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Décisions

CA Rennes, 3e ch., 17 février 2000, n° 98-00290

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Declercq

Défendeur :

Ministère Public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gayet

Conseillers :

MM. Buckel, Ségard

Avocats :

Me Le Brusq, Aubry, Mathieu

TGI Vannes, ch. corr., du 13 nov. 1997

13 novembre 1997

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LE JUGEMENT

Le Tribunal correctionnel de Vannes par jugement contradictoire en date du 13 novembre 1997, pour :

Facturation non conforme - vente de produit, prestation de service pour activité professionnelle

a condamné Declercq Alain à 7 000 F d'amende.

LES APPELS

Appel a été interjeté par : M. le Procureur de la République, le 14 Novembre 1997 contre Monsieur Declercq Alain

LA PREVENTION

Considérant qu'il est fait grief au prévenu :

- d'avoir à Vannes, dans le Morbihan, les Côtes d 'Armor, le Finistère, du 1er mars au 11 septembre 1996, effectué, pour une activité professionnelle, une ou des prestations de service sans facture conforme ;

Faits prévus et réprimés par les articles 31 al.2, al.3, al.4 ; 55 al.1 de l'ordonnance du 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

LA FORME

Considérant que l'appel du Ministère Public est régulier et recevable en la forme ;

AU FOND

Considérant qu'il ressort du dossier et des débats les éléments suivants :

Le 23 octobre 1996, les agents de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Morbihan dressaient procès-verbal à l'endroit d'Alain Declercq, relatant les constatations effectuées les 13 juin, 10 et 11 septembre 1996, desquelles ressortaient les faits suivants :

Alain Declercq exerçait les fonctions de gérant de la SARL Declercq, au capital de 200 000 F, ayant son siège 101, rue du Général De Gaulle à Saint Pierre Quiberon et pour activité le négoce et la vente au détail de marchandises provenant de déstockages, de faillites et de sinistres d'entreprises. Elle possédait quatre points de vente dans le département du Morbihan, à l'enseigne " Max Plus ".

De son côté, Muriel Sarrazyn était l'associée unique et la gérante de l'EURL, Sarrazyn, au capital de 50 000 F, sise ZA des Logettes à Chantepie, pratiquant une activité similaire par le biais de quatre magasins, dont deux franchisés, exploités sous cette même enseigne " Max Plus ", implantés dans les départements d'Ille et Vilaine, des Côtes d'Armor et du Finistère.

Aucun lien juridique ni capitalistique n'existait entre ces deux entreprises. Par contre, liés par des relations d'amitié et exploitant des magasins fonctionnant selon les mêmes principes commerciaux, leurs dirigeants avaient mis en place une politique commune d'approvisionnements, se fournissant souvent aux mêmes sources. Chacune d'entre elles achetait des marchandises au gré des opportunités, qui étaient ensuite réparties entre elles, le plus souvent par moitié. Selon les circonstances, les objets achetés par l'une pouvaient être livrés indifféremment soit à celle-ci, soit à l'autre, préalablement au partage. Il arrivait ainsi que l'entreprise à l'origine de l'achat soit livrée de sa quote-part de marchandises par celle à laquelle elle avait cédé la moitié de ses achats. Dans ce cas, en raison de l'absence de transfert physique de marchandises entre les deux entreprises, la revente n'était pas matérialisée par un document avant l'établissement de la facture.

En vertu d'un accord entre elles, l'EURL Sarrazyn assurait, pour le compte de la SARL Alain Declercq, la délivrance des factures de ses propres achats de marchandises auprès de cette dernière.

Les rétrocessions intervenaient sur la base du prix de revient et les factures s'y rapportant étaient établies en moyenne une fois par mois.

Or, aux termes de l'article 31 al.2 de l'ordonnance 864243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service, l'acheteur devant, le cas échéant, la réclamer.

En outre, si une note de service, élaborée le 23 mars 1994 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, admettait la pratique de la facture récapitulative, c'est à la triple condition :

- que l'acheteur soit d'accord

- qu'il s'agisse de livraisons fréquentes et de faibles montants

- que des bons soient délivrés pour chaque livraison, ceux-ci devant permettre, par un rapprochement avec la facture récapitulative, de vérifier l'exactitude de la facturation

Les vérifications diligentées déterminaient

- d'une part, que les factures délivrées ou acceptées par la SARL Declercq n'étaient pas d'un faible montant et que l'exigence de livraisons fréquentes n'était pas satisfaite. C'est ainsi :

- que la facture portant le n° 247, datée du 1er mai 1996, délivrée par la SARL Declercq à l'EURL Sarrazyn récapitulait trois livraisons intervenues courant avril 1996 et deux livraisons effectuées en mai 1996, son montant étant de 530 171,72 F TTC.

- que les factures n° 229 et 230, datées du 1er mai 1996, délivrées par l'EURL Sarrazyn à la SARL Declercq concernaient quatre transactions intervenues courant avril 1996, trois ventes en mai 1996 et deux cessions ayant eu lieu à des dates indéterminées, pour un montant total de 493 866,30 F TTC.

- que la facturation récapitulative correspondant à janvier 1996 s'établissait à 448 775 F TTC, celle de février 1996 atteignant 786 872,95 F TTC.

- d'autre part, que les documents détaillés intermédiaires n'avaient pas été établis. En effet :

- pour ce qui est de la facture n° 247 délivrée par la SARL Declercq à l'EURL Sarrazyn, celle-ci ne faisait référence ni à des bons de livraison, ni aux périodes de livraison. De plus, les bons correspondants étaient peu explicites et ne permettaient pas d'effectuer un rapprochement sérieux avec la facture récapitulative ;

- s'agissant des factures n° 229 et n° 230 délivrées par l'EURL Sarrazyn à la SARL Declercq, aucun document intermédiaire n'avait été rédigé pour quatre des six livraisons figurant sur la seconde. De plus, ces deux factures ne faisaient pas référence à des bons de livraison et ne précisaient pas la période à laquelle chacune d'entre elles était intervenue. Les bons ayant pu être retrouvés étaient peu explicites, ne permettant aucun rapprochement avec les factures récapitulatives.

