Livv
Décisions

CA Chambéry, ch. soc., 20 juin 2000, n° 1997-03004

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Capitaine

Défendeur :

Charrière

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rogier

Conseillers :

M. Gallice, Mme Cuny

Avocats :

Mes Baltazard, Darves Bornoz

Cons. prud'h. Annemasse, du 25 juin 1997

25 juin 1997

Par jugement du 25 juin 1997 auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la procédure, le Conseil de prud'hommes d'Annemasse a condamné Monsieur Le Capitaine à payer à Monsieur Charrière la somme de 92 671,10 F au titre de l'indemnité spéciale de rupture prévue à l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, outre celle de 7 000 F pour frais irrépétibles et l'a débouté de sa demande formée au titre d'une indemnité de clientèle.

Monsieur Le Capitaine a interjeté appel de cette décision et explique que Monsieur Charrière n'ayant pas renoncé dans les trente jours qui ont suivi l'expiration de son contrat de travail de VRP à l'indemnité de clientèle, il ne peut prétendre au versement de l'indemnité spéciale de l'article 14 susvisé. Il sollicite donc la réformation du jugement déféré sur ce point.

Il prétend par ailleurs, que le simple fait d'avoir réclamé le règlement de ladite indemnité spéciale emporte renonciation expresse à l'indemnité de clientèle, les deux indemnités ne pouvant au surplus se cumuler. Subsidiairement, il ajoute que Monsieur Charrière a perçu l'indemnité conventionnelle minimale de l'article L. 751-9, 5e du Code du travail et qu'en tout état de cause, il ne peut pas prétendre à une indemnité de clientèle qu'il n'a ni créée, ni développée, ni apportée et alors encore qu'il a continué à prospecter la même clientèle après la rupture. Il demande ainsi, la confirmation de la décision entreprise sur ce second chef de demande et la condamnation de l'intimé d'avoir à lui payer la somme de 12 000 F pour frais irrépétibles.

Monsieur Charrière soutient au principal qu'il a bien renoncé à l'indemnité de clientèle dans le délai légal de trente jours suivant l'expiration du contrat, l'employeur ayant en effet persisté à le considérer comme étant toujours dans les liens contractuels jusqu'à la fin du mois de décembre 1995 et alors encore que son délai de préavis de trois mois expirait au plus tôt le 21 septembre 1995. Il ajoute que l'employeur, en réglant l'indemnité conventionnelle de rupture de l'article 13 de l'accord national interprofessionnel, a admis son droit au paiement des indemnités conventionnelles et non de l'indemnité de clientèle. Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré.

Subsidiairement, il soutient que s'il ne peut prétendre au versement de l'indemnité spéciale, il devra lui être alloué l'indemnité légale de clientèle qu'il a créée et développée. Il demande donc que Monsieur Le Capitaine soit condamné à lui payer la somme de 170 000 F correspondant à un an de commissions, avec, dans tous les cas, intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 1995, outre celle de 10 000 F pour frais irrépétibles.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu, en fait, qu'il résulte des pièces produites aux débats que Monsieur Charrière a été embauché en qualité de VRP à compter du 1er octobre 1984 par Monsieur Le Capitaine qui exploite une agence de commercialisation de vins et spiritueux ;

Que le 6 septembre 1995, il a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique par lettre l'informant également de ses droits an matière de convention ce conversion et du délai imparti pour l'accepter expirant le 5 octobre 1995 ;

Que le 21 septembre 1995, lui était encore notifié à titre conservatoire son licenciement pour motif économique l'informant qu'en cas d'acceptation de la convention de conversion, la rupture du contrat de travail interviendra d'un commun accord des parties, conformément à la loi ; qu'il lui était également expressément indiqué que la présentation de cette lettre fixait le point de départ de son délai-congé de trois mois ;

Que Monsieur Charrière a signé le bulletin d'acceptation de la convention de conversion le 24 septembre 1995 puis le formulaire d'adhésion à la convention elle-mène le 3 octobre 1995, soit dans le délai légal ;

Que Monsieur Le Capitaine a, le 31 octobre 1995, adressé à l'ASSEDIC compétente le dossier de convention de conversion de Monsieur Charrière et lui a établi un certificat de travail le 6 novembre 1995 faisant état d'un emploi du 15 octobre 1984 au 3 octobre 1995 ;

Que Monsieur Charrière, par courrier du 14 décembre 1995, a fait savoir à son employeur qu'il était encore redevable d'un troisième mois de préavis et a expressément indiqué que lui était encore due "l'indemnité spéciale de rupture prévue par l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 pour un montant de 127 424 F" ;

Que Monsieur Le Capitaine a enfin établi le reçu pour solde de tout compte de Monsieur Charrière le 8 janvier 1996, date à laquelle il lui a payé par chèque son troisième mois de préavis et une indemnité de licenciement ;

Attendu, en droit, que pour pouvoir prétendre à l'indemnité spéciale de rupture de l'article 14 susvisé, le salarié VRP doit renoncer expressément à l'indemnité de clientèle dans les 30 jours qui suivent l'expiration du contrat de travail ;

