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Décisions

Ministre de l’Économie, 30 octobre 2002, n° ECOC0200416Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Président de la société Matussière et Forest

Ministre de l’Économie n° ECOC0200416Y

30 octobre 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Monsieur le président,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 7 octobre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de la totalité du capital de la société française Lancey Investissements par la société française Matussière & Forest SA. Cette acquisition a été formalisée par un protocole de transfert des actions signé le 1er octobre 2002.

I. - Les parties et l'opération

Lancey Investissements est une holding qui a pour principale filiale la société Papeterie de Lancey. Le groupe Lancey (ci-après " Lancey ") produit des papiers de grammages lourds destinés principalement aux couvertures de magazines. Lancey ne possède qu'une seule usine, en France, et emploie environ 310 personnes. Le groupe a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires total consolidé de 90 millions d'euro, dont près de 71 millions en France.

Matussière & Forest SA est une holding contrôlant plusieurs filiales qui fabriquent et vendent du papier. Matussière & Forest est la principale de ces filiales. Environ 75 % de la production papetière du groupe Matussière & Forest (ci-après " Matussière ") est destinée aux papiers de communication (revues, magazines, catalogues, illustrés, journaux et publicités). Le groupe possède 5 usines, situées en France, et emploie environ 1 500 personnes. Matussière a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires total consolidé de 394 millions d'euro, exclusivement en Europe, dont 211 millions en France.

L'acquisition de Lancey constitue une complémentarité pour Matussière puisqu'elle lui permettra de produire tous les papiers nécessaires à la confection des magazines (papiers de faibles grammages pour les pages intérieures, et papiers de grammages lourds pour les couvertures).

L'opération notifiée a pour effet d'entraîner le contrôle exclusif de Lancey Investissements au profit de Matussière & Forest SA. Cette opération constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, cette opération n'est pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.

II. - La définition des marchés

Les professionnels de l'industrie papetière distinguent habituellement plusieurs grandes familles de papiers : les papiers d'emballage, les papiers pour journaux, les papiers d'impression et d'écriture, les cartons, les papiers industriels et spéciaux, les papiers à usage sanitaire et domestique.

Les activités de Matussière et Lancey se recoupent dans la fabrication et la vente de papiers d'impression et d'écriture, et plus spécifiquement dans la fabrication et la vente de papiers pour magazines.

En matière de papiers pour impression-écriture, les professionnels distinguent, d'une part, les papiers non couchés et, d'autre part, les papiers couchés. Les papiers non couchés se présentent à l'état naturel et sont utilisés notamment pour des besoins de communication et de bureautique (papier offset, photocopie, dessin, dossiers et couvertures, agendas...). A l'inverse, les papiers couchés sont apprêtés par le dépôt d'une couche de talc ou de kaolin qui leur donne un meilleur aspect et des caractéristiques particulières d'impression. Ils sont particulièrement utilisés pour les magazines. Les papiers couchés ou non couchés sont dits " sans bois " lorsqu'ils sont fabriqués à partir de pâte chimique ; ils sont dits " avec bois " lorsqu'ils sont produits à partir de pâte mécanique (cf. note 1).

Dans sa décision du 21 novembre 2001 relative aux affaires M. 2498 (UPM-Kymene/Haindl) et M. 2499 (Norske Skog/Prenco/Walsum), la Commission européenne a eu l'occasion d'examiner de manière approfondie le secteur de l'industrie papetière. Elle a ainsi été amenée à distinguer les papiers pour magazines des autres catégories de papiers. Au sein des papiers pour magazines, elle a relevé qu'il existait trois qualités différentes : 1° les papiers supercalandrés (cf. note 2), qui sont des papiers non couchés avec bois ; 2° les papiers couchés avec bois ; et 3° les papiers couchés sans bois.

La Commission a constaté que les papiers couchés sans bois présentaient une faible substituabilité avec les papiers contenant du bois, et ce tant du côté de la demande que du côté de l'offre. Ainsi, sur le plan de la demande, il apparaît que le papier couché sans bois, qui possède un grammage d'au moins 80 g/m2, est beaucoup plus résistant que le papier couché avec bois et qu'il est de ce fait principalement utilisé pour les couvertures de magazines ou pour les magazines haut de gamme. Par ailleurs, sur le plan de l'offre, la Commission a relevé que (i) toutes les machines produisant du papier sans bois sont des machines spécialisées, et que (ii) la production de papier couché sans bois se fait à partir de pâte chimique, produite en grande partie par des indépendants et négociée sur un marché libre, alors que les papiers avec bois sont fabriqués en grande partie à partir de pâte mécanique, généralement produite en interne. Ces constatations ont amené la Commission à distinguer deux marchés séparés en matière de papiers pour magazines : d'une part, les papiers couchés sans bois, et, d'autre part, les papiers couchés avec bois et les papiers supercalandrés.

