CA Amiens, 2e ch. soc., 6 décembre 1988, n° 3025-86
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pickaert
Défendeur :
International Shirt (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin
Conseillers :
Mmes Trochain, Leseigneur
Avocats :
Mes Pauwels, Bouly
Attendu que M. Pickaert a régulièrement en la forme interjeté appel d'un jugement rendu le 6 octobre 1986 par le Conseil de prud'hommes d'Amiens qui a, notamment,
- dit qu'il était démissionnaire de son emploi et en conséquence rejeté ses demandes au titre du préavis, de l'indemnité de clientèle et de la rupture abusive de son contrat de travail,
- ordonné â la société International Shirt de lui adresser un certificat de travail et rejeté les demandes reconventionnelles de la société ;
Qu'il conclut, reprenant ainsi ses demandes formulées devant le Conseil de prud'hommes, à la condamnation de la société International Shirt à lui payer avec intérêts à compter du 06 octobre 1986, les sommes de :
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis : 27 098,52 F,
- à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 54 197,04 F,
- à titre d'indemnité de clientèle : 216 788,16 F ;
Qu'il sollicite également la remise par la société International Shirt d'une lettre de licenciement et d'un certificat de travail, et sa condamnation à lui payer la somme de 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Que, pour sa part, la société International Shirt, conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la condamnation de M. Pickaert à lui payer les sommes de 5 000 F pour procédure abusive et vexatoire et 5 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Attendu qu'il résulte des pièces versées au dossier et des débats les points suivants :
- la société International Shirt, dont l'activité consiste dans la fabrication et la commercialisation notamment de chemises, pulls et pyjamas a embauché fin 1971 M. Pickaert, représentant multicartes, en qualité de VRP pour les départements du Pas-de-Calais, de la Somme et de la Seine-Maritime ;
- M. Pickaert bénéficiait de l'exclusivité pour vendre des chemises, pulls et pyjamas et avait droit au règlement de commissions de 5 à 7 % suivant les articles ;
- il a rétrocédé le département de la Somme le 23 juin 1981 moyennant le règlement à titre d'indemnité de clientèle d'une somme de 20 000 F ;
- vers le milieu de l'année 1983 il a fait connaître à la société son intention de céder ses cartes de confection et de changer de secteur d'activité ;
- il a écrit dans sa lettre du 8 juillet 1983 ;
" Suite à ma visite de ce matin où je vous faisais part de mon souhait de céder mes cartes de confection... cela dès cet intersaison étant donné que j'ai quelqu'un qui pourrait peut être convenir parfaitement, cela bien évidemment s'il obtenait l'agrément de la Maison ; dans le cas contraire, j'assurerai donc la collection été 1984 " ;
- par sa lettre du 12 juillet 1983 il a renouvelé son souhait de céder ses cartes " dès à présent ", dit qu'il ne voulait pas démissionner comme la société le lui avait demandé car il ne voulait pas renoncer à la valeur de sa clientèle, confirmé qu'il se mettait en devoir d'assurer la collection été 1984 mais n'assurerait pas la collection suivante, reparlé du candidat qu'il proposait pour lui succéder et demandé tout en même temps à la société de chercher un candidat tout ceci en vue de parvenir à un accord et pour être lui même indemnisé ;
- les contacts se sont ensuite poursuivis comme en témoignent les correspondances des 7 septembre, 3 octobre et 17 octobre 1983 de M. Pickaert où il a renouvelé auprès de la société la proposition du candidat Peruisset pour lui succéder, a rappelé qu'en raison de son changement de branche professionnelle, il serait " immanquablement libre pour le départ de la collection hiver le 1er février 1984 ", a pressé enfin la société de lui répondre au sujet du candidat proposé ;
- ensuite, début 1984, par des correspondances de leurs avocats respectifs, M. Pickaert a demandé à la société de lui confier la collection hiver 1984-1985 pour effectuer son travail de représentant tandis que la société lui répondait qu'avant de lui confier la collection, elle souhaitait savoir quelles étaient ses nouvelles activités de façon à s'assurer qu'il disposait de temps disponible pour travailler à son service ;
Attendu qu'au soutien de son appel, M. Pickaert fait valoir qu'il n'a nullement démissionné car, s'il a bien fait connaître son intention de changer d'activité et de céder ses cartes, il a accepté néanmoins de poursuivre son activité pour la vente de la collection été 1984, il a, à plusieurs reprises, rappelé à la société que le contrat était toujours en cours et a demandé que la collection hiver 1984-85 lui soit remise, il a entrepris dès le printemps 1983 des démarches afin de pouvoir présenter à la société une personne qui lui succède ;
