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Décisions

CA Versailles, 5e ch. sect. 2, 18 octobre 1988, n° 7117-87

VERSAILLES

ARRET

PARTIES

Demandeur :

Française de Supermarchés (SA)

Défendeur :

Legroux (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boussard

Conseiller :

M. Binon

Avocats :

Mes Uhunois, Souchon

Cons. prud'h. Nanterre, du 28 mai 1985

28 mai 1985

Faits et procédure

Les époux Legroux ont été engagés en qualité de gérants par la Société Française de Supermarchés (SFS) le 24 juin 1970. Ils ont tenu successivement une succursale à Saint-Cloud, à Paris. Leur installation à Suresnes en qualité de gérants non salariés faisait l'objet d'un contrat et d'un avenant du 7 juillet 1975.

Le 4 octobre 1978 Legroux s'opposait à ce qu'un inspecteur-contrôleur des prix envoyé par la SFS effectue un contrôle des prix dans la succursale. Un constat d'huissier était dressé.

Après avis du comité d'établissement, Legroux étant membre de cet organisme, avis donné le 17 octobre 1978, la SFS notifiait son licenciement à Legroux par lettre recommandée du 23 octobre 1978 en précisant que les modalités réglant la fin du contrat seraient portées à sa connaissance quelques jours plus tard.

Mais dès le 12 octobre 1978 la Dame Legroux était désignée en qualité de déléguée syndicale en remplacement d'un démissionnaire. Cette désignation était annulée par jugement du tribunal d'instance de Villejuif du 1er décembre 1978. Le 11 décembre 1978 Legroux était désigné en remplacement de son épouse. La SFS était déboutée le 2 février 1979 par le même tribunal d'une demande d'annulation de cette désignation.

Le 3 mars 1979, par lettre recommandée la SFS rappelant aux époux Legroux que "des dicisions de justice" venaient "fort heureusement" de mettre fin à un préavis de plus de 4 mois dont leurs "manœuvres dilatoires" les avaient fait bénéficier, leur notifiait que leur contrat prendrait fin le 9 mars 1974.

La SFS cessait toute livraison de marchandises aux époux Legroux.

Par ordonnance du 23 mars 1979 elle obtenait du Président du Tribunal de grande instance de Nanterre la commission d'un huissier pour faire l'inventaire du magasin mais était déboutée de sa demande d'expulsion des époux Legroux. L'inventaire était effectué le 17 avril 1979.

Après une sommation infructueuse du 10 mai 1979 les époux Legroux étaient déboutés, par ordonnance du 14 juin 1979, d'une demande à l'effet de contraindre la SFS à reprendre la livraison des marchandises.

Les époux Legroux quittaient les lieux le 25 juillet 1979.

Par arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juin 1985, ils étaient condamnés notamment à payer à la SFS la somme de 90 271,86 F et les intérêts pour déficit d'inventaire

Saisi par les époux Legroux le 30 octobre 1979, le Conseil de prud'hommes par jugement du 28 mai 1985, condamnait la SFS à payer :

à Legroux :

- à titre d'indemnité de congés payés : 8 804,47 F

- à titre d'indemnité de préavis : 14 874,10F

- à titre d'indemnité de licenciement conventionne 5 278,89 F

- à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive 30 000,00 F

- à titre de remboursement de frais : 1 750,00 F

à la Dame Legroux :

- à titre d'indemnités de congés payés : 3 538,74 F

- à titre d'indemnité de préavis : 5 897,90 F

- à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle : 2 892,00 F

- à titre de remboursement de frais : 1 750,00 F

La SFS relevait appel de cette décision.

Devant la cour, critiquant le Conseil de prud'hommes d'avoir analysé la situation des époux Legroux, gérants mandataires non sa1ariés, comme ils étaient de simples salariés soumis aux dispositions du Code du travail sur le licenciement et estimant la rupture justifiée par le refus du contrôle constitutif d'une faute grave, elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris et à la condamnation des époux Legroux au paiement d'une somme de 21 000,00 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Legroux conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne l'indemnité de congés payés et l'indemnité de préavis. Formant appel incident, il demande l'élévation de l'indemnité de licenciement à 9 506,00 F en invoquant la convention ainsi que celle des dommages intérêts pour licenciement abusif à celle de 88 044,70 F. Il sollicite en outre :

- à titre subsidiaire la somme de 7 337,05 F pour inobservation de la procédure,

- celle de 19 715,80 F, au titre de la participation,

- les intérêts au taux légal à compter de la demande pour les indemnités de préavis, de licenciement et de congés payés et la participation,

- celle de 3 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en sus de ce qui a été alloué à ce titre par le Conseil de prud'hommes.

