CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 23 mars 2000, n° 96-12233
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Francis Viande (SARL)
Défendeur :
Société Méditerranéenne de Distribution de Produits Alimentaires, Ferrari (és qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dragon
Conseillers :
Mm. Blin, Semeriva
Avoués :
SCP Aube Martin Bottai Gereux, SCP Latil-Pennaroya-Latil-Alligier
Avocats :
Mes Gourgues, Capia.
Exposé du litige :
La Société Méditerranéenne de Distribution de Produits Alimentaires (la société Somedipra) a donné un fonds de commerce en location-gérance à la société Francis Viandes.
Ce contrat ayant été dénoncé après la mise en liquidation judiciaire du loueur, Monsieur Ferrari, mandataire à cette liquidation, a assigné la société Francis Viandes, sur le fondement de l'article 10 de la loi du 20 mars 1956, en remboursement d'indemnités de licenciement versées à ses salariés.
Le Tribunal de commerce de Nice a fait droit à cette action, par un jugement rendu le 5 avril 1996, retenant que la société Francis Viandes avait réalisé un détournement de clientèle, et la condamnant à payer à Monsieur Ferrari ès qualités une somme de 515 755,54 F avec intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation, ainsi qu'une indemnité de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
La société Francis Viandes a relevé appel le 3 mai 1996.
Elle fait grief aux premiers juges d'avoir statué sur le fondement de la concurrence déloyale, alors que les parties ne leur avaient pas soumis un tel débat.
Elle conteste d'ailleurs les faits qui lui sont reprochés à ce propos, et soutient qu'elle a, sans faute, dans le respect des conditions prévues au contrat, mis fin à la convention, et que cette situation est tout à fait indépendante de la liquidation judiciaire du loueur, survenue bien avant cette dénonciation.
La société Francis Viandes en déduit que les dettes de la société Somedipra ne sauraient lui être imputées, et qu'admettre la thèse adverse serait méconnaître les principes de la liberté contractuelle et de la force obligatoire des contrats.
Soutenant enfin qu'elle n'est pas responsable de l'absence de cession du fonds à l'occasion de la procédure collective, la société Francis Viandes demande la réformation du jugement et le paiement d'une somme de 10 000 F au titre de ses frais irrépétibles.
Monsieur Ferrari ès qualités expose qu'il avait soutenu devant le Tribunal que le fonds n'avait pas été restitué à la fin de la location-gérance, et considère donc qu'en se prononçant sur les conditions de cette restitution, le jugement entrepris n'a pas dénaturé les termes du litige.
Il soutient que la liquidation judiciaire de la société Somedipra a rendu la continuation d'exploitation impossible, et que la société Francis Viandes n'a pas restitué les éléments du fonds de commerce, mais a poursuivi son activité dans d'autres locaux en détournant la clientèle.
Monsieur Ferrari conclut à la confirmation du jugement frappé d'appel et au paiement d'une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision:
En recherchant si la société Francis Viandes avait détourné la clientèle du fonds donné en location-gérance, les premiers juges, loin de méconnaître les données du litige, en ont exactement analysé les éléments, qui conduisaient à examiner si cet élément essentiel du fonds était ou non revenu dans le patrimoine du loueur.
Les critiques qui leur sont adressées à ce propos doivent être écartées, et en toute hypothèse, le débat sur ce point est lié devant la cour.
Le contrat de location-gérance a été conclu le 16 juin 1993 pour une période de neuf mois se terminant le 31 décembre 1993.
Etaient donnés en location: la clientèle, l'enseigne 'La Bonn'Viande", le matériel, l'outillage, les mobiliers et agencements servant à l'exploitation, le droit à la jouissance des locaux situés au 6, rue Cassini à Nice, et, de façon générale. "l'universalité du fonds", à l'exclusion du stock de marchandises ou de fournitures.
La société Somedipra a été mise en liquidation judiciaire le 4 novembre 1993.
