CA Paris, 4e ch. A, 26 juin 2002, n° 2000-18791
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fleurus Mame (SA)
Défendeur :
Bayard Presse (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Tazé-Bernard-Belfayol-Broquet, Me Olivier
Avocats :
Mes Halpern, Boespflug
La société Editions Droguet et Ardant (aux droits de laquelle vient la société Groupe Fleurus Mame) s'est vue confier la réalisation de l'édition des deux ouvrages de Jean Vernette, intitulés " Paraboles pour aujourd'hui " et " Paraboles d'Orient et d'Occident ", respectivement publiés en 1991 et 1993 sous la direction artistique d'Alain Noël.
Constatant que la société Bayard Presse publiait, en 1996, l'ouvrage de Jean Vernette intitulé " Paraboles de bonheur " dans une présentation semblable à la sienne, après qu'Alain Noël a rejoint cette société, et estimant que cette édition reprenait les caractéristiques " originales et distinctives " de la collection qu'elle a créée et portait atteinte à ses droits, la société Editions Droguet et Ardant a, par acte du 17 septembre 1999, saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une action en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Par jugement du 30 juin 2000, le tribunal estimant que les similitudes relevées entre les ouvrages en cause ne portaient pas sur des éléments originaux, a débouté la société Groupe Fleurus Mame de toutes ses prétentions et l'a condamnée à payer à la société Bayard Presse la somme de 10000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Groupe Fleurus Mame a interjeté appel de cette décision, le 5 septembre 2000.
LA COUR,
Vu les conclusions du 4 janvier 2001 aux termes desquelles la société Groupe Fleurus Mame poursuit l'infirmation de la décision entreprise et, réitérant ses prétentions de première instance, demande à la Cour de :
- condamner la société Bayard Presse à lui payer la somme de 1 000 000 F à titre de dommages intérêts pour contrefaçon, ainsi que la somme de 1 125 000 F à titre de dommages intérêts pour concurrence déloyale,
- ordonner le retrait et la destruction immédiate des ouvrages contrefaisants, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois revues au choix de l'appelante,
- lui allouer la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 2 mars 2002 par laquelle la société Bayard Presse contestant les droits privatifs invoqués par la société Groupe Fleurus Mame sur un ensemble d'éléments, selon elle, in appropriables, estime que les griefs de contrefaçon et de concurrence déloyale ne sont pas fondés, soutient, subsidiairement, que le préjudice invoqué n'est pas établi et demande, en conséquence à la Cour de confirmer la décision entreprise et de lui allouer la somme de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi,
Sur la contrefaçon :
Considérant que la société Groupe Fleurus Mame allègue que les ouvrages publiés en 1991 et 1993 par la société Droguet & Ardant sous les titres " Paraboles d'Orient et d'Occident " et " Paraboles d'aujourd'hui ", dont Jean Vernette est l'auteur, appartiennent à la collection " Paraboles " dont les caractéristiques, qui tiennent au format de l'ouvrage (17 x 24 et 190 pages), à la reliure en toile, au titre en fer à dorer, à la jaquette de couleur et aux nombreuses illustrations photographiques et graphiques, résultent, selon elle, d'un processus créatif dont elle prétend être l'auteur ;
Mais considérant que la société Groupe Fleurus Mame, qui ne produit pas aux débats les contrats d'édition qui ont pu être signés avec l'auteur Jean Vernette, ne démontre pas que les deux ouvrages invoqués, que la société Droguet & Ardant a pris l'initiative d'éditer en 1991 et 1993, constituaient les éléments d'une collection ou série réalisée à l'instigation de cette dernière et devant être publié sous l'intitulé " Paraboles de... " ;
Qu'elle ne démontre pas ni même n'allègue que la maison d'édition aurait participé, par l'entremise de son directeur artistique, à l'élaboration du titre des ouvrages dont Jean Vernette, sous le nom duquel ils ont été divulgués, apparaît être l'auteur exclusif, à défaut de preuve contraire en l'espèce non rapportée ;
Que l'adoption d'un format, au demeurant banal, l'utilisation d'une reliure en toile comportant la mention du titre en fer à dorer et d'une jaquette en couleur en papier glacé, la reproduction de photographies en couleur, y compris en double page, illustrant le propos de l'auteur, l'adjonction aux paraboles de commentaires et de textes émanant de l'auteur, l'utilisation de lettrines ouvrant chacune de celles-ci, constituent autant d'éléments qui, même pris en combinaison, ne traduisent pas la personnalité de leur auteur et ne permet pas, à l'ensemble, d'accéder au rang des œuvres de l'esprit susceptible de bénéficier, comme telle, de la protection instaurée par le livre 1er du Code de la propriété intellectuelle ;
Que la société Groupe Fleurus Mame ne peut valablement reprocher à la société Bayard Presse d'avoir utilisé, y compris pour la réalisation de la jaquette, des photographies s'harmonisant au propos de l'auteur et qui ne présentent d'autres similitudes que celles relevant d'un genre, lequel est de libre parcours et ne peut faire l'objet d'une quelconque appropriation ;
