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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 23 février 2000, n° 97-01725

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération Nationale des Artisans du Taxi

Défendeur :

L'Age d'Or Expansion (SA), Bourscheidt, Ronsiaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ciabrini

Conseillers :

Mme Belaval, M. Perrot

Avoués :

SCP Six & Guillaume, Me Estival, SCP Chalicarne-Delvincourt- Jacquemet

Avocats :

Mes Brissart, Laraize

TGI Reims, du 6 mai 1997

6 mai 1997

Vu le jugement rendu le 6 mai 1997 par le Tribunal de grande instance de Reims, ayant :

- rejeté les exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité soulevées par les défendeurs ;

- dit n'y avoir lieu à question préjudicielle ;

- débouté la FNAT de son action en concurrence déloyale et de ses demandes subséquentes ;

- condamné la FNAT à payer à Monsieur Bourscheidt et la SARL Age d'Or Expansion la somme globale de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamné la FNAT aux dépens ;

Vu l'appel régulièrement interjeté contre cette décision le 13 juin 1997 par la FNAT ;

Vu la constitution d'avoué de la SA L'Age d'Or Expansion et de Monsieur Bourscheidt en date du 25 juin 1997 ;

Vu les conclusions déposées par la FNAT le 13 octobre 1997 ;

Vu l'assignation délivrée à Monsieur Ronsiaux sur requête de la FNAT par exploit du 10 novembre 1997, et sa constitution d'avoué en date du 5 décembre 1997 ;

Vu les conclusions de la SA L'Age d'Or Expansion et de Monsieur Bourscheidt, du 19 mars 1998, de la FNAT, du 13 octobre 1998 ;

Vu les conclusions récapitulatives déposées par la SA L'Age d'Or Expansion et Monsieur Bourscheidt le 8 novembre 1999, et celles, récapitulatives et responsives, de la FNAT, du 7 décembre 1999 ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 13 décembre 1999, fixant l'affaire pour plaidoirie à l'audience du 12 janvier 2000 ;

Vu les conclusions récapitulatives et en réponse de la SA L'Age d'Or Expansion et de Monsieur Bourscheidt en date du 30 décembre 1999 ;

Attendu tout d'abord que les dernières conclusions de la FNAT sont manifestement irrecevables, au regard de l'article 783 du nouveau Code de procédure civile, auquel renvoie, entre autres dispositions, l'article 910 du même Code, pour avoir été déposées le 30 décembre 1999, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture rendue le 13 décembre 1999, dont elles ne sauraient davantage tendre à la révocation au motif du dépôt par l'appelante de conclusions particulièrement longues et tardives, le 7 décembre 1999, auxquelles les intimés n'auraient dès lors pas été en mesure de répondre, en temps utile, avant la clôture de l'instruction ;

Qu'il s'avère en effet que cette demande de révocation de l'ordonnance de clôture contenue dans les conclusions des intimés du 30 décembre 1999, ne peut trouver sa justification dans la nécessité de répliquer aux dernières écritures adverses du 7 décembre 1999, et aux deux nouvelles pièces communiquées, dans la mesure même où, bien que postérieures de 18 jours à l'ordonnance de clôture, ces conclusions de la SA L'Age d'Or Expansion et de Monsieur Bourscheidt sont très essentiellement " récapitulatives " mais fort peu " responsives ", ne constituant pratiquement que la reproduction des précédentes, déjà récapitulatives, du 8 novembre 1999 ;

Attendu, dès lors, qu'en l'absence de toute cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture postérieure à sa date, au sens de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile, les dernières conclusions des intimés, qui lui sont postérieures, ne pourront qu'être rejetées, comme étant irrecevables, cependant que celles de l'appelante, en date du 7 décembre 1999, et les deux pièces nouvelles alors communiquées ne seront pas écartées, ne portant pas atteinte au principe du contradictoire, en l'état des larges échanges de conclusions et pièces précédemment intervenus, ayant d'ores et déjà permis de circonscrire les termes du débat, auxquels les intimés n'ajoutaient que très partiellement dans leurs dernières écritures du 30 décembre 1999 ci-dessus écartées ;

