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Décisions

Cass. soc., 28 mars 1979, n° 78-40.085

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Gana (Sté)

Défendeur :

Gratadour

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Laroque

Rapporteur :

M. Arpaillange

Avocat général :

M. Picca

Avocat :

M. Nicolas.

Paris, ch. soc., du 11 juill. 1977

11 juillet 1977

LA COUR : - Sur le premier moyen, pris de la violation des articles L. 122-8 et L. 751-5 du Code du travail, 7 de la loi du 20 avril 1810, 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que la société Gana, qui avait engagé le 25 mars 1969 Claudine Gratadour, comme représentante statutaire, pour la vente de tricots, et l'a licenciée, par lettre du 16 octobre 1973, à compter du 31 janvier 1974, date à laquelle avait été fixée la cessation de l'entreprise, fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 11 juillet 1977) de l'avoir condamnée à verser à la salariée, qui avait interrompu sa prospection le 12 novembre, une indemnité compensatrice de préavis, aux motifs que la société, en réduisant la collection confiée à la représentante, n'avait pu que limiter le choix de la clientèle et le nombre des commandes, et par suite le montant de sa rémunération, alors que l'employeur étant juge de la bonne marche de l'entreprise, et des circonstances qui le déterminent à organiser son exploitation, peut modifier une condition non substantielle d'un contrat sans être responsable de la rupture, que dès lors, la cour d'appel ne pouvait juger que l'employeur avait modifié unilatéralement les conditions de travail d'une salariée en réduisant la collection qui lui avait été confiée, ce qui autorisait celle-ci à prendre l'initiative de la rupture pendant le préavis, sans répondre aux conclusions faisant valoir que le revenu d'un représentant n'est pas fonction de l'importance de la collection, de telle sorte que la preuve de la modification d'une condition essentielle n'était pas apportée ;

Mais attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que Claudine Gratadour, qui avait été avertie qu'aucune commande ne devrait être prise pour une livraison postérieure au 31 janvier 1974, avait fait connaître à son employeur dès le 23 octobre 1973 qu'elle n'exécuterait son préavis que si elle pouvait effectuer son travail dans des conditions normales ; que toutefois la collection qui lui fut remise fut réduite à cinq modèles, au lieu de cinquante ou soixante habituellement, ce qui ne pouvait pas lui permettre d'atteindre sa rémunération antérieure ; que la cour d'appel, qui a relevé que cette réduction ne pouvait s'expliquer que par la cessation de l'exploitation de l'entreprise, a estimé que la société, par la disproportion ainsi créée dans les choix soumis à la clientèle, qui ne pouvait manquer d'avoir une influence sur l'importance des ventes réalisées, avait modifié unilatéralement, et dans son propre intérêt, les conditions de travail du représentant au cours de son préavis, ce que celle-ci n'était pas tenue d'accepter, et que, par suite, la société, responsable de la rupture, devait à Claudine Gratadour une indemnité compensatrice de préavis correspondant à la rémunération à laquelle elle aurait pu prétendre si ses conditions de travail avaient été maintenues ; que le premier moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen, pris de la violation des articles L. 751-9 du Code du travail, 7 de la loi du 20 avril 1810, 455 du Code de procédure civile, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale ; - Attendu que la société Gana qui, en raison de la cessation de son activité, avait licencié Claudine Gratadour, représentante statutaire, fait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à celle-ci une indemnité de clientèle, aux motifs que la salariée, pour le compte de son nouvel employeur, ne prospectait plus la clientèle pour la vente de tricots, qu'elle avait donc perdu la clientèle qu'elle avait créée pour le compte de la société Gana, alors que l'indemnité de clientèle étant destinée à réparer le préjudice résultant pour le représentant de son licenciement, lequel lui fait perdre le bénéfice de sa clientèle et procure un enrichissement à son employeur, elle ne saurait être allouée au salarié licencié quand son employeur cesse son activité, de telle sorte que, d'une part, le licenciement n'est pas la cause directe du préjudice du représentant, lequel peut garder sa clientèle, et que, d'autre part, l'employeur ne tire aucun profit de la rupture ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 751-9 du Code du travail, Claudine Gratadour avait droit, en l'absence de faute grave, à une indemnité "pour la part qui lui revenait personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par elle"; que la cour d'appel, qui a relevé que l'intéressée avait de 1969 à 1972 apporté à la société Gana 179 clients nouveaux, et que son chiffre d'affaires avait plus que doublé, et qu'elle ne prospectait plus pour le compte de son nouvel employeur pour la vente de tricots, mais pour d'autres articles de prêt-à-porter féminins, en a déduit qu'elle avait perdu la clientèle qu'elle avait créée de ce chef et a évalué en fait le montant du préjudice que lui avait causé son départ de l'entreprise, peu important que l'employeur ait cessé son activité et ne puisse donc lui-même tirer profit de cette clientèle; qu'ainsi aucun des deux moyens ne peut être accueilli ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.