Que le " concept " éditorial qu'elle revendique n'étant pas, en soi, original, ne peut être protégé par le droit d'auteur ;
Que le tribunal a, dans ces conditions, justement estimé qu'elle ne pouvait se prévaloir, à titre personnel, d'un quelconque droit privatif sur l'ensemble des éléments qu'elle invoquait et l'a déboutée à bon droit des prétentions qu'elle a formée au titre de la contrefaçon ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant que la société Groupe Fleurus Mame soutient encore que la société Bayard Presse se serait rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire en créant un risque de confusion dans l'esprit du public entre les ouvrages en cause ; qu'elle prétend à cet effet que l'en-tête de titre " Paraboles " utilisé par l'intimée procède de l'intention de profiter de la notoriété acquise par les ouvrages publiés par la société Droguet & Ardant, soulignant que l'auteur avait présenté son manuscrit à celle-ci dans l'idée de l'inscrire dans la collection " Paraboles " de l'éditeur ; qu'elle dénonce la même présentation d'argumentaire sur le service Electre ainsi que dans les documents mis à la disposition du public et des libraires, qui renforcerait, selon elle, la confusion entre les ouvrages en faisant passer le titre litigieux pour la suite de la série initiée par Droguet & Ardant ; qu'elle reproche enfin à l'intimée d'avoir aggravé la confusion dans l'esprit du public en faisant référence aux deux précédents ouvrages sans citer l'éditeur ;
Mais considérant qu'en l'absence de droit privatif, la société Groupe Fleurus Mame n'est pas fondée à reprocher à la société Bayard Presse la reprise d'éléments qui, pris séparément ou en combinaison, ne sont pas de nature à identifier aux yeux du public la maison d'édition et à constituer un signe de communication suffisamment fort auprès de sa clientèle;
Que cette reprise ne serait fautive qu'autant qu'il subsisterait entre les produits en cause un risque de confusion ;
Or considérant, comme le souligne pertinemment la société Bayard Presse, que celle-ci a pris le soin de ne pas reproduire sur sa couverture les pictogrammes qui caractérisent les jaquettes des éditions qui lui sont opposées que l'adoption d'une mise en page et d'une typographie différentes, l'abandon de tout dessin et l'adoption de bandes verticales soulignant le texte confèrent à l'édition critiquée une apparence suffisamment distincte qui lui permet de se démarquer des deux précédentes;
Qu'elle ne peut revendiquer un quelconque droit sur le terme " Paraboles... " qu'elle ne peut s'approprier ;
Que la citation en ème page de couverture de l'édition critiquée des deux précédents ouvrages, traduit d'autant moins l'intention de la société Bayard Presse de détourner la notoriété des éditions Droguet & Ardant que cette notoriété s'attache essentiellement au concept intellectuel des ouvrages dont Jean Vernette est l'auteur et non à leur présentation et que la société Bayard Presse a pris soin, dans le livre lui-même, de dresser, comme il est d'usage, la liste exhaustive des œuvres de l'auteur en indiquant précisément le nom des différents éditeurs qui les ont publiées;
Considérant qu'il convient également de relever qu'il n'est pas démontré que des manœuvres déloyales auraient été employées par Bayard Presse pour s'assurer le concours de l'ancien agent artistique de la société Droguet & Ardant ou pour convaincre Jean Vernette de suivre ce dernier chez Bayard Presse pour la publication de son 3e ouvrage, alors que celui-ci était parfaitement libre de ses décisions ; qu'il n'est pas davantage démontré que Bayard Presse aurait déloyalement profité du savoir faire de l'agent artistique ;
Que la société Groupe Fleurus Mame reproche en vain à l'intimée la présentation d'un même argumentaire sur le site Electre ou dans le catalogue du libraire La Procure dont la responsabilité n'est pas imputable à la société Bayard Presse ;
Que le risque de confusion allégué n'est pas avéré, pas plus que n'est démontré un détournement fautif de clientèle;
Que le jugement entrepris, qui a fait une exacte appréciation des données de la cause, sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Bayard Presse ; que la somme de 4 570 euro doit lui être allouée à ce titre pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, en complément de celle qui lui a été octroyée par les premiers juges pour ses frais de première instance que la société Groupe Fleurus Mame qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formulée à ce titre ;
Par ces motifs, confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Y ajoutant, condamne la société Groupe Fleurus Mame à payer à la société Bayard Presse la somme de 4 570 euro pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, rejette toute autre demande, Met les dépens à la charge de la société Groupe Fleurus Mame et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.