CA Paris, 4e ch. B, 21 février 1991, n° 89-11266
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mily (SARL)
Défendeur :
Franck et Fils (SA), Loyen (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Gouge, Audouard
Avoués :
Mes Olivier, Huyghe
Avocats :
Mes Froin, Pinsseau
I. Expose des faits et procédure :
Pour l'exposé plus ample des faits et de la procédure, il est fait expressément référence à deux arrêts de la Cour d'appel de Paris :
- du 13 septembre 1990
- du 22 novembre 1990
Il convient de rappeler pour mémoire que la société Mily était titulaire d'un contrat de franchise concédé par la société Franck et Fils, pour l'exploitation dans le secteur de la ville de Bordeaux d'un magasin d'articles vestimentaires et d'accessoires féminins situé au Centre Commercial Saint Christoly. Ce contrat de franchise avait été dénoncé le 27 mai 1987 par la société Franck et Fils avec effet au 30 novembre 1987; la société Mily ayant estimé que son contrat de franchise devait continuer et qu'il y avait eu rupture de contrat, a maintenu l'exploitation postérieurement au 30 novembre 1987;
II. Le jugement entrepris :
Le Tribunal de commerce de Paris le 8 mars 1989 a notamment :
- dit que le contrat de la société Franck et Fils la liant à la société Mily avait pris fin le 30 novembre 1987,
- condamné la société Mily à payer à la société Franck et Fils la somme de 175 568,73 F avec intérêts au taux légal sur cette somme du 27 janvier 1988, outre 50 000 F pour résistance abusive,
- condamné la société Mily à payer à la société Franck et Fils la somme de 45 398,36 F en liquidation des astreintes ordonnées par l'ordonnance de référé du 2 mars 1988; et 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC;
III. La procédure d'appel :
La société Mily a relevé appel de cette décision le 19 avril 1989 et a saisi la cour le 15 juin 1989,
Plusieurs incidents ont émaillé la procédure d'appel; la cour renvoie leur examen aux arrêts ci-dessus;
Le Tribunal de commerce de Bordeaux par jugement du 24 avril 1990 a ouvert contre la société Mily une procédure de redressement judiciaire, Maître Pierre Loyen ayant été désigné en qualité de représentant des créanciers. Ce dernier a été régulièrement mis en cause par assignation du 15 mai 1990; il n'a pas comparu. L'arrêt sera donc réputé contradictoire. La société Franck et Fils a régulièrement produit au redressement judiciaire de la société Mily et a déclaré sa créance;
La société Mily, dans ses conclusions d'appel du 5 avril 1990 avait sollicité l'infirmation du jugement entrepris, la condamnation de la société Franck et Fils au paiement de la somme de 100 000 F et de celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC;
La société Franck et Fils a d'abord conclu contre la société Mily le 9 octobre 1989 puis contre la société Mily en redressement judiciaire et contre Maître Loyen Pierre en sa qualité de représentant des créanciers dans la procédure de redressement judiciaire de la société Mily, le 13 décembre 1990. Les écritures ont sollicité la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Mily au paiement de la somme de 20 000 F de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du NCPC.
