CA Paris, 22e ch. C, 8 octobre 1982, n° 20740-79
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gemy (SA)
Défendeur :
Blum (époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Théodore
Conseillers :
MM. Ferrieu, Joseph
Avocats :
Mes Guez, Bertolas.
Statuant sur l'appel interjeté par la SA Gemy et l'appel incident relevé par les époux Blum d'un jugement rendu contradictoirement par la section du commerce du Conseil de prud'hommes de Paris le 26 juin 1976 qui a condamné la SA Gemy à verser à ses anciens représentants diverses sommes à titre notamment de dommages-intérêts pour rupture abusive, d'indemnité de clientèle et de commissions ;
Vu l'arrêt de la cour du 30 novembre 1979 auquel il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits, qui a ordonné un complément d'expertise, confié à Monsieur Paumier, expert précédemment commis par le conseiller rapporteur du conseil de prud'hommes,
Vu le nouveau rapport d'expertise déposé par Monsieur Paumier le 7 septembre 1980,
Considérant que la SA Gemy demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, reconnaît toutefois devoir aux époux Blum les sommes de 2 794, 63 F à titre de solde de commission et de 456,82 F de congés payés incidents, mais en sollicite la compensation à dûe concurrence avec une somme de 6 000 F qu'elle réclame en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Que les époux Blum demandent la confirmation de principe du jugement déféré en toutes ses dispositions mais forment appel incident sur le quantum des dommages-intérêts pour rupture abusive, qu'ils portent à 25 000 F : ils sollicitent en outre la condamnation de la société Gemy au paiement de la somme de 10 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que l'essentiel de la discussion porte sur les véritables motifs de la rupture, au sujet desquels les parties sont en complet désaccord,
Considérant que les époux Blum ont adressé le 24 septembre 1975 à leur employeur une lettre dans laquelle ils déclaraient prendre acte de la rupture du fait de la société Gemy, alors que celle-ci, le 29 septembre a contesté les termes de cette correspondance et mis en demeure les représentants de retirer avant le 3 octobre la collection de printemps, puis, par lettre du 8 octobre, a pris acte de leur carence et de " leur démission de fait " ;
Considérant que dans leur lettre du 24 septembre 1975, les époux Blum accusaient les dirigeants de la société Gemy de vider leur contrat de représentation de la substance en privilégiant la nouvelle société " Voyelle " et en faisant " glisser " les clients vers les articles Voyelle, ces pratiques regrettables " étant seules responsables " de la baisse de notre chiffre d'affaires ", raison pour laquelle ils s'étaient contraints de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts et griefs de leur employeur ;
Considérant que pour vérifier le bien fondé des griefs allégués par les époux Blum, la cour, dans son précédant arrêt, a demandé à l'expert de rechercher dans quelle mesure la création de la société Voyelle, dont les liens étroits avec la société Gemy sont incontestables, avait eu une influence directe sur le chiffre d'affaires de cette dernière et par voie de conséquence, sur l'activité des époux Blum ;
Considérant qu'il ressort des constatations de l'expert que la société Voyelle, créée le 30 octobre 1973, n'a été opérationnelle qu'en 1974, alors que le chiffre d'affaires de la société Gemy, en régression depuis 1970, a accusé sa plus forte chute en 1973, celle-ci n'étant donc pas imputable à la société Voyelle ;
Qu'en 1974, l'activité de la société Voyelle n'a eu aucune influence sur celle de la société Gemy, qui a amorcé un déclin définitif en 1975, sans que parallèlement, le chiffre d'affaires modeste de la société Voyelle puisse expliquer la perte de clientèle de la société Gemy, amorcée depuis cinq ans,
Que les deux sociétés ont d'ailleurs cessé l'une et l'autre toute activité en décembre 1977, ce qui démontre qu'en pratique, la clientèle Gemy n'a pas beaucoup profité à Voyelle ;
Considérant d'ailleurs que les époux Blum, qui, à partir de 1975, ont imputé la diminution de leur chiffre d'affaires aux manœuvres déloyales des dirigeants de Gemy, signalaient antérieurement, notamment dans un rapport sur la tournée du printemps 1974, que leur chiffre d'affaires diminuait depuis deux saisons, du fait que la clientèle n'appréciait plus la collection ;
Que cette désaffection n'était pas liée à l'existence de la société Voyelle, dont les Epoux Blum avaient, selon ce même rapport, encouragé la création, dans la perspective de voir les clients, attirés par une collection, s'intéresser à l'autre ;
Qu'ils ont d'ailleurs pris des ordres pour des articles Voyelle au printemps 1974,
Que rien n'établit donc, ni que les activités de la société Voyelle aient précipité la déconfiture de la société Gemy, ni que la nouvelle société ait eu pour objet ou pour effet de se substituer à celle-ci ;
