Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 1 décembre 1993, n° 93-8002

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Kebers

Défendeur :

Bres

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Gautier, M. Canivet

Conseillers :

MM. Bargue, Albertini, Weill

Avoués :

SCP Bernabe, Ricard, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay

Avocats :

Mes Piwnica, Junik

TGI Créteil, 2e ch., du 9 janv. 1990

9 janvier 1990

LA COUR statue sur l'appel relevé par Bruno Kebers d'un jugement rendu le 9 janvier 1990 par le Tribunal de grande instance de Créteil (2e chambre) qui l'a condamné à régler à René Bres la somme de 111 950 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 août 1988 et celle de 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qui a débouté les parties du surplus de leurs prétentions et a mis les dépens à la charge de Bruno Kebers.

Par acte des 1er et 21 février 1987, René Bres, représentant de commerce de la société Sarfati qui désirait mettre fin à son activité, a cédé à Bruno Kebers, son neveu, qui devait être engagé en qualité de VRP, par la même société par contrat de travail du 27 février 1987, la moitié de son secteur comprenant les arrondissements parisiens du 5e 6e, 7e, 12e, 13e, 14e, 15e et 20e et les départements 77, 91, 93 et 94 moyennant une somme de 130 000 F payable en trente six mensualités de 3 610 F à partir du 30 août 1988.

Bruno Kebers qui avait commencé à effectuer les règlements, les a interrompus courant février 1988 et, le 18 août 1988, René Bres l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Créteil afin d'obtenir, avec exécution provisoire, paiement de la somme de 111 950 F augmentée des intérêts à compter de l'assignation, de la somme de 10 000 F de dommages-intérêts et de celle de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Bruno Kebers a invoqué la nullité de la convention du 1er février 1987 et réclamé le rejet des prétentions de René Bres et le paiement de la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision entreprise.

Ce jugement a été confirmé par arrêt de cette Cour en date du 19 février 1991 qui a été cassé par arrêt de la Cour de cassation en date du 24 mars 1993 qui a renvoyé la procédure devant la cour d'appel de céans autrement composée.

Bruno Kebers, appelant, soutient que René Bres, lié à la société Sarfati par un contrat de travail qui stipulait que la société restait propriétaire de la clientèle qu'il prospectait, n'était pas fondé à céder un droit de clientèle dont il ne pouvait prétendre être propriétaire, ni un droit de présentation qui n'a aucune existence légale dans le cas d'un représentant de commerce salarié et qui est illicite comme contraire aux principes régissant le droit du travail.

Il déclare que, dépourvu de droit sur la clientèle prospectée, René Bres ne pouvait le céder contre rémunération, que la convention des 1er et 21 février 1987 est donc nulle faute d'objet, qu'à la date de la signature de la convention, il ignorait que les contrats de travail des VRP prévoyaient une clause de réserve de propriété sur la clientèle au profit de la société Sarfati puisqu'il n'avait pas encore signé son propre contrat et que René Bres qui savait parfaitement qu'il n'avait aucun droit, doit être condamné à payer 100 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la nullité de la convention et de la procédure abusive diligentée contre lui, et 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à rembourser, en outre, une somme de 163 379,85 F, déjà versée par lui en exécution des décisions annulées, avec intérêts au taux légal à compter de la date de mise en demeure du 29 avril 1993.

René Bres, intimé, réplique qu'il résulte des termes de l'article 14 du contrat conclu entre lui-même et la société Sarfati, que seule la clientèle " visitée " par le représentant demeurait la propriété de la société, c'est-à-dire la clientèle existant au moment de la signature du contrat du 1er juin 1965, qu'une indemnité de clientèle était prévue pour réparer le manque à gagner résultant de son départ de l'entreprise et que cette indemnité était tacitement remplacée par le rachat de la clientèle par le successeur du VRP quittant ladite entreprise, que n'ayant perçu de son employeur aucune indemnité de clientèle lors de son départ, il était donc parfaitement en droit de céder la clientèle qu'il avait créée et que le contrat n'est donc pas dépourvu de cause.

Il ajoute que l'appelant ne peut revenir sur ses engagements alors qu'il avait versé les premières mensualités, qu'il avait acquiescé au contrat et que la clause de réserve de propriété ne pouvait être invoquée que par la seule société Sarfati qui n'est pas partie au contrat et n'a pas été appelée en la cause.

