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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 20 septembre 2002, n° 2001-00429

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CCPF (SARL)

Défendeur :

Giffard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avoués :

Mes Teytaud, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Monegier, Hoeber

CA Paris n° 2001-00429

20 septembre 2002

Appel a été interjeté par la société Callens Conditionnements et Produits Filtrants (ci-après désignée CCPF) d'un jugement du 10 septembre 1998 rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny dans un litige l'opposant à la société Giffard actuellement dénommée Bacou Dalloz France (ci-après Giffard).

CCPF a été créée le 1er octobre 1987 par M. Patrice Callens, ancien salarié de Giffard. Elle a pour activité la fabrication de produits filtrants et a mis sur le marché un filtre climatisant et désodorisant sous forme de pavés parallélépipédiques de charbon aux dimensions de 58 millimètres de largeur sur 88 millimètres de longueur, recouverts d'un tissu en polyester noir.

Giffard, créée en 1971, a une activité similaire. Elle commercialise notamment des pavés filtrants de même type, de dimensions de 58 millimètres de largeur sur 43 millimètres.

Giffard a introduit, en 1989, une procédure pour contrefaçon de deux brevets, à l'encontre de CCPF du fait des pavés filtrants 58 mm x 88 mm, action dont elle a été déboutée, par jugement du Tribunal de grande instance de Rennes, du 27 mai 1991.

Après cette décision, Giffard a commercialisé des pavés filtrants de dimensions proches de ceux de CCPF puisqu'ils mesurent 58 millimètres de largeur sur 89 millimètres et a, notamment lors du salon Interclimat de Villepinte en novembre 1995, présenté des "cellules filtrantes" reprenant les dimensions de celles commercialisées par CCPF.

CCPF, estimant que de tels agissements étaient fautifs, après avoir envoyé une lettre de mise en demeure à Giffard, lui demandant de cesser toute fabrication de filtres proches des dimensions des siens, et après avoir reçu une lettre aux termes de laquelle cette dernière faisait valoir qu'elle serait l'auteur dès 1987 d'un plan de pavé de filtration aux dimensions 58 x 89 mm, a fait citer, par acte d'huissier du 24 juin 1996, devant le Tribunal de commerce de Bobigny, Giffard en concurrence déloyale et parasitaire afin d'obtenir, outre des mesures d'interdiction et de publication, paiement de dommages et intérêts provisionnels, à compléter après expertise.

Giffard avait conclu au rejet de ces demandes et avait reconventionnellement demandé d'interdire à CCPF sous astreinte de commercialiser des grilles et pavés reproduisant la dimension de 58 mm propre à ses propres pavés.

Par le jugement déféré, le Tribunal a retenu qu'il n'existait aucun acte de concurrence déloyale, a, en conséquence, débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes et a condamné CCPF à verser à Giffard la somme de 20 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelante de ce jugement, CCPF, par ses dernières écritures du 29 avril 2002, demande à la cour de :

" - par application des articles 1382 du Code civil et 10 bis de la Convention d'Union de Paris ainsi que des articles 699 et 700 du nouveau Code de procédure civile, et au vu des pièces énumérées dans le bordereau annexé,

- dire CCPF recevable et fondée en toutes ses demandes, fins et conclusion à l'encontre de Bacou Dalloz France,

- en conséquence,

- infirmer le jugement du 10 septembre 1998 en ce qu'il a débouté CCPF de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire,

- confirmer le jugement du 10 septembre 1998 en ce qu'il a débouté Bacou Dalloz France de sa demande reconventionnelle en concurrence déloyale,

- statuant à nouveau,

- vu l'article 202 du nouveau Code de procédure civile rejeter les pièces n° 4 et 5 visées par les conclusions de Bacou du 9 février 2000, ainsi que la pièce n° 1 figurant au bordereau du 4 septembre 1997 et les pièces n0] et 2 figurant au bordereau du 14 juin 2001,

- constater la copie servile par Bacou des produits fabriqués et commercialisés par CCPF,

- dire que Bacou s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'égard de CCPF,

- dire que Bacou s'est rendue coupable de concurrence parasitaire à l'égard de CCPF,