Attendu qu'il sera ensuite constaté que les exceptions d'incompétence soulevées en première instance par la SARL, devenue la SA, " L'Age d'Or Expansion ", exerçant sous l'enseigne " L'Age d'Or Services ", et Monsieur Bourscheidt, tant ratione loci que ratione materiae, sont abandonnées en cause d'appel, pour n'avoir plus d'objet, en raison de l'égale vocation de la Cour à se voir déférer les décisions tant des juridictions de renvoi pressenties que du Tribunal de grande instance de Reims ayant retenu sa compétence ;

Attendu que les intimés opposent en revanche toujours devant la Cour la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, selon eux attachée au jugement rendu le 22 juin 1993 par le Tribunal de commerce de Reims ;

Mais attendu, selon l'article 1351 du Code civil, que l'autorité de la chose jugée n'a effet qu'en l'état d'une triple identité d'objet, de cause et de parties ;

Or attendu que force est en l'espèce de constater que la solution donnée au litige ayant précédemment opposé le Syndicat Autonome des Artisans Taxis de la Marne et 44 artisans taxis à Monsieur Ronsiaux, aux termes du jugement invoqué ne saurait, de toute évidence, être revêtue d'une autorité de chose jugée opposable en la présente instance, ne serait-ce que du seul fait que les parties ne sont nullement les mêmes ;

Qu'en effet, la SA " L'Age d'Or Expansion " et Monsieur Bourscheidt ne peuvent être admis à soutenir valablement que la FNAT aurait été partie au précédent litige, où seul le Syndicat Autonome des Artisans Taxis de la Marne, personne morale distincte, se trouvait en position de demandeur avec 44 artisans taxis, et ce à l'encontre de Monsieur Ronsiaux, seul, à l'exclusion de la SA L'Age d'Or Expansion ;

Attendu qu'il suit de cette seule constatation du défaut de l'identité de parties que la fin de non recevoir doit être rejetée ;

Attendu ensuite que, contrairement aux allégations des intimés, il n'existe en l'occurrence aucune question préjudicielle à soumettre, en application de l'article 177 du Traité de Rome, à la Cour de justice des communautés européennes, dans les termes suivants :

" Est-il possible, eu égard aux dispositions des articles 52 et 59 du Traité de Rome sur la liberté d'établissement ou de libres prestations de services, de considérer que l'activité qu'exercent les franchisés L'Age d'Or Services doit être limitée, voire même interdite, sauf à exercer dans le cadre de la loi du 30 janvier 1997 relative à l'exploitation des voitures dites de petite remise le cas échéant ? " ;

Qu'en effet, il ne peut y avoir lieu à interprétation du Traité de Rome, dont l'article 52 énonce que " la liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées, leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprise, et notamment de sociétés, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants ", alors que l'activité des intimés ne s'exerce que sur le territoire national français, et que l'interprétation du Traité de Rome ne peut avoir pour objet de déterminer la loi interne applicable à l'activité considérée ;

Attendu, au fond, que, si Monsieur Provin a créé une SARL " Age d'Or Expansion ", devenue SA exerçant sous l'enseigne " L'Age d'Or Services ", ayant son siège à Troyes (10) et pour objet le transport, l'accompagnement et l'assistance de personnes, inscrite au registre des Transports Routiers de Personnes de l'Aube en vertu de l'article 5 du décret du 16 août 1985, et disposant d'un réseau de franchisés, cette activité ne peut être pour autant réduite au transport de personnes, mais constitue bien plus largement, d'après l'objet social de la SA et la définition de celle de ses franchisés, une activité orientée vers l'aide aux personnes âgées ou handicapées, à mobilité réduite, présentant ainsi une vocation plus générale, dont elle justifie suffisamment par les diverses pièces produites ;

Attendu au demeurant que cette activité s'inscrit bien plutôt dans les prévisions de la loi n° 96-63 du 29 janvier 1996 en faveur du développement des emplois de services aux particuliers, ainsi que cela s'évince encore de la circulaire du 30 mai 1997 du Ministère du Travail et des Affaires Sociales, en ce que les transports des personnes bénéficiaires de cette aide, - laquelle constitue l'objet premier, à vocation essentiellement sociale, de l'activité des intimés -, n'est qu'accessoire, pour n'en constituer en réalité qu'une des modalités, l'aide prodiguée devant parfois nécessairement amener à transporter les intéressés, sans pour autant se confondre avec une simple prestation de transport, à laquelle elle ne peut se résumer, sans méconnaissance de l'objet déclaré et effectif de la SA et de ses franchisés ;

