Ministre de l’Économie, 21 octobre 2002, n° ECOC0200421Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Ginger
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 17 septembre 2002, vous avez notifié la prise de contrôle du groupe Solen par le groupe Ginger.
I. - Les parties et l'opération envisagée
Le groupe Ginger est contrôlé par la société Ginger SA, société de droit français cotée au second marché Euronext de Paris. Cette dernière est contrôlée par la société JLS Management et par M. J.-L. Schnoebelen qui en détiennent ensemble 59,78 % des droits de vote. L'activité propre de la société JLS Management est le conseil en management de crise et la gestion de participations, dont celle de Ginger SA, seule participation sur laquelle elle exerce un contrôle. Le chiffre d'affaires de la société JLS Management s'est élevé en 2001 à 0,44 million d'euro dont l'essentiel a été réalisé en France.
Le groupe Ginger est pour sa part présent dans trois secteurs d'activité que sont l'expertise (du BTP, de l'environnement et des technologies de l'information), l'ingénierie (du BTP, du cycle de l'eau et des technologies de l'information) et la maintenance/rénovation (du BTP et des technologies de l'information). Le groupe Ginger a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial de 157,9 millions d'euro, dont 127 millions en France.
Le groupe Solen est contrôlé par la société holding GEF SA, dont le capital est détenu par M. Guy Fleury et les membres de sa famille. Le groupe Solen est essentiellement présent sur le secteur du conseil en géotechnique pour le BTP et l'environnement et, de façon plus marginale, sur le secteur de l'ingénierie de l'environnement. Le groupe Solen a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires consolidé de 22,4 millions d'euro, dont 22,2 millions sur le territoire français.
Aux termes du protocole d'accord signé le 24 juillet 2002, la société Ginger SA s'est engagée à acquérir la totalité des actions, parts et autres valeurs mobilières émises par les sociétés GEF SA, Solen SA et Solen Participations. En conséquence, la présente opération, qui consiste à transférer à la société Ginger SA le contrôle exclusif du groupe Solen, constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives au contrôle de la concentration économique.
II. - La définition des marchés en cause
A. - Les marchés de services concernés
(i) Le conseil en géotechnique
La stratégie de développement du groupe Ginger s'articule autour de la création d'un portefeuille de compétences techniques permettant de fournir un ensemble de services liés aux projets de construction d'infrastructures à tous les stades de l'évolution du projet. Ces services consistent à identifier les besoins et les contraintes de l'infrastructure envisagée (expertise), définir plus précisément le projet et assurer la direction des travaux (ingénierie) et assurer la mise en service et l'entretien de l'ouvrage achevé (maintenance et rénovation). Les compétences du groupe Ginger, initialement exercées en matière de BTP, ont trouvé à s'appliquer à d'autres types d'infrastructures, à savoir les travaux liés à la protection de l'environnement et les technologies de l'information.
Le groupe Solen est pour sa part essentiellement spécialisé dans le domaine de la géotechnique. Selon l'Union syndicale géotechnique (USG), la géotechnique se définit comme étant l'ensemble des activités liées aux applications de la mécanique des sols, de la mécanique des roches et de la géologie (étude de la nature et de la structure des matériaux et de leur évolution dans le temps). La géotechnique comprend l'étude des propriétés des sols (déformabilité et résistance par exemple), l'étude de l'interaction entre les sols et les ouvrages environnants et l'étude de l'ouvrage objet de la prestation du fait de sa réalisation et/ou de son exploitation. De manière plus accessoire, la géotechnique peut également servir à rechercher une éventuelle pollution des sols ou de l'eau. L'activité du géotechnicien consiste à effectuer des sondages et forages de reconnaissance, à procéder à des essais et mesures in situ et en laboratoire ainsi qu'à réaliser des études et des contrôles.
L'étude de l'interaction entre le sous-sol et l'ouvrage est évolutive en fonction de l'avancée des travaux de construction. Une connaissance précise du comportement du sous-sol nécessite par conséquent plusieurs étapes successives tout au long des différentes phases d'élaboration du projet.
La géotechnique couvre ainsi tout un ensemble de missions liées au BTP (construction de bâtiments, génie civil, etc.) ou à l'environnement, telles que la recherche et le choix d'un site, la réalisation d'études d'impact, l'assistance technique à la maîtrise d'œuvre, l'auscultation des ouvrages, le diagnostic sur les désordres ou sinistres liés à l'ouvrage, etc. Le groupe Solen est actuellement capable d'assurer l'ensemble de ces missions.
Le groupe Ginger est lui aussi actif en matière de géotechnique à travers sa filiale CEBTP (Centre d'expertise du bâtiment et des travaux publics). L'opération envisagée doit lui permettre de renforcer et de compléter ses compétences et ses outils en matière de géotechnique à toutes les phases de réalisation des projets de construction et de renforcer sa présence dans des départements ou des régions où il n'était pas encore directement présent.