- ordonner à Bacou la cessation de la commercialisation, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, des planches de charbon actif aux dimensions 58 mm x 89 mm. ou à des dimensions susceptibles de créer une confusion avec les produits de CCPF, ce sous astreinte de 762,25 euro, par jour de retard et par infraction constatée, à compter d la signification de l'arrêt,

- ordonner la destruction ou la confiscation et la remise à CPPF de toutes les planches de charbon actif aux dimensions 58 mm x 89 mm détenues par Bacou directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, ce sous astreinte de 762,25 euro, par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt,

- dire que la cour se réservera la liquidation des astreintes,

- condamner Bacou à verser à CCPF la somme de 15 244,90 euro à titre de dommages et intérêts provisionnels, en réparation du préjudice subi du fait de ces actes de concurrence déloyale et parasitaire, quitte à parfaire et ce au besoin à dire d'expert,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues, au choix de CCPF, et aux frais de Bacou, le coût de chaque publication étant fixé à la somme de 3 048,98 euro hors taxes, ce au besoin à titre de complément de dommages et intérêts,

- commettre tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission de réunir les parties, les entendre en leurs dires et explications, de se faire communiquer tous renseignements ou documents utiles et, en particulier, tous livres de comptabilité, toutes correspondances et archives commerciales de Bacou, afin de déterminer la quantité des dispositifs détenus, offerts en vente ou vendus, fabriqués, commercialisés et installés, jusqu'à la date du dépôt du rapport, et de donner à la cour tous renseignements lui permettant d'apprécier le préjudice subi par CCPF du fait de la concurrence déloyale par parasitisme et de ses conséquences dommageables,

- condamner Bacou à verser à CCPF la somme de 18 293,88 euro au titre de I'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Par ses dernières écritures du 2 mai 2002, Bacou (anciennement Giffard) ne réitère pas la demande d'interdiction qu'elle avait formée à l'encontre de CCPF et prie la cour de :

- " confirmer le jugement rendu le 10 septembre 1998 par le Tribunal de commerce de Bobigny,

- débouter CCPF de ses demandes et conclusions en toutes fins qu'elles comportent,

- y ajoutant,

- condamner CCPF à lui payer la somme de 15 000 euro pour procédure abusive,

- condamner CCPF à lui verser la somme de 7000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR:

Considérant qu'au soutien de son appel, CCPF fait valoir que :

- l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie impose à tout industriel d'avoir une stratégie commerciale visant à distinguer ses produits de ceux de la concurrence pour que la clientèle les différencie, et non pas d'avoir une démarche asservie à une politique destinée à s'emparer des efforts et du travail d'autrui,

- son adversaire a eu un comportement parasitaire, en ce sens qu'elle a profité de ses efforts intellectuels ou économiques

Qu'elle expose à ce titre,

- qu'elle a engagé entre 700 000 et 1 000 000 F en 1987 pour concevoir, produire et promouvoir son produit, qu'elle a, par ailleurs, fait fabriquer par la SARM un outillage adapté selon commande du 2 juin 1988, et que, grâce à ces efforts, les produits de CCPF ont été identifiés par la clientèle, par leurs dimensions particulières,

- que le choix de 89 mm dans la dimension des pavés incriminés n'était nullement dicté, contrairement à ce que prétend son adversaire, par la recherche d'une solution technique avantageuse mais seulement par le souci de se rapprocher au maximum des produits de la CCPF et de tirer ainsi profit de ses efforts;

Qu'elle ajoute qu'outre ces agissements parasitaires, Giffard a commis des actes de concurrence déloyale en cherchant à créer une confusion entre des produits concurrents, ce risque de confusion s'appréciant au regard de la clientèle visée;

Qu'elle insiste sur les éléments suivants :

- la similitude visuelle des deux articles en cause (qui comme l'a relevé le Tribunal est " frappante "), la différence d'un mm étant invisible à l'oeil nu du consommateur même professionnel,

- le risque de confusion réel (lettre de la société Atelier de Montage de Capteurs en date du 15 décembre 1995)

- l'utilisation du filtre en cause comme un produit d'appel, par exposition sur le stand de Villepinte en novembre 1995,