Les parties font cependant observer que Lancey produit exclusivement une catégorie de papier couché avec bois destiné principalement aux couvertures de magazines, qui sont en général fabriquées avec du papier couché sans bois. Elles estiment donc qu'il existe une certaine substituabilité du côté de la demande entre le papier couché avec bois et le papier couché sans bois. Dans le cadre des affaires communautaires précitées, les parties avaient fait la même remarque. La Commission a cependant estimé dans sa décision précitée que "s'il est vrai qu'une certaine substituabilité existe entre ces deux types de papier, elle n'intervient qu'en marge du marché et n'est pas pertinente en termes de volume (cf. note 3)".

En conséquence, au cas présent, il sera retenu en matière de papiers pour magazines, d'une part, un marché des papiers avec bois, comprenant les papiers couchés avec bois et les papiers supercalandrés, et, d'autre part, un marché des papiers sans bois.

Dans sa décision précitée, la Commission a estimé par ailleurs que, compte tenu notamment des volumes importants d'échanges transfrontaliers, la dimension géographique des deux marchés en question s'étendait à l'Espace économique européen et à la Suisse (ci-après " EEES " pour l'ensemble). Au cas présent, la même délimitation géographique sera retenue pour les deux marchés concernés.

En matière de pâte à papier, seule une partie de la pâte chimique produite est vendue sur un marché. Aussi bien Lancey que Matussière achètent toute la pâte chimique dont ils ont besoin et n'en vendent donc pas. Dans le cadre de la présente décision, le ou les marchés relatifs à la pâte chimique ne seront pas examinés, dans la mesure où les capacités de production de papier sans bois de Lancey et Matussière ne leur permettent pas de disposer d'un pouvoir de négociation important sur les fabricants de pâte chimique.

III. - Analyse concurrentielle

Sur le marché des papiers couchés sans bois, il n'y a pas de chevauchement puisque Lancey n'est pas présent sur ce marché. En termes de tonnages de papier vendus, Matussière avait en 2001 une part de marché de 1,2 % sur la zone EEES, et a réalisé 3,7 % des ventes totales en France. En conséquence, l'opération de concentration n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ce marché, notamment par création ou renforcement de position dominante au profit de Matussière.

Sur le marché des papiers avec bois (couchés et supercalandrés), l'opération conduit à un chevauchement: Lancey et Matussière ont respectivement produit en 2001 120 000 tonnes et 40 000 tonnes de papier. Les données statistiques publiées par la Confédération des industries de papier européennes (CEPI) ne sont disponibles que pour une partie du marché, à savoir les papiers couchés avec bois.

Pour le seul papier couché avec bois, Lancey et Matussière ont réalisé en 2001 respectivement 1,6 % et 0,6 % des ventes faites dans l'EEES. Dans la mesure où Lancey et Matussière ne produisent pas de papier surpercalandré, leurs parts de marché sur l'ensemble du marché de produit, incluant le papier supercalandré, sont donc forcément inférieures. Les ventes françaises de Lancey et Matussière ont représenté au total pour la même année un peu plus de 11 % (8 % pour Lancey et 3,2 % pour Matussière) des ventes totales faites en France. La nouvelle entité aura des parts de marché relativement faibles, dans un contexte où de puissants opérateurs de taille européenne, qui pour la plupart produisent aussi bien du papier couché avec bois que du papier supercalandré, sont présents sur ce marché. Ainsi, les cinq principaux fabricants (UPM Kymmene, Stora Enso, Myllykoski, Burgo, NSI) représentent plus de 80 % des capacités installées dans l'EEES pour ces papiers (couchés avec bois et supercalandrés). En conséquence, l'opération de concentration n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ce marché, notamment par création ou renforcement de position dominante au profit de Matussière.

En conclusion, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés identifiés, notamment par création ou renforcement de position dominante au profit de Matussière. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

NOTE (S) :

(1) La pâte chimique est obtenue en éliminant de la matière première, par un traitement chimique, une très grande proportion de ses composants non cellulosiques. La pâte mécanique est, quant à elle, obtenue entièrement par des moyens mécaniques.

(2) Le calandrage consiste à passer le papier entre des rouleaux sous très forte pression (calandre) afin d'en lustrer les faces par frottement. Cela permet d'améliorer l'aspect et l'imperméabilité du papier, ainsi que la brillance des encres. La supercalandre est un type de calandre comportant un nombre plus important de rouleaux et permettant un satinage du papier beaucoup plus poussé (papier supercalandré).

(3) " While it is true that there is some substitution between the two grades possible such substitution takes place at the margins and is not pertinent in terms of volume " (paragraphe 18 de la décision précitée).