CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 21 septembre 2000, n° 1997-05958
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nozet
Défendeur :
Axa Conseil Vie (Cie), UAP Tour Axa
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
MM. Coleno, Vergne
Avoués :
SCP Boyer Lescat Merle, SCP Rives Podesta
Avocats :
SCP Delrieu, Baregès, SCP Plantie, Decharme, Plainecassagne.
Faits et procédure
Depuis 1971, I'Union des Assurances de Paris-Vie (ci-après I'UAP) a employé M. Bernard Nozet, en dernier lieu en qualité d'inspecteur, avant que de procéder à son licenciement, le 22 janvier 1992 pour faute grave.
Une instance prud'hommale a opposé les parties sur les indemnités dues en vertu des conventions collectives à la suite de ce licenciement.
Indépendamment de ce litige, I'UAP fait grief à M. Nozet d'avoir, postérieurement à son licenciement, et à la connaissance de son nouvel employeur la compagnie I'Epargne de France, d'une part méconnu les termes d'une clause de non-concurrence insérée dans son contrat en démarchant sa clientèle dans son ancien secteur, d'autre part commis des actes de concurrence déloyale notamment par dénigrement auprès de la clientèle.
Suivant acte d'huissier en date du 15 novembre 1995, I'UAP a fait citer M. Nozet ainsi que I'Epargne de France devant le Tribunal de grande instance de Montauban en responsabilité et réparation.
Par le jugement déféré en date du 25 septembre 1997, le tribunal a jugé que M. Nozet s'était rendu coupable de concurrence déloyale au préjudice de I'UAP et l'a condamné à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts.
L'UAP a par ailleurs été déboutée de ses demandes contre I'Epargne de France, suivant une disposition qui n'est pas remise en cause par l'appel.
La compagnie Axa Conseil Vie, venant aux droits de I'UAP Vie, a repris I'instance en ses lieu et place.
Demandes des parties
Prétentions de Monsieur Nozet
Aux termes de conclusions signifiées le 24 novembre 1999, M. Nozet conclut à I'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de débouter I'UAP de ses demandes fondées sur la clause de non-concurrence, d'autre part de retenir qu'il est définitivement jugé qu'il ne s'est pas rendu coupable d'actes de concurrence déloyale et que I'UAP n'a pas subi de préjudice,
II réclame la somme de 20 000 F sur le fondement des dispositions de I'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Prétentions de la compagnie Axa Conseil Vie
Aux termes de conclusions récapitulatives signifiées le 28 janvier 2000, la compagnie Axa Conseil Vie conclut à la confirmation pure et simple de la décision entreprise et réclame la somme de 15 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la clause de non-concurrence
Attendu que c'est en vain que M. Nozet critique le jugement déféré en ce que, pour l'application de la clause de non-concurrence, il a retenu le territoire défini dans le contrat de travail d'inspecteur du 1er avril 1985, au motif que ce même contrat précisait que ce territoire était plus étendu que sa " circonscription " proprement dite, terme expressément repris par la clause de non-concurrence pour définir I'étendue géographique de son application, laquelle serait délimitée ultérieurement par écrit par ses supérieurs hiérarchiques, alors d'une part que le tribunal avait relevé que M. Nozet ne discutait d'aucune manière que les agissements à raison desquels la violation de la clause lui était reprochée avaient été commis à I'intérieur du territoire d'application de la clause, d'autre part que, connaissant pourtant bien sa circonscription, il ne le discute toujours pas devant la cour, et n'en tire moyen qu'en vue d'un sursis à statuer jusqu'à communication de cet écrit qu'il dit avoir sollicité en vain ;
que la critique est ainsi sans portée, et la demande de sursis à statuer dépourvue de fondement ;
Attendu qu'au titre de la violation de cette clause de concurrence, l'UAP a ainsi fourni la preuve suffisante, non discutée précisément, des infractions suivantes :
- visites multiples rendues à M. Gilbert Berger, demeurant à Masleon (87), client UAP, durant le premier semestre 1992 pour lui faire souscrire des bons du GAN ;
- visite en juin 1992 à Mme Renée Jouhaud à Châteauneuf-la-Forêt (87), cliente UAP, pour lui faire souscrire des bons de capitalisation à Gan-Progrès ;
