Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 21 novembre 1991, n° 1828-89

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gentilhomme (époux)

Défendeur :

Louis Lasserre (Sté), La Compagnie Générale de Prêt-à-porter (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bensoussan

Conseillers :

M. Lebreuil, Mme Gachie

Avoués :

SCP Boyer-Lescat, SCP Malet

Avocats :

Mes César, Cohen.

T. com. Toulouse, du 1er mars 1989

1 mars 1989

Les époux Gentilhomme sont régulièrement appelants d'un jugement rendu le 1er mars 1989 par le Tribunal de commerce de Toulouse qui les a condamnés à payer à la société Lasserre Textiles devenue Compagnie Générale du Prêt-à-porter la somme de 637 361,83 F, celle de 17 703,11 F à titre de frais de prorogation d'effets impayés,et les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 9 mars 1987 ; a prononcé la nullité du contrat de franchise commerciale établi le 2 avril 1987, entre les époux Gentilhomme et la société d'Etude et de Conseil Création Promotion devenue société Louis Lasserre SA, avec effet au 1er janvier 1987 ; a condamné la société Louis Lasserre SA à payer aux époux Gentilhomme la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts et a prononcé un partage des dépens par moitié entre les parties ;

Un contrat de franchise a été signé le 2 avril 1984 entre la société d'Etude et de Conseil Création Promotion, devenue la société Lasserre SA, et les époux Gentilhomme.

Ce contrat concédait à ces derniers le droit d'exploiter un magasin de vente de vêtements de prêt-à-porter sous l'enseigne Lasserre.

Les époux Gentilhomme ont commandé et vendu les vêtements de marque Lasserre, commercialisés par la société Lasserre Textiles, devenue Compagnie Générale de Prêt-à-porter.

Les factures de la société Lasserre Textiles n'ayant pas été réglées et divers effets de commerce ayant été rejetés, une assignation a été délivrée aux époux Gentilhomme le 9 mars 1987.

Les époux Gentilhomme ont, parallèlement, le 24 mars 1987 fait assigner la société d'Etude et de Conseil Création Promotion et la société Lasserre Textiles en résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société d'étude et de conseil Création Promotion ; les deux instances ont été jointes.

Les époux Gentilhomme demandent à la cour de :

- " Dire et juger que la société d'Etude et de Conseil Création Promotion, devenue société Louis Lasserre SA a multiplié les fautes et manquements à ses obligations dans l'exécution du contrat de franchise.

- " Dire et juger que l'absence de conseil et d'aide tel que prévue au contrat de franchise, constitue une faute justifiant de la nullité reconnue par le tribunal.

- " Dire et juger que la société Louis Lasserre SA a commis une faute en élaborant une première commande très largement supérieure aux besoins réels du fonds de commerce.

- " Constater que cette faute a directement profité à la Compagnie Générale du Prêt-à-porter.

- " Dire et juger que la société Louis Lasserre a commis une faute en maintenant dans la zone concédée en exclusivité aux époux Gentilhomme, une autre franchise,

- " Constater que cette faute a directement profité à la société CGPP, qui a sciemment poursuivi l'approvisionnement de Monsieur Badol en fraude aux droits des époux Gentilhomme.

- " Déclarer que ces fautes, sont constitutives d'un grave préjudice à leur égard.

En conséquence,

- " Confirmer la nullité du contrat de franchise en date du 2 avril 1984 et condamner la société Louis Lasserre SA d'avoir à leur verser la somme de 338 000 F à titre de dommages et intérêts.

- " Dire et juger que les fautes reprochées à la société Louis Lasserre SA ont directement profitées à la Compagnie Générale du Prêt-à-porter qui n'a pu agir qu'en connaissance de cause portant ainsi gravement atteinte aux intérêts du franchisé.

Dès lors,

- " Déclarer la Compagnie Générale de Prêt-à-porter et la SA Louis Lasserre solidairement responsables du préjudice causé au franchisé et les condamner d'avoir à leur verser une indemnité qui ne saurait être inférieure au montant des sommes impayées réclamées au titre du solde des factures.

- " Dire et juger que cette dette de dommages et intérêts se compense avec les sommes réclamées au titre du solde de factures impayées.

En toute hypothèse,

- " Condamner la société Louis Lasserre d'avoir à relever et garantir Madame Gentilhomme de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre.

- " Dire et juger qu'aucune condamnation ne pourra être prononcée à l'encontre de Monsieur Gentilhomme, qui n'a aucun lien contractuel avec la GGPP ;

- " Condamner la société Louis Lasserre SA et la société CGPP d'avoir à leur payer la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Boyer-Lescat, avoués sur son affirmation de droit.

Me Rey intervient à l'instance, en qualité de commissaire à l'exécution du plan et de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société Compagnie Générale du Prêt-à-porter et de la société Louis Lasserre SA.

Les sociétés intimées demandent à la cour de :

- " Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné Monsieur et Madame Gentilhomme à payer à la société Lasserre Textiles devenue CGPP les sommes de 637 361,83 F à titre principal, et celle de 17 703,11 F à titre de frais de prorogation d'effets impayés les dites sommes augmentées des intérêts légaux à compter du 9 mars 1987 ;

- " Accueillir l'appel incident de la CGPP ;

-" Réformant le jugement dont appel en ce qui concerne la clause pénale.

-" Condamner les époux Gentilhomme à payer à la CGPP la somme de 95 604 F soit par application de la clause pénale, soit à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du paiement tardif des factures avec les intérêts au taux légal à compter du 9 mars 1987.

En toute hypothèse

- " Condamner les époux Gentilhomme à payer à la CGPP la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- " Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la SECCP devenue la société Louis Lasserre SA et la société Lasserre Textiles devenue CGPP sont indépendantes économiquement et que leur objet social est différent ;

- " Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de franchise avec effet au 1er janvier 1987 et condamné la SECCP devenue la société Louis Lasserre à payer à Monsieur et Madame Gentilhomme la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts ;

- " Accueillir l'appel incident de la SECCP devenue société Lasserre SA et prononcer la résolution du contrat de franchise avec effet au, 1er janvier 1987 aux torts et griefs exclusifs des époux Gentilhomme et les condamner à payer à la société Louis Lasserre SA la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts.

En toute hypothèse,

- " Débouter les époux Gentilhomme de leur demande tendant à ce que la CGPP soit condamnée à leur verser une indemnité qui ne saurait être inférieure au montant des sommes qu'elle leur réclame par ailleurs ;

- " Débouter les époux Gentilhomme de leur demande subsidiaire tendant à ce que la société Louis Lasserre soit condamnée à les relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre ;

- " Condamner les époux Gentilhomme à payer à la société Louis Lasserre anciennement SECCP la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- " Condamner les époux Gentilhomme aux entiers dépens de première instance et d'appel ceux d'appel étant distraits au profit de Maître Malet, avoué, sur son affirmation de droit.

Décision de la cour

Sur le contrat de franchise

Attendu que par contrat de franchise signé le 2 avril 1984, la société d'Etude et de Conseil Création Promotion a concédé aux époux Gentilhomme le droit d'exploiter un magasin de vente de vêtements de prêt-à-porter sous l'enseigne Lasserre ;

Attendu que les époux Gentilhomme soutiennent que le franchiseur a manqué à ses obligations contractuelles, en ne leur apportant pas l'aide et les conseils prévus au contrat, en élaborant une première commande supérieure aux besoins de leur fonds de commerce, en maintenant un autre franchisé dans la zone concédée en exclusivité ;

Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats que la société d'Etude et de Conseil Création Promotion, franchiseur, a fait bénéficier les époux Gentilhomme d'un encadrement commercial effectif organisé au moyen de visites de chefs de secteurs et animateurs de vente ;

Que le contrat de franchise n'impose aucune obligation de commande, ni aucun seuil de commande minimum ; qu'il leur appartenait donc, s'ils estimaient la première commande excessive d'en demander la diminution ;

Attendu en revanche qu'aux termes de l'article IV du contrat " le franchiseur s'engage à ne pas concéder d'autres franchises de boutiques Lasserre à quelque commerçant que ce soit dans le secteur de la ville de Lyon tel que défini en annexe pour la ligne féminine.

Attendu que, contrairement à ce que soutient le franchiseur, cette clause signifie que les époux Gentilhomme, franchisés, doivent bénéficier de l'exclusivité de la commercialisation des vêtements de la ligne Lasserre dans le secteur qui leur est concédé ;

Qu'il appartenait en conséquence à la société d'Etude et de Conseil Création Promotion de respecter cette obligation.

Qu'elle a d'ailleurs engagé une procédure à l'encontre de Messieurs Badol et Barrios, bénéficiaires d'une franchise Lasserre dans le même secteur que les époux Gentilhomme, plus d'un mois avant la signature du contrat conclu avec ces derniers ;

Que le Tribunal de commerce par jugement rendu le 15 octobre 1984 a constaté la résiliation du contrat de franchise conclu avec Messieurs Badol et Barrios ; que selon les déclarations de franchiseur ce n'est qu'en 1985 que ceux-ci ont déposé leur enseigne Lasserre ;

Attendu que la franchise concédée à Messieurs Badol et Barrios a donc existé parallèlement à celle concédée aux époux Gentilhomme pendant au moins une année;

Attendu qu'il appartenait à la société d'Etude et de Conseil Création Promotion de ne conclure un nouveau contrat de franchise que lorsque le premier aurait effectivement pris fin;

Que la preuve est ainsi rapportée qu'elle n'a pas rempli ses obligations contractuelles et le contrat doit être résolu à ses torts exclusifs en application des dispositions de l'article 1184 du Code civil;

Qu'en effet le franchiseur est mal fondé à soutenir que les époux Gentilhomme auraient commis des fautes dans la gestion de leur commerce alors que l'existence d'une franchise concurrente rendait leur exploitation commerciale très difficile ; qu'il ne peut donc pas prétendre à des dommages-intérêts de ce chef ;

Attendu que les époux Gentilhomme demandent l'octroi de dommages-intérêts d'un montant équivalent au montant des factures impayées et la condamnation solidaire du franchiseur actuellement société Louis Lasserre SA et de la société Compagnie Générale de Prêt-à-porter, anciennement société Lasserre Textiles, créancière du montant de ces factures, en invoquant la collusion entre ces deux sociétés ;

Attendu que ces deux sociétés sont totalement indépendantes en droit et que les époux Gentilhomme ne rapportent nullement la preuve d'une collusion frauduleuse ;

Attendu que le préjudice qu'ils ont subi du fait de la concurrence d'un autre franchisé sur le secteur concédé doit être évalué à la somme de 100 000 F ;

Qu'il y a lieu en raison du redressement judiciaire de la société Louis Lasserre SA de fixer à la somme de 100 000 F la créance des époux Gentilhomme ;

Sur la créance de la société Compagnie Générale de Prêt-à-porter

Attendu que les époux Gentilhomme ont reçu livraison des vêtements, objets des factures établies par la société Lasserre Textiles, devenue Compagnie Générale de Prêt-à-porter ;

Que cette société est totalement indépendante en droit de la société d'Etude et de Conseil Création Promotion devenue la société Lasserre SA ;

Que la résiliation du contrat de franchise laisse par conséquent subsister la dette des époux Gentilhomme, aucune collusion frauduleuse n'étant démontrée entre ces deux sociétés.

Attendu que M. Gentilhomme est mal fondé à soutenir qu'il ne serait pas tenu de cette dette, au motif qu'il n'aurait pas de lien contractuel avec la société Compagnie Générale de Prêt-à-porter ;

Qu'en effet M. et Mme Gentilhomme étaient tous les deux exploitants du commerce litigieux, le contrat de franchise ayant été signé par les deux époux.

Attendu que c'est par conséquent à bon droit que les premiers juges ont condamné solidairement les époux Gentilhomme au paiement des sommes dues à la société Compagnie Générale du Prêt-à-porter ; que leur décision doit être confirmé sur ce point ;

Sur les dépens et sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu que les appelants et les intimés succombent partiellement dans leurs prétentions ; qu'il y a donc lieu de prononcer un partage par moitié des dépens de première instance et d'appel ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais non taxables qu'elles ont exposés ; que les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent donc être rejetées ;

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les appels,tant principal qu'incident, jugés réguliers ; Confirme le jugement rendu le 1er mars 1989 par le Tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'il a condamné les époux Gentilhomme à payer à la société Compagnie Générale de Prêt-à-porter la somme de 637 361,83 F,(six cent trente sept mille trois cent soixante et un francs quatre vingt trois centimes), celle de 17 703,11 F (dix sept mille sept cent trois francs onze centimes) ainsi que les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 9 mars 1987 ; Réformant partiellement ; Prononce la résolution du contrat de franchise conclu le 2 avril 1987 aux torts exclusifs de la société Louis Lasserre SA ; Fixe la créance des époux Gentilhomme au redressement judiciaire de la société Louis Lasserre SA à la somme de 100 000 F (cent mille francs), à titre de dommages intérêts ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Prononce un partage des dépens de première instance et d'appel par moitié entre les parties en accordant aux avoués de la cause le droit de recouvrer directement contre la partie adverse les dépens dont ils ont fait l'avance.