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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 14 janvier 1998, n° 9607211

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

EPA (Sté)

Défendeur :

Giorgetti

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Castres Colleu & Perot, Leroyer-B, Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Coroller-Bequet, Yvon

T. com. Lorient, du 23 août 1996

23 août 1996

EXPOSE DES FAITS - PROCEDURE - OBJET DU RECOURS

Marcel Giorgetti, négociant en produits diététiques pharmaceutiques, commercialise depuis 1987, en qualité de grossiste répartiteur indépendant, les produits de la société EPA. Reprochant à la société EPA d'avoir embauché, en 1994, 24 commerciaux afin de vendre directement ses produits dans les magasins spécialisés afin de l'éliminer du marché, Marcel Giorgetti a fait assigner la société EPA le 16 février 1995.

Par jugement rendu le 23 août 1996, le tribunal de commerce de Lorient a constaté que la Société EPA s'était livré à des pratiques discriminatoires et à des actes de concurrence déloyale à l'égard de Marcel Giorgetti et a ordonné une expertise afin d'évaluer le préjudice subi par Marcel Giorgetti.

Par acte du 12 septembre 1996, la société EPA a formé appel de ce jugement.

MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES

A l'appui de son appel, la société EPA fait valoir que:

- Marcel Giorgetti ne bénéficiait d'aucune exclusivité et aucune convention n'avait été signée,

- les retards de livraison n'ont pas affecté uniquement Marcel Giorgetti qui bénéficiait de conditions de paiement privilégiées dont la réduction ne constituait pas une pratique discriminatoire,

- Marcel Giorgetti a pu s'approvisionner en produits nouveaux et il a bénéficié de remises normales.

En conséquence, la société EPA demande à la cour de rejeter les demandes de Marcel Giorgetti et réclame 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Marcel Giorgetti fait valoir que:

- la société EPA, par l'intermédiaire de ses représentants, a dénigré systématiquement son action auprès des clients,

- selon un dossier constitué par la Direction Générale de la Concurrence, la société EPA s'est livrée à son égard à des pratiques discriminatoires afin de l'éliminer du marché.

Il conclut à la confirmation de la décision déférée et la condamnation de la société EPA à mettre un terme à ses agissements sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée. Il sollicite 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Marcel Giorgetti conclut enfin à l'irrecevabilité des conclusions déposées et signifiées par la société EPA le 13 octobre 1997.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant que l'ordonnance de clôture, au vu des dispositions de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile, ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue; qu'en l'espèce, aucune cause grave n'est intervenue, ni même alléguée;

Considérant par conséquent que les conclusions déposées et signifiées par la société EPA le 13 octobre 1997 et la pièce communiquée par Marcel Giorgetti le 23 octobre, alors que l'ordonnance de clôture a été signée le 16 octobre, seront écartées des débats pour violation du principe du contradictoire, Marcel Giorgetti et la société EPA, respectivement, n'ayant pu en prendre connaissance et y répondre en temps utile;

Considérant qu'il ressort d'un dossier constitué par la Direction Générale de la Concurrence, suite à une plainte déposée par Marcel Giorgetti, que la société EPA a embauché 24 commerciaux en février 1994 pour vendre directement ses produits dans les magasins spécialisés; que les grossistes répartiteurs et les représentants salariés sont ainsi devenus concurrents; que les enquêteurs ont relevé que :

- deux produits commandés les 1er et 4 avril 1994 auprès de Marcel Giorgetti ont été livrés avec un retard non justifié,

- les conditions tarifaires appliquées par la société EPA aux grossistes répartiteurs pharmaceutiques et aux détaillants sont plus favorables que celles obtenues par Marcel Giorgetti depuis le 15 avril 1994, et ce sans contrepartie commerciale réelle,

- les grossistes répartiteurs pharmaceutiques et les détaillants pouvaient s'approvisionner normalement en produits nouveaux, ce qui n'était plus le cas de Marcel Giorgetti,

- il n'est nullement établi que Marcel Giorgetti ait été un mauvais payeur,

- les conditions de vente appliquées par la société EPA à Marcel Giorgetti depuis le 15 avril 1994 paraissent constitutives de pratiques discriminatoires, ayant pour but d'éliminer son partenaire qui réalisait pourtant 48 % de son chiffre d'affaires par le biais des produits EPA;

Considérant qu'aux termes de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique une discrimination sans contrepartie réelle, engage la responsabilité de son auteur;

Considérant par ailleurs que Marcel Giorgetti produit de nombreux courriers que lui ont adressé, essentiellement en janvier 1994 mais aussi en juin 1994, des clients dont il ressort que la société EPA, par l'intermédiaire de ses représentants, a dénigré son action auprès d'eux; que ces représentants incitaient ces clients à s'adresser directement auprès de la société EPA;

Considérant que l'ensemble de ces faits révèlent un comportement fautif;

Considérant que le fait que Marcel Giorgetti ait vendu par la suite son entreprise, ce qu'il ne conteste pas, n'efface pas la responsabilité de la société EPA; que cependant, cette vente rend inopérante la demande de Marcel Giorgetti visant à condamner la société EPA à mettre un terme à ses agissements sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée;

Considérant que les premiers juges ont ainsi à juste titre constaté l'existence de pratiques discriminatoires et ordonné une expertise afin d'évaluer le préjudice éventuel subi par Marcel Giorgetti; qu'il sera nécessaire de tenir compte pour la détermination de ce préjudice, notamment, de la vente par Marcel Giorgetti de son entreprise (par l'examen en particulier de son prix de vente et des modalités de calcul), de l'absence d'exclusivité, de l'importance des retards (notamment par rapport aux autres clients) et des tarifs appliqués aux autres clients;

Considérant qu'il appartiendra également à l'expert de suivre l'évolution du chiffre d'affaires de Marcel Giorgetti, qu'il s'agisse de son chiffre d'affaires global ou de son chiffre d'affaires EPA, et de vérifier l'incidence de la vente des produits nouveaux pour lesquels Marcel Giorgetti s été écarté afin d'établir si les faits commis lui ont causé un réel préjudice;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée; que la société EPA, qui échoue en son recours, n'est pas fondée à réclamer le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens;

Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Marcel Giorgetti les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 F;

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement et contradictoirement; Ecarte des débats les conclusions déposées et signifiées par la société EPA le 13 octobre 1997 et la pièce communiquée par Marcel Giorgetti le 23 octobre 1997; Confirme le jugement déféré; Condamne en outre la société EPA â verser à Marcel Giorgetti 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société EPA aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.