Sur ce :
La cour qui s'en rapporte tant aux arrêts ci-dessus rappelés qu'au jugement entrepris, comme aux écritures d'appel,
I. Sur les jonctions :
Considérant qu'à la suite des différents incidents et assignations, des procédures séparées ont été enrôlées; qu'il conviendra de joindre les appels enrôlés sous les n°s 89-11266 et 90-10103 et de statuer par une seule décision;
II. Au fond :
Considérant que la société Mily a reproché au tribunal d'avoir décidé que le contrat de franchise la liant à Franck et Fils avait pris fin le 30 novembre 1987; que selon elle, le contrat originaire du 1er décembre 1983 ne pouvait avoir un effet immédiat, car lors de la signature les locaux n'étaient pas achevés et qu'il s'agissait avant tout, à cette époque, de se réserver un emplacement dans le centre commercial Saint-Christoly; que les travaux ne s'étant terminés que deux ans plus tard c'est à ce moment que le contrat aurait commencé à courir, soit le 15 octobre 1985; que s'estimant "trahie par le franchiseur", elle avait refusé de régler les redevances; que par ailleurs, elle a reproché à Franck et Fils de n'avoir pas collaboré loyalement au développement de l'activité de son magasin; que ses prestations de franchiseur étaient médiocres; qu'elle a soutenu encore que la société Franck et Fils n'avait pas respecté l'exclusivité qu'elle lui avait accordée; qu'elle a donc conclu que la rupture du contrat de franchise était le fait de la société Franck et Fils, ce dont elle demandait la réparation par l'allocation de la somme de 100 000 F; qu'à titre subsidiaire, elle a sollicité des délais de paiement en application de l'article 1244 du Code civil;
Considérant que comme elle l'avait fait en première instance, la société Franck et Fils a repoussé tous ces arguments et a conclu à la confirmation du jugement entrepris;
Considérant, ceci étant exposé, qu'il convient de rappeler que par contrat de franchise du 1er décembre 1983 Franck et Fils a concédé à la société Royce le droit exclusif d'utiliser les marques Franck et Fils et Franck et Fils Boutique, pour l'exploitation d'un magasin d'articles vestimentaires et d'accessoires féminins au Centre Commercial Saint-Christoly à Bordeaux; que ce contrat était conclu pour une durée de trois années à compter du jour de sa signature et pouvait se renouveler ensuite par tacite reconduction par période annuelle; que ce contrat était donc, contrairement aux prétentions de la société Mily, à effet immédiat et son exécution n'était pas subordonnée à la date d'ouverture du magasin;
Considérant que par accord tripartite du 25 mars 1986, Franck et Fils a consenti à substituer la société Mily, qui venait d'être constituée par Monsieur Ohayon, principal associé de la société Royce, à la société Royce, dans le bénéfice de ce contrat de franchise; que cette substitution devait prendre effet rétroactivement au 15 octobre 1985, les termes "conditions et durée" du contrat du 1er mars 1983 demeurant "inchangés"; que la société Mily, qui était devenue le franchisé de la société Franck et Fils aux lieu et place de la société Royce s'était engagée à "faire siennes, respecter et exécuter l'ensemble des dispositions, obligations et conditions résultant du contrat du 1er mars 1983".
Que conformément à l'article 11 du contrat de franchise, la société Franck et Fils a notifié le 27 mai 1987 à la société Mily qu'elle ne renouvellerait pas le contrat lors de sa venue à échéance le 1er décembre 1987;
Qu'il n'y a donc pas eu, contrairement à ce qu'a prétendu la société Mily rupture abusive et anticipée du contrat de franchise, mais non-reconduction d'un contrat venu à expiration; qu'en effet le contrat de franchise du 1er décembre 1983 et dont la durée n'avait pas été modifiée par l'avenant du 25 mars 1986, venait effectivement à expiration le 1er décembre à l'issue d'un premier renouvellement; que la date du 15 octobre 1985, date d'effet de l'accord de substitution, ne vise en aucune manière à modifier la durée du contrat du 1er décembre 1983 et les dates d'échéance de celui-ci;
Considérant que les reproches sur l'exécution du contrat adressés par la société Mily à la société Franck et Fils, pas plus en première instance qu'en appel, n'ont été établis; que la société Mily se contente d'articuler des griefs contre la société Franck et Fils, sans les justifier; que notamment le reproche du non-respect par Franck et Fils de l'exclusivité accordée à la société Mily ne saurait être retenu; qu'en effet aucun contrat, aucune pièce n'ont démontré la présence à Bordeaux d'un autre franchisé de Franck et Fils pendant la durée du contrat du 1er décembre 1983; qu'en revanche, la société Franck et Fils démontre qu'en plus de ses obligations de franchiseur, elle a fait bénéficier la société Mily des plus grandes facilités de trésorerie - décalage des échéances des règlements durant la première année d'exploitation - facilités de paiement (cf. lettre du 22 octobre 1986); qu'avant de refuser le renouvellement du contrat d'exclusivité, la société Franck et Fils avait pris soin d'expédier deux mises en demeure préalables :