La Dame Legroux, prétendant avoir le statut de gérante salariée, parce que sa rémunération était égale et variait selon le SMIC, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne les indemnités de préavis et de congés payés. Formant appel incident et de nouvelles demandes, elle demande la condamnation de la société SPS à lui payer :

- à titre d'indemnité de licenciement : 3 399,50 F

- à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17 093,70 F

- subsidiairement pour inobservation de la procédure : 2 948,95 F

- à titre de participation aux bénéfices : 471,47 F

- les intérêts au taux légal à compter de la demande pour les indemnités de préavis, de licenciement et de congés payés et la participation

- à titre de remboursement de frais : 3 000,00 F

en sus de ce qui a été alloué par le Conseil de prud'hommes.

Décision

Sur la jonction :

Attendu que sur l'appel des époux Legroux à l'encontre du jugement du Conseil de prud'hommes de Nanterre du 28 mai 1985 il a été formalisé deux dossiers portant les numéros 7117 et 7914, le premier concernant Legroux Serge, le second la dame Legroux Laurette; qu'en raison de leur connexité il échet de les joindre;

Sur le statut des époux Legroux :

Attendu qu'il résulte des termes du contrat liant la SA SFS aux époux Legroux que ces derniers avaient la situation de gérants non salariés de succursale de maison d'alimentation de détail visée par les articles L. 782.1 à L. 782.7 du Code du travail qu'en ce qui concerne l'épouse, si le montant de ces commissions a été égal au SMIC, c'est en vertu de la garantie du salaire minimum octroyé comme avantage social par l'article L. 782.7 du Code du travail complétant et améliorant celui consenti par la convention collective;

Attendu que si aux termes de l'article L. 782.5 du Code du travail les litiges survenus entre les entreprises mentionnées à l'article L. 782..1 du Code du travail et les gérants non salariés sont de la compétence de la juridiction prud'homale lorsqu'ils concernent les conditions de travail des gérants non salariés, il ne s'ensuit pas nécessairement que la rupture des contrats conclus entre eux est soumise aux mêmes règles que celles régissant le licenciement des salariés;

Attendu certes que l'alinéa 2 de l'article L. 782.1 du chapitre II du titre VIII du Code du travail édicte que les dispositions du chapitre 1er de ce titre sont applicables aux gérants non salariés mentionnés à l'alinéa 1er, c'est-à-dire que les dispositions du Code du travail leur sont applicables comme aux catégories particulières de travailleurs visés à l'article L. 781.1 de ce Code, il précise néanmoins qu'elles ne leur sont applicables que sous réserve des dispositions du chapitre II;

Attendu que précisément l'article L. 782.3 de ce Chapitre II vise l'établissement d'accords collectifs entre les magasins d'alimentation à succursales et les gérants non salariés; qu'il précise que ces accords fixeront les conditions auxquelles doivent satisfaire les contrats individuels et détermineront obligatoirement le minimum de rémunération garantie aux gérants non salariés; que l'article L. 782.4 prévoit même qu'à défaut de tels accords le ministre du travail pourra fixer les conditions auxquelles devront satisfaire lesdits contrats, notamment en ce qui concerne le minimum de rémunération;

Attendu qu'une Convention collective nationale des maisons d'alimentation, d'approvisionnement à succursales et gérants mandataires a été conclue le 18 juillet 1963 et complétée par différents avenants; que cette convention collective contient, outre des dispositions sur le minimum garanti, des dispositions notamment sur la rupture du contrat de gérance, sur l'indemnité de résiliation de contrat, ainsi que sur la participation aux fruits de l'expansion, dernière disposition invoquée par les époux Legroux pour justifier leur "demande de participation"; que les parties ont dans le contrat accepté les stipulations de cette convention;

Attendu qu'en raison de l'existence de ces dispositions particulières, prévues à l'alinéa 2 de l'article L. 782.14. du Code du travail, il y a lieu de faire application de celles figurant à la convention collective et au contrat de gérance et non ce celles du Code du travail concernant le licenciement des travailleurs;

Sur la rupture

Attendu que Legroux reconnait que le 4 octobre 1978, vers 9 heures 15 il s'est opposé à un contrôle des prix affichés auquel un inspecteur mandaté par la société SFS devait procéder;

Attendu qu'il résulte d'un contrat dressé par l'huissier Cohen que le même jour le même inspecteur s'est présenté vers 11 heures 40 au magasin exploité par Legroux et que l'entrée lui en a été interdite par trois personnes se tenant sur le pas de la porte et que Legroux a, à nouveau, refusé à l'inspecteur l'accès dans le magasin; qu'en quittant les lieux l'huissier constatait la présence d'un groupe de neuf personnes se tenant devant l'entrée du magasin autour des trois individus qui avaient barré son passage dès l'arrivée de l'inspecteur;

Attendu que le contrat de gérance stipulait que les époux Legroux ne devaient ni changer les prix de vente fixés par la SFS ni modifier la nature, la qualité de la présentation des marchandises, qu'un inventaire des marchandises et du matériel pouvait toujours être fait à la demande de l'un des contractants sans que l'autre puisse s'y opposer;

Attendu qu'il est constant que plusieurs contrôles avaient été effectués au cours de la gérance des époux Legroux sans que surgisse une difficulté;

