CA Paris, 5e ch. C, 5 mai 2000, n° 1999-01848
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
ADA Systems (SARL), SCP Mizon-Thoux (ès qual.), Charlemagne, Cofradis (SA)
Défendeur :
Coreda (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgranges
Conseillers :
M. Bouche, M. Savatier
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, SCP Varin-Petit, Me Cordeau
Avocats :
Mes Lecocq Vallon, Sublet, De Frouville.
La SARL Coreda, dont le siège social est dans l'agglomération lyonnaise, a pour activité la vente et l'exploitation d'appareils de distribution automatique.
Précédemment salariée de la société Coreda, Madame Vera Charlemagne a été embauchée à nouveau le 30 octobre 1987 en qualité de Directeur commercial afin d'animer l'agence parisienne de la société à Montreuil sous Bois ; elle a donné sa démission le 2 août 1992 pour développer sa propre société Ada Systems.
Le 20 novembre 1992 la société Coreda a consenti à la société Ada Systems représentée par Madame Charlemagne, " en sa qualité de responsable de l'agence commerciale de Montreuil ", un mandat ayant pour objet le " suivi sur le plan commercial des contrats existant entre la société Coreda et les entreprises dépositaires d'appareils automatiques ".
Un conflit est né entre les partenaires à propos de l'exécution de cet accord.
La société Ada Systems a assigné devant le Tribunal de commerce de Bobigny, le 31 août 2003, puis le 19 octobre 1993 la société Coreda en paiement de commissions et de dommages-intérêts pour rupture du contrat ; la société Coreda a assigné la société Ada Systems et Madame Charlemagne en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; un contentieux prud'homal s'est parallèlement développé.
Par jugement contradictoire du 20 janvier 1995, le Tribunal de commerce de Bobigny, joignant les demandes, a souligné la confusion de clientèle entretenue par l'accord du 20 novembre 1992, a débouté la société Coreda de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale, et la société Ada Systems de sa demande fondée sur la rupture de l'accord, mais, en exécution d'un procès-verbal transactionnel signé par les parties le 10 juin 1994 daté par erreur de 1993 par le tribunal, a condamné solidairement la société Ada Systems et Madame Charlemagne que le tribunal a qualifiée de gérante de fait, à payer à la société Coreda 231 000 F de dommages-intérêts, et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; le tribunal a déclaré sa décision opposable à la société Cofradis.
Un jugement rectificatif du 26 mai 1995 a porté la condamnation principale à 432 000 F.
La société Ada Systems et Madame Charlemagne ont fait appel de ces décisions assorties de l'exécution provisoire que la juridiction des référés a suspendue le 27 avril 1995.
La société Ada Systems a fait l'objet le 20 juillet 1995 d'un jugement de liquidation judiciaire ; l'appel a en conséquence était radié par arrêt du 23 janvier 1998 à défaut de régularisation de la procédure.
La SCP Mizon Thoux, assigné en intervention forcée en qualités de liquidateur de la société Ada Systems a constitué avoué différent ; l'appel a été ainsi réinscrit au rôle de la cour.
Le liquidateur conclut à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé une condamnation et s'en rapporte à justice sur la fixation d'une créance de la société Coreda.