- l'une par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 octobre 1986 pour lui demander de cesser de reporter unilatéralement les dates d'échéances des traites;
- l'autre par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 avril 1987, et aux termes de laquelle elle lui demandait de respecter la politique commerciale de Franck et Fils et de ne plus développer des actions commerciales comme des soldes intempestives, et de ne plus vendre des produits de marques concurrentes;
que ces griefs n'ont jamais été contestés par la société Mily; que c'est donc à bon droit que devant la violation réitérée par la société Mily de ses obligations, que la société Franck et Fils a décidé de ne pas reconduire le contrat de franchise à son échéance du 1er décembre 1987; qu'en reconnaissant que le contrat de franchise liant la société Mily à la société Franck et Fils avait pris effet le 1er décembre 1983 et avait pris fin le 30 novembre 1987, le tribunal de commerce a fait une exacte appréciation;
Considérant qu'en cause d'appel la société Mily n'a pas contesté le montant des sommes allouées par les premiers juges à la société Franck et Fils; que la somme de 172 198,78 F représente les redevances dues, des frais de port de fournitures de sacs plastiques et des agios que le gérant de la société Mily s'était abstenu de régler en dépit d'une sommation qui lui avait été délivrée le 27 janvier 1988; que la somme de 50 000 F a été accordée par le tribunal de commerce pour la résistance abusive; que cette somme sur laquelle la société n'a pas émis la moindre critique est parfaitement justifiée; qu'il convient à cet égard de rappeler que de nombreuses procédures ont été rendues nécessaires pour contraindre la société Mily à cesser ses activités dans le cadre du contrat de franchise qui avait été dénoncé;
que la somme de 45 598,36 F représente la liquidation d'astreintes ordonnées par l'ordonnance de référé du 2 mars 1988 et ne peut donner lieu à contestation;
Considérant que les demandes en octroi de délai de grâce sollicité à titre subsidiaire par la société Mily ne repose sur aucune justification; que cette société vient d'ailleurs d'être mise en redressement judiciaire et que dès lors la demande n'a plus d'objet, les modalités de paiement étant déterminées selon les décisions prises dans le cadre de cette procédure; que les autres demandes de la société Mily sont sans objet, par suite du débouté des fins de son appel;
Considérant qu'à la suite de la mise en redressement judiciaire de la société Mily aucune condamnation ne saurait être prononcée contre elle; que le jugement sera donc réformé sur ces points; que la cour se bornera donc à fixer les créances de la société Franck et Fils à l'encontre de la société Mily en redressement judiciaire;
Considérant qu'il est équitable d'autoriser la société Franck et Fils à produire auprès du représentant des créanciers de la société Mily en redressement judiciaire pour une nouvelle somme de 10 000 F pour ses frais non taxables en appel.
Par ces motifs : Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n°s RG 89-11266 et 90-10103, Vu le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 24 avril 1990 prononçant l'ouverture de la procédure en redressement judiciaire de la société Mily, Réforme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 mars 1989 mais seulement en ce qu'il a condamné la société Mily au paiement des diverses sommes; Statuant à nouveau, Constate que la créance de la société Franck et Fils à l'égard de la société Mily en redressement judiciaire s'élève à : - 175 568,73 F outre intérêts à compter du 27 janvier 1988 pour diverses sommes dues, - 50 000 F pour résistance abusive, - 45 598,36 F pour liquidation d'astreinte, - 10 000 F pour les frais irrépétibles en première instance, Y ajoutant, Autorise la société Franck et Fils à produire auprès du représentant des créanciers de la société Mily en redressement judiciaire pour une nouvelle somme de dix mille (10 000) francs pour ses frais irrépétibles en appel et pour ses dépens d'appel pour la somme qui sera taxée; Admet pour les dépens d'appel Maître Huyghe, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.