Attendu que le refus opposé par Legroux deux fois le 4 octobre 1978 à la mission de contrôle de l'inspecteur envoyé par la SFS dans son magasin constituent un manquement è l'une de ses obligations contractuelles; que ce manquement revêtait en raison des circonstance ci-dessus rappelées un caractère grave au point de ne plus permettre le maintien des relations découlant du contrat; que la rupture du contrat de travail notifié à Legroux par lettre recommandée du 23 octobre 1978 était donc justifiée;

Attendu que la lettre du 23 octobre précisait que les modalités pratiques règlant la fin du contrat seraient déterminées dans quelques jours et qu'elles lui seraient alors communiquées;

Attendu que c'est en raison de l'action engagée des époux Legroux (désignation de l'épouse en qualité de déléguée syndicale, puis de l'époux) et des instances judiciaire consécutives que la fin du contrat a pu être fixée par la SFS au 9 mars 1979; qu'en conséquence les époux Legroux ne peuvent prétendre que la SFS avait implicitement renoncé à la résiliation du contrat de ciérance résultant de la lettre du 2 octobre 1978;

Attendu qu'il était stipulé à l'article 17 que "si le contrat prend fin pour l'un des époux, il se trouvera résilié pour les deux; qu'au surplus le caractère indissociable de l'activité des époux Legroux et l'impossibilité de maintenir l'épouse avec un successeur tant dans le magasin que dans le logement imposaient la rupture également avec la Dame Legroux;

Sur les demandes des époux Legroux :

Celles de Legroux :

Attendu qu'en raison de motifs ci-dessus adoptés il échet de débouter Legroux de ses demandes d'indemnités de préavis et de licenciement, ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Attendu que l'épouse justifie qu'au jour de la résiliation du contrat il bénéficiait d'une disposition protectrice en qualité de membre du CE, une clause de la convention collective (article 24) faisant référence à la loi en la matière; que l'omission car la société S..F.S. de solliciter et obtenir l'avis conforme de l'inspecteur du travail lui a causé un préjudice qui justifie l'allocation d'une somme de 5 000,00 F à titre de dommages-intérêts;

Attendu que tant en vertu des dispositions de l'article L. 782.7 du Code du travail que de celles de la convention collective Legroux a droit à une indemnité compensatrice de congés payés;

Attendu qu'aux termes de l'article 10 bis de la convention collective les gérants bénéficient des formules de participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise;

Attendu que pour le calculant de l'indemnité de congés payés que de la participation aux fruits de l'expansion il y a lieu de renvoyer l'affaire devant les conseils des parties, sauf à en référer à la cour en cas de difficulté;

Celles de la Dame Legroux :

Attendu que la Dame Legroux a bénéficié de commissions de la date de rupture du contrat jusqu'au 28 février 1979; qu'elle a été amplement remplie de ses droits au titre de délai-congé d'un mois prévu par l'article 7 de la convention collective; qu'il échet de la débouter de sa demande d'indemnité de préavis;

Attendu qu'en l'absence d'une faute grave reprochée à la Dame Legroux celle-ci a droit à l'indemnité de résiliation prévue par l'article 8 de la convention collective;

Attendu que tant en vertu des dispositions de l'article L. 782.7 du Code du travail que de celles de la convention collective elle a également droit è une indemnité compensatrice de congés payés;

Attendu qu'enfin pour le même motif que son mari elle a droit à la participation aux fruits de l'expansion de 1'entreprise;

Attendu que pour le calcul de l'indemnité de résiliation, de l'indemnité de congés payés et de la part des fruits de l'expansion, il échet de renvoyer l'affaire devant les conseils des parties sous la même réserve que ci-dessus;

Attendu que pour les motif adoptés plus haut y e lieu de débouter la Dame Legroux de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande subsidiaire de dommages-intérêts pour inobservation de la procédure;

Attendu qu'il n'apparait pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais et honoraires par elles exposées;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement; Prononce la jonction des procédures n° 7117/87 et 7914/87; Reçoit les appels principal et incident en la forme; Au fond; Réformant le jugement entrepris et statuant sur les demandes initiales et les demandes nouvelles; Déboute les époux de leurs demandes d'indemnité de préavis et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; Dit que chacun d'eux a droit à une indemnité de congés payés et à une part des fruits de l'expansion; Dit que la Dame Legroux a droit à l'indemnité conventionnelle de résiliation de contrat; Renvoie l'affaire devant les conseils des parties pour en faire les calculs, sous réserve d'en référer à la cour par voie de simples conclusions en cas de difficulté; Condamne la société SFS à payer à Legroux la somme de 5 000,00 F (Cinq mille francs) de dommages- intérêts pour inobservation de la procédure; Déboute la Dame Legroux de sa demande de dommages intérêts formée au même titre; Déboute chacune des parties de sa demande de remboursement de frais; Dit que les dépens seront supportés par moitié par les parties.