Attendu, bien plus, et en tout état de cause, qu'à supposer même, par impossible, que ladite activité ne puisse être exercée au titre de la loi du 30 décembre 1982 et de son décret d'application du 16 août 1985 modifié sur le transport de personnes, ni se réclamer de la loi du 29 janvier 1996, susvisées, il n'en demeurerait pas moins constant qu' elle ne pourrait être soumise aux textes régissant l'activité totalement spécifique et distincte des taxis ou voitures de petite remise ;

Attendu dès lors que, même en admettant que l'activité considérée des intimés ne fût régie par aucun texte, la FNAT ne serait pas, de ce seul fait, autorisée à conclure à un exercice illégal de la profession de taxi ou assimilée ;

Attendu de surcroît qu'en allant même, pour les seuls besoins du raisonnement, jusqu'à postuler l'illégalité de l'activité litigieuse, - ce qui est loin d'être le cas, pour les raisons sus-énoncées-, elle n'en constituerait pas pour autant, fût-elle certes alors fautive, une concurrence déloyale dont l'appelante fût légitimement en droit de se plaindre, faute pour elle d'établir le préjudice qu'elle en souffrirait, en relation causale directe avec une telle faute ;

Attendu en effet, et en toute hypothèse, qu'il ne pourrait pas même être alors utilement soutenu que cette activité caractériserait une concurrence déloyale pour les taxis ou voitures de petite remise, puisqu'aussi bien apparaîtrait-il encore que la clientèle des intimés, essentiellement constituée de personnes plus ou moins dépendantes, à tout le moins en termes de mobilité et d'autonomie, recherchent avant tout une aide et une assistance dans les actes matériels de la vie courante, que les artisans taxis n'ont aucune vocation à leur apporter ;

Qu'ainsi, la clientèle des intimés et celle des taxis n'étant, par définition, pas la même, aucune réelle concurrence, - déloyale ou non -, ne peut être établie entre les activités des uns et des autres, d'autant que la vocation sociale de l'aide apportée à une catégorie bien particulière de personnes par la SA et ses franchisés exclut encore que celles-ci aient recours, pour assurer les seuls besoins de leur transport, au service d'un artisan taxi, se limitant à cette mission et dont le coût serait particulièrement élevé pour la population considérée, au regard des besoins d'aide et d'assistance qu'elle cherche, beaucoup plus généralement, à satisfaire, moyennant un coût global;

Attendu que le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions, et la FNAT déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins ou prétentions ;

Attendu toutefois que, faute de démontrer que la FNAT leur ait porté préjudice en agissant délibérément et de mauvaise foi contre eux, la SA et Monsieur Bourscheidt seront déboutés de leurs prétentions indemnitaires pour résistance abusive et injustifiée ;

Attendu en revanche qu'une indemnité de 10 000 F sera équitablement allouée tant à la SA qu'à Monsieur Bourscheidt, en déduction des frais irrépétibles par eux légitimement exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens y afférent dont la FNAT sera par ailleurs intégralement tenue, moyennant distraction au profit de Maître Estival, avoué à la Cour ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en la forme, déclare la FNAT recevable en son appel ; dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture ; rejette, comme étant dès lors irrecevables, les dernières conclusions de la SA L'Age d'Or Expansion et de Monsieur Bourscheidt, déposées le 30 décembre 1999 ; retient en revanche les dernières écritures de la FNAT, en date du 7 décembre 1999 ; au fond, confirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, déboute les parties de toutes demandes, fins ou prétentions plus amples, contraires ou reconventionnelles, y compris la SA L'Age d'Or Expansion et Monsieur Bourscheidt de leurs demandes de dommages-intérêts ; y ajoutant, condamne la FNAT à payer à la SA L'Age d'Or Expansion et Monsieur Bourscheidt, à chacun deux, la somme de dix mille francs (10 000 F) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en déduction de leurs frais irrépétibles d'appel ; condamne la même aux entiers dépens d'appel, moyennant distraction au profit de Maître Estival, avoué à la Cour.