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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 30 juin 1988, n° ECOC8810100X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SAEDE (SA)

Défendeur :

Lyonnaise des Eaux (SA), Ville de Pamiers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Drai

Présidents :

MM. Renard-Payen, Edin

Avoués :

SCP Daniel Lamazière, Cossec

Avocats :

Mes de Fontbressin, Jeantet.

CA Paris n° ECOC8810100X

30 juin 1988

LA COUR est saisie du recours formé par la SAEDE (société d'exploitation et de distribution d'eau - SA) contre la décision rendue le 17 mai 1988 par le Conseil de la concurrence en ce qu'elle a rejeté sa demande de mesures conservatoires présentée à l'encontre de la commune de Pamiers et de la Société lyonnaise des eaux (SLE).

La SAEDE, titulaire d'un contrat de gérance pour la distribution d'eau de la commune de Pamiers depuis le 29 mai 1981, a saisi le Conseil de la concurrence, le 24 mars 1988, pour voir ordonner des mesures conservatoires tendant à faire injonction à la ville de Pamiers et à la SA Lyonnaise des eaux de revenir à l'état antérieur à l'octroi, par cette commune à ladite société, d'un contrat d'affermage pour la distribution de l'eau en application d'une décision du conseil municipal du 10 mars 1988.

Elle a soutenu que cette décision avait été obtenue en violation des règles de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la Société lyonnaise des eaux ayant multiplié les " contacts " avec certains membres du conseil municipal, si bien qu'elle a été à même d'établir en secret un projet chiffré sur des bases autres que le projet officiel du cabinet conseil de la ville, rompant ainsi l'égalité entre les concurrents, de sorte qu'elle a pu emporter le marché.

Dans sa décision du 24 mai 1988, le Conseil de la concurrence a considéré que les dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 permettant au Conseil de la concurrence de prendre des mesures conservatoires n'étaient applicables que si les pratiques alléguées visées dans la demande étaient susceptibles d'entrer dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance que l'article 53 du même texte précisait qu'il ne s'appliquait aux personnes publiques que dans la mesure où celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution ou de service que la décision par laquelle la municipalité de Pamiers avait confié l'exécution d'un service public à une entreprise par la voie d'un contrat d'affermage ou de concession n'avait pas le caractère d'un acte de production, de distribution ou de services, de sorte qu'elle ne pouvait être regardée comme une pratique entrant dans le champ d'application de l'ordonnance.

Le Conseil de la concurrence a, en conséquence, déclaré non recevable la saisine au fond, laissant à la SAEDE la possibilité de saisir la juridiction administrative compétente si elle entendait contester la régularité de la procédure suivant laquelle avait été conclu le contrat d'affermage en cause.

Il a également décidé qu'il n'y avait pas lieu d'examiner la demande de mesures conservatoires.

La décision du Conseil de la concurrence a été notifiée à la SAEDE par lettre du 20 mai 1988.

La SAEDE, a assigné à l'audience de la cour du 23 juin 1988 la SA lyonnaise des eaux et la ville de Pamiers par acte d'huissier de justice signifié le 3 juin 1988.

Le recours formé par la demanderesse a pour seul objet la réformation de la partie de la décision attaquée portant rejet de la demande de mesures conservatoires.

La demanderesse au recours expose que l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'applique sans restriction aux personnes publiques et que, même à s'en tenir à l'interprétation étroite retenue par le Conseil de la concurrence, force est de constater que la ville de Pamiers intervient dans le circuit de distribution et de service de l'eau, ce qui justifie la demande de mesures conservatoires formée par une entreprise victime d'agissements anticoncurrentiels de nature à lui occasionner une perte de 40 p. 100 de son chiffre d'affaires.

Elle précise que lesdites mesures n'ont pas pour objet de sanctionner une décision administrative, mais de faire en sorte qu'il puisse être revenu à l'état antérieur, c'est-à-dire, à la situation précédant l'envoi des lettres recommandées en vue de la passation d'un nouveau marché pour permettre à la concurrence de s'exercer.

Elle ajoute que la preuve d'une concertation et de pratiques anti-concurrentielles prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est rapportée par des attestations de membres du conseil municipal ainsi que par l'ensemble des pièces versées aux débats, et que ces pratiques portent une atteinte grave et immédiate tant à l'entreprise plaignante, du fait de la fermeture d'un marché représentant près de 40 p. 100 de son chiffre d'affaires qu'à l'intérêt des consommateurs tenant à l'augmentation substantielle du prix de l'eau.