En conséquence, les transactions en cause se plaçaient hors du champ des opérations susceptibles de dérogation et il devait être établi une facture conforme dès la réalisation de chaque vente.

Les investigations entreprises démontraient également que d'autres obligations définies par l'article 31 de l'ordonnance susvisée n'avaient pas été respectées.

Les factures récapitulatives délivrées ou acceptées par la SARL Alain Declercq dans le cadre des cessions réciproques avec l'EURL Sarrazyn ne mentionnaient pas la date des ventes.

Les agents verbalisateurs faisaient observer, à cet égard, que la date du 1er mai 1996 indiquée sur les factures n° 247, 229 et 230 précitées, n'était pas probante, ne pouvant être assimilée :

ni à la date de délivrance des factures, celles-ci n'ayant été réceptionnées que le 13 juin 1996 ;

ni à la date de fin de période de livraison, certaines étant intervenues postérieurement. En effet, la facture n° 247 incluait des livraisons des 14 et 31 mai 1996 ; les factures n° 229 et 230 récapitulaient des livraisons des 5 et 20 mai 1996, outre des livraisons à date indéterminée.

Ces documents ne mentionnaient pas davantage les quantités cédées, au moyen d'unités habituellement utilisées pour les produits concernés, ni la dénomination précise de ces derniers, alors que les marchandises rétrocédées d'une entreprise à l'autre faisaient l'objet d'un tri préalable avant le partage, les marchandises étant dès lors parfaitement identifiées et dénombrées.

Aucun obstacle matériel ne s'opposait ainsi à ce que les factures comportent des mentions précises quant aux quantités et à la dénomination des objets,

- les factures n'indiquaient pas non plus la date à laquelle le règlement devait intervenir.

Lors de ses auditions par les agents de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Morbihan, puis par les fonctionnaires de police chargés de l'enquête préliminaire, ainsi que devant les Premiers Juges, Alain Declercq faisait valoir :

- que l'absence de bon de livraison pour certaines opérations s'expliquait par le fait que la totalité de la marchandise ayant été déposée, pour des raisons de proximité géographique, à l'EURL Sarrazyn, qui avait acquis de la SARL Declercq la moitié des lots, l'établissement d'un bon de livraison relatif à la rétrocession n'avait dès lors pas paru indispensable ;

- que si les factures étaient d'un montant élevé, c'était précisément en raison de leur caractère récapitulatif, ce procédé ayant paru d'un usage commode aux deux sociétés, eu égard à l'étroitesse et à la permanence de leurs relations commerciales ;

- que si la SARL Declercq et l'EURL Sarrazyn ne mentionnaient, sur les factures, que la cession de la moitié des lots concernés, c'était parce qu'il s'agissait, le plus souvent, de lots dont les éléments n'étaient pas individualisés, ou pour des raisons de facilité ; que ces agissements n'avaient, en aucun cas, pour but d'organiser une fraude, les quantités exactes pouvant être très rapidement retrouvées, au vu de la facture correspondante ;

- qu'immédiatement après le contrôle, tant lui-même que Muriel Sarrazyn avaient embauché un salarié ayant pour mission exclusive d'établir une facturation conforme, nonobstant la lourdeur d'une telle procédure appliquée à deux sociétés travaillant constamment ensemble.

Considérant que c'est par des motifs pertinents, que la Cour adopte, que les Premiers Juges ont retenu Alain Declercq dans les liens de la prévention, en relevant notamment :

- que les constatations effectuées par les agents verbalisateurs démontraient que les règles fixées par l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 n'avaient pas été respectées par le prévenu relativement aux obligations d'établissement immédiat d'une facture; de mention sur celle-ci de la date de livraison, de la nature et des quantités des marchandises cédées, ainsi que de la date du règlement;

- que les circonstances de l'espèce établissaient que le prévenu n'était pas en droit de faire usage du procédé de la facture récapitulative; qu'en effet, les livraisons n'étaient pas fréquentes et chaque opération atteignait un montant substantiel;

- qu'il s'agissait de lots dont les éléments étaient individualisables et identifiables;

- que garantes de la transparence des transactions commerciales, les règles précitées avaient également pour but de protéger la santé publique, leur respect conditionnant, en cas de diffusion auprès du public de produits se révélant dangereux, la détermination rapide de leur nature, de leurs quantités, des étapes successives de leur commercialisation et de leur origine, permettant d'en assurer le retrait dans les délais nécessaires à la sauvegarde de la santé des consommateurs ;

Considérant ainsi que les faits visés à la prévention sont établis par les éléments du dossier, les débats et les aveux mêmes du prévenu ; qu'ils ont été exactement analysés et qualifiés par les Premiers Juges ; qu'il y a donc lieu de confirmer la décision déférée sur la qualification des faits et la culpabilité ;

Considérant, en ce qui concerne la peine, que la Cour trouve dans les documents du dossier et dans les débats des éléments d'appréciation lui permettant de faire au prévenu une application différente de la loi pénale ;

Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de Declercq Alain ; en la forme, Reçoit l'appel du Ministère Public ; Au Fond, Confirme le jugement sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité ; Réforme sur l'application de la peine ; Condamne Alain Declercq à 20 000 F d'amende ; Prononce la contrainte par corps ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné ; Le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1,749 et 750 du Code de procédure pénale.