Le marché principalement concerné par l'opération est donc le marché du conseil en géotechnique sur lequel sont présentes les deux parties à l'opération.
(ii) Les services d'ingénierie en matière d'environnement
A titre liminaire, on rappellera qu'en matière d'environnement la géotechnique permet d'identifier une éventuelle pollution du sol ou de l'eau, avant, pendant ou après la réalisation d'un ouvrage. Toutefois, cette activité se distingue des services qui consistent à rechercher et à assister la mise en œuvre des solutions de dépollution ou de traitement des nuisances liées à la construction de l'ouvrage. Cette seconde catégorie de conseils constitue des services d'ingénierie appliqué à l'environnement.
Les services d'ingénierie appliqué à l'environnement étant complémentaires de la recherche et de l'évaluation des sources de pollution, il était rationnel pour les groupes Ginger et Solen de chercher à diversifier leurs activités vers le traitement des sources de pollution. Ainsi, le groupe Ginger offre un certain nombre de services d'ingénierie de l'environnement à travers ses filiales CEBTP et SIEE. De même, le groupe Solen est présent en matière d'ingénierie de l'environnement par le biais de ses filiales EGS et CIPRE, acquises respectivement en 2001 et 2002. Ainsi, les deux groupes offrent simultanément plusieurs types de services similaires, à savoir le conseil en matière de dépollution ou en matière d'assainissement des eaux (stations d'épuration et réseaux d'assainissement) ainsi que la réalisation d'études concernant la réhabilitation de décharges.
La question de savoir s'il convient de considérer que les services d'ingénierie appliqués à l'environnement constituent un seul et même marché pertinent ou plusieurs marchés pertinents peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
B. - La dimension géographique des marchés en cause
(i) La dimension géographique du marché du conseil en géotechnique
En raison des contraintes et des frais de déplacement, par rapport aux faibles montants que représentent les missions relatives au conseil en géotechnique, la taille du marché est au plus nationale. Les opérateurs étrangers désireux d'intervenir sur le territoire français sont contraints de le faire à partir d'agences permanentes établies sur le territoire français ou par acquisition d'un opérateur français déjà établi.
Selon les parties, le marché est de dimension nationale du fait que les principaux intervenants sur ce marché sont en mesure de répondre à la demande sur tout le territoire français et que, du côté de la demande, les principaux opérateurs ont une envergure nationale.
Toutefois, il est précisé, dans le dossier de notification, que "parmi les multiples offreurs de services de conseils géotechniques figurent un grand nombre de petits opérateurs qui disposent d'un seul site et dont l'activité peut être en conséquence limitée à un niveau régional". A cela s'ajoute le fait "que le marché en cause est un marché de service qui, en toute hypothèse, s'exerce in situ". Il est également précisé que "le groupe Solen dispose d'agences dans certains départements/régions où le CEBTP n'est pas présent directement. Il s'agit essentiellement des régions situées autour de Béthune, Strasbourg, Chartres, Le Mans, Vannes, Agen et la Martinique. L'opération permettra ainsi au groupe Ginger d'assurer une plus grande présence locale au profit de sa clientèle".
Il résulte en outre des tests de marché effectués auprès des principaux opérateurs en matière de géotechnique que les missions exigent le déplacement de moyens matériels lourds pour effectuer les sondages, forages, essais et mesures sur le terrain. En conséquence, il n'est pas rentable pour une entreprise de géotechnique de déplacer de tels moyens pour des travaux éloignés si la mission reste de petite amplitude (c'est-à-dire inférieure à 100 000 euro). La plus grande partie du chiffre d'affaires est donc réalisée localement, à savoir dans le département ou les départements limitrophes au département d'implantation de l'entreprise ou de l'une de ses agences. Dès lors, le fait que les principaux intervenants soient en mesure de répondre à tout appel d'offres sur le territoire résulte du maillage de leurs agences et non de la possibilité de répondre à une offre quel que soit le lieu d'établissement de l'entreprise candidate. Ces différents éléments tendent à démontrer que, pour les projets donnant lieu à des missions de moyenne envergure, le marché est de dimension régionale.
Néanmoins, il n'est pas contestable que pour les projets les plus importants ou les plus prestigieux, tels que la construction d'une autoroute ou d'une voie de chemin de fer, les principaux opérateurs sont prêts à déplacer sur de plus grandes distances des moyens supplémentaires pour renforcer l'agence locale. Ils entreront dès lors en concurrence avec les petits offreurs de services locaux.
En tout état de cause, la question de la délimitation géographique du marché pertinent peut être laissée ouverte au cas d'espèce dans la mesure où, quelle que soit la dimension géographique retenue, les conclusions de l'analyse resteront inchangées.
(ii) La dimension géographique du ou des marchés de services en matière d'ingénierie de l'environnement
La question de la délimitation géographique du ou des marchés de services en matière d'ingénierie appliquée à l'environnement peut également être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeureront inchangées quelle que soit la dimension géographique retenue.
