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Décisions

Conseil Conc., 1 février 1994, n° 94-D-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de la pierre calcaire et du marbre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de Mme Anne-Françoise Roul, par M. Barbeau, président, M. Jenny, vice-président, , M. Rocca, membre remplaçant M. Cortesse, empêché.

Conseil Conc. n° 94-D-09

1 février 1994

Le conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 22 août 1990 sous le numéro F 336-2 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société en nom collectif Entreprise nouvelle Guinet Derriaz, la société anonyme des carrières de Saint-Pierre-Aigle, la société en nom collectif Les Fils de A. Bourgeois, devenue société Carrières de Noyant SA, la société générale des pierres et marbres de Bourgogne SA, dite Sogépierre, et la société Hansez et Cie France; Vu le Traité en date du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne modifié, et notamment son article 85; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A - Les pratiques de la société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz

Cette société exploitait en 1991 une carrière de pierres calcaires et six carrières de marbres et pierres marbrières. La vente de marchandises à l'exportation a représenté pour les années 1987 à 1989 de 9 à 19 p. 100 de son chiffre d'affaires. Sa part dans l'exportation des pierres calcaires, marbres et pierres marbrières à partir du territoire national est comprise entre 3 et moins de 5 p. 100 pour les années 1987 à 1989.

Ses conditions générales de vente comportent une clause selon laquelle : " L'exportation de nos fournitures est interdite sans notre autorisation écrite " . Selon les déclarations du directeur de la société, cette clause " a pour but, d'une part, de protéger les distributeurs dont la présence est nécessaire pour les exportations sur certains marchés étrangers et, d'autre part, de permettre à la société de connaître l'utilisation de ses pierres à l'étranger et d'empêcher ainsi des utilisations défectueuses " .

1.- Les pratiques relatives aux exportations vers le Benelux

a - Les exportations vers la Belgique de la pierre de Farges en dallages :

Par un accord écrit, conclu lors d'une réunion du 18 mars 1988, la société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz a confié la distribution des dallages en pierres de Farges qu'elle produit spécifiquement pour le marché belge à trois entreprises belges, les établissements Van Huychem, les établissements de Paepe et la société Marbrerie Saint-Jean. Cet accord fixe le secteur géographique dans lequel chacune de ces sociétés commercialise ces dallages, celles-ci s'engageant à ne pas vendre en dehors de leur secteur, sous réserve d'un accord particulier et ponctuel, à vendre à un niveau de prix normal et à éliminer de leur clientèle les firmes faisant du dumping dans le secteur de l'autre. Par ailleurs, ces distributeurs s'engagent, pour l'année 1988, sur la commercialisation d'une quantité approximative de ces dallages.

La reconduction de cet accord pour les années postérieures à 1988 n'est pas établie. M. Guinet a déclaré, par procès-verbal d'audition du 11 mars 1991, que " actuellement, seuls les établissements Van Huychem commandent ce produit de façon régulière " .

b - Les autres exportations vers le Benelux :

Par une lettre du 18 juin 1990, la société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz a adressé un client aux établissements Van Huychem, en indiquant que cette société la représentait dans le Benelux, mais l'existence d'un accord de distribution pour le Luxembourg et les Pays-Bas n'a pas été établie.

2. - Les pratiques relatives aux exportations vers la Grande-Bretagne

La société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz a conclu avec la société britannique George-V. Williams & Sons Ltd, entreprise de taille de pierre et de marbrerie, un accord de distribution exclusive sous forme d'un échange de lettres des 17 novembre et 16 décembre 1988. Cette dernière société s'engage en contrepartie à ne promouvoir, outre les pierres anglaises de Bath et de Portland, que les pierres de la société française, à ne pas acheter d'autres pierres françaises sans l'accord de celle-ci, à effectuer des opérations de promotion définies par l'accord et à faire une première commande de stock. L'accord prévoit enfin la définition de perspectives de chiffre d'affaires après un an d'application.

Un nouvel accord a été conclu à la fin de 1989. La société britannique demeure le vendeur exclusif en Grande-Bretagne du producteur français. Elle a le droit de vendre d'autres pierres que celles du producteur français, sous réserve de ne pas vendre ou aider à vendre des marchandises du même genre que celtes du producteur français et elle doit effectuer des opérations de promotion des pierres de ce dernier, qui s'engage, dans les conditions qu'il définit et sous réserve de ses possibilités, à satisfaire les commandes de la société britannique.

Selon le représentant de la société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz, les ventes à la société britannique en application de cet accord ont été faites pour des marchés de travaux précis.

3 - Les pratiques relatives aux exportations vers la Suisse

Des déclarations du dirigeant de la société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz, lors de l'instruction, ont pu faire présumer que des contrats avaient été conclus avec des revendeurs suisses, mais l'existence de telles conventions n'a pu être établie.

4 - Les pratiques relatives aux exportations vers les Etats-Unis

L'existence d'un accord non écrit avec la société américaine Marble Techflics Ltd est notamment établie par des déclarations faites en 1991 par le représentant de la société Entreprise nouvelle Guinet Derriaz, qui a indiqué que celle-ci s'était engagée à ne vendre aux Etats-Unis qu'à cette société américaine ou avec son accord.

