banal et non spécifique des pièces détachées.
Enfin, toujours au niveau du catalogue, France Geothermie produit un catalogue Warmtec qui reproduirait in extenso les pages du catalogue France Geothermie, le catalogue comportant l'en tête France Geothermie Malgouverne, et les produits portant également le logo France Geothermie ; ce document aurait été trouvé dans la mémoire de l'ordinateur portable restitué par Monsieur Malgouverne lors de son départ ; aucune preuve de cette origine n'est rapportée, ce document ne figurant pas en tout état de cause dans le constat d'huissier de Monsieur Bauthier et ne pouvant être dès lors que non reconnu probant.
L'IDENTITE DU LOGO :
Le logo de France Geothermie est un soleil d'or sur un fond bleu, celui de Caldis-Warmtec une spirale orange.
Même en admettant que cette spirale symbolise le système solaire ou l'univers, cette connotation spatiale des deux logos reste néanmoins très vague, et ne constitue pas un élément de confusion permettant de qualifier le parasitisme commercial.
LA SIMILITUDE DES FICHIERS INFORMATIQUES ET LE DENIGREMENT AUPRES DES CLIENTS ET DISTRIBUTEURS :
Le constat d'huissier de Maître Bauthier, assisté en la matière de Monsieur Kravtchenko, expert informatique, note de grandes ressemblances, pour ne pas dire une similitude au niveau du menu, des fichiers clients et distributeurs, entre les outils utilisés par France Geothermie et Warmtec.
Il est évident que le logiciel utilisé étant identique, en l'espèce Access de Microsoft, il n'est pas étonnant que les menus, organisation générale et architecture soient semblables, sans que soit établi pour autant le plagiat.
Néanmoins, la liste des clients examinés dans le fichier Warmtec, correspond bien aux clients déjà installés par France Geothermie, ce que reconnaît tout à fait Warmtec, qui précise dans ses écritures que Monsieur Malgouverne, ancien associé commercial de France Geothermie, avait en tant que te] parfaitement le droit de conserver sa liste de clients déjà fournis par France Geothermie ; ainsi l'appropriation d'un fichier appartenant à une société, par un de ses anciens associés, ne fait donc pas de doute ; elle relève d'une qualification juridique ou de procédures qu'il n'appartient pas ici de définir et qui n'ont pas été engagées en tout état de cause.
La concurrence déloyale et le parasitisme économique résultent quant à eux de l'utilisation qui a pu être faite de ces fichiers ; c'est cette notion qui a présidé à la requête en autorisation de saisie, et qui est alléguée dans le cadre de la présente procédure.
Or, France Geothermie ne rapporte pas la preuve du démarchage de clients déjà fournis, ou du démarchage de prospects figurant sur son dossier par Warmtec, seul élément pouvant permettre d'établir matériellement la concurrence déloyale.
Il en est de même au niveau des distributeurs, dont le nombre en la matière est forcément limité, et dont la liste est de toute façon bien connue et figure dans tous les journaux spécialisés.
La perte de distributeurs n'est pas davantage établie par France Geothermie, pas plus que le dénigrement qui permettrait de qualifier la concurrence déloyale ; à cet égard, l'annulation du contrat concessionnaire d'ACE est antérieure à la création de Warmtec, et SJD n'était pas selon les termes de sa lettre concessionnaire de France Geothermie, mais envisageait de le devenir ; quant à Monsieur Sotiaux, semble-t-il agent commercial de France Geothermie, son témoignage sur le dénigrement reste isolé et unique et insuffisant à fonder l'action de France Geothermie.
LE DETOURNEMENT DE PERSONNEL ET LA VIOLATION DE CLAUSE DE NON- CONCURRENCE :
Il est indéniable que Monsieur Vinckevleugel, VRP de France Geothermie et lié à cette société par un contrat à durée indéterminée, est devenu agent commercial de Warmtec, après sa démission de France Geothermie.
Contrairement à Monsieur Malgouverne, son contrat contenait une clause expresse de non- concurrence, dont l'examen révèle qu'elle s'applique seulement au secteur et à la catégorie des clients visités pour le compte de France Geothermie.
Le secteur d'activité de Monsieur Vinckevleugel était la Savoie, et France Geothermie ne rapporte pas la preuve d'un démarchage de Monsieur Vinckevleugel dans ce secteur géographique ou de clients nominativement désignés.
En définitive, il n'apparaît pas que les éléments constitutifs d'une faute et d'un préjudice commercial pouvant établir la concurrence déloyale par parasitisme ou dénigrement soient rapportés, la seule intention de profiter et d'entrer dans un marché qu'on a pu auparavant connaître et maîtriser apparaissant insuffisante.
De surcroît, s'agissant du préjudice allégué, dont une évaluation tout à fait subjective est produite par France Geothermie, celui-ci n'apparaît en l'état qu'hypothétique, puisqu'il apparaît que depuis la création de Warmtec, France Geothermie n'a pas eu à subir de baisse de clientèle, et a connu tout au contraire une augmentation de son chiffre d'affaires et de son bénéfice comptable.
Dans ces conditions, il sera donné mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 1er mars 2001.
La société Warmtec ne rapporte pas la preuve du dénigrement ou de propos calomnieux de France Geothermie, ni du préjudice que lui a causé le blocage d'un compte ou ne figurait qu'une somme de 15.000 F environ.
Elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Il n'apparaît pas inéquitable de ne pas faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de l'une ou l'autre partie.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, dit l'appel de la société Warmtec recevable ; Au fond, infirme le jugement du 19 juin 2001, Et, statuant à nouveau ; Donne mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 1er mars 2001 entre les mains de la Banque Populaire du Dauphine et des Alpes du Sud ; Déboute les parties de toute autre demande ; Condamne la société France Geothermie aux entiers dépens.