Le contrat de location-gérance a fait l'objet d'une tacite reconduction, puis a été dénoncé par courrier adressé par la société Francis Viandes le 26 septembre 1994, et a ainsi pris fin le 31 décembre 1994.
Ni le bien-fondé, ni les modalités de cette résiliation ne sont discutés, la société Somedipra ne soutenant pas que son co-contractant ait commis quelque faute sur ce point.
Le litige procède de griefs tout autres, tenant à l'impossibilité de continuer l'exploitation, et à l'absence de restitution du fonds.
Sur le premier aspect, le seul fait que le loueur se trouve en liquidation judiciaire n'implique pas une faute du gérant dans la dénonciation du contrat.
Dès lors que celle-ci intervient dans les termes et délais arrêtés par les parties, il incombe en effet aux organes de la procédure collective de rechercher une solution de reprise, d'autant que la liquidation était ouverte depuis plus d'un an à la date d'effet de la cessation de la location.
Cette liquidation ne constituait pas, par ailleurs, un cas de force majeure exonérant la société Somedipra de son obligation de continuer l'exécution des contrats de travail passés avec ses salariés.
Monsieur Ferrari ne saurait ainsi soutenir que, connaissant la situation du loueur et l'impossibilité de continuation de l'activité, la société Francis Viandes serait ipso facto responsable des dettes générées par les licenciements.
Mais, sur le second aspect du grief, il revenait à la société Francis Viandes de restituer au propriétaire l'universalité de son fonds, et en particulier la clientèle.
Or, la société Francis Viandes n'a pas cessé son activité après avoir quitté les locaux dans lesquels elle exerçait sa gérance, et qui, selon courrier du syndic de l'immeuble, sont restés inoccupés à compter du 1er janvier 1995.
Elle s'est réinstallée au 11, place Saint-François à Nice, et, par fax du 29 décembre 1994 rédigé à l'enseigne "La Bonn'Viande", sa direction commerciale faisait connaître "qu'à partir du 2 janvier 1995, la société transférait son service commercial et son service commandes, en donnant pour références ses propres numéros de téléphone et de fax.
Monsieur Ferrari fait justement constater que cet envoi avait le caractère d'une circulaire, comme le montrent à l'évidence la généralité de ses termes et l'absence d'indication de destinataire sur l'exemplaire versé aux débats.
La société Francis Viandes soutient qu'il s'agit là d'une initiative isolée, et communique les documents tendant à établir que l'auteur de ce courrier, Monsieur Clermonté, effectuait son préavis de licenciement à cette époque.
Mais même en faisant abstraction des motifs des premiers juges retenant que ces documents n'avaient pas date certaine, cette situation de préavis est inopérante, le commettant restant responsable des dommages causés par son préposé.
Une telle démarche engage ainsi la responsabilité de la société à l'égard de son ancien loueur.
Les termes de ce courrier établissent que la société Francis Viandes a quitté des locaux, désormais inexploités, en faisant savoir aux clients attachés au fonds qu'ils devaient désormais s'adresser à elle en d'autres lieux.
Cette manœuvre caractérise une captation de clientèle, et par voie de conséquence un manquement du locataire-gérant à son obligation de restitution du fonds, de sorte que Monsieur Ferrari conclut à bon droit que la société Francis Viandes est tenue, dans les termes de l'article 10 de la loi du 20 mars 1956, des dettes afférentes à l'exploitation et contractées par ses soins pendant la durée de la gérance.
Cette dette correspond au montant, incontesté, des sommes versées aux salariés licenciés par suite de disparition de l'élément essentiel du fonds.
Le jugement entrepris doit être confirmé.
Aucune circonstance ne justifie que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile soient écartées.
Par ces motifs : Et par ceux non contraires des premiers juges, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Francis Viandes aux entiers dépens et au paiement à Monsieur Ferrari ès qualités d'une indemnité supplémentaire de 6 000 F [914,69 euro] par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; autorise la SCP Latil - Pennaroya-Latil -Alligier à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.