B - Les pratiques de la société des carrières de Saint-Pierre-Aigle, de la société Les Fils de A. Bourgeois et de la société Carrières de Noyant

La société des carrières de Saint-Pierre-Aigle et la société Les Fils de A. Bourgeois, à laquelle a succédé la société Carrières de Noyant créée le 28 décembre 1990, exploitent chacune dans l'Aisne une carrière produisant une pierre calcaire et, selon les déclarations du président-directeur général des deux sociétés, vendent des produits finis, sur mesure, pour des chantiers déterminés. Les exportations ont représenté 0,22 et 0,32 p. 100 du chiffre d'affaires total de la société des carrières de Saint-Pierre-Aigle pour les exercices clos les 31 mars 1988 et 31 mars 1989. Elles ont représenté 0,81 p. 100 du chiffre d'affaires total de la société Les Fils de A. Bourgeois pour 1989, La part de ces sociétés dans les exportations des pierres calcaires, marbres et pierres marbrières françaises peut approximativement être estimée à 0,01 p. 100 pour ces mêmes années.

Les conditions générales de vente des sociétés portent notamment la mention suivante : " exportation : directe ou indirecte de nos différents produits est interdite, sauf accord formel de notre part " .

Selon les déclarations de leur dirigeant, cette clause est justifiée, d'une part, par le respect des accords conférant à des distributeurs l'exclusivité des exportations à destination de certains pays étrangers et, d'autre part, en ce qui concerne les pays pour lesquels ces sociétés n'ont pas de revendeur exclusif, par la nécessité d'empêcher que de mauvaises utilisations des pierres à l'étranger entraînent des litiges ou portent atteinte à la réputation du producteur.

1 - Les pratiques relatives aux exportations vers le Japon et les Etats-Unis

S'agissant de ces pays, selon les déclarations du représentant de ces sociétés, deux agents exerçant l'activité de négociant ont l'exclusivité des exportations des deux sociétés, l'un pour le Japon, l'autre pour les Etats-Unis, conformément à un accord non écrit. Ces agents peuvent vendre ces produits dans d'autres pays et ils peuvent vendre d'autres produits dans n'importe quel pays. Les produits objets de l'accord sont des produits finis exécutés sur mesure pour des marchés de travaux précis.

2 - Les pratiques relatives aux exportations vers d'autres pays

L'instruction n'a pas permis d'établir l'existence d'autres accords, notamment vers les pays européens.

C - Les pratiques des sociétés Sogépierre et Hansez et Cie France

La société Sogépierre et la société Hansez et Cie France qui appartiennent au même groupe exploitent respectivement six et deux carrières de pierres calcaires. Pour la première société, les exportations ont représenté 20 p. 100 du chiffre d'affaires en 1988 et 37 p. 100 en 1989. Pour la seconde société, les chiffres sont de 48 p. 100 pour 1987 et 47 p. 100 pour 1988. La part de ces sociétés dans le total des exportations françaises peut être approximativement estimée pour la première à 2 p. 100 en 1988 et 3,7 p. 100 en 1989 et pour la seconde à 1,4 p. 100 en 1987 et 2,16 p. 100 en 1988.

Les deux sociétés ont établi un document identique qui porte la mention : " L'exportation de nos produits est interdite, sauf accord formel au préalable écrit de notre part " . L'instruction n'a pas permis d'établir que cette clause serait liée à des accords conclus avec des revendeurs étrangers.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Considérant, en premier lieu, qu'est susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun la clause prévue aux conditions générales de vente ou au tarif des sociétés Guinet-Derriaz, Carrières de Saint-Pierre-Aigle, Les Fils de A. Bourgeois devenue Carrières de Noyant, Sogépierre et Hansez et Cie France, selon laquelle l'exportation directe ou indirecte des pierres ou dallages achetés auprès d'elles doit être soumise à leur accord formel et préalable;

Considérant, toutefois, qu'il résulte des constatations effectuées au I de la présente décision que les sociétés mentionnées ci-dessus ne participent aux exportations françaises de pierres calcaires, marbres et pierres marbrières que pour une part très faible, toujours inférieure à 5 p. 100; qu'ainsi les pratiques ci-dessus décrites n'ont pu affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres; que, par suite, celles-ci ne peuvent être qualifiées sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 85 du traité du 25 mars 1957 susvisé;

Considérant, en second lieu, que, pour chacune des pierres concernées par les pratiques décrites ci-dessus, il existe des pierres qui lui sont substituables; que l'instruction n'a pas permis d'établir que des entreprises pourraient, du fait des pratiques ci-dessus décrites, être empêchées de commercialiser sur des marchés étrangers des pierres substituables, en les contraignant, de ce fait, à ne les commercialiser que sur le marché français, au détriment de leur compétitivité; que, dans ces conditions, il n'est pas établi, en l'absence, sur le marché national, de tout objet et de tout effet anticoncurrentiel résultant de la clause soumettant à l'accord du fournisseur l'exportation de ses produits, que les sociétés Guinet Derriaz, Sogépierre, Carrières de Saint-Pierre-Aigle, Les Fils de A. Bourgeois - Carrières de Noyant et Hansez et Cie France aient méconnu les dispositions dc l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il convient de faire application de l'article 20 de l'ordonnance du 1~ décembre 1986,

Décide:

Article unique : II n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.