Il conclut à la confirmation du jugement et, formant appel incident, il sollicite 10 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée et 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cela étant exposé, la COUR,

Sur la nullité de la convention des 1er et 21 février 1987

Considérant que le contrat de VRP, conclu en 1965 entre René Bres et la société Sarfati, contient une clause qui stipule qu'en raison de la nature du contrat, la clientèle visitée par le représentant demeurera la propriété de la société et ne saurait faire l'objet d'une cession quelconque, en aucun cas ; qu'il dispose également qu'un droit à une indemnité de clientèle peut exister au profit du représentant si, en cas d'apport personnel de clientèle par le représentant, le contrat est rompu du fait de l'employeur et sans qu'il y ait faute grave de la part du représentant ;

Considérant que cette clause ne se retrouve pas dans le contrat de VRP signé le 27 février 1987 par Bruno Kebers et la même société ; que celle-ci précise seulement qu'elle lui a remis, lors de son engagement, une liste de clients de son secteur appartenant à la " Maison ", liste qui a été annexée audit contrat ;

Considérant que cette différence existant entre les deux contrats explique que Bruno Kebers ait exécuté pendant plusieurs mois le contrat de cession de clientèle avant d'apprendre que René Bres ne disposait pas du droit de vendre la clientèle de son secteur, contrairement à ce qu'ont retenu à tort les premiers juges ;

Considérant que René Bres ne peut soutenir qu'il avait le droit de céder la clientèle qu'il avait créée faute de percevoir de son employeur une indemnité de clientèle lors de son départ ; que son contrat ne prévoit la possibilité d'une indemnité de clientèle que dans un cas particulier qui n'est pas invoqué en l'espèce (rupture du contrat du fait de l'employeur) et que René Bres reconnaît qu'il a cessé son activité à la suite de problèmes de santé, sans qu'il soit établi qu'ils aient entraîné une incapacité permanente totale de travail (article L. 757.9 du Code du travail) ;

Considérant que le statut des VRP ne leur reconnaît pas un droit de présentation de leur successeur et qu'aucune clause de représentation n'est prévue au contrat de travail ;

Considérant que la convention qui a pour objet la vente d'une chose qui n'est pas dans le commerce ou la cession de droits dont le cédant n'est pas titulaire, est nulle pour défaut de cause;

Considérant que René Bres était dépourvu de droits sur la clientèle dès lors qu'il avait la qualité de salarié et non de mandataire de la société Sarfati, que son contrat lui faisait interdiction de céder la clientèle contre rémunération et qu'il l'a prospecté pour le compte exclusif de son employeur; que la convention susvisée était dépourvue d'objet ;

Considérant que c'est à tort que le tribunal a décidé que Bruno Kebers ne pouvait se prévaloir de la clause de réserve de clientèle et que seule la société Sarfati aurait pu élever une contestation à ce titre;

Que René Bres, qui ne pouvait ignorer cette clause, ne pouvait valablement céder à Bruno Kebers aucun droit sur cette clientèle ;

Considérant que la convention litigieuse doit être déclarée nulle ;

Considérant qu'il convient de faire droit à la demande en restitution de la somme de 163 379 F représentant le montant, non contesté par la partie adverse, des sommes versées au titre des décisions annulées ;

Considérant que la demande en dommages-intérêts formée par Bruno Kebers ne peut être accueillie faute par lui d'établir l'existence de la faute commise par René Bres qui aurait fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Brune Kebers l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés au cours des différentes procédures au fond ;

Considérant qu'il ne peut être fait droit à la demande en dommages-intérêts formée par René Bres faute d'établir la faute commise ;

Considérant que René Bres qui est condamné aux dépens ne peut prétendre bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ; Déclare nulle la convention des 1er et 21 février 1987 ; Condamne René Bres à payer à Bruno Kebers ; la somme de 163 379,85 F et les intérêts au taux légal de cette somme à compter de la mise en demeure du 29 avril 1993 ; la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; les dépens de première instance et d'appel, y compris ceux de l'arrêt du 19 février 1991, qui pourront être recouvrés par la SCP Bernabe et Ricard, titulaire d'un office d'avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.