La Société lyonnaise des eaux (SLE), défenderesse au recours, demande à la cour de déclarer le recours de la SAEDE irrecevable et mal fondé, aux motifs que l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui n'aurait pas valeur législative ne s'applique que dans des hypothèses d'intervention directe de la personne publique dans les activités visées, que la cour d'appel ne peut ni apprécier la légalité d'un contrat de droit public ni prononcer des injonctions à l'encontre d'une collectivité territoriale que les faits allégués ne sont pas susceptibles de tomber sous le coup des articles 7 et 8 de l'ordonnance ; que les mesures demandées ne sont pas limitées à ce qui est strictement nécessaire pour faire face à l'urgence.

La ville de Pamiers conclut également à ce que le recours soit déclaré irrecevable et mal fondé, en reprenant, pour l'essentiel, les arguments développés par la SLE et en ajoutant que la SAEDE, titulaire d'un simple contrat de gérance, n'avait aucun droit acquis à son maintien à Pamiers.

Sur quoi, LA COUR :

Sur la procédure de recours :

Considérant qu'à l'audience du 23 juin 1988 aucune des parties n'a soutenu des moyens de forme.

Sur les mesures demandées :

Considérant qu'aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les règles définies à ce texte s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ;

Considérant que la ville de Pamiers, qui avait le libre choix d'assurer elle-même le service public de distribution d'eau potable ou de le déléguer à un cocontractant, ne pouvait pas manquer, dès lors qu'elle optait pour la seconde voie, de respecter les règles de l'ordre public économique institué par l'ordonnance précitée, en laissant s'exercer le libre jeu de la concurrence entre les entreprises qu'elle avait mises à même de conclure avec elle un contrat d'affermage ;

Considérant en effet qu' en faisant appel à plusieurs entreprises spécialisées afin de choisir celle à qui serait confiée la distribution d'eau la ville de Pamiers a exercé une action sur le marché; que, dès lors, elle ne pouvait, de son fait, porter atteinte aux règles de la libre concurrence qui s'imposent à tous et dont le contrôle a été confié par la loi au Conseil de la concurrence et, par voie de recours, à la cour d'appel de Paris, afin d'unifier les règles de compétence juridictionnelle, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice;

Considérant que les pratiques dénoncées seraient, si elles étaient démontrées, de nature à entrer dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, en effet, qu'il résulte des éléments produits aux débats (notamment des attestations de plusieurs membres du conseil municipal de Pamiers, ainsi que d'un entrefilet paru, au cours de l'hiver 1987-1988, dans la revue de la Société lyonnaise des eaux Eaux vives) l'existence de contacts" entre la SLE et la ville de Pamiers, préalablement à la consultation des entreprises mises en compétition, susceptibles de constituer une concertation ayant pour objet de mettre la SLE seule en mesure de répondre aux souhaits de la commune, différents de ceux officiellement exprimés et donc d'évincer les concurrents ;

Considérant que la collation de l'activité de distribution d'eau de la commune de Pamiers n'apparaît pas avoir été effectuée dans le respect de la libre concurrence ;

Considérant que les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate, avec effet au 1er juillet 1988, à l'entreprise plaignante, dont le chiffre d'affaires était constitué, à près de 40 p. 100, par l'activité dont elle a été éliminée ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de faire droit à la demande de mesures conservatoires présentée par la SAEDE et d'ordonner la suspension jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt de la cour sur le fond, observation faite que la date de l'audience est déjà fixée au 20 octobre, des effets de la situation née de la résiliation du contrat qui bénéficie à la SAEDE et de l'affermage et du service des eaux au profit de la SLE, de telle sorte que la situation antérieure se poursuive jusqu'à l'expiration du délai sus-indiqué ;

Par ces motifs : Vu l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1988 ; Reçoit la SAEDE en son recours ; Réforme la décision n° 88-D-24 rendue le 17 mai 1988 par le Conseil de la concurrence en ce qu'elle a rejeté la demande de mesures conservatoires présentée par la SAEDE ; Dit que les effets de la situation née de la résiliation du contrat qui bénéficie à la SAEDE, et de l'affermage du service des eaux au profit de la Société lyonnaise des eaux sont suspendus jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt de la cour sur le fond, de telle sorte que la situation antérieure se poursuivre jusqu'à l'expiration du délai sus-indiqué ; Réserve les dépens.