Madame Charlemagne conclut seule le 4 novembre 1997 au terme de longues écritures qui saisissent la cour à sa mise hors de cause au motif notamment que le tribunal de liquidation judiciaire de la société a rejeté le 14 mai 1997 toutes sanctions personnelles à son encontre, et à la condamnation de la société Coreda à lui payer 125 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, et 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Coreda conclut le 8 décembre 1999 à la réformation du jugement déféré, afin que soient reconnus par la Cour les actes de concurrence déloyale accomplis par la société Ada Systems et par Madame Charlemagne, et que cette dernière soit condamnée avec la société Cofradis à lui payer 2 317 800 F de dommages intérêts, montant de la créance à fixer au passif de la société qu'elle gérait ;
Subsidiairement, la société Coreda accepte que sa créance soit limitée à 432 000 F et que la condamnation de Madame Charlemagne à ce montant soit confirmée ; elle réclame en toute hypothèse à chaque appelante séparément 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la cour
Considérant qu'agissant dans le cadre du mandat que la société Coreda lui a confié le 20 novembre 1992, la société Ada Systems, dont le droit d'exploiter la marque Coreda est " essentiellement attaché à la personne de Madame Charlemagne ", ne saurait être poursuivie en responsabilité sur le fondement par nature délictuel de la concurrence déloyale, mais en exécution fautive du contrat qui lie les parties ;
Que, dans ce cadre, peu importe que Madame Charlemagne se soit comportée en gérante de fait de la société Ada Systems ; que, présente sur le site de Montreuil depuis plusieurs années en qualité de salariée de la société Coreda, elle a été expressément choisie par cette société après la cessation de son contrat de travail pour assurer, par le truchement de la société Ada Systems, le suivi commercial des contrats placés auprès des clients dépositaires de distributeurs automatiques Coreda ;
Que cependant Madame Charlemagne n'a pas été juridiquement la destinataire du mandat du 20 novembre 1992 donné à la société Ada Systems, mais l'animatrice de cette société qu'elle a créée avec son mari et son gendre avec l'intention, à en croire la société Coreda, de s'approprier son fonds de commerce de Montreuil ;
Que, dans cette mesure, la société Coreda est recevable à agir à son encontre en responsabilité pour concurrence déloyale sur le fondement quasi-délictuel de l'article 1382 du Code civil.
Considérant que, s'agissant de la société Ada Systems, la société Coreda soutient qu'une fois le mandat révoqué, elle a persisté dans son comportement critiquable et s'est rendue alors coupable d'actes de concurrence déloyale ;
Qu'effectivement, à supposer prouvés les faits reprochés après la rupture du mandat notifiée le 21 septembre 1993, la société Coreda est recevable à agir en responsabilité quasi-délictuelle à l'encontre de la société Ada Systems.
Considérant que la société Coreda a confié à la société Ada Systems un mandat dont l'étendue portait en elle-même le germe de tous les litiges ultérieurs ;
Qu'en effet, en pleine connaissance de la marche de son agence de Montreuil dont l'animation était confiée depuis presque cinq années à son Directeur commercial, Madame Charlemagne, elle a à la fois accordé à la société Ada Systems, sa mandataire une commission pour toute nouvelle machine installée sur certains sites énoncés en annexe, (chapitre " rémunérations "), et réservé à ce même mandataire le droit de renouveler à ses frais le matériel en le facturant directement en son propre nom au client moyennant le versement à la société Coreda d'une commission de 10 000 F (chapitre " cas particuliers ");
Que la société mandante, à la fois débitrice et créancière de commissions, ouvrait ainsi la porte à un progressif transfert du parc de ses appareils et de sa clientèle à la société Ada Systems, dans le strict respect des accords contractuels.
Considérant que la société Coreda a pris le risque de ce transfert jusqu'à accepter sinon de sous-louer à son mandataire les locaux de son agence de Montreuil au moins de se décharger sur celui-ci du paiement des loyers, avec l'accord expresse donné par les bailleurs le 25 novembre 1992 ;
Que tout ce contexte autorise la société Ada Systems ou Madame Charlemagne à soutenir que le montage juridique et commercial ainsi opéré était l'habillage d'une vente fictive de fonds de commerce ;
Qu'à supposer ambiguës les dispositions du mandat, ce qu'elles ne sont pas, Monsieur Garioud, gérant de la société Coreda a accompagné le mandat de deux lettres du même jour 20 novembre 1991 qui lèvent le doute introduit par elle :
" Nous donnons l'autorisation à Ada Systems de signer les contrats pour le renouvellement du matériel, directement avec le dépositaire au nom de Ada Systems",
et encore, s'agissant d'un important contrat sur le site de Renault Cléon...
" le matériel fait l'objet d'une location par la société Coreda auprès de Loca Plus. Il est convenu de transférer purement et simplement ce contrat sur Ada Systems... ".
Considérant que Madame Charlemagne explique la défaillance de la société Ada Systems qu'elle reconnaît dans le paiement de certaines redevances à la société Coreda, et en premier lieu de celle de 50 000 F HT stipulée par le mandat en contrepartie de l'usage de la marque Coreda, par une compensation qui aurait du s'opérer avec les charges de maintenance et les commissions sur plusieurs matériels acquis par des clients directs de la société Coreda, dont elle chiffrait le montant à 340 106,90 F TTC devant le tribunal.