Considérant dans ces conditions que la réalité du motif de rupture allégué par les époux Blum n'est pas établie et qu'il y a lieu de les débouter de leurs demandes d'indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour rupture abusive ;
Sur l'indemnité de clientèle :
Considérant qu'il ressort des éléments du dossier que les dirigeants de la société Gemy ont mis à profit la clientèle créée au profit de celle-ci par les époux Blum pour diffuser les articles produits par la société Voyelle, suscitant même chez certains clients, qui en ont attesté, une confusion entre les deux marques ;
Qu'ils affirment certes que les époux Blum, après avoir fait une tournée avec les modèles Voyelle, ont renoncé à les représenter " parce que cette production n'était pas du goût de leurs " clients ", ce qui avait obligé la société Voyelle, vu le nombre réduit de vêtements commandés, d'abandonner le principe des collections d'avance et de la vente par représentants ;
Considérant qu'il n'en est pas moins certain que l'exploitation de la clientèle apportée par les époux Blum sans aucune contrepartie pour ceux-ci au profit d'une société dont les intérêts étaient très proches, sinon communs avec ceux de la société Gemy et les productions similaires, jointe à la confusion préjudiciable aux intérêts des représentants qui en résultait, constitue à la charge des dirigeants de la société Gemy une faute dans l'exécution du contrat qui les liait à leurs représentants ;
Que si les difficultés qui en sont résultées n'étaient pas suffisantes pour modifier fondamentalement la substance du contrat de représentation, elles expliquent dans une certaine mesure le comportement des époux Blum et conduisent à leur conserver le droit à une indemnité de clientèle, exactement appréciée par les premiers juges à la somme de 37 000 F ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer sur ce point le jugement déféré
Sur les dommages-intérêts pour agissements dolosifs en cours de contrat :
Considérant que les premiers juges ont accordé à ce titre aux époux Blum le montant des commissions correspondant aux affaires réalisées directement par la société Voyelle auprès de leurs clients durant l'année 1975,
Qu'il a été reconnu ci-dessus que le comportement de la société Gemy avait été critiquable dans la mesure où elle avait fait profiter la société Voyelle du travail de prospection fourni durant de nombreuses années par les époux Blum ; sans leur accorder aucune contrepartie,
Que toutefois, ces derrières n'ont pas exercé, sauf durant une courte période, leur activité de représentants au profit de la société Voyelle, qui d'ailleurs n'est pas en cause dans la présente procédure,
Que le préjudice qu'ils ont subi du fait de la mise à la disposition par leur employeur au profit d'une autre société de la clientèle qu'ils lui avaient apportée peut être évalué à la somme de 5 000 F ;
Qu'il convient donc d'amender sur ce point le jugement entrepris ;
Sur les commissions d'activité, les commissions sur ordres en cours et retours sur échantillonnages et les congés payés afférents :
Considérant que la société Gemy reconnaît devoir aux époux Blum la somme de 2 794,63 F à titre de commissions d'activité et celle de 456,82 F à titre de congés payés ;
Qu'elle ne fait aucune réserve particulière sur la somme de 5 036,66 F allouée par les premiers juges, conformément aux calculs de l'expert, à titre de commissions sur ordres en cours et retour sur échantillonnages ;
Qu'elle accepte d'ailleurs le chiffre de 456,82 F correspondant aux congés payés relatifs à ces deux séries de commissions ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Gemy à verser aux époux Blum les trois sommes précitées : soit 2 794,63 F, 5 036,66 F et 456,82 F ;
Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :
Considérant qu'il serait inéquitable, compte tenu des ressources respectives des parties, de laisser à la charge des époux Blum la totalité des frais, non compris dans les dépens, par eux exposés, en cours de procédure ;
Qu'il convient donc de condamner la société Gemy à leur verser à ce titre la somme de 2 000 F et pour les mêmes motifs de débouter celle-ci de sa demande de ce chef ;
Par ces motifs : Vu l'arrêt avant-dire-droit en date du 30 novembre 1979 ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Gemy à verser aux époux Robert et Jacqueline Blum les sommes de 5 036,66 F à titre de commissions de retour sur échantillonnage, 2 794,63 F à titre de commissions d'activité, 456,82 F à titre d'indemnité de congés payés, 37 000 F à titre d'indemnité de clientèle, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance ; Le Réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la société Gemy à verser aux époux Blum la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour " agissements dolosifs " en cours de contrat ; La condamne en outre à leur verser la somme de 2 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ; Déboute les époux Blum du surplus de leurs demandes ; Déboute la société Gemy de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met à sa charge les dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise.