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Décisions

CA Orléans, 2e ch. civ., 11 juin 1996, n° 94002350

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alain

Défendeur :

Laforgue

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tay

Conseillers :

M. Bureau, Mme Magdeleine

Avoués :

SCP Laval-Lueger, SCP Duthoit - Desplanques

Avocats :

Mes Abouga, Nègre.

T. com. Tours, du 29 avr. 1994

29 avril 1994

Etienne Alain, propriétaire de l'établissement "Hostellerie des Perce Neige" à Vernou-sur-Brenne, a relevé appel d'un jugement du tribunal de commerce de Tours, du 29 avril 1994, qui l'a condamné à payer à Jean-Claude Laforgue une somme de 24 000 F au titre du solde d'une facture d'installation d'une cheminée dans son local outre 3 000 F d'indemnité de procédure ;

Au soutien de son appel, Alain fait valoir que la cheminée en question a été commandée à son insu par Philippe Poirier en août 1991 alors qu'il n'était que gérant salarié de son établissement en vertu d'un contrat du 13 juillet 1991 ; que si Poirier, qui envisageait d'acquérir le fonds et qui allait en devenir le locataire-gérant en février 1992, disposait d'une certaine autonomie de gestion, il n'avait nullement la capacité de souscrire des investissements de l'importance de cette cheminée dont le prix total était de 30 000 F TTC ;

L'appelant ajoute qu'en fait, en passant cette commande dans la perspective de son futur achat, Poirier s'est comporté comme le véritable propriétaire et est seul responsable de la dette ainsi souscrite ; il ajoute que, dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal a cru pouvoir faire droit à la demande de Laforgue, resté impayé du solde de 24 000 F, d'une part sur le fondement de la théorie de l'apparence alors que les conditions d'application de cette théorie ne sont pas remplies et, d'autre part, en considérant que le fonds bénéficie de la construction alors que cette cheminée constitue plus un handicap qu'un avantage pour l'exploitation compte tenu de son encombrement ;

Plus précisément sur la question de l'apparence, Alain fait valoir que Poirier ne s'est jamais présenté comme son mandataire aux yeux de Laforgue puisqu'il a acquis en son nom et a payé l'acompte de 6 000 F sur ses deniers personnels ; que d'ailleurs Laforgue ne s'y est pas trompé puisqu'il a obtenu la condamnation de Poirier à lui payer la somme de 24 000 F devant le tribunal d'instance ; qu'en outre, Laforgue ne peut être considéré comme de bonne foi puisqu'un minimum de précautions telles que l'interrogation du registre du commerce, lui auraient appris que Poirier n'avait aucun pouvoir pour effectuer un investissement de cet ordre ; qu'enfin, Alain est resté totalement étranger à cette affaire et ne saurait donc être tenu comme le débiteur de l'engagement contracté par son salarié seul ;

Il conclut donc à l'infirmation du jugement et au débouté de Laforgue en toutes ses demandes ainsi qu'à sa condamnation à lui payer 5 000 F d'indemnité de procédure ;

Jean-Claude Laforgue demande la confirmation du jugement par adoption des motifs ; il précise qu'aux yeux de tout le monde, Poirier apparaissait comme le patron de l'affaire et que s'il n'était que salarié et s'il a excédé ses pouvoirs, Alain, son employeur, est responsable des conséquences de ses fautes ; il ajoute que, d'ailleurs, l'installation d'une telle cheminée n'a pu se faire à l'insu d'Alain dont rien n'établit qu'il n'était ni au courant ni parfaitement d'accord sur de tels travaux ; qu'en outre, cette installation bénéficie finalement à l'hôtel-restaurant et qu'il est donc normal qu'Alain en supporte le coût ; il conclut donc à la confirmation du jugement, à la capitalisation des intérêts et à la condamnation de son adversaire à lui verser 5 000 F d'indemnité de procédure ;

Sur quoi, LA COUR,

Attendu qu'il est constant que Poirier a agi comme l'exploitant réel de l'établissement et non comme un salarié se prévalant de pouvoirs dont il ne disposait pas réellement ; qu'il a passé commande à son profit exclusif d'une cheminée destinée à améliorer le confort d'un fonds qu'il envisageait d'acheter à brève échéance ; qu'il n'a donc jamais voulu engager Alain dans un tel investissement ; que, dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal a cru pouvoir estimer qu'Alain était personnellement tenu des engagements souscrits par son salarié au motif qu'aux yeux des tiers ce dernier avait tout pouvoir pour engager l'entreprise alors que la commande a été passée par Poirier en son nom personnel, que l'acompte a été payé sur les deniers personnels de celui-ci et que Laforgue ignorait jusqu'à l'existence d'Alain resté totalement étranger à l'opération ;

Attendu, de même, qu'Alain ne saurait se voir reprocher la faute de son salarié puisqu'il est établi, par le contrat de gérance salariée, que Poirier avait outrepassé ses pouvoirs en opérant un tel investissement et que l'appelant ne résidant pas sur place mais dans un autre département, n'avait aucun moyen d'empêcher un tel achat s'agissant d'une commande personnelle qui lui avait été cachée et dont l'acompte n'apparaît pas avoir transité par la comptabilité de l'entreprise qui lui était soumise ;

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 1165 du Code civil, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent pas aux tiers; que, dans ces conditions, le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait supporter à Alain les obligations souscrites par Poirier en son nom personnel;

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser supporter à l'appelant la charge des frais irrépétibles qu'il a dû engager ; qu'il sera donc débouté de sa demande d'indemnité de ce chef.

Par ces motifs, Statuant, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Déboute Jean-Claude Laforgue de ses demandes ; Condamne l'intimé aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle ; Accorde, pour les dépens d'appel, à la Société Civile Professionnelle Olivier Laval et Françoise Lueger, Avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, à condition qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat dans les conditions de l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.