- visite, aux environs du 24 août 1992, auprès de la famille Lascaux à La Croisille-Sur-Briance (87), clients UAP, pour faire souscrire des contrats Gan-Capitalisation ;
- visite aux environs du 6 novembre 1992 auprès de Mme Bertrand à Limoges (87), client UAP, pour lui faire signer un contrat Epargne de France après avoir discrédité un producteur UAP ;
- visite, le 17 septembre 1993, auprès de M. Jean-Claude Dumas à Ambazac (87) pour discréditer I'intervention de producteurs UAP et faire souscrire un contrat Epargne de France ;
- visite le 8 décembre 1993 auprès de M. Gilbert Boulesteux à Panazol (87), client UAP, en se faisant passer pour contrôleur UAP, pour, après avoir dénigré un précédent contrat UAP échu, faire annuler un contrat UAP en cours et signer à la place un contrat Epargne de France ;
Attendu qu'il résulte suffisamment de ces faits que M. Nozet a bien, pendant la période de deux années à compter de la date de résiliation, entre les mois de janvier 1992 et 1994, accepté un emploi ou une fonction quelconque dans les services ou organisations de production de toute autre société d'assurances ou de capitalisation, en l'occurrence le GAN puis I'Epargne de France, dans la circonscription dans laquelle il exerçait son activité au moment de la cessation de ses fonctions, et ainsi commis autant de violations de la clause de non-concurrence insérée au contrat ;
Sur la concurrence déloyale
Attendu que l'ordonnance de non-lieu, qui n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée au pénal, est d'autant moins utilement invoquée par M. Nozet pour faire en soi échec à une action en concurrence déloyale par dénigrement au préjudice de I'UAP qu'elle n'est relative qu'à des faits d'escroquerie au préjudice de clients reprochés à M. Nozet, en d'autres termes qu'il n'y a aucune identité ni d'objet, ni de cause, ni de parties ;
Attendu qu'à l'appui de son action, I'UAP verse aux débats des éléments de preuve de nombreux faits précis imputés à M. Nozes, qui ne les critique pas précisément, d'où ressortent les agissements suivants :
- visites de clients UAP pour faire signer des contrats autres après avoir discrédité de précédents contrats UAP :
* début octobre 1993, auprès de M. et Mme Chassagne à Bourganeuf (23), pour un contrat Epargne de France,
* le 6 octobre 1994, auprès de M. André Bourroufies à Caylus (82) en se prétendant inspecteur des fraudes, pour un contrat Epargne de France,
* le 10 avril 1995 auprès de Mme Aline Favole à Montauban (82) en prétendant procéder à une enquête sur des malversations au sein de I'UAP, pour faire signer un contrat l'Alsacienne ;
* le 24 mars 1995 auprès de Mlle Chantal Gagneraud à Genoullhac (23), en se faisant passer pour inspecteur de police s'occupant des assurances et alléguant qu'elle s'était fait escroquer par I'UAP, pour faire signer un contrat l'Alsacienne ;
- visites de clients UAP en se faisant passer pour inspecteur UAP, en vue de discréditer I'intervention de producteurs UAP :
* le 22 octobre 1992 auprès de M. Rouveron à Limoges (87),
* le 26 octobre 1992 auprès de M. et Mme Roudler à Couzeix (87),
- visite, aux environs du 2 mars 1993, auprès de M. Bernard Bonneau à Limoges, client UAP, pour l'inciter à porter plainte contre des agents UAP ;
- visite au cours du mois d'octobre 1993 auprès de M. et Mme Dufaud à Montauban (82) pour leur faire racheter un contrat retraite UAP, signer à la place un contrat Epargne de France, et porter plainte pour escroquerie contre des producteurs UAP suivant modèle rédigé de sa main ;
- visites auprès de clients UAP pour leur faire souscrire des contrats Epargne de France en leur faisant croire qu'ils poursuivent des contrats UAP antérieurs améliorés après résiliation :
* le 27 octobre 1993 auprès de la famille Joffre à Saint-Priest-Palus (23)
* le 27 octobre 1993, auprès de M. et Mme Charbonnier à Bourganeuf (23), en se faisant passer pour contrôleur UAP,
* le 29 octobre 1993 auprès de Mesdames Barrat à Bourganeuf (23),
* le 3 novembre 1993 auprès de M. et Mme Petitcoulaud à Bourganeuf (23),
* le 5 novembre 1993 auprès de M. Bernard Maritaud à Pontarion (23),
* aux environs du 18 mai 1994 auprès de Mme Burgalières à Montauban (82)
* le 2 mai 1994 auprès de M. et Mme Lepetit à Royère-de-Vassivière (23), en se faisant passer pour contrôleur UAP, discréditant les producteurs UAP et alléguant qu'Epargne de France aurait racheté l'UAP ;