Qu'il soutient encore que la société International Shirt a mis elle-même fin au contrat en ne le conviant pas à la réunion de présentation de la collection hiver 84-85 et en ne lui remettant pas cette collection ; qu'elle ne peut prétendre que son changement d'activité était incompatible avec son travail dans la mesure où cette nouvelle activité ne lui aurait pas laissé un temps suffisant pour l'exercer alors qu'aucune disposition de son contrat ne lui interdisait d'exercer une autre activité commerciale, qu'il avait toujours effectué son travail à la satisfaction de la société, qu'il ne s'agissait dans la cause que d'un temps de prolongation limitée de son contrat pour lui permettre de pourvoir à son remplacement ;
Que M. Pickaert fait aussi valoir que la société est de mauvaise foi car elle n'a rien fait pour que la cession des cartes et le remplacement s'effectue dans de bonnes conditions alors que lui, Pickaert, avait fait des propositions ; qu'au surplus la société tente vainement de soutenir qu'il n'a pas atteint les objectifs réclamés pour la collection été 1984 en produisant une lettre du 16 novembre 1983 qu'il n'a jamais reçue, et alors qu'il a toujours agi avec la plus grande loyauté vis-à-vis de son employeur ;
Mais attendu que M. Pickaert a clairement fait connaître par ses lettres à la société son intention de céder ses cartes et de changer de secteur d'activité, c'est-à-dire de cesser de travailler pour elle ; qu'il apparaît qu'il aurait voulu cesser de travailler dès l'été 1983 mais qu'il a poursuivi, en l'absence de successeur désigné, en prévenant toutefois qu'il n'assurerait plus son travail pour la collection hiver 84-85 ; qu'il a dans cette intention cherché de lui-même un successeur dès le printemps 1983 ; qu'il ne nie pas avoir pris dès cette période, ou peu après, une carte de représentant en vins ;
Qu'il avait ainsi lui même choisi de quitter la société et avait de manière nette, pour lui même et vis-à-vis de la société, fixé le terme de ses relations contractuelles ; que dans la mesure où il a pris l'initiative en fixant une échéance de rompre les relations contractuelles, il n'était pas inconcevable que la société lui demande de démissionner ce qui ne faisait en aucun cas obstacle à la possibilité pour lui de présenter un successeur et de négocier avec lui un prix de cession; que dans la même mesure, il ne pouvait être question pour la société d'une indemnité de clientèle;
Qu'il appartenait alors à M. Pickaert de rechercher un successeur de façon à pouvoir lui céder ses cartes ; que cependant cette recherche qui lui incombait au premier chef et son éventuel résultat n'avaient pas partie liée avec sa volonté clairement exprimée par ses lettres de cesser ses activités pour la société ;
Qu'au sujet de cette recherche de son successeur, M. Pickaert justifie par des coupures de journaux et diverses correspondances avoir fait des démarches ; qu'il ne justifie cependant avoir présenté à la société que la candidature d'une seule personne alors qu'il faisait par ailleurs état de ses premières correspondances des éventuelles réticences de la société vis-à-vis de ce candidat ;
Qu'en outre, comme le Conseil de prud'hommes l'a remarqué, la société n'avait pris aucun engagement vis-à-vis de M. Pickaert à ce sujet que ce soit pour faire elle-même des recherches ou sur un délai quelconque ;
Qu'il était logique, compte tenu de la volonté exprimée par M. Pickaert de mettre fin aux relations contractuelles et de ne pas assurer son travail pour la collection hiver 84-85, que la société ne le convoque pas comme ses autres représentants pour la présentation de cette dernière collection, puis refuse par la suite de la lui remettre lorsqu'il l'a demandée ; que la société invoque par ailleurs, sans se référer à la notion de faute, les résultats peu satisfaisants de M. Pickaert pour le placement de la collection été 84 et met en avant la correspondance du 16 novembre 1983 qu'elle dit lui avoir adressée ; qu'il importe à ce sujet d'observer que, en dehors de ce point de réception ou non réception de cette lettre, M. Pickaert ne conteste pas sérieusement l'insuffisance de ses résultats pour la commercialisation de la collection été 84 ; qu'ainsi, comme l'a signalé le Conseil de prud'hommes, il est compréhensible que la société ait manifesté sa réticence lorsque M. Pickaert a sollicité la remise de la collection ;
Qu'ainsi, compte tenu de tous les éléments précédemment rappelés, c'est à juste titre que le Conseil de Prud'hommes a dit que la rupture des relations contractuelles était consécutive à la démission de M. Pickaert ; qu'il s'ensuit que ses demandes au titre du préavis, de la rupture abusive et de l'indemnité de clientèle doivent être rejetées ; que sa demande de remise d'un certificat de travail est justifiée et doit être satisfaite mais que l'astreinte, décidée par le Conseil de prud'hommes, n'est par contre pas nécessaire, la société ne s'opposant pas à cette remise ;
Qu'il n'apparaît pas que M. Pickaert ait agi en la cause avec malice ou dans l'intention de nuire et que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par la société International Shirt sera donc rejetée ;
Enfin qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société International Shirt les frais hors dépens qu'elle a exposés ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel ; Au fond ; Le dit mal fondé ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne l'astreinte qui n'est pas nécessaire ; Condamne M. Pickaert aux dépens.