Queconstitue en l'espèce une renonciation expresse la demande du 14 décembre 1995 de Monsieur Charrière au terme de laquelle il sollicite le versement de l'indemnité spéciale de rupture sans formuler de prétention au titre de l'indemnité de clientèle ; que la date d'expiration du contrat doit quant à elle s'entendre de la date de fin du préavis, qu'il ait été exécuté ou non;

Attendu que s'il est exact qu'il résulte des dispositions de l'article L. 321-6 du Code du travail que le contrat d'un salarié ayant accepté de bénéficier d'un convention de conversion est rompu d'un commun accord et que cette rupture prend effet à l'expiration du délai de réponse de 21 jours dont dispose le salarié, la date d'expiration dudit délai n'en constitue pas pour autant la date d'expiration du contrat de travail ;

Que même si en effet l'article L. 321-6 susvisé prévoit encore que la rupture ne comporte en la matière pas de préavis, il précise qu'il ouvre droit, nonobstant les dispositions de son troisième alinéa, au versement d'une indemnité dont le montant et le régime fiscal et social sont ceux de l'indemnité de licenciement prévue par la loi ou la convention collective et calculée sur la base de l'ancienneté que l'intéressé aurait acquise s'il avait accompli son préavis, ainsi, le cas échéant, qu'au solde de ce qu'aurait été l'indemnité de préavis si elle avait correspondu à une durée supérieure à deux mois ;

Que ce solde de préavis qui reste dû au salarié même s'il a accepté la convention de conversion est assimilable à un salaire et doit d'ailleurs être à ce titre soumis à cotisation ; qu'il convient également en cas de paiement d'un solde de préavis, d'évaluer l'indemnité équivalente à l'indemnité de licenciement, en tenant compte des sommes correspondant au préavis s'il avait été exécuté ; que l'ancienneté à prendre en compte est donc celle acquise compte tenu de la durée du préavis ;

Que pareillement, l'indemnité représentative du préavis est elle-même assimilable à un salaire et doit donc être prise en compte pour le calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

Qu'enfin l'employeur, en cas d'acceptation de la convention de conversion par son salarié, n'est pas pour autant dispensé du paiement d'une somme correspondant au préavis puisqu'il doit verser à l'ASSEDIC une contribution financière qui n'est autre que l'indemnité de préavis, dans la limite de deux mois, ce versement comprenant la totalité des charges patronales et salariales afférentes, à l'exclusion des cotisations de Sécurité sociale qui sont versées par l'employeur directement à l'URSSAF ;

Que ces deux mois de préavis, comme l'éventuel solde de préavis, doivent être pris en compte dans la durée de l'ancienneté du salarié de même que pour le calcul de l'indemnité représentative du préavis ;

Qu'il résulte ainsi de l'ensemble de ces éléments, que la date d'expiration du contrat de travail à prendre en compte pour le calcul du délai de 30 jours pendant lequel le salarié VRP qui a accepté la convention de conversion peut renoncer à l'indemnité de clientèle est celle de la fin du préavis, son ancienneté courant d'ailleurs jusqu'à cette date ;

Qu'en l'espèce, la lettre de Monsieur Charrière du 14 décembre 1995 valant renonciation expresse à l'indemnité de clientèle, adressée quelque jours seulement avant la fin de son préavis non exécuté, a donc été forcément adressée dans le délai de trente jours susvisé ;

Que la fin du préavis de Monsieur Charrière et donc la date d'expiration de son contrat de travail doit en effet être fixée au 22 décembre 1995, la notification de la rupture de son contrat étant intervenue dès la notification de son licenciement conservatoire par lettre du 21 septembre 1995 présentée le 22, peu important qu'une convention de conversion lui ait été proposée et que le délai de réflexion n'ait expiré que le 5 octobre 1995 ;

Que dès lors et par substitution de motif, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur Le Capitaine à payer à Monsieur Charrière l'indemnité spéciale de rupture de l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 ;

Que les premiers juges ont fait une juste évaluation de la somme à revenir à Monsieur Charrière au titre de cette indemnité équivalente à 7/8 de sa rémunération annuelle dont le montant n'est pas discuté par l'appelant et l'ont valablement fixée à 92 671, 10 F, déduction faite de l'indemnité de 34 752,90 F déjà perçue le 8 janvier 1996, cette déduction n'étant pas remise en cause par l'intimé ;

Que cette somme de 92 671, 10 F due à Monsieur Charrière portera intérêts au taux légal à compter de la date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, soit le 26 juin 1996, la lettre recommandée du 14 décembre 1995 ne pouvant valoir sommation de payer ou interpellation suffisante ;

Attendu que Monsieur Le Capitaine, qui succombe en ses prétentions et supportera les dépens, ne peut prétendre à l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Charrière les frais irrépétibles de justice qu'il a engagés en cause d'appel, la somme de 7 000 F qui lui a déjà été allouée à ce titre en première instance étant suffisante ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Et y ajoutant, Dit que la somme de 92 671,10 F due à Monsieur Charrière portera intérêts au taux légal à compter du 26 juin 1996, Dit n'y avoir lieu à application an cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Monsieur Le Capitaine aux dépens d'appel.