* le 11 mai 1994 auprès de Mme Sauvanet à Saint-Pardoux-Les-Cards (23), en se faisant passer pour contrôleur du ministère des finances ;
* le 11 mai 1994 auprès de M. Raymond Sabouret à Saint-Pardoux-Les-Cards (23) en se faisant passer pour contrôleur de I'UAP envoyé par le ministère des finances,
* le 23 novembre 1994 auprès de Melle Jayat à Lourdoueix Saint-Michel (36) en se faisant passer pour fonctionnaire de police ;
* courant juillet 1994 auprès de M. et Mme Gueraud à Magnac Laval (87),
* courant février 1994 auprès de M. et Mme Massonneau à Magnac Laval (87)
- visites auprès d'anciens clients UAP en se faisant passer pour responsable UAP et leur faire souscrire des contrats autres :
* le 5 octobre 1994 auprès de M. Tournie à Fronton (31)
* le 20 avril 1994 auprès de M. et Mme Chambraud à Royère-de-Vassivière (23) moyennant rachat de contrats UAP ;
Attendu qu'il résulte des attestations de nombre de ces clients d'une part que M. Nozet se présentait muni de fiches de clientèle et était au courant de la situation exacte des contrats de chacun auprès de l'UAP, d'autre part qu'il rédigeait lui-même les modèles de lettres à I'usage de chaque client, soit pour faire opposition aux prélèvement des primes, soit pour demander le rachat des contrats, soit même pour le dépôt de plaintes, dans tous les cas pour obtenir finalement la souscription de contrats auprès de la société d'assurance dont il était employé ;
Attendu qu'en l'état de ces nombreuses constatations, précises et convergentes, c'est par une exacte appréciation des faits, qui n'est pas utilement discutée en cause d'appel, que le premier juge a retenu comme établi que pendant plus de trois ans, entre 1992 et 1995, M. Nozet avait, dans la perspective de faire souscrire des contrats concurrents, pratiqué une politique de dénigrement systématique des produits et des agents de son ancien employeur I'UAP auprès de la clientèle de celui-ci dont il avait conservé le fichier, au point même de faire rédiger des plaintes destinées à nuire à certains agents UAP, et s'était prévalu de diverses fausses qualités, y compris celle de contrôleur UAP, pour détourner cette clientèle au profit de son nouvel employeur, souvent même à l'insu de celle-ci;
Attendu que c'est en vain que M. Nozet verse aux débats diverses coupures de presse d'où il résulte l'existence de poursuites engagées devant différentes juridictions contre des agents de I'UAP à raison de malversations de toutes natures, alors qu'aucune ne concerne les clients dont les attestations ont été réunies ni même leur situation particulière, et que le dénigrement pratiqué n'avait d'autre objet que d'obtenir la souscription de contrats autres;
Attendu que I'ensemble de ces agissements caractérisent bien, à la charge de M. Nozet, dans un contexte de concurrence, un comportement déloyal de nature à engager sa responsabilité sur le fondement des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil;
que le jugement doit être confirmé ;
Attendu, sur le préjudice, que l'appelant se borne à soutenir qu'il résulterait de l'ordonnance de non-lieu qu'aucun préjudice n'a été subi par l'UAP ;
Attendu que I'objet de cette information pénale sur des plaintes de particuliers dirigés contre M. Nozet, était étrangère à la constatation d'un tel préjudice ;
Attendu que le montant de la réparation allouée par le premier juge ne fait l'objet d'aucune discussion précise et se présente, en l'état de l'ampleur des agissements de M. Nozet et de leurs conséquences, en partie seulement réparables, comme une exacte fixation du préjudice subi du fait des fautes constatées ;
Attendu, sur les demandes accessoires, qu'il suit nécessairement de la décision qui précède que celle de M. Nozet qui succombe et sera tenu des dépens doit être rejetée ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge la totalité des frais non inclus dans les dépens que la compagnie Axa Conseil a dû exposer pour défendre à un appel dépourvu de fondement ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare I'appel recevable en la forme ; Le dit non fondé ; Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne M. Nozet à payer a la compagnie Axa Conseil Vie la somme supplémentaire de 5 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ; Condamne M. Nozet aux entiers dépens de l'instance en appel, et reconnaît à la SCP Rives-Podesta, Avoué qui en a fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.