- cette similitude n'est justifiée par aucun impératif technique ou fonctionnel, ni par aucune norme, contrairement à ce que prétend Giffard,

- contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, le consommateur ne se détermine pas seulement sur les spécifications techniques du produit mais également sur ses aspects visuels, le consommateur n'étant pas seulement au surplus un professionnel mais également un usager de base, ces produits filtrants n'étant pas seulement vendus, comme prétendu, en étant intégrés à des filtres comportant une autre marque mais de manière indépendante;

Qu'elle ajoute que Giffard ne peut prétendre avoir élaboré le produit antérieurement à elle, à défaut de verser aux débats un plan présentant une date certaine, les attestations produites (dont elle demande le rejet dans ses écritures) émanant de personnes travaillant pour le compte de son adversaire.

Considérant cela exposé que cette argumentation ne saurait remettre en cause le juste raisonnement tenu par les premiers juges qui, bien qu'ayant relevé la quasi identité entre les produits incriminés, ont toutefois estimé qu'il n'existait pas, en l'espèce, d'actes susceptibles d'être constitutifs de concurrence déloyale;

Qu'en effet, il a été notamment relevé qu'avant la commercialisation par CCPF des pavés litigieux, Giffard avait, précédemment, proposé en vente des pavés dont l'une des dimensions était de 58 mm, mesure reprise par CCPF (qui ne peut donc se plaindre d'une identité entre les produits tenant pour partie à la reprise d'une mesure déjà adoptée par un concurrent), et que Giffard avait seulement adapté les caractéristiques de ses propres produits afin de proposer des éléments filtrants de plus grande taille, (en doublant la largeur);

Que par ailleurs, à défaut pour CCPF de rapporter la preuve de ce que les produits en cause seraient vendus de manière indépendante des appareils auxquels ils sont destinés et seraient proposés aux consommateurs de base qui sont susceptibles d'être attirés davantage par l'apparence du produit que par leurs spécificités techniques, le Tribunal a retenu à juste titre que les professionnels ne pouvaient être trompés par l'apparence extérieure très proche des deux produits;

Considérant qu'il sera ajouté que si la production des pavés de CCPF a entraîné nécessairement des frais de fabrication pour l'outillage adapté à ce produit, il n'est pas établi en quoi la conception d'un objet dont seule une dimension a été modifiée aurait généré des investissements importants; que les sommes qui auraient été engagées pour la "conception, la production et la promotion du produit" (au surplus non justifiées) tiennent davantage aux propriétés techniques du produit et donc à sa performance qu'à l'aspect extérieur tenant à ses dimensions;

Considérant qu'il n'est, par ailleurs, pas davantage démontré que des efforts financiers importants auraient été supportés par CCPF pour le lancement du produit;

Considérant en conséquence qu'il ne peut être reproché à Giffard d'avoir eu un comportement parasitaire en cherchant à tirer profit du travail de son concurrent, ni d'avoir eu un comportement déloyal par la recherche d'une risque de confusion, alors que les produits destinés à une clientèle de professionnels n'ont pas les mêmes spécificités et ne peuvent être confondus;

Considérant que le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions;

Considérant que Giffard estime que son adversaire aurait agi de manière abusive, n'ayant introduit cette action que pour provoquer "la confusion dans l'esprit des clients et des fournisseurs de Giffard sur la paternité de la dimension de 58 mm, dimension qui est une des mesures de base du pavé qu'elle commercialise depuis longtemps ";

Mais considérant que dès lors qu'aucune publicité du présent litige n'a été donnée, il ne peut être sérieusement soutenu que l'action a été engagée de manière abusive; que la demande de Giffard sera rejetée;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Giffard la somme supplémentaire de 1500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges: Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Y ajoutant, Condamne la société Callens Conditionnements et Produits Filtrants (CCPF) à verser à la société Bacou Dalloz France (anciennement dénommée Giffard) la somme de 1500 euro au titre des frais d'appel non compris dans les dépens; Rejette toute autre demande; La condamne aux entiers dépens; Admet la SCP Duboscq-Pellerin, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.