III. - L'analyse concurrentielle
(i) Sur les marchés du conseil en géotechnique
L'offre en matière de géotechnique est composée d'un très grand nombre d'intervenants de taille et de statuts variables. Selon les parties, le tiers de l'activité totale émane d'organismes publics, tels que le Laboratoire des ponts et chaussées qui dispose de laboratoires régionaux (LRPC), eux-mêmes intégrés dans les centres d'études techniques de l'équipement (CETE). Ces opérateurs répondent aux appels d'offres lancés par l'Etat, les collectivités locales ou les entreprises publiques, pour lesquels ils entrent en concurrence avec les intervenants privés.
Selon les estimations des parties, les cinquante opérateurs privés qui sont adhérents au syndicat professionnel USG réalisent pour leur part presque la moitié de l'activité totale. Le restant, soit à peine 20 % de l'activité totale, émane de très petits opérateurs qui ne sont pas toujours constitués sous forme de société commerciale (ingénieurs-conseils).
La demande en matière de conseil géotechnique émane d'opérateurs privés et publics. La demande publique, qui concerne la construction de routes, tunnels, bâtiments, voies ferrées, analyse de la pollution des sols, etc., représente environ 40 % de la demande totale, selon l'estimation des parties. La demande privée émane, quant à elle, de professionnels du bâtiment, de maîtres d'ouvrage et parfois de particuliers. La demande de conseils en géotechnique, qu'elle soit publique ou privée, a tendance à croître dans la mesure où elle ne se limite plus au seul stade de l'expertise avant travaux, en raison des impératifs de sécurité qui exigent un suivi des travaux et de l'exploitation des ouvrages.
A partir du montant des chiffres d'affaires réalisés en matière de conseil géotechnique par les cinquante adhérents au syndicat USG et des proportions avancées par les parties, l'activité totale du conseil géotechnique sur l'ensemble du territoire représenterait approximativement 460 millions d'euro. Le montant en valeur des prestations offertes par la nouvelle entité ne représenterait alors qu'environ 7,5 % du total de l'activité de conseil géotechnique fournie sur le territoire français.
Au sein de la seule catégorie des opérateurs privés, le montant des prestations des groupes Ginger et Solen atteint 6 % chacun. La nouvelle entité représenterait donc 12 % du total de l'activité des opérateurs privés et se trouverait en première place devant les sociétés Fondasol, EEG Simecsol et Fugro Géotechnique. Ces dernières représentent environ chacune 10 % de l'activité des opérateurs privés. Il est à noter qu'elles font également partie de grands groupes français ou étrangers qui disposent d'une capacité financière suffisamment importante pour constituer une force concurrentielle significative.
Dès lors, si l'on considère que le marché est de dimension nationale, on peut constater que la nouvelle entité fait face à des opérateurs publics et privés de taille suffisante pour constituer des concurrents comparables, en particulier lors de la passation des marchés d'envergure nationale qui exigent de lourds moyens technologiques.
Si, en revanche, on considère que la dimension géographique du marché en cause correspond à une zone limitée au département où est implantée l'entreprise ou l'une de ses agences ainsi qu'aux départements limitrophes, il convient de s'assurer que la nouvelle entité devra faire face à une concurrence locale crédible, quelle que soit la zone envisagée.
Or, il ressort des éléments de la notification et de l'instruction du dossier que, quelles que soient les zones géographiques considérées, la nouvelle entité sera confrontée à la présence d'au moins une agence appartenant à l'un des principaux concurrents d'envergure nationale, ainsi qu'à de très nombreux concurrents locaux. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le ou les marchés du conseil en géotechnique.
(ii) Sur les marchés de services dans l'ingénierie de l'environnement
Bien que l'opération entraîne de légers chevauchements concernant certaines activités liées à l'ingénierie de l'environnement, on peut rappeler que ces activités demeurent accessoires pour les deux parties à l'opération et en particulier pour Solen.
En outre, il faut préciser que les parties constituent des acteurs marginaux en matière d'ingénierie de l'environnement. En effet, le secteur des services liés à l'ingénierie de l'environnement se caractérise par la présence de concurrents appartenant à de puissants groupes(la Lyonnaise des Eaux, la Générale des Eaux, la Caisse des Dépôts par l'intermédiaire de sa filiale GED, etc.) <sdf>ainsi que de très nombreux opérateurs indépendants.
Enfin, si l'on devait retenir que la dimension géographique des marchés en cause est locale, il y a lieu de souligner que les activités de conseil en ingénierie de l'environnement de Ginger concernent la région Sud-Est de la France tandis que les activités semblables de Solen sont exercées sur le quart Sud-Ouest de la France.
Il résulte de ces éléments que, quelle que soit la définition ou la délimitation géographique du ou des marchés en cause, l'opération n'emporte en l'espèce aucun risque de porter atteinte à la concurrence sur le ou les marchés de services liés à l'ingénierie de l'environnement.
En conséquence, l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.