Or considérant que la société Coreda a réalisé que l'exécution du mandat avait pour effet une véritable hémorragie de sa clientèle, que les procès se développaient, et qu'une collaboration devenait impossible ;
Qu'elle a réussi à se rapprocher de son mandataire, et à signer avec lui le 10 juin 1993 un procès-verbal de transaction qui mettait fin aux instances judiciaires en cours et prescrivait le retour dans le secteur d'exploitation directe de la société Coreda d'un certain nombre de contrats de dépôt et de location d'appareils distributeurs représentant 3 600 consommations quotidiennes au prix de 2 F sur 240 jours ouvrables par an, soit un chiffre d'affaires annuel de 1 728 000 F ;
Qu'à défaut de vérification des installations, le tribunal, à la suite de l'expert-comptable de l'agence de Montreuil, a pu à juste titre retenir sur cinq années une marge nette de 5 % qui l'a conduit à chiffrer à 432 000 F la réparation du préjudice de la société Coreda.
Considérant que les parties ont ainsi soldé leurs différends par cette dette de la société Ada Systems portée au passif de sa liquidation judiciaire par la société Coreda, et de Madame Charlemagne elle-même, qui s'est personnellement engagée aux côtés de sa société représentée par son gérant Monsieur Charlemagne ;
Que la société Coreda ne réclame pas de condamnation complémentaire pour la défaillance de son partenaire dans le paiement de la contrepartie contractuelle de l'usage de sa marque.
Considérant que le liquidateur de la société Ada Systems quant à lui ne reprend pas devant la Cour les demandes de condamnation que son administrée avait formulées en première instance à l'encontre de la société Coreda à hauteur de 340 106,90 F et de 2 500 000 F de dommages-intérêts, condamnations susceptibles de venir en compensation de sa dette, ceci tant au titre de la maintenance assurée auprès de certains dépositaires, que sur le fondement d'une rupture abusive du mandat.
Considérant que concernant les reproches de concurrence déloyale formulés à l'encontre de Madame Charlemagne, qui ne pourraient prospérer que pour la période postérieure à la transaction du 10 juin 1993, il faut rappeler que Madame Charlemagne n'était pas soumise à une clause de non-concurrence, et que le mandat lui permettait à l'évidence de structurer sa nouvelle société comme elle l'entendait, sans que le passage de six de ses salariés au vu et au su de la société Coreda sous l'autorité de la société Ada Systems puisse être imputé à faute à cette dernière société, d'autant que le problème a été pris en considération lors de la signature de la transaction du 10 juin 1993 ;
Que de même dans le contexte d'une confusion entre les sociétés au siège de Montreuil, et d'un transfert progressif des contrats, Madame Charlemagne, a pu engager indifféremment la société Ada Systems seule, ou la société Coreda elle-même, en cumulant ses cachets et ceux de la société Coreda, dont elle promouvait la marque, dans des opérations dont à terme elle devait hériter en application du mandat ;
Qu'il en a été ainsi de conventions de stage dont cependant seule la société Ada Systems a assumé le coût ainsi que du transfert expressément autorisé par Monsieur Garioud de la société Coreda du contrat Renault, ou d'autres transfert déjà évoqués par l'acte de transaction.
Considérant que la société Coreda n'apporte pas d'éléments de nature à prouver la complicité de la société Cofradis dans le détournement de clientèle dont elle se plaint.
Considérant en conséquence que le jugement déféré doit être purement et simplement confirmé ;
Que l'équité et le contexte confus de l'opération de Montreuil interdisent aux parties de se prévaloir de frais irrépétibles que chacune assumera, et encore moins d'un abus non démontré dans l'appel à la justice pour mettre fin au litige.
Par ces motifs, Confirme le jugement du 20 janvier 1995 rectifié le 26 mai 1995, sauf en ce qu'il a condamné la société Ada Systems et Madame Charlemagne sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Vu la liquidation judiciaire de la société Ada Systems, prononcée le 20 juillet 1995, Dit que cette société ne peut plus faire l'objet de condamnation ; Fixe la créance de la société Coreda au passif de la société Ada Systems à la somme de 432 000 F. Déboute les parties de toutes leurs autres demandes complémentaires ou contraires. Condamne la SCP Mizon Thoux es qualités de mandataire liquidateur de la société Ada Systems et Madame Vera Charlemagne aux dépens de première instance et d'appel. Admet Maître Cordeau avoué, au droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.